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Rapport définitif - Rapport No. 90, 1966

Cas no 418 (Cameroun) - Date de la plainte: 26-OCT. -64 - Clos

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  1. 98. Le cas dont il s'agit a déjà été examiné par le Comité à ses quarantième et quarante-deuxième sessions, tenues respectivement en mai 1965 et février 1966. A ces deux occasions, le Comité a présenté un rapport intérimaire; le premier est contenu aux paragraphes 324 à 359 de son quatre-vingt-troisième rapport, le second, aux paragraphes 264 à 276 de son quatre-vingt-septième rapport. Dès sa session de février 1966, le Comité n'était saisi que d'une allégation restée en suspens, celle relative à l'arrestation de certains anciens dirigeants de la Fédération des syndicats du Cameroun, l'autre allégation formulée par les plaignants, qui portait sur les conditions dans lesquelles se serait déroulé le Congrès de la Fédération des syndicats du Cameroun en octobre 1964, ayant déjà fait l'objet de recommandations définitives de la part du Comité à sa session de mai 1965.

99. Les plaignants alléguaient que les dirigeants syndicaux suivants avaient été arrêtés par la Sûreté fédérale de Douala: Pierre Mandeng, Isaac Tchuisseu, Samuel Moudourou, Adolphe Mouandjo Dicka, Simon Nbock Mabenga et Raphaël Ngamby. Plusieurs de ces personnes auraient été ultérieurement transférées sans jugement de leur prison au camp des détenus politiques de Tchollire, où ils seraient détenus arbitrairement sans qu'aucun contact avec l'extérieur ne leur soit permis. Les plaignants rappelaient en outre que l'un des intéressés, M. Raphaël Ngamby, était membre suppléant travailleur du Conseil d'administration du B.I.T.

99. Les plaignants alléguaient que les dirigeants syndicaux suivants avaient été arrêtés par la Sûreté fédérale de Douala: Pierre Mandeng, Isaac Tchuisseu, Samuel Moudourou, Adolphe Mouandjo Dicka, Simon Nbock Mabenga et Raphaël Ngamby. Plusieurs de ces personnes auraient été ultérieurement transférées sans jugement de leur prison au camp des détenus politiques de Tchollire, où ils seraient détenus arbitrairement sans qu'aucun contact avec l'extérieur ne leur soit permis. Les plaignants rappelaient en outre que l'un des intéressés, M. Raphaël Ngamby, était membre suppléant travailleur du Conseil d'administration du B.I.T.
  1. 100. Dans une première série d'observations, dont le Comité a été saisi à sa session de mai 1965, le gouvernement faisait valoir que l'arrestation des personnes mentionnées par les plaignants avait été motivée par la découverte, au domicile de M. Ngamby, de documents subversifs et compromettants pour la sécurité intérieure de l'Etat et que, par suite, elle était totalement étrangère à l'activité ou à l'affiliation syndicale des intéressés.
  2. 101. Considérant cette réponse comme insuffisante, le Comité, à sa session de mai 1965, avait recommandé au Conseil d'administration de prier le gouvernement de fournir des informations plus détaillées en ce qui concerne les motifs exacts de l'arrestation des intéressés et, en particulier, sur la nature précise des documents dont la possession par les personnes en cause avait justifié, aux yeux du gouvernement, la mesure qui a frappé ces dernières.
  3. 102. Cette recommandation ayant été approuvée par le Conseil d'administration, la demande qu'elle comportait a été portée à la connaissance du gouvernement, qui a répondu par une communication du 2 novembre 1965, dont le Comité s'est trouvé saisi à sa session du mois de février 1966.
  4. 103. Dans cette réponse, le gouvernement se bornait à « confirmer solennellement que les sieurs Ngamby et consorts ont fait l'objet des mesures prévues par la législation nationale en vigueur à l'encontre des citoyens convaincus de menées subversives », il affirmait que leur appartenance et leur activité syndicale n'avaient en aucune manière provoqué le déclenchement des mesures en question et déclarait en terminant estimer « avoir fourni au Comité au sujet de cette affaire toutes les justifications compatibles avec la dignité d'un Etat indépendant ».
  5. 104. Au vu de ces déclarations, le Comité, à sa session de février 1966, a fait au Conseil d'administration la recommandation suivante, que le Conseil a approuvée:
  6. 276. ... le Comité recommande au Conseil d'administration:
  7. a) d'attirer l'attention du gouvernement du Cameroun sur la résolution concernant la liberté syndicale et la protection du droit syndical adoptée par la première Conférence régionale africaine de l'Organisation internationale du Travail (Lagos, décembre 1960), qui, dans le paragraphe 7, « demande au Conseil d'administration du Bureau international du Travail d'inviter les gouvernements qui feraient éventuellement l'objet de plaintes devant le Comité de la liberté syndicale du Conseil d'administration à apporter au Comité leur plein concours en répondant notamment aux demandes d'observations qui leur sont adressées et en tenant le plus grand compte des recommandations qui leur seraient éventuellement transmises par le Conseil d'administration à la suite de l'examen de ces plaintes», et, dans le paragraphe 8, «demande au Conseil d'administration d'accélérer autant que possible la procédure de son Comité de la liberté syndicale et de donner une plus large publicité à ses conclusions », et de demander au gouvernement de bien vouloir revoir la situation à la lumière de cette résolution;
  8. b) d'insister une fois encore, compte tenu de la résolution citée à l'alinéa précédent et pour les raisons indiquées aux paragraphes 270 et 271 ci-dessus, pour que le gouvernement veuille bien, d'une part, fournir des informations complémentaires plus détaillées en ce qui concerne les motifs exacts de l'arrestation des personnes mentionnées dans la plainte et, en particulier, sur la nature précise des documents dont la possession par les intéressés a justifié, aux yeux du gouvernement, la mesure qui a frappé ces derniers; d'autre part, indiquer si les syndicalistes mentionnés dans la plainte ont été ou vont être jugés avec toutes les garanties d'une procédure judiciaire régulière et, dans l'affirmative, communiquer le texte des décisions rendues ainsi que celui de leurs attendus;
  9. c) d'exprimer à nouveau l'espoir que la qualité de membre du Conseil d'administration de M. Ngamby sera dûment prise en considération à la lumière des obligations découlant de l'article 40 de la Constitution de l'O.I.T selon lequel les membres du Conseil d'administration doivent, en tant que tels, jouir «des privilèges et immunités qui leur sont nécessaires pour exercer, en toute indépendance, leurs fonctions en rapport avec l'Organisation », et l'importance attachée par le Conseil d'administration et la Conférence à leur exécution.
  10. ......................................................................................................................................................
  11. 105. A sa session de février 1966, le Comité était également saisi d'une communication en date du 5 novembre 1965 de la Confédération internationale des syndicats libres, qui alléguait que les syndicalistes dont il est question dans la présente affaire étaient privés du droit de recevoir leur famille, se voyaient refuser des médicaments, étaient contraints de se procurer eux-mêmes leur nourriture et voyaient les colis qui leur étaient destinés délibérément retenus plus ou moins longtemps par leurs gardiens.
  12. 106. Ayant constaté que le gouvernement - auquel le texte de cette communication avait été transmis - n'avait pas présenté sur elle ses observations, le Comité a recommandé au Conseil d'administration de prier le gouvernement de bien vouloir fournir lesdites observations.
  13. 107. Cette demande, ainsi que les conclusions citées au paragraphe 104 ci-dessus, ayant été portée à la connaissance du gouvernement par une lettre en date du 2 mars 1966, celui-ci a répondu par deux communications datées respectivement des 14 mars et 3 mai 1966.
  14. 108. Dans ses nouvelles observations, le gouvernement « affirme à nouveau solennellement » que les motifs de l'arrestation des personnes mentionnées par les plaignants résident dans le fait que les intéressés ont été trouvés en possession de documents n'ayant aucun rapport avec leur activité syndicale, mais révélant qu'ils étaient susceptibles de mettre l'ordre public en péril. Le gouvernement dit estimer, « en raison tant de la nature desdits documents que des impératifs de la sécurité intérieure et extérieure de l'Etat, qu'il est inopportun de les communiquer à qui que ce soit et regrette donc de ne pouvoir, sur ce point, déférer aux recommandations formulées par le Comité de la liberté syndicale ».
  15. 109. Le gouvernement déclare ensuite que M. Ngamby et les autres syndicalistes mentionnés dans les plaintes ont - comme d'ailleurs d'autres citoyens camerounais - fait l'objet de mesures « résultant de l'incompatibilité de leur comportement avec les intérêts supérieurs du pays ». Il précise que certains militants et dirigeants syndicaux, parmi lesquels M. Moudourou, ont été relâchés peu de temps après leur arrestation en raison du peu de gravité des charges relevées contre eux.
  16. 110. En ce qui concerne une éventuelle traduction des intéressés devant une juridiction, - le gouvernement indique qu'une telle procédure n'est pas prévue par l'ordonnance du 4 octobre 1961 relative à l'état d'urgence et en vertu de laquelle ces derniers ont été assignés à résidence. Le gouvernement précise qu'il s'agit là de mesures préventives rendues obligatoires par les nécessités du maintien de l'ordre public et insiste sur le fait que les personnes en cause ne sont ni prévenues, ni détenues, mais simplement préventivement assignées à résidence.
  17. 111. Le gouvernement déclare ensuite que « pour ce qui est de la prise en considération de la qualité de membre du Conseil d'administration de M. Ngamby à la lumière de l'article 40 de la Constitution de l'O.I.T, le gouvernement du Cameroun estime que les privilèges et immunités qui en découlent ne sauraient être invoqués que dans la mesure où les faits reprochés à l'intéressé se trouveraient en rapport avec les attributions et responsabilités qui lui incombent au double titre de dirigeant syndical et de membre du Conseil d'administration du B.I.T. ». Or, poursuit le gouvernement, celui-ci « n'a cessé d'affirmer que ces faits y étaient absolument étrangers et qu'en conséquence lesdits privilèges et immunités ne sauraient être invoqués en la présente occurrence ».
  18. 112. La réponse du gouvernement porte ensuite sur les allégations contenues dans la communication du 5 novembre 1965 de la C.I.S.L. En ce qui concerne l'allégation selon laquelle les intéressés se verraient interdire de recevoir des visites, le gouvernement déclare que tous les prisonniers ont droit à des visites pour lesquelles les responsables des prisons donnent facilement les autorisations nécessaires et qu'il en est à fortiori de même pour les assignés à résidence.
  19. 113. En ce qui concerne l'allégation afférente à la rétention délibérée des colis qui sont adressés aux intéressés par voie postale, le gouvernement explique qu'étant donné la distance qui sépare le camp de Tchollire des régions méridionales dont les personnes en cause sont originaires, ainsi que l'état des routes, les colis confiés à la poste peuvent demander un délai d'acheminement de deux semaines. « C'est peut-être dans ces conditions - déclare le gouvernement - que les intéressés ont été amenés à croire que ledit délai était imputable à leurs gardiens. »
  20. 114. En ce qui concerne enfin les allégations relatives à la délivrance de médicaments et à l'obligation qui serait faite aux personnes en cause de se procurer elles-mêmes leur nourriture, le gouvernement déclare qu'elles sont totalement dénuées de fondement. Il indique que les assignés à résidence sont, au Cameroun, l'objet des mêmes dispositions que les détenus en ce qui concerne l'hébergement, la nourriture et la surveillance sanitaire. « Ils sont nourris à l'ordinaire des prisons civiles et sur les fonds budgétaires prévus à cet effet. Ils demeurent placés sous la surveillance d'un médecin, reçoivent sur place les soins médicaux et pharmaceutiques que requiert leur état de santé et sont, si nécessaire, évacués sur la formation sanitaire officielle la plus proche de leur résidence. »
  21. 115. Dans ses observations, le gouvernement, comme il l'avait déjà fait à deux reprises, affirme solennellement que les mesures qui ont frappé les syndicalistes mentionnés par les plaignants sont totalement étrangères à l'appartenance ou à l'activité syndicale des intéressés et ont pour seule origine des activités politiques contraires à l'ordre public auxquelles ils se seraient livrés, activités dont des documents saisis chez l'un d'entre eux - M. Ngamby - apporteraient la preuve. Le gouvernement déclare toutefois ne pas pouvoir, pour des raisons de sécurité, révéler le contenu desdits documents, comme le Comité en avait fait la demande.
  22. 116. Il n'appartient pas au Comité de juger sur ce point la position du gouvernement. Le Comité constate cependant que, du fait du refus du gouvernement d'accéder à la demande qui lui avait été présentée, il se trouve placé dans une situation telle qu'il ne lui est pas possible de déterminer si, oui ou non, il y a eu un lien entre les mesures prises contre les personnes en cause et leur qualité de syndicalistes ou leurs activités en tant que tels.
  23. 117. Le Comité se voit donc contraint de recommander au Conseil d'administration de prendre note des allégations formulées par les plaignants au sujet de l'arrestation de syndicalistes comme des observations présentées à leur endroit par le gouvernement et d'exprimer son regret que le gouvernement n'ait pas fourni les informations demandées par le Comité, à défaut desquelles ce dernier n'est pas en mesure de se prononcer sur le fond de cet aspect de l'affaire.
  24. 118. Dans ses observations, le gouvernement déclare également que les intéressés n'ont pas été détenus mais uniquement assignés à résidence à titre préventif et que cette mesure a été prise en application de l'ordonnance du 4 octobre 1961 sur l'état d'urgence qui ne prévoit pas la comparution des personnes visées devant une instance judiciaire. Le gouvernement ajoute que l'un des syndicalistes mentionnés dans les plaintes - M. Moudourou - a été relâché peu après son arrestation.

B. B. Conclusions du comité

B. B. Conclusions du comité
  1. 119. Tout en prenant note avec satisfaction de cette dernière information, le Comité croit néanmoins devoir présenter certains commentaires qui lui sont suggérés par les observations du gouvernement. De celles-ci, en effet, il ressort tout d'abord que les personnes arrêtées, si elles n'ont pas le statut juridique de « détenus » mais d'« assignés à résidence », n'en sont pas moins privées de leur liberté et ce, d'après les dires mêmes du gouvernement, à titre préventif. Des observations du gouvernement, il ressort ensuite qu'en vertu même de l'ordonnance du 4 octobre 1961 - qui constitue une législation d'exception - les intéressés ne seront pas traduits devant les tribunaux.
  2. 120. Sur ces deux points, comme il l'a fait à maintes reprises dans le passé lorsque des syndicalistes ont été détenus préventivement, le Comité tient à faire valoir que les mesures de détention préventive peuvent constituer une grave immixtion dans l'exercice des droits syndicaux et qu'il est nécessaire, pour qu'il n'en soit pas ainsi, que ces mesures soient justifiées par une situation grave; il tient également à insister sur les dangers que peuvent comporter pour la liberté syndicale les mesures de détention prises à l'encontre de syndicalistes si - comme cela paraît être le cas en l'occurrence en vertu d'une loi d'exception - elles ne sont pas accompagnées des garanties judiciaires appropriées.
  3. 121. C'est pourquoi le Comité croit devoir recommander au Conseil d'administration d'attirer l'attention du gouvernement sur le fait que tout gouvernement devrait se faire une règle de veiller au respect des droits de l'homme et, en particulier, au droit de toute personne détenue d'être jugée dans les plus brefs délais possible par une autorité judiciaire impartiale et indépendante, et d'exprimer l'espoir que le gouvernement aura à coeur de tenir compte de ces principes dans le cas des syndicalistes se trouvant toujours en détention.
  4. 122. En ce qui concerne les allégations subsidiaires contenues dans la communication de la C.I.S.L du 5 novembre 1965, qui consistent uniquement en une série d'affirmations, le Comité constate que le gouvernement leur oppose des informations assez détaillées sur les conditions de détention des personnes assignées à résidence.
  5. 123. Dans ces conditions, estimant que les plaignants n'ont pas apporté de preuves suffisantes à l'appui de ce qu'ils avancent, le Comité recommande au Conseil d'administration de décider que cet aspect de l'affaire n'appelle pas de sa part un examen plus approfondi.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 124. En ce qui concerne le cas dans son ensemble, le Comité recommande au Conseil d'administration:
    • a) de décider, pour les raisons indiquées au paragraphe 123 ci-dessus, que les allégations contenues dans la communication du 5 novembre 1965 de la Confédération internationale des syndicats libres n'appellent pas de sa part un examen plus approfondi;
    • b) de prendre note des allégations formulées par les plaignants au sujet de l'arrestation de syndicalistes comme des observations présentées à leur endroit par le gouvernement et d'exprimer son regret que le gouvernement n'ait pas fourni les informations demandées par le Comité à défaut desquelles ce dernier n'est pas en mesure de se prononcer sur le fond de cet aspect de l'affaire;
    • c) d'attirer, pour les raisons indiquées aux paragraphes 119 et 120 ci-dessus, l'attention du gouvernement sur le fait que tout gouvernement devrait se faire une règle de veiller au respect des droits de l'homme et, en particulier, du droit de toute personne détenue d'être jugée dans les plus brefs délais possible par une autorité judiciaire impartiale et indépendante;
    • d) d'exprimer l'espoir que le gouvernement aura à coeur de tenir compte des principes rappelés à l'alinéa c) ci-dessus dans le cas des syndicalistes se trouvant toujours en détention.
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