ILO-en-strap
NORMLEX
Information System on International Labour Standards

Rapport définitif - Rapport No. 87, 1966

Cas no 363 (Colombie) - Date de la plainte: 11-OCT. -63 - Clos

Afficher en : Anglais - Espagnol

  1. 78. Le Comité a déjà examiné cette plainte à sa 36ème session, tenue à Genève en février 1964, à l'occasion de laquelle il a présenté au Conseil d'administration un rapport intérimaire contenant ses conclusions définitives sur la plupart des allégations formulées. Parallèlement, il a recommandé que des informations complémentaires soient sollicitées du gouvernement concernant d'autres allégations. Ces conclusions et recommandations, qui figurent aux paragraphes 201 à 241 du soixante-quatorzième rapport du Comité, ont été approuvées par le Conseil d'administration à sa 159ème session (juin juillet 1964).
  2. 79. Les paragraphes ci-après se rapportent uniquement aux allégations qui avaient été laissées en suspens et qui concernent les atteintes qui auraient été portées à la liberté syndicale lors de la dispersion d'une manifestation de grévistes ayant eu lieu à Puerto Boyacá à l'occasion de laquelle un travailleur fut tué et d'autres blessés.
  3. 80. La Colombie n'a ratifié ni la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ni la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. A. Allégations des organisations plaignantes

A. A. Allégations des organisations plaignantes
  1. 81. Dans sa plainte en date du 11 octobre 1963, la Fédération syndicale mondiale soutenait que, le 24 août de cette même année, des grévistes participant à une manifestation à Puerto Boyacá avaient été attaqués par les forces de répression et qu'un travailleur avait été tué et d'autres blessés. Dans sa réponse, le gouvernement a fait savoir que cette manifestation a eu lieu en dépit de l'interdiction frappant tout rassemblement public, que les manifestants avaient attaqué les forces de l'ordre et que, afin de déterminer les responsabilités, une enquête a été entreprise par un juge d'instruction d'une chambre criminelle et par la justice pénale militaire.
  2. 82. Au cours de l'examen du cas qui a eu lieu à sa session de février 1964, le Comité a fait observer que, dans des cas semblables, où la police avait ouvert le feu sur des grévistes et où des personnes avaient trouvé la mort, quand la dispersion de réunions publiques par la police pour des motifs d'ordre public ou d'autres raisons analogues avait entraîné la perte de vies humaines, il avait attaché une importance particulière à ce que les circonstances fissent l'objet d'une enquête spéciale et approfondie, faite immédiatement et en toute indépendance, selon une procédure légale et régulière afin de déterminer les responsabilités concernant les mesures prises par la police et de vérifier si ces mesures étaient justifiées. Le Comité a noté que, dans le présent cas, le gouvernement avait nié que la responsabilité des forces de l'ordre fût engagée dans les événements en question. C'est pourquoi, compte tenu des indications fournies par le gouvernement, selon lesquelles les enquêtes judiciaires pertinentes avaient été entreprises, le Comité a recommandé au Conseil d'administration de prier le gouvernement de le tenir au courant des résultats de ces enquêtes.
  3. 83. A ses sessions de novembre 1964 et de février, mai et novembre 1965, le Comité a ajourné l'examen du cas, dans l'attente des informations qu'il avait demandées au gouvernement.
  4. 84. Par une communication en date du 11 janvier 1966, le gouvernement a fait parvenir le texte du jugement de seconde instance rendu le 28 septembre 1965 par le tribunal militaire suprême en vue d'établir les faits et de déterminer les responsabilités.
  5. 85. Dans l'exposé des faits du jugement du tribunal militaire suprême, il est établi que l'enquête a d'abord été confiée à un inspecteur de la police municipale de Puerto Boyacá, mais que, par la suite, furent amenés à s'en charger « successivement » un juge d'instruction d'une chambre criminelle et deux magistrats instructeurs de chambre pénale militaire.
  6. 86. Dans le document adressé par le gouvernement se trouvent résumées les conclusions de l'enquête et figurent des extraits des déclarations de nombreuses personnes ayant assisté ou participé à l'incident. En bref, les faits, ainsi qu'ils ressortent desdites conclusions, eurent pour origine une grève déclenchée par les travailleurs de la Compagnie Texas. Les activités des grévistes auraient fait craindre que des attentats contre la paix sociale ne soient commis. Pour les prévenir, le commandant de la place de Puerto Boyacá prit le décret no 044 du 20 août 1963, qui stipulait que, désormais et jusqu'à nouvel ordre, les autorisations concernant des manifestations de quelque caractère que ce soit étaient entièrement suspendues à l'intérieur du périmètre urbain. En dépit de cette interdiction, le 24 août, une réunion organisée par M. Italo Daza, représentant à la Chambre des députés, eut lieu sur la place principale de la ville. Informé de cet événement, le commandant de la place réclama le concours et l'aide des patrouilles militaires qui avaient été détachées en prévision de conflits ou situations délicates. Un capitaine de l'Armée étant venu exiger de M. Daza qu'il interrompît le discours qu'il avait commencé, celui-ci aurait répondu que personne ne le ferait descendre d'où il était. Les manifestants émirent des protestations et l'un deux, M. Adonai Avila, en vint à agripper et à frapper le capitaine. Devant l'attitude menaçante des manifestants, un autre officier et une patrouille, sous le commandement d'un caporal, intervinrent. Le premier se saisit de M. Avila, qu'il fit prisonnier, et la patrouille tenta de disperser les manifestants. A ce moment, les officiers se seraient retirés avec le détenu sous une pluie de pierres lancées par les manifestants. M. Avila aurait confirmé, dans ses déclarations, que le véhicule dans lequel il fut conduit reçut le choc de projectiles qu'il ne peut identifier. D'après les dires de plusieurs de ses membres, la patrouille tenta de disperser les assistants tout d'abord en leur adressant des sommations, puis en les frappant avec la crosse des fusils, enfin en lançant sur eux des grenades lacrymogènes, qui leur auraient été retournées par les manifestants avant d'éclater. C'est alors que furent tirés des coups de feu par des membres de la patrouille qui, semble-t-il, furent de dix-sept. D'après les membres de la patrouille, ces coups de feu furent tirés en l'air pour intimider les manifestants. Selon les constatations qui furent effectuées, M. Martiniano Romero trouva la mort, M. Siervo Galeano fut blessé et M. Carlos Trejos subit des lésions.
  7. 87. Se fondant sur les éléments du dossier, le Tribunal militaire suprême a estimé, entre autres, que la patrouille avait agi conformément aux instructions reçues ainsi qu'aux dispositions du règlement militaire à l'usage de la troupe appelée à réprimer les manifestations publiques, en recourant tout d'abord aux sommations, puis en donnant des coups de crosses de fusil enfin en lançant des grenades lacrymogènes suivies de coups de feu. En ce qui concerne ces derniers, le tribunal a décidé qu'ils ne furent pas directement dirigés contre les manifestants - car, dans ce cas, le nombre des victimes aurait été bien plus élevé - et qu'« en raison de circonstances impossibles à déterminer, un ou deux des coups de feu ont pu être déviés du fait de la pression que les manifestants exerçaient sur les membres de la patrouille ». Le tribunal a estimé que les soldats avaient fait usage de leurs armes en état de légitime défense et que leur acte était justifié, et il a confirmé le non-lieu, bien qu'en l'appliquant au fond de l'affaire et non à la situation juridique des membres de la patrouille, ceux-ci n'ayant pas été impliqués au cours du procès.

B. B. Conclusions du comité

B. B. Conclusions du comité
  1. 88. Le Comité prend note du fait que l'enquête, confiée tout d'abord à la police et aux autorités judiciaires ordinaires, a été menée à terme par deux juges d'instruction pénale militaire.
  2. 89. Le Comité a toujours appliqué le principe selon lequel les allégations concernant le droit de grève n'échappent pas à sa compétence dans la mesure, mais seulement dans la mesure, où il met en cause l'exercice des droits syndicaux et a recommandé au Conseil d'administration, en de nombreuses occasions, d'affirmer que le droit de grève des travailleurs et des organisations de travailleurs constitue un moyen essentiel de défendre et de promouvoir les intérêts professionnels. Le Comité a, toutefois, rejeté les allégations relatives à des grèves dépourvues de caractère professionnel, ou qui avaient pour but d'exercer une pression sur le gouvernement dans le domaine de questions politiques, ou qui étaient dirigées contre la politique du gouvernement sans avoir « pour objet un conflit du travail ». D'autre part, dans de nombreux cas qui lui ont été soumis, le Comité a souligné que la liberté des réunions syndicales constituait l'un des éléments fondamentaux des droits syndicaux. Toutefois, dans le cas no 62 intéressant les Pays-Bas, le Comité a affirmé que, si le droit de tenir des réunions syndicales est un élément essentiel de la liberté syndicale, les organisations intéressées sont, toutefois, tenues de respecter les dispositions générales relatives aux réunions publiques, appliquées à tous.
  3. 90. Le Comité a noté la déclaration du gouvernement d'après laquelle, dans le cas présent, l'interdiction frappant les manifestations constituait une mesure de caractère local, motivée par des raisons d'ordre public, qu'elle ne visait pas uniquement la réunion des membres du syndicat en grève et que la réunion visée par la plainte n'a pas été tenue dans un local syndical mais sur une place publique malgré l'interdiction susmentionnée. En outre, il semble que l'initiative en ait été prise par un membre du Parlement dont on ne peut dire quels liens l'unissent au syndicat.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 91. Dans ces conditions, le Comité, a propos des allégations concernant le présent cas dont l'examen était resté en suspens, recommande au Conseil d'administration:
    • a) de prendre note du fait que, à la suite de l'incident - survenu à l'occasion d'une réunion publique tenue dans le cadre d'une grève - au cours duquel un travailleur fut tué, un autre blessé et un troisième subit des lésions, une enquête sur ces faits a été effectuée par la justice pénale militaire;
    • b) d'attirer l'attention du gouvernement sur l'importance qu'il a toujours attachée à ce que, dans de telles circonstances, celles-ci fassent l'objet d'une enquête approfondie, faite immédiatement et en toute indépendance, selon une procédure légale et régulière.
© Copyright and permissions 1996-2024 International Labour Organization (ILO) | Privacy policy | Disclaimer