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Rapport définitif - Rapport No. 101, 1968

Cas no 419 (Congo) - Date de la plainte: 07-NOV. -64 - Clos

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  1. 157. La présente affaire se trouve en instance devant le Comité de la liberté syndicale depuis 1964. Certaines allégations secondaires formulées par les plaignants ont déjà fait l'objet, de la part du Comité, de recommandations définitives au Conseil d'administration qui les a approuvées. Il n'en sera plus question dans les paragraphes qui suivent, lesquels ne traitent que des allégations restées en suspens.

A. A. Allégations des organisations plaignantes

A. A. Allégations des organisations plaignantes
  • Historique et premier examen des allégations d'origine
    1. 158 La plainte originale est contenue dans une communication en date du 7 novembre 1964, adressée directement à l'O.I.T et émanant de l'Union nationale des syndicats C.A.T.C de la République du Congo. Cette plainte a été appuyée le 17 novembre 1964 par le représentant permanent à Genève de la Confédération internationale des syndicats chrétiens (C.I.S.C.). Le 20 novembre 1964, le représentant permanent à Genève de la C.I.S.C a formulé de nouvelles allégations où il était notamment question d'arrestations. Par un télégramme en date du 23 novembre 1964, enfin, la Confédération syndicale africaine a formulé des allégations portant sur les mêmes faits.
    2. 159 Le texte de toutes ces communications a été transmis au gouvernement pour observations par une lettre en date du 27 novembre 1964. A cette occasion, l'attention du gouvernement a été attirée sur le caractère urgent de l'affaire.
    3. 160 Les 24, 25 et 29 novembre 1964, trois télégrammes ont été adressés au B.I.T, émanant respectivement du représentant de la C.I.S.C à Genève, du secrétaire général adjoint de la C.I.S.C à Bruxelles et, conjointement, du secrétaire général et du président de la C.I.S.C, faisant état de l'arrestation de M. Fulgence Biyaoula, président de l'Union nationale des syndicats de la Confédération africaine des travailleurs croyants (C.A.T.C.) de la République du Congo, des mauvais traitements infligés à celui-ci et des craintes que l'on entretenait pour sa vie. Dès la réception de cette dernière dépêche, le texte de celle-ci a été porté à la connaissance du ministre des Affaires étrangères du Congo (Brazzaville) par un télégramme du 30 novembre 1964 qui, en raison de la gravité des faits allégués, l'invitait à communiquer promptement toutes informations utiles sur la question.
    4. 161 Parallèlement, à l'occasion de la deuxième Conférence régionale africaine de l'O.I.T, tenue à Addis-Abéba du 30 novembre au 11 décembre 1964, le Directeur général a eu au sujet de l'affaire plusieurs entrevues avec le ministre du Travail du Congo (Brazza ville), lequel assistait à la Conférence. Le Directeur général a fait part au ministre du Travail de l'émotion qu'avaient suscitée les allégations mentionnées au paragraphe précédent. Le ministre a déclaré au Directeur général que M. Biyaoula avait été arrêté non pas pour son action syndicale, mais en raison des activités politiques subversives déployées par lui. En réponse à des questions posées par le Directeur général, le ministre a donné l'assurance que M. Biyaoula n'était pas l'objet de tortures, que sa vie n'était absolument pas en danger et qu'il bénéficierait des garanties d'une procédure judiciaire régulière au cours de sa prochaine comparution devant les tribunaux, dont - d'après le ministre - la décision devait être rendue au mois de décembre 1964.
    5. 162 Le texte des trois télégrammes de la C.I.S.C mentionnés au paragraphe 160 ci-dessus ainsi que celui d'une lettre de cette organisation datée du 26 novembre 1964 ont, par ailleurs, été portés à la connaissance du gouvernement selon la procédure normale, par une lettre en date du 3 décembre 1964. En outre, des déclarations de témoins parvenues au B.I.T ont été transmises au gouvernement pour observations par une lettre en date du 4 décembre 1964. Enfin, le texte d'une communication du 6 janvier 1965 de la C.I.S.C contenant de nouvelles allégations à l'appui de sa plainte a été transmis au gouvernement pour observations par une lettre en date du 18 janvier 1965.
    6. 163 Dans sa communication du 7 novembre 1964, l'Union nationale des syndicats C.A.T.C donnait des événements la description suivante. En août 1963, les organisations syndicales ouvrières les plus représentatives du Congo (Brazzaville) - l'Union nationale congolaise de la Confédération africaine des travailleurs croyants (C.A.T.C.), l'Union nationale congolaise de la Confédération générale africaine du travail (C.G.A.T.) et la Confédération congolaise des syndicats libres (C.C.S.L.) -, face aux événements qui ont conduit à la révolution, avaient été amenées à former un comité national de fusion. Ce comité, qui se voulait indépendant de tout groupement politique, entendait également respecter l'indépendance de chaque organisation groupée en son sein. Toutefois, après la révolution, les centrales C.G.A.T et C.C.S.L. « s'étant assigné le statut de centrale syndicale du parti unique M.N.R. [Mouvement national de la Révolution] », la C.A.T.C s'est retirée du comité de fusion. D'après les plaignants, depuis ce refus de la part de la C.A.T.C devant une inféodation au parti au pouvoir, le gouvernement n'aurait cessé de mettre obstacle à l'activité de cette organisation. Ses réunions auraient été systématiquement interdites, ses militants se seraient vu interdire de sortir du pays, seraient menacés d'être traînés devant le tribunal populaire sous le prétexte d'atteintes à la sûreté de l'Etat et, d'une manière générale, seraient menacés dans leurs biens et dans leur vie.
    7. 164 Dans les communications parvenues ultérieurement de la Confédération internationale des syndicats chrétiens, il était allégué que les locaux de la C.A.T.C auraient été mis à sac, que plusieurs de ses dirigeants, dont, on l'a vu, son président, M. Fulgence Biyaoula, auraient été arrêtés et torturés puis auraient fait l'objet d'une mesure d'internement administratif. Enfin, une loi aurait été promulguée instituant une organisation syndicale unique, la Confédération syndicale congolaise, et dissolvant toutes les centrales ouvrières autres que la C.S.C.
    8. 165 Par une communication en date du 19 janvier 1965, le gouvernement a transmis au Directeur général la réponse du ministre du Travail au sujet de la seule plainte de la C.A.T.C du 7 novembre 1964. Dans cette réponse, le ministre se bornait à déclarer: « Le Comité de la liberté syndicale pourrait désigner un ou plusieurs de ses membres pour visiter le Congo (Brazzaville) aux frais de l'O.I.T et vérifier ainsi, sur place, les allégations des censeurs du gouvernement de mon pays. »
    9. 166 Tout en prenant note de cette déclaration et sans préjuger de la suite qui pourrait éventuellement lui être donnée, le Comité, lorsqu'il a été saisi de l'affaire à sa session du mois de février 1965, a estimé, à ce stade, devoir insister auprès du gouvernement pour que celui-ci veuille bien lui fournir des observations circonstanciées sur chacune des allégations spécifiques formulées par les diverses organisations plaignantes. Ayant noté par ailleurs les assurances données au Directeur général par le ministre du Travail à Addis-Abéba, le Comité a exprimé le voeu de recevoir des informations sur le point de savoir si lesdites assurances avaient été suivies d'effet.
    10. 167 Le Comité a en conséquence recommandé au Conseil d'administration:
      • a) de réaffirmer avec vigueur l'importance qu'il convient d'attacher aux principes selon lesquels:
      • i) les travailleurs doivent avoir le droit de créer les syndicats de leur choix et celui de s'y affilier;
      • ii) les travailleurs doivent avoir le droit d'élire librement leurs représentants, ceux-ci devant être protégés contre tous actes visant à leur porter préjudice en raison de leurs activités syndicales;
      • iii) les organisations syndicales ne doivent pas pouvoir être dissoutes par voie administrative;
      • b) d'insister sur les dangers que peuvent comporter pour la liberté syndicale les mesures de détention des syndicalistes si elles ne sont pas accompagnées de garanties judiciaires appropriées et sur le fait que tout gouvernement devrait se faire une règle de veiller au respect des droits de l'homme et, en particulier, au droit de toute personne détenue à être jugée dans les plus brefs délais possible par une autorité judiciaire impartiale et indépendante;
      • c) de prier le gouvernement de bien vouloir lui fournir des observations détaillées sur les allégations mentionnées aux paragraphes 187 et 188 du présent rapport ainsi que des informations sur le point de savoir si les assurances données au Directeur général par le ministre du Travail lors des entrevues qu'ils ont eues à Addis-Abéba et dont il est question au paragraphe 180 ci-dessus ont été respectées, en particulier si M. Biyaoula a été jugé avec toutes les garanties d'une procédure judiciaire régulière et, dans l'affirmative, de bien vouloir fournir le texte de la décision judiciaire ainsi que celui de ses considérants.
    11. 168 La recommandation ci-dessus ayant été approuvée par le Conseil d'administration à sa 161ème session (mars 1965), les conclusions du Comité en la matière ont été portées à la connaissance du gouvernement par une lettre en date du 10 mars 1965. Le gouvernement a répondu par une communication en date du 29 avril 1965.
    12. 169 Saisi de nouveau de l'affaire à sa session du mois de mai 1965, le Comité a constaté que la communication du gouvernement en date du 29 avril 1965 s'abstenait de répondre aux questions précises contenues à l'alinéa c) du paragraphe cité au paragraphe 167 ci-dessus, mais se contentait de renouveler la proposition de visite sur place du Comité, dont il est question au paragraphe 165 ci-dessus.
    13. 170 Dans ces conditions, le Comité a estimé devoir confirmer les conclusions mentionnées aux alinéas a) et b) et citées au paragraphe 167 ci-dessus et recommander au Conseil d'administration d'insister avec énergie auprès du gouvernement pour que celui-ci veuille bien présenter les observations sollicitées de lui à l'alinéa c) de cette même citation.
    14. 171 Le Comité a tenu en outre à relever que, dans la quasi-totalité des cas dont il avait été saisi, les gouvernements intéressés n'avaient pas manqué de collaborer à l'établissement des faits en présentant notamment les observations et les informations sollicitées par le Comité ou par le Conseil d'administration.
    15. 172 Le Comité a cru devoir recommander enfin au Conseil d'administration d'attirer l'attention du gouvernement du Congo (Brazzaville) sur la résolution concernant la liberté syndicale et la protection du droit syndical adoptée par la première Conférence régionale africaine de l'Organisation internationale du Travail (Lagos, décembre 1960), qui, dans le paragraphe 7, « demande au Conseil d'administration du Bureau international du Travail d'inviter les gouvernements qui feraient éventuellement l'objet de plaintes devant le Comité de la liberté syndicale du Conseil d'administration à apporter au Comité leur plein concours en répondant notamment aux demandes d'observations qui leur sont adressées et en tenant le plus grand compte des recommandations qui leur seraient éventuellement transmises par le Conseil d'administration à la suite de l'examen de ces plaintes » et, dans le paragraphe 8, « demande au Conseil d'administration d'accélérer autant que possible la procédure de son Comité de la liberté syndicale et de donner une plus large publicité à ses conclusions, surtout lorsque certains gouvernements refusent de coopérer loyalement à l'examen des plaintes présentées contre eux ».
    16. 173 Ces conclusions du Comité ayant été approuvées par le Conseil d'administration à sa 162ème session (mai 1965), elles ont été communiquées au gouvernement par une lettre en date du 8 juin 1965.
  • Examen de nouvelles allégations; suite de l'examen des allégations
    1. 174 Le 6 juillet 1965, le Directeur général a reçu une dépêche signée du président et du secrétaire général de la Confédération internationale des syndicats chrétiens l'informant que les syndicalistes emprisonnés à Brazzaville allaient être traduits incessamment devant un tribunal populaire et lui demandant son intervention « énergique et urgente ». Dès la réception de ce câble, le 8 juillet 1965, le Directeur général en a porté télégraphiquement la teneur à la connaissance du ministre des Affaires étrangères du Congo (Brazzaville) en attirant sur elle son attention toute particulière et en le priant instamment de le tenir au courant de la suite des événements.
    2. 175 Ayant constaté que cette communication du Directeur général était restée sans réponse, le Comité, à sa session du mois de novembre 1965, a recommandé au Conseil d'administration d'exprimer sa sérieuse préoccupation devant le fait que le gouvernement du Congo (Brazzaville) s'était abstenu de répondre à la communication du Directeur général du 8 juillet 1965 relative à l'emprisonnement de syndicalistes à Brazzaville, dont on alléguait qu'ils allaient comparaître incessamment devant un tribunal populaire.
    3. 176 Ayant constaté également que le gouvernement s'était abstenu de répondre aux demandes contenues, au sujet des allégations d'origine, dans les conclusions mentionnées aux paragraphes 167, 170, 171 et 172 ci-dessus, le Comité a recommandé au Conseil d'administration de réaffirmer ces conclusions et de prier instamment le gouvernement de fournir toutes les informations qui lui avaient été demandées.
    4. 177 Les conclusions auxquelles le Comité a abouti à sa session du mois de novembre 1965 ayant été approuvées par le Conseil d'administration, elles ont été communiquées au gouvernement le 23 novembre 1965.
    5. 178 Saisi de nouveau de l'affaire à sa session du mois de novembre 1966, soit un an après son dernier examen du cas sans que le gouvernement ait répondu aux demandes d'informations qui lui avaient été adressées à plusieurs reprises, saisi également de nouvelles allégations relatives à la condamnation à mort par contumace de M. Gilbert Pongault, secrétaire général de l'Union panafricaine des travailleurs croyants, lesquelles avaient été télégraphiquement portées à la connaissance du gouvernement pour observations le 28 juillet 1966, le Comité s'est exprimé en ces termes:
  • Le Comité a ajourné à sa prochaine session l'examen du cas relatif au Congo (Brazzaville) (cas no 419), pour lequel il attend toujours des informations complémentaires précédemment sollicitées du gouvernement intéressé de même que des observations sur les nouvelles allégations. En ce qui concerne les graves allégations contenues dans les plaintes originales, lesquelles ont été examinées pour la première fois par le Comité à sa session de février 1965 et ont fait l'objet de sa part de rapports au Conseil d'administration figurant aux paragraphes 176 à 193 du quatre-vingt-unième rapport du Comité et 504 à 515 de son quatre-vingt-cinquième rapport, des demandes d'informations complémentaires ont été adressées en vain au gouvernement à non moins de dix occasions distinctes.
  • De nouvelles allégations relatives à la condamnation à mort par contumace le 25 juillet 1966 à Brazzaville par un tribunal populaire de M. Gilbert Pongault, secrétaire général de l'Union panafricaine des travailleurs croyants et vice-président de la Confédération africaine des travailleurs croyants, qui a été membre adjoint travailleur du Conseil d'administration de 1963 à 1966, ont été transmises au gouvernement pour observations le 18 août 1966 sans qu'aucune réponse n'ait été reçue du gouvernement. Le Comité tient à exprimer sa grave préoccupation devant le fait que le gouvernement s'est abstenu de présenter ses observations sur les allégations relatives à la condamnation à mort par contumace d'une personne qui était membre adjoint du Conseil d'administration quelques jours avant sa condamnation et de fournir les informations qui lui avaient été demandées à de nombreuses reprises au sujet d'allégations concernant des mesures prises contre d'autres dirigeants syndicaux de premier plan du Congo (Brazzaville) et contre l'Union nationale des syndicats C.A.T.C. Le Comité prie donc le gouvernement de fournir de toute urgence les observations et les informations dont il est question ci-dessus a.
    1. 179 Ces conclusions ayant été approuvées par le Conseil d'administration à sa 167ème session (novembre 1966), elles ont été communiquées au gouvernement par une lettre en date du 22 novembre 1966, doublée d'une lettre de rappel du 9 janvier 1967.
    2. 180 Saisi une dernière fois de l'affaire à sa session du mois de février 1967, le Comité a constaté que le gouvernement n'avait pas donné suite aux multiples demandes d'observations et d'informations qui lui avaient été adressées. Il a donc prié le gouvernement de fournir de toute urgence les observations et les informations en question, afin qu'il puisse en tenir compte à sa session suivante, « à l'occasion de laquelle, en tout état de cause - disait-il -, il a l'intention de soumettre sur le cas ses conclusions définitives au Conseil d'administration » a.
    3. 181 Cette décision du Comité, telle qu'approuvée par le Conseil d'administration à sa 168ème session (février-mars 1967), a été portée à la connaissance du gouvernement par une lettre en date du 2 mars 1967. Le gouvernement a répondu par une communication en date du 30 mai 1967.
  • Examen des observations
    1. 182 Dans sa communication du 30 mai 1967, le gouvernement déclare avoir pour doctrine de faire une nette distinction entre, d'une part, les affaires syndicales proprement dites et, d'autre part, les affaires concernant les atteintes véritables à la sûreté de l'Etat. Les affaires syndicales doivent être des problèmes strictement syndicaux, nés essentiellement de l'exercice du droit syndical ou à l'occasion de l'exercice de ce droit, seules de telles affaires - déclare le gouvernement - « doivent bénéficier de la liberté syndicale ». Les cas concernant strictement les atteintes à la sûreté de l'Etat sont des affaires qui ne se rapportent qu'à des activités politiques ou à des affaires où le droit syndical et les « idées syndicales » ne sont nullement en cause. Lorsqu'un syndicaliste est accusé d'atteinte à la sûreté de l'Etat, précise le gouvernement, c'est pour des agissements distincts de ses activités syndicales proprement dites.
    2. 183 La convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, rappelle ensuite le gouvernement, prévoit que, « dans l'exercice des droits qui leur sont reconnus par la présente convention, les travailleurs, les employeurs et leurs organisations respectives sont tenus, à l'instar des autres personnes ou collectivités organisées, de respecter la légalité ». Une disposition aussi claire - déclare le gouvernement - prouve à suffisance que la doctrine de la République du Congo énoncée plus haut est, a l'égard des syndicalistes, juridiquement fondée « tant au regard du droit national que du droit international du travail, dès lors que cette doctrine distingue nécessairement, quand il s'agit de syndicalistes, entre les activités syndicales proprement dites et les activités qui sont détachables des activités syndicales ».
    3. 184 Forte des principes juridiques qui précèdent - poursuit le gouvernement -, la République du Congo entend défendre la souveraineté de l'Etat congolais et exercer de manière effective les prérogatives dévolues à tout gouvernement d'un pays souverain en matière d'ordre public, de tranquillité publique et de salubrité publique; le gouvernement de la République n'entend renoncer à aucun prix et sous quelque prétexte que ce soit à l'exercice des pouvoirs qu'il tient « légalement et légitimement » du peuple congolais. « Aussi - déclare le gouvernement - toute personne physique ou morale ou tout organisme quel qu'il soit doit se pénétrer de ce qu'il ne peut être toléré, sous quelque prétexte que ce soit, aucune activité de nature à porter atteinte à la sûreté de l'Etat. En conséquence, c'est à bon droit que le gouvernement congolais a décidé, chaque fois qu'il s'agit d'un syndicaliste, que les interventions émanant du Comité de la liberté syndicale, du B.I.T et de tout autre organisme ne sont prises en considération que dans la mesure où elles se situent dans le cadre de la protection des libertés syndicales à proprement parler, c'est-à-dire dans la protection de syndicalistes réellement inquiétés pour leurs activités strictement syndicales. En effet, intervenir à tout prix uniquement parce que c'est un syndicaliste qui est en cause, en faisant une abstraction complète et aveugle de ses agissements extrasyndicaux, paraît être une gageure en même temps qu'une tentative inacceptable de méconnaître la souveraineté de l'Etat et de son gouvernement. »
    4. 185 En ce qui concerne le cas particulier de M. Pongault, dont il est question au paragraphe 178 ci-dessus, le gouvernement donne les indications suivantes. Comme tous les autres Congolais et tous les autres syndicalistes congolais de toute tendance, M. Pongault a pris une certaine part à la révolution des 13, 14 et 15 août 1963. Dès la mise en place du nouveau régime, M. Pongault s'est lancé dans la carrière politique; c'est ainsi que, lors de la mise en place des organes du Mouvement national de la Révolution, parti unique du peuple congolais, M. Pongault a pris une part très active qui lui a valu d'être, jusqu'au jour de sa condamnation, membre du Comité central du Parti, mandat qu'il a exercé jusqu'à son départ du Congo.
    5. 186 Ayant vu ses ambitions politiques déçues à la suite des élections qui ont eu lieu à la fin de l'année 1963, M. Pongault - poursuit le gouvernement - s'est délibérément tourné vers la lutte politique en même temps qu'il se consacrait davantage à des activités syndicales, plus internationales, d'ailleurs, que nationales. Les dernières tentatives faites en 1964 par M. Pongault pour prendre en main la classe ouvrière congolaise se sont, pour cette raison, soldées pour lui par un échec cuisant. Quelles que soient ses prétentions au regard du syndicalisme national, déclare le gouvernement, M. Pongault ne représente plus rien aux yeux de la classe ouvrière congolaise.
    6. 187 Sur le plan de la moralité et de l'intégrité, et en ce qui concerne la probité de M. Pongault, le gouvernement déclare que les documents qui ont pu être découverts au lendemain de la révolution «sont suffisamment révélateurs sur la nature des relations que, sous l'ancien régime, le syndicaliste Pongault entretenait avec Fulbert Youlou. En effet, des documents écrits de la main de Youlou sur la gestion des fonds secrets de l'ancien régime, il ressort que si M. Pongault était apparemment un syndicaliste intègre et compétent, il n'était en réalité qu'un syndicaliste corrompu émargeant secrètement et régulièrement aux fonds secrets de la République, en même temps qu'il entretenait avec Youlou depuis 1958 une correspondance secrète, suivie et indigne d'un syndicaliste vraiment intègre. »
    7. 188 Le gouvernement déclare ensuite que, tant sur le territoire national qu'à l'étranger, il a été d'autant plus facile de distinguer les activités politiques de M. Pongault de ses activités syndicales que l'intéressé a commis depuis qu'il se trouve hors du Congo de lourdes maladresses dans ses contacts avec les Congolais de l'étranger et, en particulier, avec des officiers de l'armée congolaise en mission à l'étranger.
    8. 189 Le gouvernement affirme que c'est sur la base de ses activités politiques subversives que, dans le courant de l'année 1965, une information a été ouverte contre M. Pongault des chefs de menées subversives, trafic d'armes et de munitions de guerre et d'atteinte à la sûreté intérieure et extérieure de l'Etat, information qui a abouti à son inculpation. La Commission d'instruction prévue par la loi no 29/64 du 9 septembre 1964 portant création du Tribunal populaire a été chargée de l'instruction de l'affaire. Après avoir étudié minutieusement les chefs d'inculpation et procédé à des enquêtes très approfondies - poursuit le gouvernement -, la Commission d'instruction a conclu qu'il était établi contre l'inculpé des charges suffisantes d'avoir, en 1964 et 1965, été complice du délit de trafic d'armes de guerre et de munitions de guerre, commis le crime d'atteinte à la sûreté intérieure et extérieure de l'Etat, attaqué et diffamé l'autorité que le pouvoir exécutif tient des lois constitutionnelles, à la suite de quoi il a été décidé que M. Pongault serait traduit devant le Tribunal populaire pour y être jugé conformément à la loi.
    9. 190 Dès qu'il a pris connaissance de cette affaire, pendant la phase de l'instruction - déclare le gouvernement -, M. Pongault « a tenu coûte que coûte à se soustraire à l'action de la justice » en se rendant à l'étranger. « Dans cette affaire - affirme le gouvernement -, tous les actes de la procédure ont été régulièrement signifiés au domicile de M. Pongault sis à Brazzaville où il a toujours été répondu que l'intéressé était parti sans laisser d'adresse. » Aussi, indique le gouvernement, le jugement de M. Pongault s'est-il déroulé entièrement par contumace.
    10. 191 Le gouvernement affirme que le cas de M. Pongault est essentiellement politique et que tous les agissements qui lui sont reprochés, y compris et surtout les contacts avec les officiers de l'armée congolaise en mission à l'étranger, n'ont aucun lien avec sa qualité de syndicaliste. « C'est parce qu'il est convaincu - poursuit le gouvernement - que l'affaire Pongault n'a aucun lien avec ses activités syndicales que le gouvernement du Congo (Brazzaville) dénie le droit à qui que ce soit et à quelque organisme que ce soit de contrôler sa conduite ou de lui dicter la conduite à tenir sur la manière de faire respecter la légalité à ses propres nationaux même s'ils ont la qualité de syndicaliste. »
    11. 192 En conclusion, le gouvernement prie le B.I.T. « de bien vouloir noter que ce sera la dernière fois que le Congo (Brazzaville) aura, dans cette affaire, à fournir une réponse à tout organisme qui pourra être tenté d'intervenir de nouveau sous le prétexte fantaisiste d'une prétendue violation de la liberté syndicale ».

B. B. Conclusions du comité

B. B. Conclusions du comité
  1. 193. Le Comité constate tout d'abord que, mises à part certaines considérations de caractère général, les observations du gouvernement ne traitent que du cas particulier de M. Pongault, sans aborder les autres allégations formulées dans la présente affaire. Ces allégations portaient essentiellement sur l'arrestation des dirigeants de l'Union nationale des syndicats C.A.T.C parmi lesquels figurait son président, M. Biyaoula, à propos duquel le Comité a appris, par ailleurs, qu'il a été libéré en août 1967, sur les mauvais traitements qui leur auraient été infligés, sur la mesure d'internement administratif dont ils auraient été l'objet, sur l'interdiction faite à leur organisation de tenir des réunions, mesure qui aurait son origine dans le refus opposé par ladite organisation de s'inféoder au parti politique au pouvoir, sur l'institution par la loi, enfin, d'une centrale syndicale unique et sur la dissolution de toutes les autres centrales.
  2. 194. Ayant noté, au vu de la déclaration du gouvernement, reproduite au paragraphe 192 ci-dessus, que celui-ci paraît bien ne pas entendre poursuivre le dialogue avec le Comité de la liberté syndicale et le Conseil d'administration, le Comité croit devoir recommander à ce dernier:
    • a) de déplorer que, malgré les nombreux appels adressés dans ce sens au gouvernement, celui-ci n'ait pas jugé opportun de fournir les observations et les informations qui lui avaient été demandées, mettant ainsi le Comité dans l'impossibilité d'établir les faits en connaissance de cause,
    • b) de rappeler que le Congo (Brazzaville) est partie à la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et qu'il est donc formellement tenu d'en respecter les dispositions;
    • c) de rappeler l'importance qu'il convient d'attacher au principe contenu à l'article 2 de la convention no 87 selon lequel les travailleurs et les employeurs doivent avoir le droit de constituer les organisations de leur choix ainsi que celui de s'y affilier;
    • d) de rappeler l'importance qu'il convient d'attacher au principe contenu à l'article 3 de la convention no 87 selon lequel les travailleurs doivent avoir le droit d'élire librement leurs représentants, les autorités publiques devant s'abstenir de toute intervention de nature à limiter ce droit ou à en entraver l'exercice légal;
    • e) de rappeler l'importance qu'il convient d'attacher au principe contenu à l'article 4 de la convention no 87 selon lequel les organisations de travailleurs et d'employeurs ne doivent pas être sujettes à dissolution ou à suspension par voie administrative;
    • f) de rappeler la disposition du paragraphe 2 de l'article 8 de la convention no 87 selon laquelle la législation nationale ne devra pas porter atteinte ou être appliquée de manière à porter atteinte aux garanties prévues par la convention;
    • g) de rappeler que le droit de réunion constitue un élément essentiel du libre exercice des droits syndicaux;
    • h) d'insister sur les dangers que peuvent comporter pour la liberté syndicale les mesures de détention de syndicalistes si elles ne sont pas accompagnées de garanties judiciaires appropriées et sur le fait que tout gouvernement devrait se faire une règle de veiller au respect des droits de l'homme et, en particulier, du droit de toute personne détenue d'être jugée dans les plus brefs délais possible par une autorité judiciaire impartiale et indépendante.
  3. 195. En ce qui concerne les observations présentées par le gouvernement au sujet du cas de M. Pongault, le Comité croit devoir relever tout d'abord la déclaration du gouvernement citée au paragraphe 191 ci-dessus d'après laquelle « c'est parce qu'il est convaincu que l'affaire Pongault n'a aucun lien avec ses activités syndicales que le gouvernement du Congo (Brazzaville) dénie le droit à qui que ce soit et à quelque organisme que ce soit de contrôler sa conduite... ».
  4. 196. Sur ce point, le Comité, comme il l'a fait dans de nombreux cas antérieurs, tient à faire observer que, lorsque des gouvernements ont paru juger suffisante une réponse de caractère général, disant que les détentions ou les condamnations de syndicalistes avaient été motivées par l'exercice d'activités illégales ou subversives et non par celui d'activités syndicales, il a estimé que la question de savoir si le motif des condamnations prononcées ou des détentions ordonnées relevait d'un délit criminel ou politique, ou de l'exercice des droits syndicaux, n'était pas de celles qui pouvaient être tranchées unilatéralement par le gouvernement intéressé, de telle façon que le Conseil d'administration soit mis dans l'impossibilité de l'examiner plus avant.
  5. 197. Cette mise au point ayant été faite, le Comité constate que les affirmations des plaignants et celles du gouvernement sont presque en tout point divergentes.
  6. 198. Alors que le gouvernement déclare que M. Pongault, dès la révolution, s'était lancé dans la carrière politique, puis, après les élections de la fin de l'année 1963, dans la « lutte politique » les plaignants et, en particulier, M. Pongault dans des déclarations qu'il a fait tenir au Bureau, assurent que l'intéressé ne s'est pas livré à des activités politiques, après avoir participé à la révolution, il aurait au contraire refusé d'assumer des fonctions politiques de député ou autre et sa participation à la création d'un parti politique aurait été envisagée par lui à titre syndical.
  7. 199. Alors que le gouvernement déclare que M. Pongault aurait été corrompu et aurait touché secrètement des fonds de l'ancien régime de Fulbert Youlou les plaignants, et M. Pongault lui-même, affirment que les seules indemnités perçues par l'intéressé auraient été ses indemnités de membre du Conseil de la Communauté française (lorsque le Congo (Brazzaville) en faisait partie), indemnités qui lui auraient été versées en partie par le gouvernement français et en partie par le gouvernement du Congo (Brazzaville), et ce à la suite d'une loi que l'Assemblée avait adoptée sous la présidence de M. Massembat-Debat.
  8. 200. Alors que le gouvernement déclare que l'action intentée contre M. Pongault a son origine exclusive dans les activités politiques subversives déployées par l'intéressé, les plaignants - et M. Pongault lui-même dans un mémoire qui a été communiqué par la C.I.S.C le 29 septembre 1966 à l'appui de sa plainte - affirment que la raison des mesures prises par le gouvernement réside en un conflit entre M. Pongault et le gouvernement quant à la conception du rôle du syndicalisme dans l'édification nationale: d'après les plaignants, en effet, le gouvernement entendait réaliser un syndicalisme servant de simple courroie de transmission des mots d'ordre du parti unique, alors que M. Pongault entendait maintenir le rôle traditionnel du syndicalisme, tout en acceptant une certaine coopération avec le parti.
  9. 201. Alors que le gouvernement déclare qu'une enquête a révélé que M. Pongault s'était livré à des menées subversives, au trafic d'armes de guerre et à des actes mettant en péril la sûreté de l'Etat, crimes pour lesquels il a été condamné, les plaignants déclarent que M. Pongault ne s'est jamais rendu coupable desdits crimes et prétendent qu'il s'agit d'une machination tramée contre la vie de l'intéressé.
  10. 202. Alors que le gouvernement affirme que tous les actes de la procédure ont été signifiés au domicile de M. Pongault, les plaignants prétendent que tel n'a pas été le cas; ils affirment également qu'au cours du procès, M. Pongault n'a jamais été cité comme accusé mais uniquement comme témoin; ils affirment enfin qu'au cours de l'instruction de l'affaire de trafic d'armes, M. Pongault n'a jamais été l'objet d'un mandat d'arrêt et n'a jamais été cité comme témoin.
  11. 203. Le Comité constate qu'il se trouve saisi de déclarations contradictoires des plaignants et du gouvernement; il lui est apparu, cependant, que les poursuites engagées contre M. Pongault ont eu leur origine dans un conflit quant à la conception du rôle du syndicalisme dans le développement de la nation. En tout état de cause, il tient à souligner l'importance qu'il convient d'attacher, dans toute procédure criminelle, à ce que soient respectées toutes les garanties d'une procédure judiciaire régulière.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 204. En ce qui concerne le cas dans son ensemble, le Comité recommande au Conseil d'administration:
    • a) au sujet des allégations relatives à l'arrestation des dirigeants de l'Union nationale des syndicats C.A.T.C, à leur internement administratif, à l'interdiction faite à leur organisation de tenir des réunions, à l'institution par la loi d'une centrale syndicale unique et à la dissolution de toutes les autres centrales:
    • i) de déplorer que, malgré les nombreux appels adressés dans ce sens au gouvernement, celui-ci n'ait pas jugé opportun de fournir les observations et les informations qui lui avaient été demandées, mettant ainsi le Comité dans l'impossibilité d'établir les faits en connaissance de cause;
    • ii) de rappeler que le Congo (Brazzaville) est partie à la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et qu'il est donc formellement tenu d'en respecter les dispositions;
    • iii) de rappeler l'importance qu'il convient d'attacher au principe contenu à l'article 2 de la convention no 87 selon lequel les travailleurs et les employeurs doivent avoir le droit de constituer les organisations de leur choix ainsi que celui de s'y affilier;
    • iv) de rappeler l'importance qu'il convient d'attacher au principe contenu à l'article 3 de la convention no 87 selon lequel les travailleurs doivent avoir le droit d'élire librement leurs représentants, les autorités publiques devant s'abstenir de toute intervention de nature à limiter ce droit ou à en entraver l'exercice légal;
    • v) de rappeler l'importance qu'il convient d'attacher au principe contenu à l'article 4 de la convention no 87 selon lequel les organisations de travailleurs et d'employeurs ne doivent pas être sujettes à dissolution ou à suspension par voie administrative;
    • vi) de rappeler la disposition du paragraphe 2 de l'article 8 de la convention n, 87 selon laquelle la législation nationale ne devra pas porter atteinte ou être appliquée de manière à porter atteinte aux garanties prévues par la convention;
    • vii) de rappeler que le droit de réunion constitue un élément essentiel du libre exercice des droits syndicaux;
    • viii) d'insister sur les dangers que peuvent comporter pour la liberté syndicale les mesures de détention de syndicalistes si elles ne sont pas accompagnées de garanties judiciaires appropriées et sur le fait que tout gouvernement devrait se faire une règle de veiller au respect des droits de l'homme et, en particulier, du droit de toute personne détenue d'être jugée dans les plus brefs délais possible par une autorité judiciaire impartiale et indépendante;
    • b) au sujet du cas particulier de M. Pongault:
    • i) de noter, comme il ressort des paragraphes 198 à 202 ci-dessus, que le Comité se trouve saisi de déclarations contradictoires des plaignants et du gouvernement, et de regretter que le refus, de la part du gouvernement, de lui fournir tous les éléments nécessaires d'appréciation ne lui permette pas de se prononcer sur le fond de l'affaire en pleine connaissance de cause;
    • ii) de rappeler toutefois, en l'occurrence, l'importance qu'il convient d'attacher au principe de l'indépendance des organisations syndicales;
    • iii) de souligner, en outre, que dans toute poursuite criminelle, toutes les garanties d'une procédure judiciaire régulière devraient être respectées.
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