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Rapport définitif - Rapport No. 74, 1964

Cas no 332 (Brésil) - Date de la plainte: 28-FÉVR.-63 - Clos

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  1. 89. La plainte de la Fédération internationale des ouvriers sur métaux (F.I.O.M.) est contenue dans une communication en date du 28 février 1963, adressée directement à l'O.I.T. Elle a été complétée par une communication en date du 2 mai 1963.
  2. 90. La plainte originale ainsi que les informations complémentaires venues l'appuyer ont été transmises au gouvernement pour observations par deux lettres du Directeur général datées respectivement des 14 mars et 15 mai 1963. Ce faisant, certaines des allégations formulées par les plaignants ayant trait à l'arrestation de syndicalistes, le Directeur général a fait savoir au gouvernement que le cas entrait dans la catégorie de ceux que le Comité et le Conseil d'administration sont tenus d'examiner en priorité.
  3. 91. Le gouvernement a fait parvenir ses observations au Bureau par deux lettres en date des 25 et 29 octobre 1963.
  4. 92. Saisi du cas à sa 35ème session, tenue à Genève les 4 et 5 novembre 1963, le Comité, estimant que les observations du gouvernement lui étaient parvenues trop tardivement pour lui permettre de les examiner quant au fond, a décidé d'ajourner l'examen de l'affaire à sa présente session.
  5. 93. Le Brésil a ratifié la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949; par contre, il n'a pas ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948.

A. A. Allégations des organisations plaignantes

A. A. Allégations des organisations plaignantes
  1. 94. La F.I.O.M indique tout d'abord que les événements auxquels elle entend se référer intéressent, d'une part, des militants et des dirigeants de l'Association des travailleurs sur métaux de la ville de Jaù, qui, déclarent les plaignants, est affiliée à la Fédération syndicale des ouvriers des métaux de l'Etat de Sáo Paulo, d'autre part, des militants et des dirigeants de cette dernière organisation, elle-même affiliée à la F.I.O.M. Elle déclare ensuite que les faits qui se sont produits s'inscrivent en violation des conventions nos 87 et 98.
  2. 95. L'organisation plaignante donne alors une description détaillée des événements qui se seraient déroulés. De cette description, il ressort que, depuis le mois de février 1962, la compagnie industrielle Masiero S.A. - qui emploie 186 ouvriers, tous membres de l'Association des travailleurs sur métaux de la ville de Jaù -, aurait pris l'habitude de payer les salaires de ses employés avec 10, 12 et même 25 jours de retard, et ce, en dépit du fait que la loi du travail stipule que les salaires doivent être payés au cours des dix premiers jours ouvrables de chaque mois.
  3. 96. Etant donné le préjudice causé aux travailleurs par une telle pratique, les représentants de la Fédération et de la section locale du syndicat auraient, à plusieurs reprises, pris contact avec les représentants de la compagnie visant à ce que soient mis à jour ces paiements différés. Des négociations dans ce sens se seraient déroulées de mars à octobre 1962 sans donner aucun résultat, l'employeur ayant continué à différer le paiement des salaires sans tenir aucun compte des demandes réitérées présentées par la Fédération et par le syndicat au sujet de la régularisation des versements.
  4. 97. Le 14 novembre 1962 - déclarent les plaignants -, les salaires correspondants au mois d'octobre n'avaient pas encore été payés. Ce que voyant, le syndicat, approuvé en cela par la Fédération, aurait convoqué une assemblée générale, laquelle aurait décidé que, si la compagnie retardait encore le versement des salaires, une grève serait déclenchée. L'employeur aurait été avisé de cette décision et en aurait pris note. En décembre, les salaires n'auraient eu que deux jours de retard. Le 31 décembre, cependant, alors que, en application des dispositions législatives en vigueur, la prime du treizième mois aurait dû être versée aux travailleurs, la compagnie aurait remis au personnel des billets à ordre payables dans des délais de trente et soixante jours, ce qui, déclarent les plaignants, était illégal.
  5. 98. Dans les premiers jours de janvier 1963, le syndicat et la Fédération auraient, une fois encore, fait une démarche commune auprès de l'employeur en vue de fixer un jour pour le paiement des salaires. Malgré les assurances données par la direction selon lesquelles il n'y aurait aucun retard ce mois-là, les salaires n'auraient été versés qu'au bout de onze jours. Devant une telle façon de procéder - déclare la F.I.O.M. -, le syndicat a convoqué une assemblée générale pour le 11 février. Au cours de cette réunion, à laquelle participait le vice-président de la Fédération, M. Argeu Egydio dos Santos, les 128 membres présents, tous au service de la firme en question, ont décidé qu'il y aurait lieu de rencontrer à nouveau l'employeur afin de déterminer à quelle date il avait l'intention d'effectuer le paiement des salaires; il fut également décidé que l'assemblée se réunirait à nouveau le jour suivant afin que les travailleurs puissent être mis au courant de la réponse de l'employeur.
  6. 99. Immédiatement après la réunion du 11 février - poursuivent les plaignants - MM. Argeu dos Santos et Gavino Ferrari, ce dernier étant président de la section locale du syndicat, ont pris contact avec l'employeur, qui leur a déclaré que, si les banques escomptaient les effets de la firme, les salaires seraient payés avant le 16 du mois, mais que, dans le cas contraire, « les travailleurs devraient se montrer patients ».
  7. 100. Le 12 février, comme prévu, les travailleurs se sont réunis une nouvelle fois et la réponse de l'employeur leur a été communiquée. Les travailleurs, mécontents du comporte ment de l'employeur et considérant que ce serait le seul moyen de le contraindre à prendre les mesures indispensables pour que les salaires soient payés en temps voulu, ont décidé de se mettre en grève à partir du 13 février à zéro heure.
  8. 101. Peu de temps après l'issue de la réunion, la décision de grève a été annoncée sur les ondes de la station locale de radio à plusieurs reprises au cours de six heures d'émission.
  9. 102. La décision de faire la grève ayant été prise, plusieurs groupes de travailleurs ont formé des piquets et se sont dirigés vers l'entreprise. Là - déclarent les plaignants-, ils se sont trouvés en présence d'importantes forces de police, tant civiles que militaires, dépendant du gouvernement de l'Etat de Sáo Paulo. Aucun incident n'a été à signaler au cours des premières heures de la grève, qui s'est déroulée pacifiquement et a été suivie par la totalité des travailleurs. Cependant, dans la journée du 13 février, vers midi, la police a accosté MM. Argeu dos Santos et Gavino Ferrari alors que, dans une rue située à proximité de l'usine, ils s'entretenaient avec un groupe de travailleurs et, sans fournir aucune explication, a procédé à leur arrestation. En même temps, les travailleurs en grève étaient invités à se disperser.
  10. 103. Dès que la Fédération de l'Etat a eu connaissance de ces mesures - déclarent les plaignants -, elle a envoyé trois dirigeants à Jaù en compagnie d'un avocat en vue de prendre les mesures qui s'imposaient. De leur côté, indignés par l'action de la police, les travailleurs ont décidé, au cours d'une réunion, de ne conclure aucun accord avec l'employeur aussi longtemps que leurs dirigeants demeureraient en prison.
  11. 104. Les travailleurs et leurs responsables ont ensuite décidé d'entreprendre une action judiciaire afin d'obtenir la mise en liberté des dirigeants arrêtés. La Fédération, par l'intermédiaire de sa section juridique, a présenté devant le tribunal local de Jaù une requête d'habeas corpus en faveur de MM. Argeu dos Santos et Gavino Ferrari. Vingt-quatre heures plus tard, le juge de district a examiné la requête et y a opposé une fin de non-recevoir. « Cette décision - déclarent les plaignants - a encore aggravé la situation, étant donné qu'en l'absence de tout crime le juge n'avait pas le droit de refuser la requête d'habeas corpus.»
  12. 105. Toujours selon les plaignants, la Fédération a alors présenté une autre requête d'habeas corpus devant l'instance supérieure de Sáo Paulo en faveur de ses dirigeants, qui se trouvaient à ce moment-là depuis huit jours en prison. Le 20 février, une commission judiciaire, composée de dix magistrats, a procédé à la révision de cette action et a décidé à l'unanimité de relaxer les intéressés; parallèlement, elle a fait cesser toute poursuite criminelle. Les juges ont motivé leurs décisions en déclarant, d'une part, que l'action des dirigeants en cause ayant eu pour origine le retard apporté au paiement de salaires dus, l'arrestation avait été opérée illégalement; d'autre part, que le rôle des dirigeants syndicaux étant d'informer et de conseiller les membres de leur syndicat, leur action n'avait constitué aucune espèce de crime.
  13. 106. Dans le même temps qu'une procédure était engagée devant les tribunaux - pour, suivent les plaignants -, des réunions étaient convoquées sur le plan administratif sous la forme de « tables rondes » avec la Délégation du travail de Sáo Paulo pour tenter de mettre fin au conflit proprement dit. Au cours de l'une de ces réunions, le représentant officiel du ministère du Travail, le Dr Roberto Gusmão, a confirmé, les travailleurs ayant le droit le plus strict de réclamer les salaires qui leur étaient dus, que la grève était parfaitement légale. Les déclarations du représentant du ministère à cet effet ont été publiées dans le journal local Ultima Hora de Sáo Paulo ainsi que dans plusieurs autres organes de presse.
  14. 107. Après la libération des deux dirigeants incarcérés, qui a eu lieu le 20 février à 23 h. 30, les travailleurs se sont réunis et ont décidé à l'unanimité de poursuivre la grève jusqu'à ce qu'une solution soit trouvée au différend. Ultérieurement, ils ont décidé de sou mettre le cas des travailleurs devant le tribunal du travail pour que cette instance rende une sentence à cet égard.
  15. 108. Le 22 février - déclarent les plaignants -, le tribunal du travail, estimant que le retard dans le paiement des salaires constituait une rupture de contrat, a décidé que les travailleurs devraient déposer dans ce sens des plaintes individuelles devant le tribunal local de Jaù pour que celui-ci détermine les droits des travailleurs et la compensation éventuelle à leur accorder.
  16. 109. C'est dans ces conditions, déclarent enfin les plaignants, qu'a été attaquée collectivement la rupture de contrat devant le tribunal de Jaù et que les travailleurs, réunis en assemblée générale, ont décidé à l'unanimité de mettre fin au mouvement de grève.
  17. 110. La réponse du gouvernement, d'ailleurs fort brève, est contenue dans deux communications datées des 25 et 29 octobre 1963. Dans la première de ces communications, le gouvernement se borne à confirmer qu'après avoir été arrêtés et maintenus en détention par le juge de Jaù malgré la requête d'habeas corpus, les deux syndicalistes mentionnés par les plaignants ont, sur décision de l'instance supérieure de São Paulo, été libérés. Dans sa seconde communication, relevant que les plaignants font allusion à une violation de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, le gouvernement rappelle que cette convention n'a pas été ratifiée par le gouvernement brésilien « qui estime donc irrecevable toute réclamation fondée sur cet instrument. »
  18. 111. Cette dernière déclaration du gouvernement appelle tout d'abord certaines remarques de la part du Comité. Tout en reconnaissant, en effet, que la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, n'a pas été ratifiée par le Brésil, le Comité estime approprié de souligner néanmoins, ainsi qu'il l'a fait pour le cas no 211 concernant le Canada, le cas no 191 concernant le Soudan , le cas no 266 concernant le Portugal , le cas no 303 concernant le Ghana et certains autres cas antérieurs a, que la Déclaration de Philadelphie, qui fait maintenant partie intégrante de la Constitution de l'Organisation internationale du Travail et dont les buts et objectifs figurent au nombre de ceux pour la réalisation desquels l'Organisation existe, ainsi qu'il est prévu à l'article 1 de la Constitution, modifiée en 1946 à Montréal, reconnaît:
    • ... l'obligation solennelle pour l'Organisation internationale du Travail de seconder la mise en oeuvre, parmi les différentes nations du monde, de programmes propres à réaliser... la reconnaissance effective du droit de négociation collective et la coopération des employeurs et de la main-d'oeuvre pour l'amélioration continue de l'organisation de la production, ainsi que la collaboration des travailleurs et des employeurs à l'élaboration de la politique sociale et économique.
    • Dans ces conditions, le Comité estime, ainsi qu'il l'a fait antérieurement lors de l'examen des cas mentionnés ci-dessus, que:
    • ... en s'acquittant de la responsabilité qui lui a été confiée de favoriser l'application de ces principes, il devrait, entre autres choses, se laisser guider dans sa tâche par les dispositions approuvées en la matière par la Conférence et incorporées dans la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948... qui constituent des éléments d'appréciation lors de l'examen d'allégations déterminées, d'autant plus que les Membres de l'Organisation ont, en vertu de l'article 19, 5 e), de la Constitution, l'obligation de faire rapport au Directeur général du Bureau international du Travail, à des périodes appropriées, selon ce que décidera le Conseil d'administration, sur l'état de leur législation et sur leur pratique concernant les questions faisant l'objet de conventions non ratifiées, en précisant dans quelle mesure on a donné suite ou l'on se propose de donner suite à toute disposition de la convention par voie législative, par voie administrative, par voie de contrats collectifs ou par toute autre voie et en exposant quelles difficultés empêchent ou retardent la ratification de telles conventions.
    • Etant donné ce qui précède, tout en constatant que le gouvernement du Brésil est un des gouvernements qui ont satisfait à cette obligation, à la demande du Conseil d'administration, en ce qui concerne la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et en reconnaissant que les dispositions de cette convention ne lient pas le Brésil, le Comité estime que le fait pour ce pays de n'avoir pas ratifié l'instrument en question ne saurait constituer une raison suffisante pour l'inciter à ne pas examiner quant au fond des allégations fondées en tout ou en partie sur les dispositions dudit instrument ou sur les principes qui s'en dégagent.
  19. 112. Il ressort, tant des déclarations des plaignants que des observations du gouvernement, que les deux syndicalistes mentionnés par la F.I.O.M comme ayant été arrêtés ont été libérés et que toute poursuite contre eux a été abandonnée. Dans ces conditions, le Comité, estimant que la plainte était devenue sans objet, aurait pu recommander au Conseil d'administration de décider de n'en point poursuivre l'examen.
  20. 113. Il n'en demeure pas moins - si l'on en croit les allégations des plaignants, lesquelles, loin d'être démenties, sont largement corroborées par les déclarations du gouvernement - que les dirigeants syndicaux Argeu dos Santos et Gavino Ferrari, dans l'exercice de leurs activités syndicales, ont été arrêtés sur l'ordre de la police de Jaù, qu'ils ont été placés dans des cellules destinées aux prisonniers de droit commun et qu'ils ont été considérés comme tels, qu'ils ont été accusés d'atteintes au « droit au travail » en vertu de l'article 197 du Code pénal (« contraindre une personne par des violences ou une menace grave ») et de l'article 200 (« intervention en vue de provoquer l'arrêt du travail ou la désertion collective et violences contre des personnes ou des biens »), que ce n'est qu'après huit jours de détention dans les conditions rappelées ci-dessus enfin que les intéressés ont été lavés de toute accusation et ont été libérés après qu'en appel la requête d'habeas corpus déposée en leur faveur ait reçu une suite favorable.

B. B. Conclusions du comité

B. B. Conclusions du comité
  1. 114. Dans plusieurs cas antérieurs, le Comité a signalé que la détention par les autorités de syndicalistes dans le cas desquels il n'a été trouvé, par la suite, aucun motif de condamnation était susceptible d'entraîner des restrictions aux droits syndicaux. Dans ces mêmes cas, le Comité a recommandé au Conseil d'administration de demander au gouvernement de s'assurer que les autorités en question avaient des instructions propres à éliminer le danger que comportent, pour les activités syndicales, des mesures de détention.
  2. 115. Dans le cas d'espèce, le Comité recommande au Conseil d'administration, tout en prenant acte de la libération des intéressés, de signaler à l'attention du gouvernement le point de vue exposé au paragraphe précédent.
  3. 116. En ce qui concerne enfin le conflit proprement dit, le Comité, notant que le tribunal du travail a estimé qu'il y avait eu, en l'espèce, rupture de contrat et que l'affaire a été portée devant les tribunaux ordinaires en vue de déterminer les droits des travailleurs et la compensation éventuelle à leur accorder, estime qu'il n'y a pas de raison pour lui d'examiner plus avant cet aspect du cas.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 117. En ce qui concerne le cas dans son ensemble, le Comité recommande donc au Conseil d'administration de signaler à l'attention du gouvernement, tout en prenant note de la libération de MM. Argeu dos Santos et Gavino Ferrari, que la détention par les autorités de syndicalistes dans le cas desquels il n'a été trouvé, par la suite, aucun motif de condamnation est susceptible d'entraîner des restrictions aux droits syndicaux et de prier le gouvernement de bien vouloir s'assurer que les autorités en question ont des instructions propres à éliminer le danger que comportent, pour les activités syndicales, de telles mesures de détention.
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