ILO-en-strap
NORMLEX
Information System on International Labour Standards

Rapport intérimaire - Rapport No. 74, 1964

Cas no 363 (Colombie) - Date de la plainte: 11-OCT. -63 - Clos

Afficher en : Anglais - Espagnol

  1. 201. La plainte de la Fédération syndicale mondiale fait l'objet d'une communication adressée directement à l'Organisation internationale du Travail le 11 octobre 1963. Cette plainte a été transmise au gouvernement colombien, qui a présenté ses observations dans une note du 31 janvier 1964.
  2. 202. La Colombie n'a ratifié ni la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ni la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. A. Allégations des organisations plaignantes

A. A. Allégations des organisations plaignantes
  • Allégations relatives à diverses questions soulevées à propos des grèves dans l'industrie pétrolière
    1. 203 Selon les informations fournies par les plaignants, l'Union syndicale ouvrière de la Empresa Colombiana de Petróleos (ECOPETROL), qui est une entreprise d'Etat, dénonça une série de vols et de détournements de fonds qui auraient été commis au préjudice de l'entreprise par des cadres supérieurs de celle-ci; à la suite de ces dénonciations, des sanctions furent prises contre divers dirigeants syndicaux. En signe de protestation, les travailleurs se mirent en grève le 19 juillet 1963 et firent de ce fait l'objet de diverses mesures de répression. Le 19 juillet, le ministre du Travail prit l'arrêté no 1412 déclarant la grève illégale, privant l'Union syndicale ouvrière de sa personnalité morale et autorisant le licenciement de ses dirigeants. Du 22 au 27 juillet se tint la quatrième Assemblée extraordinaire des travailleurs du pétrole au cours de laquelle il fut décidé que les travailleurs de ce secteur industriel cesseraient le travail pendant quarante-huit heures pour manifester leur solidarité avec les grévistes de l'ECOPETROL. Cet arrêt du travail eut lieu les 6 et 7 août et ne fut marqué par aucun incident. Le ministre du Travail frappa d'une amende de 500 pesos la Fédération des travailleurs du pétrole (FEDEPETROL), priva de la personnalité morale les syndicats qui avaient suivi l'ordre de grève et accorda aux employeurs toute latitude pour licencier la totalité des travailleurs. La personnalité morale fut retirée, en vertu de l'arrêté ministériel, aux syndicats de la Empresa de Fertilizantes, de la Compañía Colombiana de Gas, de la Texas Petroleum Company, de la Shell Condor et de l'International Petroleum Company. Des dirigeants syndicaux de la Compañía de Fertilizantes et de la Texas Petroleum Company ayant été licenciés, les travailleurs de ces entreprises se mirent en grève.
    2. 204 Les plaignants allèguent également qu'en plus du licenciement de douzaines de travailleurs, les forces de police et l'armée furent mobilisés par les autorités. Le 17 août, la police occupa les sièges des syndicats des travailleurs de l'ECOPETROL à Barranca et à El Centro, détruisit divers objets, perquisitionna et saccagea le siège du syndicat de la Shell à Casabe, de même que diverses maisons de travailleurs. Le 24 août, les forces de répression attaquèrent les grévistes de la Texas Petroleum, réunis à Puerto Boyacá, attaque au cours de laquelle un travailleur, Martiniano Romero trouva la mort, alors que d'autres étaient blessés, en particulier Ciervo Galeano, Carlos Trejos et Adonai Avila. D'autre part, les avocats Diego Montaña, Nelson Robles et Pedro Ardila Beltrán, qui assumaient la défense des syndicats, furent arrêtés, de même que de nombreux dirigeants syndicaux parmi lesquels figuraient Ezequiel Romero, Luis lbáñez, Ramón Monsalve, Higinio Camacho et Rafael Barrio. Ces personnes furent transférées dans diverses prisons du pays et détenues arbitrairement pendant plusieurs semaines.
    3. 205 Pour sa part, le gouvernement, se fondant sur des renseignements fournis par l'ECOPETROL, fit savoir qu'à la suite d'une enquête menée dans cette entreprise sur l'ordre du trésorier-payeur général de la République, diverses irrégularités avaient été découvertes; elles furent mises au compte de plusieurs travailleurs contre lesquels un mandat d'arrêt fut lancé. Ces travailleurs étaient membres de l'Union syndicale ouvrière, qui organisa le 8 juillet 1963 une grève de protestation au cours de laquelle diverses dépendances de l'entreprise furent occupées, tandis qu'un membre des cadres supérieurs était enfermé. La grève se termina le 11 juillet et l'entreprise prit des sanctions contre les dirigeants du syndicat. L'Union syndicale ouvrière rétorqua en exigeant la levée des sanctions disciplinaires et la révocation de divers fonctionnaires de l'entreprise, faute de quoi elle lancerait un nouvel ordre de grève. Celle-ci ayant effectivement commencé le 19 juillet, le ministère du Travail prit l'arrêté no 1412 daté de ce même jour, en se fondant sur les dispositions des articles 451, 450 a) et 450 (2) du Code du travail. En vertu de cet arrêté, la grève fut déclarée illégale parce qu'elle touchait les services publics, le syndicat fut privé de la personnalité morale pour une période de deux mois et les travailleurs, y compris ceux qui pouvaient se prévaloir du statut syndical, pouvaient être licenciés dans certaines conditions. Le gouvernement fit savoir également que plusieurs décrets de 1952 disposaient expressément que l'ECOPETROL était un service public. Conformément à l'ordre juridique établi, il est possible de faire appel contre l'arrêté no 1412 devant le Conseil d'Etat, qui est le tribunal suprême en matière de contentieux administratif.
    4. 206 Le gouvernement signale également dans son communiqué que le Président de la République, après une entrevue avec un délégué du syndicat, avait décidé de faire procéder aux enquêtes nécessaires sur la gestion de l'entreprise et avait, en conséquence, chargé de ces enquêtes le trésorier-payeur général de la République et le procureur général de la Nation. Toutefois, quatre jours après cette entrevue, la FEDEPETROL à laquelle sont affiliés sept des dix-sept syndicats de travailleurs du pétrole du pays décida, le 27 juillet, de lancer une grève générale de solidarité avec l'Union syndicale ouvrière. A la fin de ce mois, divers actes de sabotage furent commis contre les installations de l'ECOPETROL, ses puits et son oléoduc. Le gouvernement fait savoir que, sous cette forme, la grève illégale des travailleurs de l'ECOPETROL, sous la conduite de meneurs communistes, évoluait en un mouvement subversif, à objectif nettement politique. Cinq des sept syndicats affiliés à la Fédération organisèrent une grève de quarante-huit heures en signe de solidarité avec le syndicat de l'ECOPETROL. Le ministère du Travail, se fondant sur diverses dispositions législatives, imposa une amende de 500 pesos à la FEDEPETROL. Le gouvernement précise qu'il était possible de faire appel contre ces mesures par la voie administrative et, en dernier ressort, devant le Conseil d'Etat. Les grèves de ces cinq syndicats furent également déclarées illégales et ces derniers furent privés pendant deux mois de la personnalité morale.
    5. 207 Les actes de sabotage se poursuivirent et le gouvernement ordonna, en vertu de l'article 28 de la Constitution de la Colombie, «la mise aux arrêts» des avocats Montaña Cuéllar et Nelson Robles, du dirigeant syndical Pedro Ardila Beltrán et d'autres personnes. D'autre part, la police réquisitionna le siège de l'Union syndicale ouvrière et trouva divers explosifs et matériels de sabotage; à la suite de cela, d'autres dirigeants syndicaux, parmi lesquels Ezequiel Romero, président de la FEDEPETROL, furent arrêtés. Le gouvernement précise que les « détenus » comparurent en justice et que le juge d'instruction fit placer en détention préventive Diego Montaña Cuéllar, Luis Ibáñez, Higinio Camacho, Rafael Vargas et Ezequiel Romero pour infractions au paragraphe 14 de l'article 7 du décret no 0014, de 1955, qui considère comme particulièrement dangereux « ceux qui, dans l'intention de perturber le fonctionnement normal d'une entreprise industrielle, détériorent les machines et installations de travail ». Cette inculpation ne fut pas retenue contre Nelson Robles, Pedro Ardila Beltrán et d'autres.
    6. 208 Enfin, le 24 août, malgré l'interdiction de toute manifestation publique, il y en eut une sur la place de Puerto Boyacá. Les officiers et soldats appelés pour disperser pacifiquement la manifestation furent attaqués par quelques manifestants. Au cours des heurts qui s'ensuivirent, un travailleur, Martiniano Romero, fut tué par une arme de courte portée et deux autres furent blessés. Le gouvernement assure que l'armée n'utilise pas d'armes de courte portée. Un juge d'instruction et la justice militaire furent chargés de mener une enquête pour établir les responsabilités. Le 30 août, l'assemblée du syndicat de l'ECOPETROL donna l'ordre de cesser la grève. A la fin de ce mois, toutes les personnes retenues « avaient été remises en liberté ». En ce qui concerne les personnes détenues, le juge compétent décida, en septembre, de mettre fin à leur détention préventive.
    7. 209 Le Comité considère que des informations fournies par les plaignants et par le gouvernement se dégage une série d'allégations importantes relatives au mouvement de grève dans l'industrie du pétrole, qui retiennent particulièrement son attention; il s'agit, pour l'essentiel, de celles de ces allégations qui concernent une manifestation de grévistes au cours de laquelle un travailleur fut tué et d'autres blessés, la détention de dirigeants syndicaux et d'avocats des syndicats, l'occupation, la perquisition et le sac de locaux syndicaux et de domiciles de travailleurs, l'illégalité des grèves et l'interdiction provisoire des syndicats.
      • a) Allégations relatives à une manifestation de grévistes au cours de laquelle un travailleur fut tué et d'autres blessés
    8. 210 Les plaignants soutiennent que les manifestants de la place de Puerto Boyacá furent attaqués par les forces de répression et qu'un travailleur fut tué et d'autres blessés. Le gouvernement, pour sa part, déclare que les officiers et soldats qui intervinrent pour disperser pacifiquement la manifestation furent attaqués et qu'un travailleur fut tué, tandis que d'autres étaient blessés par des armes de courte portée, qui ne sont pas utilisées dans l'armée.
    9. 211 Le Comité rappelle que dans des cas semblables, où la police avait ouvert le feu sur des grévistes et où des personnes avaient trouvé la mort, quand la dispersion de réunions publiques par la police pour des motifs d'ordre public ou d'autres raisons analogues avait entraîné la perte de vies humaines, il avait attaché une importance particulière à ce que les circonstances fissent l'objet d'une enquête spéciale et approfondie, faite immédiatement et en toute indépendance, selon une procédure légale et régulière, afin de déterminer les responsabilités concernant les mesures prises par la police et de vérifier si ces mesures étaient justifiées. Dans le présent cas, le gouvernement nie que la responsabilité des forces de l'ordre fût engagée dans les événements en question. C'est pourquoi, compte tenu des indications fournies par le gouvernement, selon lesquelles les enquêtes judiciaires pertinentes avaient été entreprises, le Comité recommande au Conseil d'administration de prier le gouvernement de le mettre au courant des résultats de ces enquêtes.
      • b) Allégations relatives à la détention d'avocats et de dirigeants syndicaux
    10. 212 La plainte fait état de la détention de divers avocats et dirigeants syndicaux qui auraient été emprisonnés arbitrairement pendant plusieurs semaines. Dans sa réponse, le gouvernement fait une distinction entre les mesures « d'arrêt » prises à l'égard de certains avocats et dirigeants en vertu de l'article 28 de la Constitution, et les poursuites engagées ultérieurement contre eux. Certains d'entre eux furent placés en détention préventive, alors que d'autres étaient acquittés. L'article 28, paragraphe 2, de la Constitution en vertu duquel ces personnes furent retenues prévoit que : « Cette disposition n'empêche pas, même en temps de paix, lorsqu'il y a de graves motifs de craindre des troubles de l'ordre public, l'arrestation et l'emprisonnement de personnes qui sont soupçonnées de les provoquer. Cette arrestation ne peut être exécutée que sur un ordre du gouvernement, préalablement approuvé par les ministres. »
    11. 213 Le Comité a soutenu dans de nombreux cas, dans lesquels il était allégué que des dirigeants ou des membres des syndicats avaient été détenus préventivement, que ces mesures pourraient entraver sérieusement l'exercice des droits syndicaux et qu'il paraissait nécessaire qu'elles fussent justifiées par un cas d'urgence grave; que ces mesures, à moins qu'elles ne s'accompagnassent des garanties judiciaires voulues, et appliquées dans un délai raisonnable, pourraient être l'objet de critiques, et que tout gouvernement devrait avoir pour politique de veiller à ce que les droits de l'homme soient dûment garantis, en particulier les droits de toute personne détenue à être jugée équitablement et le plus rapidement possible .
    12. 214 Le Comité fait observer que, dans le présent cas, les personnes « retenues » paraissent avoir été mises, au bout de quelques jours, à la disposition de l'autorité judiciaire qui délivra des mandats de détention préventive contre Diego Montaña Cuéllar, Luis Ibáñez, Higinio Camacho, Rafael Vargas et Ezequiel Romero. D'autres personnes, parmi lesquelles figurent Nelson Robles et Pedro Ardila Beltrán, furent libérées. Les personnes placées en détention préventive furent libérées un peu plus tard, lorsque cette mesure fut rapportée. Le Comité fait également observer qu'en définitive, la culpabilité d'aucune des personnes impliquées dans cette affaire ne fut retenue et qu'en vérité aucun des participants aux grèves ne fut gardé en prison.
    13. 215 Dans ces conditions, le Comité recommande au Conseil d'administration de noter que toutes les personnes impliquées dans les grèves ont recouvré la liberté, mais, du fait qu'aucune des personnes retenues ne fut reconnue coupable, d'attirer l'attention du gouvernement sur le danger que pourrait comporter, pour l'exercice des droits syndicaux, la détention préventive des travailleurs et des dirigeants contre lesquels aucun motif justifiant une condamnation n'a été ultérieurement retenu.
      • c) Allégations relatives à l'occupation, à la perquisition et au sac de locaux syndicaux et de domiciles de travailleurs
    14. 216 Les plaignants font état de l'occupation, de la perquisition et du sac de locaux syndicaux et de domiciles de travailleurs, ajoutant que la police détruisit des meubles et des appareils trouvés aux sièges des syndicats. Le gouvernement n'admet exclusivement que la réquisition par la police du siège de l'Union syndicale ouvrière de Barranca, où furent trouvés diverses bombes et du matériel de sabotage.
    15. 217 Le Comité, tout en ayant admis à diverses occasions que les syndicats, tout comme les autres associations ou personnes, ne peuvent exciper d'un droit d'immunité en ce qui concerne les perquisitions dans leurs locaux, a fait état que l'importance qu'il attache au principe selon lequel ces perquisitions ne doivent avoir lieu qu'en vertu d'un mandat judiciaire délivré par l'autorité judiciaire et si l'on a lieu de penser que, dans ces locaux, se trouvent les preuves nécessaires pour l'instruction du procès consécutif à l'infraction à la loi, et à condition que la perquisition se fasse toujours dans les limites fixées dans le mandat judiciaire.
    16. 218 Le Comité relève que, d'un côté, les plaignants n'ont pas fourni de grandes précisions sur les faits signalés et que, de l'autre, le gouvernement ne donne qu'une explication partielle de l'événement, sans évoquer les autres allégations contenues dans la plainte. Dans ces conditions, le Comité n'est pas en mesure d'aboutir à une conclusion sur les faits eux-mêmes, mais recommande au Conseil d'administration d'attirer l'attention du gouvernement sur le principe exposé au paragraphe précédent, mais, considérant que les plaignants n'ont pas apporté de preuves suffisantes à l'appui de leur plainte, décide que cet aspect du cas n'appelle pas de sa part un examen plus approfondi.
      • d) Illégalité des grèves
    17. 219 Selon les indications fournies par les plaignants et la réponse détaillée du gouvernement, le ministre du Travail, à diverses occasions, a déclaré illégales les grèves décidées par une série de syndicats de l'industrie pétrolière. Cette mesure a eu pour conséquence la suppression de la personnalité morale du syndicat en cause, la possibilité de licencier les travailleurs, y compris ceux qui pouvaient se prévaloir du statut syndical, et l'imposition d'une amende. Cette déclaration d'illégalité se fonde sur l'article 450 a) du Code du travail, en vertu duquel la cessation du travail est illégale lorsqu'il s'agit d'un service public. Conformément à l'article 451, l'autorité à laquelle il appartient de déclarer illégale une grève est le ministère du Travail. La mesure prise doit s'appliquer immédiatement et il est possible de faire appel contre elle par voie administrative et, dans ce cas, devant le Conseil d'Etat. Il faut préciser aussi que, conformément à l'article 430, qui prévoit également l'interdiction des grèves dans les services publics, sont considérées comme telles les activités intéressant « l'exploitation, le raffinage, le transport et la distribution du pétrole et de ses dérivés, si, selon le gouvernement, ces produits sont destinés à l'approvisionnement normal du pays en carburants ».
    18. 220 Le Comité a constamment souligné le principe selon lequel les allégations relatives au droit de grève n'échappent pas à sa compétence dans la mesure, mais seulement dans la mesure, où elles affectent l'exercice des droits syndicaux, et a signalé à diverses occasions que le droit de grève est normalement reconnu aux travailleurs et à leurs organisations comme un moyen légitime de défense de leurs intérêts professionnels. A cet égard, le Comité a souligné l'importance que revêt, quand les grèves sont interdites ou soumises à des restrictions dans les services essentiels, l'institution de garanties adéquates pour protéger les intérêts des travailleurs, ainsi privés d'un moyen essentiel pour faire valoir leurs intérêts professionnels, et a signalé que les restrictions devraient être assorties de procédures de conciliation et d'arbitrage adéquates, impartiales et rapides, auxquelles les intéressés puissent participer à tous les stades, et que les sentences arbitrales rendues devraient avoir force obligatoire dans tous les cas pour les deux parties.
    19. 221 Conformément au Code du travail de Colombie, les conflits collectifs du travail dans les services publics doivent obligatoirement être soumis à arbitrage s'il n'est pas possible de les régler directement ou par voie de conciliation. Le ou les conciliateurs appelés à intervenir sont désignés par les parties. Celles-ci nomment également deux des membres du tribunal d'arbitrage, le troisième étant désigné par le ministère du Travail.
    20. 222 Le Comité fait observer que, si les grèves sont certes interdites dans les entreprises pétrolières, « si... ces produits sont destinés à l'approvisionnement normal du pays en carburants », parce qu'elles sont alors considérées comme un service public, les travailleurs disposent d'autres moyens pour résoudre leurs conflits conformément aux principes énoncés plus haut. Toutefois, le Comité remarque également que, selon l'article 430 cité plus haut les activités pétrolières ne sont pas considérées dans tous les cas comme des services publics mais seulement « si, selon le gouvernement, ces produits sont destinés à l'approvisionnement normal du pays en carburants ». Selon cette disposition, il appartient aux autorités gouvernementales de décider à quel moment une activité relevant du secteur de l'industrie pétrolière peut être considérée comme un service public, dans le cadre de l'interdiction d'un mouvement de grève conformément à la condition précitée. Il peut être recouru contre cette décision devant le Conseil d'Etat, tribunal suprême du contentieux administratif. De ce fait, cet aspect de la question est lié au problème plus général de l'interdiction des grèves dans les services publics, qui est examiné plus loin, aux paragraphes 229 et 230, et, à cet égard, le Comité renvoie aux observations qui figurent dans ces derniers.
      • e) Interdiction provisoire de syndicats
    21. 223 En vertu de la déclaration d'illégalité des grèves des syndicats pétroliers, le ministre du Travail a privé ces derniers de leur personnalité morale pour une durée de deux mois. Les mesures prises se fondaient sur l'article 450 (2) du Code du travail et pouvaient être attaquées en appel devant le Conseil d'Etat. Conformément à l'article 372 du Code du travail « nul syndicat ne pourra, tant qu'il n'aura pas obtenu la personnalité juridique, agir ès qualités ni exercer des fonctions qui lui seront conférées par la loi et ses propres statuts, non plus que les droits qui lui sont propres, étant entendu que ces fonctions et ces droits ne pourront être exercés que pendant la durée de la validité » de la personnalité juridique.
    22. 224 Le Comité remarque qu'en vertu de ces dispositions, il s'agit dans le présent cas d'une véritable interdiction d'un syndicat par voie administrative, contraire au principe généralement admis en cette matière. Le Comité a déjà signalé que des mesures d'inter-, diction prises par une autorité administrative risquent de paraître arbitraires, même si elles le sont provisoirement et passagèrement, et même si elles sont suivies d'une action en justice . Le Comité considère en outre que pour que le principe selon lequel une organisation professionnelle ne doit pas être soumise à interdiction ou dissolution par voie administrative puisse s'appliquer convenablement, il ne suffit pas que la législation prévoie un droit d'appel, contre ces décisions administratives, mais que ces dernières ne puissent prendre effet qu'une fois écoulé le délai légal sans qu'un appel ait été interjeté ou lorsque ces décisions ont été confirmées par l'autorité judiciaire. D'autre part, le Comité tient à signaler, comme il l'a déjà fait à une autre occasion à propos du refus d'enregistrement d'un syndicat et comme la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations l'a exposé que si l'autorité administrative peut à volonté déterminer si les conditions sur lesquelles se fonde sa décision d'enregistrer ou de supprimer l'enregistrement d'un syndicat sont remplies ou non, l'existence d'un moyen d'appel judiciaire ne parait pas être une garantie suffisante. En effet, cela ne modifie en rien le caractère des pouvoirs conférés aux autorités administratives, et les juges devant lesquels ces recours sont présentés n'ont d'autres possibilités que de vérifier si la législation a été convenablement appliquée. En conséquence, le Comité se doit de rappeler l'importance qu'il attache à ce que soit donnée aux juges la possibilité de connaître le fond de l'affaire afin de pouvoir déterminer si les dispositions sur lesquelles se fondent les mesures administratives contre lesquelles il est fait appel violent ou non les droits reconnus aux organisations professionnelles en matière de liberté syndicale et de protection du droit syndical.
    23. 225 Dans ces conditions, le Comité recommande au Conseil d'administration d'attirer l'attention du gouvernement sur l'importance qu'il attache au principe selon lequel une organisation de travailleurs ou d'employeurs ne peut être interdite ou dissoute par voie administrative, et de suggérer au gouvernement la possibilité d'examiner la législation nationale afin de la faire concorder avec ce principe à la lueur des faits exposés au paragraphe ci-dessus.
  • Allégations relatives aux mesures prises en raison de la grève ordonnée par la C. T. C
    1. 226 Les plaignants allèguent qu'à la suite de la grève organisée par la C.T.C, le ministre du Travail a frappé le 9 août 1963 d'une amende de 500 pesos cette confédération et a en outre privé de leur personnalité morale les syndicats suivants: Empresa de Distrito de los Transportes Urbanos, Instituto de los Trabajos Públicos Municipales, Términus de los Marinos y Navegantes de Barranquilla, Términus Maritimo y Fluvial de Cartagena, Términus Maritimos de Fumaco, Términus Maritimo de Santa Marta, Empresa de los Puertos de Colombia, Términus Maritimo de Buenaventura, Trabajadores Maritimos y Fluviales de Barranquilla, Industria Colombiana de las Máquinas « Icassa », Laboratorio Frosst de Colombia.
    2. 227 Le gouvernement déclare pour sa part que la C.T.C, à laquelle sont affiliés quatre cent trente syndicats, ordonna une grève de vingt-quatre heures pour protester contre « la passivité avec laquelle certains fonctionnaires du gouvernement luttent contre la vague d'accaparement et de spéculation, le chômage croissant, les fermetures d'entreprises, les attentats terroristes, parce que la population éprouve des craintes devant la menace d'un coup d'Etat contre le gouvernement constitutionnel », etc. Le gouvernement dit encore que trente-trois seulement des quatre cents syndicats mentionnés ont suivi l'ordre de grève. Celle-ci fut déclarée illégale par le gouvernement comme étant contraire aux alinéas b) et c) et, dans la majorité des cas, à l'alinéa a) de l'article 450 du Code du travail. Conformément au paragraphe 2 de cet article, les syndicats ayant participé à la grève furent privés pendant deux mois de la personnalité morale et la C.T.C fut frappée d'une amende de 500 pesos en vertu des articles 417, 379 et 380 du Code du travail. Il était possible de faire appel devant le Conseil d'Etat contre toutes ces mesures. Le 16 décembre, le ministre du Travail leva l'interdiction et, à présent, la personnalité morale des syndicats est rétablie dans sa forme normale.
    3. 228 Le Comité fait observer que, conformément aux indications fournies par le gouvernement, une des dispositions en vertu desquelles la grève fut déclarée illégale est l'alinéa a) de l'article 450, qui dispose que les cessations collectives de travail sont interdites dans les services publics. Il a été question de cette disposition légale plus haut, à propos des grèves dans les entreprises pétrolières, et elle a été analysée in extenso dans le cas no 146 concernant la Colombie. A cette occasion, le Comité avait déjà fait observer qu'en vertu du décret no 753, du 5 avril 1956, l'article 430 du Code du travail, libellé comme suit, avait été modifié:
  • Conformément à la Constitution nationale, la grève est interdite dans les services publics.
  • A cette fin, sera considérée comme service public toute activité organisée tendant à satisfaire des besoins répondant à l'intérêt général, sous une forme régulière et continue, conformément à un régime juridique spécial, et exercée, soit par l'Etat, directement ou indirectement, soit par des personnes privées.
  • Sont, en conséquence, considérées comme services publics, les activités suivantes:
    • a) les services prêtés dans l'une quelconque des branches des pouvoirs publics;
    • b) les services prêtés dans les entreprises de transports terrestres, maritimes ou fluviaux et aériens, et les services prêtés en relation avec l'adduction d'eau, la production d'énergie électrique et les télécommunications;
    • c) les services prêtés dans les établissements sanitaires de toute nature, tels qu'hôpitaux et cliniques;
    • d) les services prêtés dans les établissements d'assistance sociale, de charité et de bienfaisance;
    • e) les services prêtés dans les laiteries, les marchés, dans les abattoirs et dans tous les organismes de distribution des établissements susvisés, qu'ils soient de caractère public ou privé;
    • f) tous les services d'hygiène et de nettoiement des agglomérations;
    • g) les services prêtés en relation avec l'exploitation, la fabrication et la distribution du sel;
    • h) les services prêtés en relation avec l'exploitation, le raffinage, le transport et la distribution du pétrole et de ses dérivés, si, selon le gouvernement, ces produits sont destinés à l'approvisionnement normal du pays en carburants;
    • i) tous les autres services que le gouvernement estimera intéresser la sécurité, l'hygiène, l'enseignement et la vie économique ou sociale de la population. Le gouvernement décidera, le Conseil d'Etat entendu, si les services visés au présent alinéa sont des services publics.
      1. 229 Après avoir étudié la législation, le Comité a estimé que, dans cette affaire, même s'il existe des procédures en vue de la solution des conflits par voie d'arbitrage, les restrictions au droit de grève dans les services publics revêtent de l'importance, le gouvernement ayant pouvoir d'inclure dans la liste des services publics où les grèves sont interdites, toute autre activité qui, selon le gouvernement, intéresse la sécurité, l'hygiène, l'enseignement et la vie économique et sociale de la population, et, après avoir pris l'avis du Conseil d'Etat, de décider si ces activités présentent le caractère de services publics. Dans ces conditions, le Comité recommande au Conseil d'administration d'attirer l'attention du gouvernement sur les possibilités d'abus que comporte cette situation.
      2. 230 A ce propos, le Comité tient à ajouter que, selon les principes posés dans de nombreux cas mentionnés plus haut, au paragraphe 220, il serait possible d'admettre dans certaines conditions la limitation ou l'interdiction des grèves dans les services essentiels. Toutefois, la portée de l'article 430 est telle qu'il n'est pas possible de considérer qu'il vise uniquement les services dont il est généralement admis qu'ils sont fondamentalement essentiels. La législation reconnaît au gouvernement une grande latitude en ce qui concerne la définition des activités devant être considérées comme services publics qui, dans des cas déterminés, peuvent ne pas coïncider avec ceux qui pourraient être considérés comme des « services essentiels ». C'est ce qui pourrait se produire par exemple en cas de grève dans une banque, car conformément au décret 1593, de 1959, tout le secteur bancaire est considéré comme service public, ou dans une entreprise pétrolière, conformément à la formule employée par la loi pour qualifier de service public l'une ou l'autre activité de l'industrie pétrolière. En pareil cas, le principe énoncé par le Comité au sujet de l'interdiction des grèves dans les « services essentiels » risquerait de perdre tout son sens au cas où il s'agirait de déclarer illégale une grève dans une ou plusieurs entreprises qui ne fournissent pas un « service essentiel » au sens strict du terme.
      3. 231 Dans ces conditions, le Comité recommande au Conseil d'administration, comme il l'avait déjà fait lors de l'examen du cas no 146, d'attirer l'attention sur les abus que peut entraîner l'application de l'article 430 du Code du travail, par suite de la portée de ses termes, et, étant donné les répercussions que l'interdiction de la grève peut avoir sur l'exercice des droits syndicaux, de suggérer la possibilité d'envisager une modification de cet article, afin que la grève ne puisse être interdite que dans des cas déterminés, limités aux services considérés strictement comme essentiels.
      4. 232 Les paragraphes b) et c) de l'article 450 prévoient l'interdiction de la grève lorsque les fins visées ne sont ni professionnelles ni économiques, ou lorsque les procédures de règlement direct et de conciliation dans la forme légale n'ont pas été épuisées au préalable.
      5. 233 A d'autres occasions, le Comité a repoussé des allégations relatives à des grèves du fait qu'elles avaient un caractère non syndical, ou encore lorsqu'elles étaient destinées à exercer une pression sur le gouvernement à propos d'une question politique, qu'elles étaient dirigées contre la politique du gouvernement ou n'étaient pas la « conséquence d'un conflit du travail ». Le Comité a également considéré que la condition selon laquelle les procédures préalables, y compris la conciliation et l'arbitrage, doivent être épuisées, avant le recours à la grève, se retrouve dans la législation et la réglementation d'un grand nombre de pays et ne constitue pas, tant qu'elle est raisonnable, une violation de la liberté syndicale.
      6. 234 Dans le présent cas, il semble bien que la grève était dirigée davantage contre la politique du gouvernement et constituait une protestation contre certaines situations de fait, et qu'elle n'était pas la conséquence d'un conflit du travail au sens précis du terme. D'autre part, en ce qui concerne les procédures préalables exigées par la loi avant le recours à la grève dans la forme légale, le Code du travail dispose, comme indiqué plus haut, qu'il s'agit des procédures de règlement direct et de conciliation, condition qui ne paraît pas avoir été remplie dans le présent cas.
      7. 235 Dans ces conditions, le Comité recommande au Conseil d'administration de noter que l'interdiction de la grève était motivée par le fait que ses buts n'étaient ni professionnels ni économiques et parce que les procédures de règlement direct et de conciliation dans la forme légale n'avaient pas été épuisées au préalable.
      8. 236 Enfin, en ce qui concerne la suppression de la personnalité morale des syndicats qui avaient suivi l'ordre de grève, le Comité se réfère à ce qui a été dit plus haut, au paragraphe 225 au sujet de cette même question.
    • Allégations relatives au Syndicat des travailleurs des entreprises de Medellin
      1. 237 Les plaignants signalent que, selon le Syndicat des travailleurs des entreprises de Medellín, ces dernières, se fondant sur une décision du ministère du Travail, prétendent refuser aux travailleurs le droit de se syndiquer, de présenter des revendications et de signer des conventions collectives.
      2. 238 Le gouvernement indique dans sa réponse qu'il ignore à quelle sorte de décision se rapporte la plainte. Ce syndicat présenta un cahier de revendications auxquelles l'entre prise a donné suite, mais comme l'accord ne put se faire entre les parties, un tribunal d'arbitrage obligatoire fut constitué par le ministère conformément aux dispositions de l'article 452 du Code du travail, du fait qu'une entreprise fournissant un service public était en cause. Une fois que le tribunal fut constitué, les parties désignèrent leurs arbitres et le ministère du Travail nomma le sien. La sentence rendue à l'unanimité prévoyait la majoration des salaires et l'amélioration des conditions de travail des ouvriers, qui poursuivirent normalement leur tâche sans perdre une seule journée en grève.
      3. 239 Le Comité, tout en faisant observer qu'il s'agissait en l'occurrence d'entreprises assurant un service public, auquel cas s'appliquent les règles relatives à la présentation d'un cahier de revendications, note que les plaignants ont rédigé leur plainte en termes très vagues, desquels ne se dégagent pas spécifiquement les faits qui constitueraient une violation des droits syndicaux.
      4. 240 Dans ces conditions, le Comité recommande au Conseil d'administration de décider que cet aspect du cas n'appelle pas de sa part un examen plus approfondi.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 241. En ce qui concerne le cas dans son ensemble, le Comité recommande au Conseil d'administration:
    • a) en ce qui concerne l'allégation relative au Syndicat des travailleurs des entreprises de Medellin, étant donné que les plaignants ont rédigé leur plainte en termes très vagues desquels ne se dégagent pas spécifiquement les faits qui constitueraient une violation des droits syndicaux, de décider que cet aspect du cas n'appelle pas d'examen plus approfondi;
    • b) de noter que l'interdiction de la grève était motivée par le fait que ses buts n'étaient ni professionnels ni économiques, et parce que les procédures de règlement direct et de conciliation dans la forme légale n'avaient pas été épuisées au préalable;
    • c) en ce qui concerne l'allégation relative à l'occupation, à la perquisition et au sac de locaux syndicaux et de domiciles de travailleurs, d'attirer l'attention du gouvernement sur l'importance qu'il attache au principe selon lequel une perquisition dans les locaux syndicaux ne doit avoir lieu que si l'autorité judiciaire a délivré un mandat judiciaire et uniquement si l'on a lieu de penser que se trouvent dans ces locaux des preuves nécessaires pour l'instruction du procès, et à condition que cette perquisition se fasse toujours dans les limites prévues dans le mandat judiciaire;
    • d) de noter que toutes les personnes impliquées dans les grèves ont recouvré la liberté, mais, du fait que la culpabilité d'aucune des personnes arrêtées ne fut retenue, d'attirer l'attention du gouvernement sur le danger que peut présenter pour l'exercice des droits syndicaux la détention préventive de travailleurs et de dirigeants contre lesquels aucun motif de condamnation n'a été retenu par la suite;
    • e) d'attirer l'attention du gouvernement sur l'importance qu'il attache au principe selon lequel une organisation de travailleurs ou d'employeurs ne peut être interdite provisoirement ou dissoute par voie administrative, et de suggérer au gouvernement la possibilité de réviser la législation nationale afin de la faire concorder avec ce principe, à la lumière de ce qui est exposé au paragraphe 224;
    • f) d'attirer l'attention du gouvernement, sous réserve des observations faites au sujet du cas no 146, sur les abus pouvant découler de l'application de l'article 430 du Code du travail, du fait de la grande portée de ses termes, et, étant donné les répercussions que l'interdiction de la grève peut avoir sur l'exercice des droits syndicaux, de lui suggérer la possibilité d'envisager une modification de cet article afin que, s'il était décidé d'interdire la grève dans certains cas, cette interdiction s'applique uniquement aux services considérés strictement comme essentiels;
    • g) de prier le gouvernement de bien vouloir le tenir au courant du résultat des enquêtes judiciaires menées au sujet des incidents survenus pendant la manifestation des grévistes sur la place de Puerto Bojacá;
    • h) de prendre note du présent rapport intérimaire, étant entendu que le Comité présentera un nouveau rapport au Conseil d'administration lorsque les renseignements demandés au gouvernement auront été reçus.
© Copyright and permissions 1996-2024 International Labour Organization (ILO) | Privacy policy | Disclaimer