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Rapport définitif - Rapport No. 133, 1972

Cas no 603 (Mexique) - Date de la plainte: 11-JUIL.-69 - Clos

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  1. 58. Le comité a examiné la présente affaire pour la première fois à sa session de novembre 1970, à l'occasion de laquelle il a présenté un rapport intérimaire contenu aux paragraphes 58 à 73 de son 121e rapport, approuvé par le Conseil d'administration à sa 182", session (mars 1971). Le comité y avait demandé au gouvernement certaines informations complémentaires. Ces informations ayant été fournies, le comité a examiné de nouveau le cas à sa session de février 1972, à la suite de laquelle il a formulé ses conclusions définitives au Conseil d'administration. Ces conclusions, qui figurent aux paragraphes 74 à 85 du 129e rapport du comité, ont été approuvées par le Conseil à sa 185e session (février-mars 1972). Par une communication en date du 4 août 1972, le gouvernement a présenté des commentaires sur les conclusions du comité et du Conseil d'administration. Il y a donc lieu de réexaminer le cas.
  2. 59. Le Mexique a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948; il n'a pas ratifié, par contre, la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. A. Allégations des organisations plaignantes

A. A. Allégations des organisations plaignantes
  1. 60. A la suite de son dernier examen de l'affaire, le comité avait résumé cette dernière de la façon suivante. Le 3 juin 1969, le Syndicat des travailleurs de l'entreprise de mise en bouteilles du Nord SA était convenu avec la direction d'un délai de dix jours pour régler les problèmes que l'interprétation de certaines dispositions du contrat collectif en vigueur avait posés. Selon cet accord, le syndicat et la direction devaient s'efforcer, à l'expiration de cette période de dix jours, de résoudre définitivement lesdits problèmes. Le 16 juin 1969, c'est-à-dire peu de jours après l'expiration du délai, l'entreprise a congédié cent vingt et un travailleurs affiliés au syndicat, dont les membres du comité directeur (en alléguant qu'ils avaient fait une grève indue les 2 et 3 juin), mais en excluant de cette mesure quatre travailleurs qui s'étaient affiliés à un nouveau syndicat. Les congédiements ont été portés à la connaissance de la Commission centrale de conciliation et d'arbitrage le 17 juin. Ce même jour, le premier des syndicats mentionnés a présenté à la commission un cahier de revendications avec notification d'un préavis de grève à l'entreprise pour non-observation du contrat collectif et en raison des congédiements effectués. Le 17 juin également, une autre organisation, le Syndicat des travailleurs des établissements de mise en bouteilles d'eaux gazeuses et d'autres boissons similaires (CMT), a été enregistrée auprès de la commission et, le même jour, un contrat collectif passé entre le nouveau syndicat et l'entreprise a été déposé auprès de la commission.
  2. 61. Malgré cela, une audience de conciliation a eu lieu le 23 juin devant la commission entre le Syndicat des travailleurs de l'entreprise de mise en bouteilles du Nord SA et la direction, puis, le jour suivant, il a été procédé, par l'entremise de la commission, à un scrutin pour déterminer le nombre des travailleurs favorables à la grève, conformément aux dispositions de la loi, y compris ceux qui avaient été congédiés. Le même jour, la commission a pris une décision déclarant la grève inexistante; les motifs avancés à cet effet étaient que les travailleurs avaient été congédiés avant la présentation du cahier de revendications et la notification du préavis de grève; que, de ce fait, les intéressés n'étaient pas habilités à participer au vote et que, de la sorte, la majorité prévue par la loi n'avait pas été réunie.
  3. 62. Le syndicat susmentionné a formulé contre cette décision un recours d'amparo et l'amparo lui a été accordé. En effet, le juge a estimé que, pour divers motifs, les votes des travailleurs congédiés devaient être comptés et a décidé que la commission devrait se prononcer sur la légalité ou l'illégalité de la grève se fondant sur le résultat du scrutin avec la participation de ces travailleurs.
  4. 63. L'entreprise a demandé la révision de cette décision, demande qui a été examinée par le tribunal plénier de la huitième circonscription. Celui-ci a révoqué la décision prise lors du recours d'amparo, rendant ainsi effet à la décision originale par laquelle la grève avait été déclarée inexistante. Le tribunal a estimé, en particulier, que l'entreprise avait congédié les travailleurs membres du syndicat et résilié le contrat collectif avant la présentation du cahier de revendications et la notification du préavis de grève; que le syndicat n'était pas habilité à représenter de tels travailleurs; que l'on ne pouvait reconnaître la qualité de gréviste à des personnes qui n'étaient pas au service de l'entreprise, et que la grève qui avait été notifiée avait pour but l'application d'un contrat collectif d'ores et déjà résilié.
  5. 64. A sa session de février 1972, le comité a estimé qu'il lui appartenait d'examiner, en l'occurrence, non pas la législation et les décisions adoptées en ce qui concerne la légalité ou l'illégalité de la grève, mais bien l'aspect fondamental relatif au congédiement des travailleurs appartenant au Syndicat des travailleurs de l'entreprise de mise en bouteilles du Nord SA, afin de déterminer, compte tenu des éléments disponibles, si ladite mesure avait constitué une pratique déloyale de la part de l'entreprise, ainsi que les plaignants le faisaient valoir. A cet égard, le comité a rappelé le principe énoncé dans la convention no 98, selon lequel les travailleurs doivent bénéficier d'une protection adéquate contre tous actes de discrimination tendant à porter atteinte à la liberté syndicale en matière d'emploi, une telle protection devant notamment s'appliquer en ce qui concerne les actes qui ont pour but de congédier un travailleur ou qui sont de nature à lui porter préjudice par tous autres moyens en raison de son affiliation syndicale.
  6. 65. Le comité a constaté que l'entreprise avait signé avec le syndicat un accord provisoire, les parties étant convenues qu'elles s'efforceraient de résoudre définitivement les problèmes qui s'étaient posés. Au lieu de cela, l'entreprise a congédié tous les travailleurs membres du syndicat, sauf quatre qui s'étaient affiliés à une nouvelle organisation. Le motif allégué pour le congédiement a été la participation des intéressés à une grève indue, quand bien même celle-ci avait eu lieu plusieurs jours auparavant, c'est-à-dire au cours de la négociation sur l'accord provisoire qui avait mis fin temporairement au conflit. En outre, le lendemain des congédiements, l'entreprise a signé un contrat collectif avec un syndicat distinct, lequel s'est fait enregistrer auprès des autorités compétentes le même jour.
  7. 66. Le comité a estimé que tous ces faits faisaient apparaître de façon manifeste que les congédiements avaient eu pour cause l'affiliation syndicale des travailleurs intéressés, afin d'empêcher le syndicat qui les représentait de pouvoir défendre leurs intérêts par la négociation collective ou par le recours à la grève. De l'avis du comité, il s'agissait donc ici d'un acte typique de discrimination syndicale de la part de l'entreprise et le comité a regretté que les autorités n'aient pris ou n'aient pu prendre les mesures nécessaires pour protéger les travailleurs et le syndicat en cause.
  8. 67. Dans les commentaires présentés par le gouvernement sur les conclusions ci-dessus, celui-ci déclare que, dans un état de droit, où existe une législation protégeant les travailleurs, les mesures prises ou à prendre « doivent être conformes à l'attitude qu'auront adoptée les parties à l'égard des autorités du travail, de la justice ou de l'administration, pour obtenir la protection de leurs intérêts ».
  9. 68. En l'occurrence, poursuit le gouvernement, ce sont les autorités judiciaires qui ont été saisies, par présentation écrite d'un préavis de grève à la suite du congédiement des travailleurs, sans que les autorités du travail aient été jusque-là sollicitées d'intervenir. La commission d'arbitrage se trouvait donc au départ devant une situation irréversible, puisqu'il ne lui appartenait pas, en l'état de la cause, de se prononcer sur les congédiements.
  10. 69. La loi, déclare le gouvernement, confère à l'employeur (et au travailleur) la faculté de résilier unilatéralement les contrats de travail lorsqu'ils ont pour cela un motif valable; la résiliation reste effective tant que la réintégration n'aura pas été décidée par un tribunal ordinaire du travail devant lequel l'employeur n'aura pas pu démontrer le bien-fondé du congédiement.
  11. 70. Le gouvernement indique que les décisions de la commission et du tribunal de la huitième circonscription sont fondées sur les dispositions de la loi et sur les arguments présentés. De plus, ajoute le gouvernement, les tribunaux, en rendant leurs arrêts, ne se sont prononcés que sur l'existence ou l'inexistence de la grève. Ces décisions ne préjugent pas du bien-fondé des congédiements. Il n'est pas de la nature d'un jugement applicable à l'existence d'une grève de s'appliquer aussi au fond même du conflit. C'est d'ailleurs le point de vue qu'a adopté la Cour suprême de justice.
  12. 71. Comme il l'avait fait dans des communications antérieures, le gouvernement affirme que les parties contestantes ont joui de toutes les garanties offertes par la loi. Il ajoute que la conduite des autorités ne doit être jugée qu'à partir du moment où elles sont intervenues dans le conflit. « Le gouvernement ne saurait, en effet, être rendu responsable des agissements illégaux ou déloyaux dont aurait pu se rendre coupable une entreprise, surtout si ces agissements sont antérieurs au moment où les autorités ont eu connaissance du litige; dans le cas de la commission d'arbitrage, qui avait à se prononcer sur l'existence de la grève, on ne peut accuser le gouvernement ni de n'avoir pu empêcher les congédiements puisqu'ils avaient été prononcés avant son intervention, ni de les avoir entérinés, puisqu'il n'avait pas à traiter de cette question de fond, mais uniquement de la question accessoire, qui était de déterminer s'il y eut grève ou non. »
  13. 72. Aux yeux du gouvernement, regretter que les autorités n'aient pris ou n'aient pu prendre les mesures nécessaires (voir paragr. 66 ci-dessus) revient à insinuer que les autorités judiciaires auraient agi arbitrairement et non selon la loi, alors qu'elles ne pouvaient agir que dans les limites de leurs fonctions et des faits dont elles étaient saisies. Quant aux autorités administratives, déclare le gouvernement, elles ne peuvent, dans un régime de droit, faire autrement que se conformer aux décisions du pouvoir judiciaire, qui jouit au Mexique de l'indépendance indispensable à l'exercice de ses fonctions.
  14. 73. Dans le présent cas, poursuit le gouvernement, les tribunaux du travail et les tribunaux fédéraux, seuls interprètes de la loi au regard de la Constitution, ont décidé « qu'il ne pouvait pas être tenu compte des travailleurs congédiés dans l'examen d'une grève, et ont déclaré la grève inexistante. Ayant à connaître de la grève, ils ne se sont pas prononcés sur le bien ou le mal-fondé des renvois, qui n'entrent pas dans leur compétence. »
  15. 74. « C'est l'Etat seul - déclare le gouvernement - qui, globalement et dans le respect de la séparation constitutionnelle des pouvoirs, peut prendre et prend, en matière de liberté syndicale, les mesures que prévoient la loi et le droit. »
  16. 75. Indépendamment de la question de la grève, le gouvernement déclare que les travailleurs sont restés à tout moment sous la protection de la loi, puisque, parallèlement au droit de grève dont ils ont fait usage, ils ont présenté, individuellement ou collectivement, des revendications tendant à la réintégration de chacun d'eux dans ses fonctions antérieures avec maintien des droits acquis en matière d'ancienneté, de salaires, de paiement des heures supplémentaires, de cotisations d'épargne, d'usage des facilités et de congés payés, et avec paiement des salaires échus depuis le 16 juin 1969.
  17. 76. L'examen de ces revendications a été confié à l'organisme appelé Groupe spécial d'industrie no 2. Il est à noter, déclare le gouvernement, qu'à peine la plainte déposée et la procédure engagée les travailleurs ont commencé à se désister. C'est ainsi qu'entre le 30 juin 1969 et le 6 novembre 1970 quatre-vingt-quatre travailleurs s'étaient désistés sur les cent quatorze plaignants d'origine. En janvier 1970, l'avocat de la partie défendante a demandé que soit déclarée la caducité en ce qui concerne les trente travailleurs restants. Saisie du cas, la commission du travail a jugé cette demande recevable et a déclaré la caducité en ce qui concerne les travailleurs qui ne s'étaient pas désistés. La partie plaignante a attaqué cette décision, demandant qu'elle soit déclarée nulle. Cette demande a été rejetée et la partie plaignante a été avisée que sa réclamation serait à tous égards recevable par voie d'amparo, « ses droits lui étant ainsi conservés pour les faire valoir conformément à la loi ». Le gouvernement précise en terminant que les plaignants n'ont pas fait usage du recours qui leur était ouvert.

B. B. Conclusions du comité

B. B. Conclusions du comité
  1. 77. Le comité note que les commentaires du gouvernement portent sur deux grands points essentiels: la procédure suivie et les décisions rendues en ce qui concerne la légalité ou l'illégalité de la grève déclenchée; l'action intentée par les travailleurs lésés et le résultat de cette action.
  2. 78. En ce qui concerne le premier point, le comité a déjà dit estimer qu'il ne lui appartenait pas d'examiner la législation et les décisions adoptées en ce qui concerne la légalité ou l'illégalité de la grève (voir paragr. 64 ci-dessus).
  3. 79. En ce qui concerne le licenciement des travailleurs mis en cause dans la présente affaire, le gouvernement fait valoir que lesdits travailleurs ont bénéficié de la protection qu'accorde la loi en cas de congédiements abusifs et qu'ils ont, à l'origine du moins, fait usage des voies de recours qui leur étaient ouvertes pour obtenir réparation des torts qu'ils avaient subis. Que la majorité d'entre eux se soient par la suite désistés et que ceux restants n'aient pas utilisé jusqu'au bout les recours dont ils disposaient n'affecte pas le fait que ces voies de recours existent et qu'il est loisible à tous ceux qui se jugent lésés de les utiliser. Le comité n'entend pas prétendre que les procédures suivies ne l'aient pas été de façon régulière.
  4. 80. Il subsiste, cependant, que les licenciements qui ont été effectués ont frappé tous les travailleurs qui appartenaient au syndicat plaignant (sauf quatre qui ont rallié un autre syndicat) et que cette mesure globale a eu pour effet non seulement de priver de leur emploi les travailleurs intéressés en raison de leur affiliation syndicale mais de faire disparaître le syndicat lui-même, puisqu'il s'agissait d'un syndicat d'entreprise. Le comité note, en outre, que, dans la même journée, le 17 juin 1969, l'autorité compétente, à savoir la Commission centrale de conciliation et d'arbitrage, a à la fois pris officiellement connaissance du licenciement des travailleurs intéressés, enregistré le syndicat distinct qui venait de se créer et pris dépôt du nouveau contrat collectif conclu dans le même temps entre ledit syndicat et l'entreprise (voir paragr. 60 ci-dessus). La séquence des événements survenus oblige le comité à conclure qu'il y a eu, en l'espèce, du fait de l'entreprise, un cas typique de pratique déloyale et un acte caractérisé de discrimination antisyndicale dirigé à la fois contre des individus et contre l'organisation dont ils étaient membres.
  5. 81. Devant ces faits, qui ne sont pas contestés par le gouvernement, force est au comité de constater qu'il n'y a pas eu, en l'occurrence, « protection adéquate » contre les actes de discrimination antisyndicale. Ces actes ont eu l'effet d'avoir fait disparaître le syndicat lui-même, puisqu'il s'agissait d'un syndicat indépendant qui ne comprenait que des travailleurs de l'entreprise.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 82. Dans ces conditions, et afin d'éviter que des situations telles que celle qui est évoquée dans la présente affaire puissent se reproduire dans l'avenir, le comité, comme il l'avait fait à la suite de son dernier examen du cas, ne peut que recommander une fois encore au Conseil d'administration de prier le gouvernement de bien vouloir examiner les mesures qui pourraient être adoptées afin d'accorder une protection adéquate, conformément aux principes généralement reconnus en la matière, aux travailleurs ainsi qu'aux syndicats touchés par de tels actes de discrimination antisyndicale.
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