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Rapport définitif - Rapport No. 91, 1966

Cas no 472 (Afrique du Sud) - Date de la plainte: 03-MARS -66 - Clos

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  1. 4. Le 3 mars 1966, la Fédération syndicale mondiale a adressé au Bureau international du Travail une plainte contenant des allégations de violations des droits syndicaux en République sud-africaine, qui est parvenue au Bureau le 14 mars 1966.

A. A. Allégations des organisations plaignantes

A. A. Allégations des organisations plaignantes
  1. 5. Les plaignants allèguent que cent quatre-vingt-treize travailleurs africains employés par la Bay Transport Company se mirent en grève en 1961 pour appuyer leurs revendications professionnelles, après que les négociations eurent été rompues. Comme la loi de 1953 sur le travail indigène (règlement des différends), telle qu'elle a été modifiée, interdit les grèves de travailleurs africains - fait que les plaignants condamnent en tant que mesure de discrimination raciale -, les intéressés furent arrêtés et condamnés à une amende de 7 livres 10 shillings chacun. Les négociations furent reprises par la suite, et le différend fut finalement réglé. D'autre part, il est allégué que dix de ces travailleurs (MM. Erie Zuma, Llewellyn Yava, Daniel Magongo, Milton Baleni, Alfred Qungani, Matthew Mpolongwana, Amoz Zembetha, Richard Klaas, Arnold Nhantana et Welcome Duru) ont été arrêtés en 1965 sous l'inculpation d'avoir aidé à la réalisation des objectifs du Congrès national africain - organisation politique déclarée illégale en vertu de la loi sur la suppression du communisme - et condamnés à quatre ans et six mois de prison, tous les intéressés ayant été au préalable détenus illégalement pendant plus d'une année à l'exception du dernier nommé.
  2. 6. Il est allégué également que trois dirigeants syndicaux appartenant au Congrès des syndicats d'Afrique du Sud, MM. Zolly Malindi, Bernard Huna et Elyah Loza, ont été mis au secret depuis décembre 1965 sans avoir été inculpés ni traduits en justice.
  3. 7. La question particulière de l'imposition d'amendes à cent quatre-vingt-treize travailleurs africains a été examinée précédemment par le Comité lorsqu'il a été saisi d'une plainte soumise par le Congrès des syndicats d'Afrique du Sud. A sa session de novembre 1965, le Comité a rappelé qu'il a toujours appliqué le principe que les allégations relatives au droit de grève n'échappent pas à sa compétence dans la mesure où il affecte l'exercice des droits syndicaux, et il a observé, ainsi qu'il l'avait déjà fait à de nombreuses occasions, que le droit de grève est généralement reconnu aux travailleurs et à leurs organisations en tant que moyen légitime de défense de leurs intérêts professionnels. Il a relevé également que le cas des cent quatre-vingt-treize travailleurs africains constitue un exemple de plus de l'application des dispositions législatives interdisant les grèves des travailleurs africains, qui a déjà été examinée par le Comité dans le cas no 102 relatif à l'Union sud-africaine. A cette occasion, le Comité a observé que si des restrictions temporaires ont été apportées au droit de grève des salariés visés par la loi sur la conciliation dans l'industrie et si la grève est totalement interdite par cette loi aux salariés occupés dans certains services essentiels, l'article 18 (1) de la loi sur le travail indigène (règlement des différends) interdit totalement les grèves des travailleurs africains, quelle que soit la nature de leur occupations. Il a estimé que, lorsque le droit de grève est reconnu aux travailleurs et à leurs organisations, il ne devrait exister aucune discrimination raciale quant aux bénéficiaires de ce droit, et il a recommandé au Conseil d'administration de noter qu'en Afrique du Sud l'existence d'une telle discrimination raciale en matière de droits syndicaux trouve une confirmation supplémentaire dans le fait que la nature et l'étendue des restrictions apportées au droit de grève présentent des différences importantes suivant qu'il s'agit d'employés couverts par la loi sur la conciliation dans l'industrie ou de travailleurs africains. Après avoir examiné les allégations relatives aux cas des cent quatre-vingt-treize travailleurs africains frappés d'une amende pour s'être mis en grève, le Comité a formulé une nouvelle fois cette recommandation au paragraphe 166 f) iii) de son quatre-vingt-cinquième rapport. Cette recommandation a été approuvée par le Conseil d'administration à sa 163ème session (novembre 1965) et a été communiquée au gouvernement de la République sud-africaine par une lettre en date du 26 novembre 1965.
  4. 8. Selon les plaignants, dix des grévistes mentionnés plus haut ont été condamnés en 1965 pour une infraction à la loi sur la suppression du communisme. Il ne ressort pas clairement de la plainte si le fait qu'ils s'étaient mis en grève en 1961 a constitué la raison essentielle pour laquelle ils ont été condamnés en 1965 pour avoir aidé à la réalisation des objectifs d'une organisation politique déclarée illégale en vertu de la loi. En ce qui concerne la question plus générale des conséquences de la loi sur la suppression du communisme sur l'exercice des droits syndicaux, examinée par le Comité dans le cas no 63 concernant ce qui était alors l'Union sud-africaine, le Comité a conclu ce qui suit:
    • Dans la mesure où la loi sud-africaine de 1950 a été promulguée, comme l'affirme le gouvernement, uniquement pour une raison politique, à savoir, celle d'interdire d'une manière générale aux communistes en tant que citoyens toute activité publique, le Comité estime qu'une question de politique nationale interne se pose, qui est hors de compétence et à l'égard de laquelle il doit donc s'abstenir d'exprimer une opinion quelconque. Mais, étant donné que des mesures d'une nature politique peuvent avoir des répercussions indirectes sur l'exercice des droits syndicaux, le Comité désire attirer l'attention du gouvernement de l'Union sud-africaine sur les vues qu'il a exprimées dans les cas précités [dans le cas no 5 (Inde), quatrième rapport, paragraphes 18-51, et le cas no 10 (Chili), quatrième rapport, paragraphes 52-881 relativement, d'une part, au principe de la liberté pour les travailleurs, sans distinction d'aucune sorte, de s'affilier au syndicat de leur choix, et, d'autre part, à l'importance d'une procédure judiciaire lorsque des mesures d'une nature politique peuvent avoir des répercussions indirectes sur l'exercice des droits syndicaux. En conséquence, il recommande au Conseil d'administration de communiquer les conclusions ci-dessus au gouvernement de l'Union sud-africaine.
  5. 9. Dans le cas présent il est également allégué qu'avant leur condamnation, neuf des dix travailleurs mentionnés ont été placés en détention préventive pendant plus d'un an et que trois dirigeants du Congrès des syndicats d'Afrique du Sud ont été détenus depuis décembre 1965 sans avoir été accusés ou jugés. La question de la détention préventive est une de celles que le Comité a été appelé à examiner dans un nombre considérable de cas, parmi lesquels figuraient plusieurs affaires concernant la République sud-africaine. Dans tous les cas, le Comité a toujours fait valoir que, lorsque des syndicalistes étaient placés en détention préventive, de telles mesures risquaient de constituer une ingérence dans l'exercice des droits syndicaux et il a insisté sur la nécessité que toute personne détenue soit jugée par une autorité judiciaire impartiale et indépendante dans les plus brefs délais possible. Dans les cas nos 300, 311 et 321 relatifs à la République sud-africaine, le Comité a recommandé au Conseil d'administration, au paragraphe 166 b) iii) de son quatre-vingt-cinquième rapport, d'attirer sur ces principes l'attention du gouvernement de la République sud-africaine. Cette recommandation a été approuvée par le Conseil d'administration à sa 163ème session (novembre 1965) et a été communiquée au gouvernement par une lettre en date du 26 novembre 1965.
  6. 10. Les questions de principe soulevées par la plainte dont le Comité se trouve saisi aujourd'hui ont donc fait l'objet de recommandations par le Conseil d'administration dans le cadre de cas précédents; toutefois, dans la présente affaire, une nouvelle question se pose en ce (lui concerne la compétence des organes de l'Organisation internationale du Travail pour traiter du problème.

B. B. Conclusions du comité

B. B. Conclusions du comité
  1. 11. La présente plainte a été reçue par l'O.I.T le 14 mars 1966. Le 11 mars 1966 le préavis donné par la République sud-africaine manifestant son intention de se retirer de l'Organisation internationale du Travail est venu à échéance. La République sud-africaine est demeurée Membre des Nations Unies.
  2. 12. En vertu des dispositions de la procédure d'examen des plaintes en violation de la liberté syndicale instituée par voie d'accord entre les Nations Unies et l'Organisation internationale du Travail, telle qu'elle est exposée dans la lettre du 19 janvier 1950 adressée par le Directeur général du B.I.T au Secrétaire général des Nations Unies, qui énonce le mandat envisagé de la Commission d'investigation et de conciliation en matière de liberté syndicale, mandat qui a été ultérieurement approuvé par le Conseil économique et social lorsqu'il a adopté la résolution no 277 (X) sur les droits syndicaux (liberté d'association), le 17 février 1950 à l'occasion de sa 10ème session, selon la procédure établie, donc, avant que le Conseil d'administration du B.I.T renvoie à la Commission d'investigation et de conciliation en matière de liberté syndicale une plainte déposée contre un Membre des Nations Unies non Membre de l'O.I.T, cette plainte devrait être renvoyée au Conseil économique et social pour examen. Dans la résolution no 277 (X) approuvant les dispositions prises et adoptée le 17 février 1950 par le Conseil économique et social, l'O.I.T a été invitée à renvoyer en premier lieu au Conseil économique et social toute plainte en violation de la liberté syndicale déposée contre un Membre des Nations Unies non Membre de l'O.I.T. Si le Conseil d'administration est saisi d'une telle plainte en violation de la liberté syndicale, il la renverra, avant d'en saisir la Commission, au Conseil économique et social pour examen. La procédure prévoit que le Secrétaire général des Nations Unies sollicitera le consentement du gouvernement intéressé avant tout examen de la plainte par le Conseil économique et social; faute du consentement du gouvernement, le Conseil économique et social examinera la situation créée par ce refus afin de prendre toute autre mesure appropriée de nature à protéger les droits relatifs à la liberté d'association mis en cause dans l'affaire.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 13. Dans ces conditions, le Comité recommande au Conseil d'administration:
    • a) de renvoyer au Conseil économique et social pour examen, conformément à la résolution no 277 (X) du 17 février 1950, la plainte déposée par la Fédération syndicale mondiale contre le gouvernement de la République sud-africaine, laquelle n'est plus Membre de l'O.I.T, plainte qui allègue que cent quatre-vingt-treize travailleurs africains ont été condamnés à une amende pour s'être mis en grève en violation des dispositions de la loi de 1953 sur la main-d'oeuvre indigène (règlement des différends), telle qu'amendée, qui interdit toute grève aux travailleurs africains; que plus de quatre ans après, dix de ces travailleurs ont été condamnés à quatre ans et demi de prison pour un délit punissable en vertu de la loi de 1950 sur la suppression du communisme, telle qu'amendée; qu'avant cette condamnation neuf des dix personnes intéressées avaient été maintenues en détention préventive pendant plus d'un an et que trois dirigeants du Congrès des syndicats d'Afrique du Sud avaient été maintenus en détention depuis le mois de décembre 1965 sans avoir fait l'objet d'une accusation et sans être passés en jugement;
    • b) d'informer le Conseil économique et social qu'ayant examiné des allégations du même ordre à l'occasion de cas antérieurs relatifs à la République sud-africaine, allégations qui avaient été formulées alors que la République sud-africaine était Membre de l'O.I.T, le Conseil d'administration avait communiqué au gouvernement les constatations et les recommandations suivantes:
    • i) lorsque le droit de grève est consenti aux travailleurs et à leurs organisations, il ne doit pas y avoir de discrimination raciale en ce qui concerne les personnes auxquelles ce droit est consenti; la nature et l'étendue des limitations apportées au droit de grève diffèrent considérablement selon qu'il s'agit de travailleurs couverts par la loi de 1956 sur la conciliation dans l'industrie ou de travailleurs africains;
    • ii) les travailleurs, sans distinction d'aucune sorte, devraient avoir le droit de s'affilier aux organisations de leur choix et une procédure régulière devrait être suivie dans les cas où des mesures de nature politique peuvent indirectement affecter l'exercice des droits syndicaux;
    • iii) la détention préventive de dirigeants syndicaux peut impliquer une grave ingérence dans l'exercice des droits syndicaux; toute personne détenue devrait être jugée, dans les plus brefs délais possible, par une autorité judiciaire impartiale et indépendante;
    • c) de noter que, conformément à la résolution du Conseil économique et social no 277 (X) du 17 février 1950, il appartient au Conseil économique et social de décider quelles autres mesures il entend prendre en la matière, en sollicitant le consentement du gouvernement de la République sud-africaine au renvoi du cas devant la Commission d'investigation et de conciliation en matière de liberté syndicale ou de toute autre manière.
      • Genève, 25 mai 1966. (Signé) Roberto AGO, président.
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