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Rapport intérimaire - Rapport No. 138, 1973

Cas no 719 (Colombie) - Date de la plainte: 19-AOÛT -72 - Clos

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  1. 55. La plainte de la Fédération internationale des travailleurs du transport (FITT) figure dans les communications en date des 19 et 21 août 1972. La plainte du syndicat national des travailleurs d'AVIANCA (SINTRAVA), de l'Association colombienne dès mécaniciens de l'aviation (ACMA) et de l'Association du personnel de cabine (ACAV), est contenue dans une communication en date du 26 août 1972. Par une communication datée du 5 septembre 1972, la FITT a demandé que sa propre plainte et celle des organisations colombiennes susmentionnées soient considérées comme une seule et unique plainte. La FITT et le SINTRAVA ont envoyé des renseignements complémentaires les 9 et 23 avril 1973, respectivement.
  2. 56. A ce jour, le gouvernement a simplement envoyé, le 19 février 1973, ses observations sur les plaintes initiales des quatre organisations.
  3. 57. La Colombie n'a ratifié ni la convention no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ni la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. A. Allégations des organisations plaignantes

A. A. Allégations des organisations plaignantes
  1. 58. Les plaignants signalent qu'en date du 26 juin 1972, les organisations SINTRAVA, ACMA et ACAV ont présenté un cahier de pétitions à la Société de navigation aérienne colombienne (AVIANCA), laquelle a contre-attaqué en proposant la suppression de divers avantages acquis par les travailleurs grâce aux conventions collectives antérieures, ainsi que l'adoption d'un règlement intérieur préjudiciable aux travailleurs. AVIANCA aurait suivi une politique de persécution syndicale consistant à mettre à pied des dirigeants et d'autres travailleurs et serait demeurée intransigeante dans les négociations collectives, au point d'interrompre les conversations après treize séances, sans avoir accepté aucune des revendications du personnel. Celui-ci a alors décidé de ne plus faire d'heures supplémentaires jusqu'à ce que AVIANCA modifie son attitude et négocie de bonne foi.
  2. 59. Les plaignants poursuivent en disant que AVIANCA a accusé les travailleurs de sabotage, ce qui a incité le ministre du Travail à suspendre la personnalité juridique des trois organisations, sans procéder à une enquête préalable, et à bloquer les fonds syndicaux. Simultanément, la police a fait irruption sur les aérodromes et, de ce fait, le personnel a cessé toute activité avant de se retirer des lieux de travail. La société, pour sa part, a supprimé certains services de transport. Le 16 août 1972, le ministre du Travail a déclaré illégale la suspension partielle des activités, autorisant AVIANCA à licencier des dirigeants et des travailleurs. Au total, quatre cents personnes ont été congédiées, en plus de tous les dirigeants des trois organisations. Les plaignants concluent en disant que AVIANCA et le ministère du Travail s'efforcent de négocier avec les travailleurs de la société en qui ils ont pleinement confiance, et qui ont été expulsés du SINTRAVA pour mauvaise gestion dûment prouvée des fonds syndicaux et pour connivence avec les employeurs; que la police a empêché le personnel de se réunir; que AVIANCA a exercé toutes sortes de pressions morales et matérielles contre lui; que la loi colombienne n'autorise pas les employeurs à présenter des cahiers de revendications aux travailleurs.
  3. 60. Dans sa réponse, le gouvernement signale qu'après la dénonciation de la convention collective en vigueur par le SINTRAVA et par la société, des négociations ont eu lieu mais sans donner de résultats positifs. N'ayant pu parvenir à un accord, les trois organisations syndicales ont appliqué le "Plan tortue", entravant chaque jour la prestation d'un service public, le transport, la distribution du courrier par avion, etc., bien que la Constitution du pays interdise la grève dans les services publics et que l'article 430 du Code du travail la prohibe expressément dans les entreprises de transports terrestres, maritimes ou fluviaux et aériens. Le "Plan tortue" consiste à travailler moins et plus lentement en ralentissant volontairement les cadences. En son article 60, le code du travail interdit de ralentir intentionnellement le rythme du travail, d'interrompre les travaux, d'encourager des suspensions intempestives du travail ou de pousser à la proclamation ou à la prolongation desdites suspensions; en outre, selon l'article 62, le licenciement d'un travailleur ou la résolution du contrat de travail sont justifiés lorsque le motif en est l'insuffisance du rendement.
  4. 61. Le ministère du Travail, poursuit le gouvernement, est intervenu pour essayer de convaincre les dirigeants syndicaux que les travailleurs devaient s'acquitter de leurs obligations, afin de pouvoir entamer les négociations sur le cahier de revendications. Bien que les syndicats aient déclaré qu'il ne s'agissait pas d'un "Plan tortue", mais que les travailleurs avaient refusé de faire des heures supplémentaires, les représentants de ces organisations ont invité, dans un communiqué en date du 11 août 1972, tous les travailleurs d'AVIANCA à contribuer à la normalisation des opérations. En outre, la société dénonce certains faits graves qui mettaient en danger la vie des passagers et des équipages.
  5. 62. Dans le même temps, déclare le gouvernement, le chef de la Section du contrôle financier des syndicats au ministère du Travail a invité le secrétaire général du ministère à suspendre la personnalité juridique des trois organisations, car il avait été constaté, au cours d'inspections effectuées dans celles-ci, que de graves irrégularités avaient été commises dans la gestion des fonds syndicaux. Il se dégage des renseignements fournis par le gouvernement que les irrégularités constatées portaient sur différents exercices financiers. Dans le cas d'une des organisations, les derniers comptes présentés au ministère s'arrêtent en juin 1960, alors que la loi prévoit l'obligation de présenter des comptes tous les six mois. Etant donné ces irrégularités, le ministre a décidé, le 15 août 1972, de suspendre la personnalité juridique des trois syndicats.
  6. 63. A partir du 15 août 1972, les travailleurs ont déclenché un mouvement de grève, qui a été déclaré illégal par le ministère du Travail. En conséquence, la société était habilitée à congédier les membres du personnel qui s'obstinaient à ne pas reprendre leur service sans que les dirigeants syndicaux jouissent de la protection spéciale contre le licenciement. Etant donné que la grève avait été déclarée par les organisations syndicales, la personnalité juridique de chacune d'elles a été suspendue conformément à l'article 450 da Code du travail.
  7. 64. Le gouvernement poursuit en disant que le 29 août 1972, les présidents des trois syndicats ont prié le ministre du Travail de lever la suspension de la personnalité juridique et ont mis à la disposition du ministère tous leurs livres et documents comptables et se sont déclarés prêts à bloquer les fonds syndicaux pendant toute la durée de la révision, "afin de permettre aux autorités de contrôler leur administration et leur gestion". Le même jour, la suspension de la personnalité juridique des syndicats susmentionnés a été levée et, à la suite de plusieurs interventions des autorités compétentes, la procédure de conciliation a été entamée au sujet du cahier de revendications, laquelle a pris fin le 29 septembre 1972. Comme il n'avait pas été possible de parvenir à un accord, le ministère a convoqué un tribunal d'arbitrage conformément aux dispositions de la loi no 48 de 1968, qui dispose que seront soumis à l'arbitrage obligatoire les différends collectifs du travail qui se produiront dans les services publics et n'auront pu être tranchés par voie de règlement direct ou de conciliation. La sentence rendue par le tribunal a été publiée le 21 décembre 1972 et, à la demande des parties, le tribunal a fourni, le 2 février 1973, des éclaircissements sur le sens de plusieurs points de celle-ci.
  8. 65. Le gouvernement conclut en précisant, notamment, que AVIANCA est non pas une entreprise d'Etat mais une société anonyme privée, que le gouvernement n'a jamais essayé d'éliminer les syndicats impliqués mais qu'il a dû prendre certaines mesures car ceux-ci avaient violé les dispositions législatives et qu'enfin il n'y a pas eu de restriction au droit de grève, mais que la réglementation de ce droit a été modifiée afin d'éviter que la prestation d'un service public ne soit compromise.

B. B. Conclusions du comité

B. B. Conclusions du comité
  1. 66. Le comité déduit des informations disponibles que, dans ce cas, trois problèmes principaux se posent en matière de liberté syndicale; le contrôle des fonds syndicaux et leur blocage par les autorités administratives, la suspension de la personnalité juridique des syndicats par voie administrative et la restriction du droit de grève.
  2. 67. En ce qui concerne les fonds syndicaux, le comité a déjà fait observer auparavant qu'en général les syndicats semblent, admettre que les dispositions législatives prévoyant, par exemple, la présentation aux autorités compétentes de rapports financiers annuels rédigés dans la forme prescrite par la législation et la communication de renseignements supplémentaires sur les points que ces rapports n'éclairent pas ne portent pas atteinte, en elles-mêmes, à leur autonomie. Cependant, en ce qui concerne les autres mesures de contrôle de la gestion, telles que les expertises comptables et les enquêtes, le comité a estimé que ces dispositions ne devraient être appliquées que dans des cas exceptionnels, lorsque des circonstances graves le justifient (par exemple en cas d'irrégularités présumées découlant de la présentation des rapports financiers annuels ou de plaintes émanant de membres), et ce afin d'éviter toute discrimination entre les organisations et de parer au danger d'une intervention des autorités qui risquerait d'entraver l'exercice du droit qu'ont les syndicats d'organiser librement leur gestion, de porter préjudice aux syndicats par une publicité qui pourrait se révéler injustifiée et de divulguer des informations qui pourraient avoir un caractère confidentiel.
  3. 68. Dans le cas présent, les inspections de la comptabilité syndicale par les autorités administratives semblent avoir été liées directement à la participation des trois organisations au conflit collectif qui a eu lieu à la Société AVIANCA. En effet, il ressort des renseignements fournis par le gouvernement que plusieurs irrégularités vérifiées par le service compétent ont trait à des exercices financiers assez anciens et pourraient avoir justifié en l'occurrence l'adoption de certaines mesures en vertu de la législation.
  4. 69. Par ailleurs, et ceci nous conduit au deuxième problème signalé, à la suite de telles irrégularités, les autorités administratives ont décidé de suspendre la personnalité juridique des trois syndicats intéressés. Une telle mesure, ainsi que le comité l'avait signalé auparavant, n'est pas compatible avec le principe selon lequel les organisations syndicales ne sont pas sujettes à dissolution ou à suspension par voie administrative. Cette observation s'applique également à la décision selon laquelle les autorités administratives ont confirmé la suspension de la personnalité juridique des syndicats, en vertu de l'article 450 du Code du travail, pour avoir jugé illégale la grève déclarée à la Société AVIANCA.
  5. 70. Le comité estime que si les autorités administratives s'étaient rendu compte, dans les circonstances décrites au paragraphe 13, que certaines irrégularités avaient été commises dans la gestion des fonds syndicaux, elles devraient en informer les autorités judiciaires afin que celles-ci examinent le cas et appliquent les sanctions qui se justifieraient éventuellement en vertu de la législation. En effet, non seulement pour garantir une procédure impartiale et objective et pour assurer les droits de défense (qui ne peuvent être garantis pleinement que par une procédure judiciaire régulière), mais aussi pour éviter que les mesures adoptées par les autorités administratives ne paraissent arbitraires, il importe que le contrôle des activités internes d'un syndicat et l'adoption de mesures de suspension ou de dissolution demeure entre les mains des autorités judiciaires.
  6. 71. En ce qui concerne les indications relatives au droit de grève, le comité a toujours affirmé que celles-ci n'échappent pas à sa compétence dans la mesure où elles mettent en cause l'exercice des droits syndicaux. Le comité a également considéré que ce droit constituait l'un des moyens essentiels dont disposent les travailleurs et leurs organisations de promouvoir et de défendre leurs intérêts professionnels. Dans le cas présent, les travailleurs intéressés n'ont pas joui du droit de grève, étant donné que la législation les considère comme appartenant à un service public n'admettant pas le recours à la grève et dans lequel les conflits collectifs doivent être résolus par l'arbitrage obligatoire.
  7. 72. Bien que le comité ait signalé maintes fois que dans des cas où les grèves dans les services essentiels ou la fonction publique sont interdites ou sujettes à des restrictions, ces restrictions devraient être accompagnées de procédures de conciliation et d'arbitrage appropriées, impartiales et expéditives, le Comité a également été d'avis que ce principe risquerait de perdre tout son sens au cas où il s'agirait de déclarer illégale une grève dans les entreprises qui ne fournissent pas un service essentiel au sens strict du terme.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 73. Dans ces conditions, en ce qui concerne le cas dans son ensemble, le comité recommande au Conseil d'administration:
    • a) de noter que le différend collectif qui a eu lieu dans la Société de navigation aérienne colombienne (AVIANCA) a été réglé;
    • b) d'appeler l'attention du gouvernement sur les principes et les considérations qui figurent aux paragraphes 67, 69, 70, 71 et 72 et, en particulier:
    • i) en ce qui concerne certaines mesures de contrôle administratif des finances syndicales, telles que les expertises comptables et les enquêtes, que ces dispositions ne devraient être appliquées que dans des cas exceptionnels, lorsque des circonstances graves le justifient (par exemple en cas d'irrégularités présumées découlant de la présentation des rapports financiers annuels ou de plaintes émanant de membres), et ce afin d'éviter toute discrimination entre les organisations et de parer au danger d'une intervention démesurée des autorités qui risquerait d'entraver le droit qu'ont les syndicats d'organiser librement leur gestion, de porter préjudice aux syndicats par une publicité qui pourrait se révéler injustifiée et de divulguer des informations qui pourraient avoir un caractère confidentiel;
    • ii) en ce qui concerne la suspension de la personnalité juridique des organisations syndicales SINTRAVA, ACMA et ACAV, qu'une telle mesure n'est pas compatible avec le principe selon lequel les organisations syndicales ne sont pas sujettes à dissolution ou à suspension par voie administrative;
    • c) de prendre note du présent rapport intérimaire, étant entendu que le Comité fera de nouveau rapport au Conseil d'administration lorsqu'il aura reçu les observations du gouvernement relatives aux informations complémentaires envoyées par les plaignants.
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