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Rapport définitif - Rapport No. 123, 1971

Cas no 614 (Pérou) - Date de la plainte: 19-NOV. -69 - Clos

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  1. 16. La Confédération des travailleurs du Pérou a transmis à l'OIT, par une communication adressée directement à celle-ci en date du 19 novembre 1969, une plainte de la Fédération péruvienne des employés de banque.
  2. 17. La plainte a été communiquée au gouvernement qui a été prié de présenter ses observations, ce qu'il a fait par une communication du 18 mars 1970. Après avoir examiné le cas à sa session de mai 1970, le comité a décidé de demander un complément d'informations au gouvernement pour pouvoir formuler ses conclusions. Ces informations ont été transmises au BIT le 1er décembre 1970.
  3. 18. Le Pérou a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, de même que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. A. Allégations des organisations plaignantes

A. A. Allégations des organisations plaignantes
  1. 19. Les plaignants allèguent que, durant la période de négociation et de règlement des dernières revendications collectives de la Fédération péruvienne des employés de banque, les autorités péruviennes compétentes en matière de travail ont pris des mesures affectant la négociation collective et allant à l'encontre des dispositions de la convention no 98.
  2. 20. Les plaignants commencent par décrire la procédure prévue par la législation péruvienne pour le règlement des revendications collectives des travailleurs en matière d'amélioration des conditions de travail. Cette procédure comporte trois étapes principales:
    • a) négociation directe entre les employeurs et les travailleurs;
    • b) en cas d'échec des négociations directes, les revendications sont discutées devant une commission de conciliation présidée par un fonctionnaire de l'autorité administrative du travail;
    • c) si les deux parties y consentent, les revendications peuvent être réglées par voie d'arbitrage, sinon elles seront réglées par l'administration du travail. De plus, un décret présidentiel en date du 4 juillet 1966 dispose que « les listes de revendications portant sur des augmentations de salaire et sur les conditions de travail pourront être présentées trente jours avant l'échéance du délai de maintien en vigueur, par convention ou disposition législative, de l'augmentation précédente. En pareil cas, les accords conclus entre les parties ne prendront effet qu'en fin de durée d'application des conventions en vigueur. »
  3. 21. Les plaignants déclarent que, dans le cas présent, c'est en se fondant sur le décret précité qu'ils ont soumis, le 20 mai 1969, aux banques du Pérou, leur liste de revendications collectives qui auraient dû être satisfaites le 1er juin de ladite année, étant donné que l'accord intervenu en ce qui concerne les revendications précédentes devait venir à expiration le 31 mai 1969.
  4. 22. Les plaignants allèguent, en outre, que leurs revendications n'ont pas été traitées conformément aux dispositions législatives en matière de négociation collective. C'est ainsi qu'à l'étape des négociations directes les banques ont adopté une attitude d'obstruction, entièrement incompatible avec leur obligation de coopérer en vue d'un règlement, en suggérant des bases d'accord. En outre, au cours de l'étape de conciliation, leur refus de discuter tous les points soulevés dans les revendications allait à l'encontre d'une décision de l'administration du travail du 23 juillet 1969 en vertu de laquelle « les parties doivent être informées que, au cours des négociations directes comme devant la commission administrative, tous les points des revendications doivent être discutés; et qu'il doit être tenu compte également du décret suprême de 1954 aux termes duquel les deux parties - notamment les employeurs - sont tenues de coopérer pour le règlement des revendications collectives ».
  5. 23. Les plaignants allèguent, de plus, que, d'une manière tout à fait incompatible avec sa politique visant à « soutenir et à encourager le principe de la négociation collective en tant que moyen le plus adéquat d'harmoniser les intérêts des employeurs et des travailleurs», l'administration du travail a coupé court, de façon arbitraire, à la procédure de la commission de conciliation, sous prétexte que celle-ci avait échoué, l'empêchant de cette façon d'aboutir à un résultat. En outre, lorsque, immédiatement après avoir arrêté la procédure de la commission de conciliation, l'administration du travail s'est prononcée à l'égard des revendications, elle l'a fait en décrétant une augmentation générale de 600 sols par mois, et ce pour une durée de dix-huit mois à dater du 1er juin 1969, et non d'un an comme le veut la coutume, conformément à ce qui a été convenu avec les banques depuis de nombreuses années et ratifié par les dispositions administratives, notamment la décision no 251 RT du 8 novembre 1966; ce texte énonce, au point 8, que « les avantages acquis en conclusion des accords antérieurs demeureront en vigueur dans la mesure où il n'en est pas fait mention dans la présente liste de revendications. Les banques qui octroient des avantages supérieurs à ceux qui y sont demandés, ou qui accordent des avantages au titre desdites revendications, ne pourront ni réduire ni supprimer de tels avantages. »
  6. 24. Les plaignants affirment par ailleurs qu'en fixant une période de dix-huit mois au lieu des douze mois prévus, conformément aux conventions collectives et à la coutume, l'administration du travail a agi au mépris des dispositions en matière de négociation collective de la convention no 98, des dispositions réglementaires et de sa propre pratique dans les affaires de ce genre.
  7. 25. Dans ses observations, le gouvernement indique que les allégations des plaignants sont dénuées de fondement étant donné que la décision de l'administration du travail en ce qui concerne la réclamation collective de la Fédération des employés de banque du Pérou a été prise conformément aux dispositions de fond et de forme en vigueur pour lesdites revendications. Selon le gouvernement, les conflits collectifs font l'objet d'une série de dispositions législatives (dont quelques-unes sont citées par les plaignants dans la seconde partie de leurs allégations) et que l'administration du travail a observées scrupuleusement. En particulier, les décrets suprêmes des 30 mai 1939 et 11 janvier 1942 énoncent que, lorsqu'une procédure de conciliation est en cours à la suite d'un conflit collectif ou de tout autre différend intéressant les travailleurs, les parties s'abstiendront de toute attitude propre à léser les intérêts des autres parties, ainsi que de tous actes illégaux tels que lock-out, grèves perlées, grèves, arrêts collectifs de travail, quel qu'en soit l'objet. Les employés de banque n'ont pas observé ces règlements et, à plusieurs reprises, ont interrompu leur travail; ce fait, comme il est de notoriété publique, a entravé le développement normal des activités bancaires du pays. En conséquence, l'autorité administrative du travail s'est vue contrainte de déclarer l'échec de la procédure de conciliation, conformément au décret suprême du 23 mars 1936. Le gouvernement poursuit en signalant qu'en vertu de ce décret l'administration du travail du Pérou est fondée à déclarer l'échec de la procédure de conciliation si le différend est de la nature précitée ou s'est produit de façon à rendre ladite procédure impossible.
  8. 26. En ce qui concerne l'allégation selon laquelle l'administration du travail n'était pas fondée à fixer la période d'attribution de la nouvelle augmentation à dix-huit mois au lieu des douze mois prévus, le gouvernement déclare que l'augmentation mensuelle de 600 sols correspond à une augmentation de quelque 11,2 pour cent par rapport au taux antérieur, alors que l'augmentation de l'indice du coût de la vie au cours de l'année écoulée n'a été que de 3,8 pour cent. Etant donné l'importance de l'augmentation, il a été jugé raisonnable et équitable de l'appliquer pendant une plus longue période que la durée normale de douze mois. En adoptant ce procédé, l'administration péruvienne du travail s'est comportée de façon absolument correcte étant donné qu'en renonçant à l'arbitrage et en acceptant la décision de l'administration du travail les parties sont tenues d'accepter ses recommandations comme le prévoit la décision suprême no 2 DS du 17 septembre 1957. L'intervention de l'administration du travail du Pérou dans l'affaire qui fait l'objet de la plainte est donc pleinement conforme aux dispositions législatives qui régissent, dans ce pays, l'examen et le règlement des conflits collectifs (notamment les dispositions de la convention no 98). En outre, ses décisions ont été prises en vertu des pouvoirs que lui confère le décret suprême no 36 DT du 31 août 1957.
  9. 27. Le comité note que le gouvernement n'a pas répondu aux allégations relatives à l'attitude des employeurs au cours de la procédure. En ce qui concerne le fait d'avoir arrêté la procédure de conciliation, le gouvernement se réfère à la législation nationale qui prévoit que, au cours de cette procédure, les deux parties s'abstiendront de toute action propre à léser les intérêts de l'autre partie; il signale que, dans le cas présent, les travailleurs, en recourant, de façon répétée, à des arrêts de travail, ont enfreint les dispositions de cette législation. De plus, le gouvernement fait allusion à certaines dispositions de la législation nationale aux termes desquelles l'administration péruvienne du travail est fondée à déclarer que la conciliation a échoué lorsque la nature du différend est telle que la procédure en question s'avère inopérante. Le gouvernement affirme que c'est en raison des arrêts de travail que l'administration précitée a mis fin à la procédure de conciliation. En ce qui concerne la décision de l'administration du travail d'accorder une augmentation de 600 sols par mois pour une période de six mois plus longue que la période établie par les conventions collectives précédentes, le gouvernement déclare que cette mesure était justifiée par l'importance considérable de l'augmentation par rapport à l'élévation du coût de la vie au cours de l'année écoulée.
  10. 28. Au sujet des allégations relatives à l'attitude adoptée par les employeurs durant les phases de négociation directe et de conciliation, le comité constate que la législation péruvienne prévoit que les employeurs sont tenus de collaborer au règlement des revendications collectives et de discuter tous les points qui y sont soulevés.
  11. 29. Le comité avait demandé au gouvernement de lui faire savoir, en tant qu'informations complémentaires, si les restrictions en matière de grève applicables durant la période de conciliation continuent à l'être après que l'administration du travail s'est prononcée en cas de conflit collectif. Dans sa réponse, le gouvernement signale qu'il n'existe pas de mesures restreignant le droit de grève. Cependant, il indique en outre que les mesures adoptées par l'administration du travail durant la procédure relative aux revendications collectives, afin d'éviter les comportements qui peuvent être préjudiciables à la partie adverse, ne subsistent que pour le cas où les travailleurs prolongeraient la situation de conflit quand bien même celui-ci aurait été résolu par ladite administration se substituant à l'arbitre. Il semblerait donc que les travailleurs ne peuvent recourir à la grève à l'appui de leurs revendications dès que l'administration du travail s'est prononcée sur les points en litige.
  12. 30. Cette conclusion se dégage également du décret no 009 de 1963 relatif au règlement des différends du travail, que le comité a examiné et selon lequel, en cas d'échec de la conciliation et si les parties ne se sont pas mises d'accord pour soumettre le différend à l'arbitrage, il appartient aux autorités compétentes en matière de travail, mentionnées dans ledit décret, de trancher la question.
  13. 31. Il ressort de ce qui précède qu'en vertu d'une disposition de la loi l'administration du travail devait nécessairement se prononcer sur les revendications de la Fédération péruvienne des employés de banque après l'échec de la conciliation et le non-recours à l'arbitrage volontaire. Cela revient à dire que la fédération n'aurait pu recourir à la grève durant la procédure de conciliation et, ainsi qu'on l'a vu plus haut, n'aurait pas non plus pu utiliser ce moyen après une décision prise par l'administration du travail au sujet desdites revendications.

B. B. Conclusions du comité

B. B. Conclusions du comité
  1. 32. Le comité a toujours appliqué le principe selon lequel les questions relatives au droit de grève n'échappent pas à sa compétence, dans la mesure où elles affectent l'exercice des droits syndicaux. En pareil cas, il a relevé que le droit de grève était généralement reconnu aux travailleurs et à leurs organisations en tant que moyen légitime de défense de leurs intérêts professionnels.
  2. 33. Pour ce qui est de la décision de l'administration du travail de mettre un terme à la conciliation à la suite des mesures d'arrêt de travail adoptées par les travailleurs au cours de la procédure de conciliation, le comité rappelle qu'à maintes reprises il a exprimé l'avis que, bien que le droit des travailleurs et de leurs organisations de déclencher une grève en tant que moyen légitime de défense de leurs intérêts professionnels soit généralement reconnu, ce droit peut être soumis à des restrictions temporaires comme, par exemple, l'interruption de la grève pendant une procédure de conciliation et d'arbitrage, à laquelle les parties peuvent prendre part à tout moment. Parallèlement, le comité a insisté sur le fait que, dans les cas où des restrictions de ce genre frappent l'exercice du droit de grève, la procédure de conciliation et d'arbitrage doit être « appropriée, impartiale et expéditive ».
  3. 34. En ce qui concerne le règlement obligatoire des conflits par décision ou par arbitrage de l'administration du travail, le comité rappelle que s'il a relevé, lors de cas antérieures, que les travailleurs devraient pouvoir compter, lorsque les grèves sont interdites ou soumises à des restrictions, sur une procédure de conciliation et d'arbitrage appropriée, impartiale et expéditive pour protéger leurs intérêts, il a également déclaré que ces principes visent non point la suppression absolue du droit de grève, mais l'interdiction de la grève dans les services essentiels ou dans la fonction publique, auquel cas il convient de prévoir des garanties adéquates pour protéger les intérêts des travailleurs.
  4. 35. Le comité constate qu'au Pérou l'arbitrage obligatoire, par les soins de l'administration du travail, lorsqu'un différend n'a pas été réglé par d'autres moyens, fait partie de la procédure générale appliquée en matière de conflits collectifs. Il estime que ce système peut avoir pour résultat de restreindre considérablement le droit des organisations de travailleurs d'organiser leurs activités et risque même d'imposer indirectement une interdiction absolue de la grève, contrairement aux principes généralement reconnus en matière de liberté syndicale.
  5. 36. Le comité prend note de la déclaration du gouvernement selon laquelle il n'existe pas de mesures restreignant le droit de grève, mais fait observer également qu'il y a des dispositions législatives qui paraissent avoir pour résultat d'annuler l'exercice légal dudit droit.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 37. Dans ces conditions, le comité recommande au Conseil d'administration:
    • a) d'appeler l'attention du gouvernement sur le fait que le système de règlement des différends collectifs établi par la loi peut avoir pour résultat de restreindre considérablement le droit des organisations de travailleurs d'organiser leurs activités, et risque même d'imposer indirectement une interdiction absolue de la grève, contrairement aux principes généralement reconnus en matière de liberté syndicale;
    • b) de rappeler le principe selon lequel le droit de grève peut être soumis à des restrictions temporaires comme, par exemple, l'interruption de la grève pendant une procédure de conciliation et d'arbitrage, procédure qui, toutefois, doit être appropriée, impartiale et expéditive et garantir à tout moment l'intervention de l'une ou de l'autre partie;
    • c) de signaler au gouvernement l'opportunité de réexaminer la législation afin d'éclaircir la situation juridique en la matière à la lumière des considérations antérieures, tout en maintenant la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations au courant de l'évolution de la situation.
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