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Rapport définitif - Rapport No. 128, 1972

Cas no 662 (Nicaragua) - Date de la plainte: 16-MARS -71 - Clos

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  1. 22. La plainte est contenue dans une communication du 16 mars 1971 adressée directement au Directeur général du BIT par la Fédération syndicale mondiale. Par une lettre du 30 mars 1971, elle a été portée à la connaissance du gouvernement pour qu'il présente ses observations, ce qu'il a fait dans une communication en date du 24 mai 1971, adressée au Directeur général du BIT.
  2. 23. Le Nicaragua a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, de même que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. A. Allégations des organisations plaignantes

A. A. Allégations des organisations plaignantes
  1. 24. Dans leur communication, les plaignants déclarent qu'ils désirent attirer l'attention sur les graves violations des droits syndicaux et des libertés syndicales qui ont été commises par la Garde nationale et les ministères du Travail et de l'Education à l'encontre de la « Federación sindical de maestros de Nicaragua » (FSMN) (Fédération des syndicats d'instituteurs du Nicaragua), qui a été fondée le 8 mars 1947 et a été enregistrée au ministère du Travail. Les plaignants signalent que la FSMN a été constituée conformément au Code du travail en vigueur à l'époque, lequel disposait que « cinq syndicats pourront se constituer en fédération » (art. 9). C'est ainsi que les syndicats d'instituteurs de Boaco, Chinandega, Jinotaga, Matagalpa et Managua formèrent la FSMN, qui a été dûment enregistrée.
  2. 25. Le 20 août 1969, poursuivent les plaignants, pendant une grève du corps enseignant, des groupes de travailleurs ont été envoyés à la « Maison des maîtres » à l'instigation de la Garde nationale pour en déloger les instituteurs, mais ils ont été bien vite repoussés par les étudiants et d'autres gens venus défendre les instituteurs.
  3. 26. En octobre 1969, ajoutent les plaignants, les autorités bloquèrent les fonds du Syndicat des instituteurs de Managua (170 000 cordobas) et les ministères du Travail et de l'Education créèrent des syndicats « jaunes ». En outre, ces ministères intervinrent directement dans l'élection de dirigeants des syndicats d'instituteurs, et des inspecteurs de l'instruction publique, des maires, des dirigeants politiques et des chefs de la police assistèrent aux réunions syndicales.
  4. 27. Les plaignants déclarent également qu'en décembre 1970 des agents du gouvernement se rendirent auprès de tous les instituteurs pour les obliger à appuyer le gouvernement et à s'affilier aux syndicats « jaunes ». Ils ajoutent qu'un refus risquait d'entraîner le déplacement ou la révocation de l'intéressé. Auparavant, soit le 14 octobre 1970, le gouvernement, devant une grève générale du corps enseignant à tous les niveaux, c'est-à-dire primaire, secondaire et universitaire (ce dernier pour soixante-douze heures en signe de solidarité), et des enseignants des écoles catholiques, avait décrété la fin de l'année scolaire avec six semaines d'avance.
  5. 28. Les plaignants signalent qu'avant que les enseignants aient recouru à la grève pour appuyer leurs revendications trois membres du comité exécutif de la FSMN, à savoir Leopoldo Montenegro Lara, président du Syndicat des instituteurs de Managua, Juan Alberto Enrique Oporta, secrétaire à la presse et à l'information du comité exécutif de la FSMN, et Mme Silvia Villagrasa Guttierez, secrétaire au compte rendu du même comité, avaient été incarcérés. Ces personnes étaient accusées d'appartenir à la FSLN (organisation clandestine qui lutte contre le gouvernement avec des moyens militaires). Le Bureau de la sécurité, après les avoir torturées et leur avoir arraché de fausses déclarations, les a mises à la disposition d'un juge qui, faute de pouvoir retenir un motif d'accusation valable à leur encontre, les a acquittées définitivement.
  6. 29. Le 27 novembre 1970, le ministère de l'Education a commencé à révoquer les instituteurs qui avaient pris part à la grève. Selon les plaignants, 160 d'entre eux ont déjà été révoqués, mais on craint que leur nombre n'atteigne 200.
  7. 30. Dans sa réponse, le gouvernement déclare que l'Etat a toujours suivi une politique visant à garantir l'existence et le progrès graduel du mouvement syndical et a accordé aux syndicats toutes facilités d'exercer librement leurs activités. Toutefois, certains syndicats nationaux ont mené des activités dans des domaines interdits par la loi, de sorte que, déclare le gouvernement, il était naturel que l'Etat intervienne pour réprimer ces actes.
  8. 31. Le gouvernement poursuit en déclarant que la Fédération des syndicats d'instituteurs du Nicaragua a admis que le corps enseignant était en grève le 20 août 1969, ce qui implique une violation flagrante de la législation nationale et un mépris complet de la Charte fondamentale du Nicaragua et des lois pénales. Ladite fédération s'est rendue coupable de plusieurs infractions à la loi et d'activités politiques. Ainsi, elle a enfreint les dispositions de l'article 300 de la Constitution, qui prévoit le licenciement des personnes qui participent à un arrêt concerté du travail dans les services publics ou dans les services ayant une importance vitale pour la société. Le gouvernement ajoute que la fédération a également enfreint l'article 2 c) du décret no 451, du 18 novembre 1959, qui interdit l'incitation à toute forme de grève illégale. Elle a aussi refusé délibérément de se conformer aux règles qui régissent la notification de l'intention de recourir à la grève lorsque celle-ci est autorisée par la loi, telles qu'elles sont fixées par les articles 302 et suivants du Code du travail. Le gouvernement relève que, conformément à l'article 227 du Code du travail, les grèves dans les services publics sont interdites et que tous les différends entre employeurs et travailleurs doivent être soumis aux tribunaux du travail en vue de leur règlement.
  9. 32. La fédération, ajoute le gouvernement, a également enfreint le règlement des associations syndicales, qui dispose que chaque syndicat doit fournir aux autorités du travail des informations sur les changements survenus dans la composition de son comité exécutif, sur ses affiliés, etc., et fixe certaines règles au sujet de la fédération de syndicats. A cet égard, le gouvernement affirme que la Fédération des syndicats d'instituteurs du Nicaragua est composée de syndicats de différents départements, ce qui est contraire aux dispositions de l'article 43 du règlement précité, qui prévoit que des syndicats de départements différents ne peuvent pas former une fédération.
  10. 33. Pour ce qui est de l'arrêt du travail décidé par les instituteurs, le gouvernement déclare que l'allégation des plaignants à cet égard constitue l'aveu d'une infraction à la loi. L'affaire a été soumise à la Cour suprême de justice, dont on attend la décision.
  11. 34. Le gouvernement nie que les fonds du Syndicat des instituteurs de Managua aient été bloqués ou saisis. Il précise que le ministère a contrôlé l'emploi des fonds en question afin de garantir qu'ils ne soient pas indûment utilisés. Cela à la suite d'une requête des membres dudit syndicat. Il déclare que le syndicat a toujours été libre de disposer de ces fonds et que, dans tous les cas, il est faux que ceux-ci se soient élevés à 170 000 cordobas, comme le soutiennent les plaignants. A cet égard, le gouvernement fournit notamment les copies d'une attestation du chef du Département des associations certifiant que des membres du Syndicat des instituteurs ont demandé que les fonds dudit syndicat fassent l'objet d'une vérification et de la décision prise à cet effet par le directeur du département, des copies de lettres envoyées par la Bank of America au chef du Département des associations au sujet du solde des comptes du syndicat et d'un certificat de la vérification pratiquée par les contrôleurs du ministère du Travail. Il ressort également de ces documents que le syndicat ne peut retirer aucune somme de ses comptes en banque sans l'autorisation du chef du Département des associations.

B. B. Conclusions du comité

B. B. Conclusions du comité
  1. 35. Le comité note que la plainte concerne essentiellement les mesures prises par le gouvernement avant, pendant et après un arrêt du travail du corps enseignant. Les principales allégations contenues dans la plainte ont trait à l'incarcération d'un certain nombre de dirigeants syndicaux, au droit du corps enseignant de déclencher une grève, au statut de la Fédération des syndicats d'instituteurs du Nicaragua, à la saisie de certains fonds syndicaux par les autorités et à des actes d'ingérence du gouvernement dans la création de nouveaux syndicats.
  2. 36. Le comité constate que la réponse du gouvernement ne fait pas état de l'allégation selon laquelle trois membres du comité exécutif de la Fédération des syndicats d'instituteurs du Nicaragua ont été incarcérés. Il remarque, d'autre part, que les plaignants déclarent que ces personnes étaient accusées d'appartenir à une organisation clandestine et qu'il n'a reçu aucune information montrant que cette accusation était liée d'une façon ou d'une autre aux activités syndicales des personnes en question. Quoi qu'il en soit, le comité constate que, selon les plaignants, lesdites personnes ont été relaxées après avoir passé en jugement; dans ces conditions, il considère que cet aspect du cas n'appelle pas un examen plus approfondi.
  3. 37. Pour ce qui est de la grève déclenchée par la Fédération des syndicats d'instituteurs du Nicaragua, le comité note que, d'après le gouvernement, elle constituait une infraction à la loi du fait qu'elle impliquait un arrêt du travail dans un service public (les écoles publiques). Il suppose que l'on peut considérer que la remarque du gouvernement selon laquelle les instituteurs n'ont pas observé la procédure qui doit être suivie normalement pour déclencher une grève s'applique aux enseignants des écoles catholiques.
  4. 38. Le comité a toujours considéré que les allégations relatives au droit de grève n'échappent pas à sa compétence dans la mesure où elles ont trait à l'exercice des droits syndicaux. Dans le cas des fonctionnaires publics, il a estimé que la reconnaissance du principe de la liberté d'association n'implique pas nécessairement celle du droit de grève z. Toutefois, quand il a examiné un certain nombre de cas où la législation nationale refusait le droit de grève aux fonctionnaires publics, le comité a souligné l'importance qu'il attache, lorsque les grèves dans les services essentiels ou la fonction publique sont interdites ou soumises à des restrictions, à l'existence de garanties adéquates destinées à sauvegarder les intérêts des travailleurs ainsi privés d'un moyen essentiel de défendre leurs intérêts professionnels, en indiquant que de telles restrictions devraient s'accompagner de procédures de conciliation et d'arbitrage appropriées, impartiales et expéditives aux diverses étapes desquelles les parties intéressées puissent participer et que les sentences rendues devraient, dans tous les cas, avoir force obligatoire pour les deux parties. Dans le présent cas, le comité constate que le droit de grève n'est pas reconnu aux fonctionnaires publics et que le recours à la grève leur est expressément interdit par l'article 227 du Code du travail. Il remarque que le même article prévoit cependant que les différends qui pourront se produire dans la fonction publique seront soumis aux tribunaux du travail en vue de leur règlement. En conséquence, le comité estime que, sur ce point, il n'a pas été porté atteinte aux droits syndicaux.
  5. 39. Pour ce qui est des enseignants qui ne sont pas employés par l'Etat, le droit de grève ne leur est pas refusé, mais la législation prévoit des procédures de conciliation et d'arbitrage qui doivent être épuisées avant qu'ils puissent l'exercer (art. 302 et suiv. du Code du travail). Dans un certain nombre de cas, le comité a constaté que des dispositions prévoyant une notification préalable à l'autorité administrative ainsi qu'une procédure obligatoire de conciliation et d'arbitrage avant le recours à la grève figuraient dans la législation ou la réglementation d'un nombre appréciable de pays, et il a estimé que des dispositions de ce genre, lorsqu'elles sont raisonnables, ne peuvent être considérées comme constituant une violation de la liberté syndicale Comme, dans le présent cas, l'arrêt du travail semble avoir été décidé sans que les procédures de conciliation et d'arbitrage aient été épuisées, le comité estime qu'il n'y a pas eu violation de la liberté syndicale.
  6. 40. En ce qui concerne la composition de la Fédération des syndicats d'instituteurs du Nicaragua, le comité note que la création des fédérations par des syndicats de départements différents est interdite par l'article 43 du règlement des associations syndicales. A son avis, cette disposition constitue une restriction au droit des organisations de travailleurs de former des fédérations et des confédérations tel qu'il est établi par l'article 5 de la convention no 87. A ce propos, le comité rappelle l'importance qu'il convient d'attacher au principe énoncé à l'article 2 de la convention no 87, selon lequel les travailleurs doivent avoir le droit de constituer des organisations de leur choix et de s'y affilier, principe qui implique, pour les organisations elles-mêmes, le droit de créer des fédérations et des confédérations de leur choix et celui de s'y affilier 5 (art. 5 et 6 de la convention). En conséquence, le comité considère que les conditions posées par la législation à la constitution de fédérations sont incompatibles avec ces normes, qui comprennent le droit des organisations syndicales de former des fédérations lorsqu'elles le jugent bon s.
  7. 41. Quant à l'allégation selon laquelle le ministère du Travail, faisant suite à une requête présentée par des affiliés, a procédé à la vérification et au blocage des fonds du Syndicat des instituteurs de Managua, le comité, dans un certain nombre de cas, a déclaré que les principes établis à l'article 3 de la convention no 87 n'interdisent pas le contrôle des décisions de gestion interne d'un syndicat lorsque celles-ci constituent une infraction à la loi; parallèlement, la législation nationale ne doit pas être de nature à porter atteinte aux principes de la liberté syndicale. Le comité a estimé aussi qu'il est de la plus haute importance que ce contrôle soit exercé par l'autorité judiciaire compétente, de façon à garantir l'impartialité et l'objectivité de la procédure. Le comité a rappelé également que des mesures de contrôle de la gestion des syndicats, même si on allègue qu'elles visent à protéger les membres du syndicat eux-mêmes contre une mauvaise gestion de leurs fonds, risquent, dans certains cas, de permettre une intervention des autorités publiques dans la gestion des syndicats et que cette intervention peut être de nature à limiter les droits des organisations ou à en entraver l'exercice légal, contrairement aux dispositions de la convention no 87. On peut considérer néanmoins qu'il existe certaines garanties contre de telles interventions lorsque le fonctionnaire chargé d'effectuer le contrôle jouit d'une certaine indépendance à l'égard des autorités administratives, et s'il est lui-même soumis au contrôle des autorités judiciaires. Dans le présent cas, le comité est d'avis que les mesures prises à propos des fonds du syndicat intéressé ne sont pas conformes à ces principes. En outre, il constate que, d'après les informations qui lui ont été fournies, le Syndicat des instituteurs de Managua est toujours dans l'impossibilité de faire des prélèvements sur ses comptes bancaires sans l'autorisation expresse du chef du Département des associations du ministère du Travail. Le comité considère que cette ingérence des autorités est contraire au droit des syndicats d'organiser leur gestion et leurs activités.
  8. 42. Le comité note également que le gouvernement n'a pas fourni d'informations au sujet de l'allégation relative à l'intervention des autorités dans des élections et des réunions des syndicats d'instituteurs et à la création de syndicats « jaunes » auxquels les instituteurs ont été obligés de s'affilier. A cet égard, le comité tient à souligner l'importance qu'il attache aux normes établies par l'article 11 de la convention no 87, aux termes duquel les gouvernements doivent prendre toutes mesures nécessaires et appropriées en vue d'assurer aux travailleurs et aux employeurs le libre exercice du droit syndical, et par l'article 3 de la même convention, qui prévoit que les autorités publiques doivent s'abstenir de toute intervention de nature à limiter le droit des organisations de travailleurs d'élire librement leurs représentants.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 43. Dans ces conditions, et en ce qui concerne le cas dans son ensemble, le comité recommande au Conseil d'administration:
    • a) de prendre note que les dirigeants syndicaux Leopoldo Montenegro Lara, Juan Alberto Enrique Oporta et Silvia Villagrasa Guttierez ont été relaxés après avoir passé en jugement, et de décider que cet aspect du cas n'appelle pas un examen plus approfondi de sa part;
    • b) pour ce qui est des allégations concernant le droit de grève des instituteurs, de décider, pour les raisons exposées aux paragraphes 38 et 39 ci-dessus, que cet aspect du cas n'appelle pas un examen plus approfondi de sa part;
    • c) pour ce qui est de la composition de la Fédération des syndicats d'instituteurs du Nicaragua, d'attirer l'attention du gouvernement sur le fait que la législation en vigueur est incompatible avec le droit des organisations syndicales de constituer des fédérations de leur choix;
    • d) pour ce qui est de l'allégation selon laquelle le ministère du Travail a placé sous contrôle les fonds du Syndicat des instituteurs de Managua, d'attirer l'attention du gouvernement sur le principe en vertu duquel le contrôle des décisions de gestion interne d'un syndicat doit être exercé par l'autorité judiciaire compétente ou par une personne qui jouit d'une certaine indépendance à l'égard des autorités administratives et qui est elle-même soumise au contrôle des autorités judiciaires, et de signaler que le fait que le Syndicat des instituteurs de Managua est toujours tenu d'obtenir une autorisation pour faire des prélèvements sur ses comptes bancaires est contraire au droit des syndicats d'organiser leur gestion et leurs activités;
    • e) pour ce qui est des allégations concernant l'intervention des autorités dans la création de nouveaux syndicats, d'attirer l'attention du gouvernement sur les dispositions de l'article 11 de la convention no 87 et sur le principe en vertu duquel les autorités publiques doivent s'abstenir de toute intervention de nature à limiter le droit des organisations de travailleurs d'élire librement leurs représentants;
    • f) de prier le gouvernement de bien vouloir réviser la législation sur les syndicats à la lumière des considérations qui précèdent, et d'attirer l'attention de la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations sur le présent cas.
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