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Rapport définitif - Rapport No. 143, 1974

Cas no 734 (Colombie) - Date de la plainte: 15-DÉC. -72 - Clos

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  1. 45. La plainte de la Confédération syndicale des travailleurs de Colombie est contenue dans une communication datée du 15 décembre 1972; les plaignants ont fourni des informations complémentaires dans une lettre datée du 8 février 1973. Ces communications ont été transmises au gouvernement, qui y a répondu par une communication datée du 31 octobre 1973.
  2. 46. La Colombie n'a ratifié ni la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ni la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociations collective, 1949.

A. Allégations relatives à l'octroi de la personnalité juridique

A. Allégations relatives à l'octroi de la personnalité juridique
  1. 47. Les plaignants allèguent que l'octroi de la personnalité juridique à de nouvelles organisations syndicales est sujet à de longs retards et que ces retards constituent en réalité une tentative visant à supprimer la liberté syndicale en Colombie. Les membres fondateurs d'une organisation de travailleurs sont protégés par la loi contre tout congédiement ou autre mesure discriminatoire prise par leurs employeurs pendant une période de six mois, à l'expiration de laquelle cette protection prend fin. En repoussant la décision d'octroyer la personnalité juridique à une date postérieure à la période de six mois, le ministère, selon les plaignants, donne la possibilité à l'employeur de licencier, tout à fait légalement, les personnes visées. C'est ce qui se serait passé, notamment, à l'usine Cremalleras y Mallas, où trente travailleurs, membres fondateurs d'un syndicat, ont été licenciés après avoir attendu six mois l'octroi de la personnalité juridique à leur organisation.
  2. 48. Les plaignants prétendent, notamment, que la Fédération nationale des ouvriers sur métaux (FENTRAMETAL) a été créée en octobre 1969 par seize syndicats, qui tous avaient été reconnus par les autorités. La Fédération a fait les démarches nécessaires pour acquérir la personnalité juridique; après avoir fait attendre sa réponse pendant dix mois, le ministère du Travail et de la Sécurité sociale a demandé certains renseignements complémentaires, pour refuser ensuite d'accorder la personnalité juridique à la Fédération. Cette dernière s'est reconstituée les 10 et 11 octobre 1971 et a déposé à nouveau les dossiers nécessaires auprès du ministère du Travail en date du 19 octobre de la même année. Le ministère n'a encore pris aucune décision, positive ou négative, au sujet de cette deuxième requête, bien que les plaignants invoquent les articles 366 et 423 du Code du travail colombien, qui prévoient que ces demandes doivent être acceptées ou rejetées dans les quinze jours qui suivent la date de présentation au ministère.
  3. 49. Le gouvernement réplique que, d'une manière générale, il donne suite sans retard aux demandes de reconnaissance de la personnalité juridique - d'ailleurs 144 de ces demandes ont été acceptées en 1973. Dans un petit nombre de cas, déclare-t-il, les délais prévus par la loi ont été dépassés, le retard étant dû à des erreurs qui s'étaient glissées dans les dossiers, qu'il a fallu par conséquent renvoyer aux syndicats intéressés pour rectification. Le gouvernement reconnaît qu'il existe des cas comme celui de l'entreprise Cremalleras y Mallas mais qu'ils peuvent être réglés conformément à la législation du travail en vigueur dans le pays.
  4. 50. En ce qui concerne la demande de reconnaissance de FENTRAMETAL, le gouvernement rétorque que la demande initiale d'octroi de la personnalité juridique a été rejetée en raison du fait que certaines dispositions du Code du travail n'avaient pas été respectées. Le gouvernement joint à sa communication copie de l'arrêté du ministère du Travail et de la Sécurité sociale en la matière. Il ressort de cet arrêté que la personnalité juridique a été refusée pour les raisons suivantes:
    • a) les directeurs et certains membres des comités centraux ont omis d'envoyer des certificats établis par leurs employeurs conformément aux dispositions de l'alinéa c) de l'article 422 du Code du travail (attestant que la personne est employée dans la branche d'activité ou l'entreprise dans laquelle agira le syndicat);
    • b) il y a eu violation de l'article 8 du décret no 2655 (1954), en ce sens que le Syndicat des travailleurs de l'industrie métallurgique d'Antioquia aurait dû nommer trois délégués au Congrès constitutif de la Fédération et qu'en réalité il n'en aurait nommé que deux. De même le Syndicat des travailleurs de l'industrie de l'aluminium d'Atlantico n'a élu que trois délégués au lieu de quatre;
    • c) en application de l'article 9 du même décret, les délégués au Congrès constitutif de la Fédération nationale des ouvriers sur métaux doivent être détenteurs d'un certificat, délivré par leur syndicat, attestant leur qualité de membres du syndicat respectant toutes leurs obligations. Les délégués au Congrès constitutif de la Fédération nationale des ouvriers sur métaux ne remplissaient pas cette condition;
    • d) les dossiers soumis en vue de l'enregistrement ne contiennent ni les adresses des syndicats fondateurs ni les pièces d'identité des membres du comité directeur provisoire;
    • e) les documents indiquent que la Centrale syndicale des travailleurs de l'industrie métallurgique et autres branches connexes, qui a été l'un des syndicats fondateurs de la Fédération proposée, a été reconnue le 6 novembre 1968. En fait, la reconnaissance officielle a été obtenue le 5 novembre 1968;
    • f) les documents indiquent que le Syndicat des travailleurs de l'industrie métallurgique, qui a été également l'un des syndicats fondateurs, a été enregistré le 27 mai 1969, alors que la date exacte est le 20 mai 1969;
    • g) en ce qui concerne le Syndicat des travailleurs de l'industrie de l'aluminium d'Atlantico, autre membre fondateur de la Fédération, il est dit que son enregistrement a été publié dans le Journal officiel no 22.527 de décembre 1957. A vrai dire, ce numéro date de novembre 1957;
    • h) enfin, il y aurait quelque confusion en ce qui concerne le nom de la nouvelle Fédération: dans le mémoire présenté au Département du travail et de la sécurité sociale de Cundinamarca, la Fédération est désignée sous le nom de "Fédération des travailleurs de l'industrie métallurgique", tandis que, dans les documents soumis en vue de l'enregistrement, elle porte le nom de "Fédération nationale des ouvriers sur métaux (FENTRAMETAL)".
  5. 51. Le présent cas est lié au principe selon lequel les organisations de travailleurs ont le droit de se constituer en fédérations et en confédérations ou d'adhérer à de telles fédérations ou confédérations, ainsi qu'au principe qui veut que l'acquisition de la personnalité juridique, par les organisations de travailleurs, leurs fédérations et leurs confédérations ne peut être subordonnée à des conditions de nature à limiter ce droit. Le comité rappelle, à cet égard, ce qu'il a déjà affirmé dans un des premiers cas dont il a été saisi, savoir que les formalités prescrites par les lois et règlements nationaux en ce qui concerne la constitution et le fonctionnement des organisations de travailleurs sont compatibles avec les dispositions de la convention no 87, à condition que les dispositions en question ne soient pas en contradiction avec les garanties prévues dans cet instrument.
  6. 52. Il semble que le ministère fonde sa décision de ne pas accorder la personnalité juridique à la Fédération sur le fait que certaines formalités n'ont pas été remplies. Le comité note cependant que plusieurs de ces "violations" sont d'une importance tout à fait minime, notamment les erreurs de date d'enregistrement qui auraient sûrement pu être rectifiées rapidement.
  7. 53. Quant à l'objection selon laquelle certains dirigeants ou responsables ont négligé d'envoyer des certificats où leurs employeurs auraient attesté qu'ils travaillent dans la branche d'activité visée, le comité rappelle qu'il a déjà signalé que les dispositions de l'article 422 du Code du travail exigeant que tous les dirigeants de syndicat exercent depuis plus d'un an la profession au moment où ils sont élus ne sont pas en harmonie avec l'article 3 de la convention qui reconnaît aux organisations de travailleurs le droit d'élire librement leurs représentants.
  8. 54. Le comité note que la deuxième demande de reconnaissance de la personnalité juridique présentée par la FENTRAMETAL est pendante depuis deux bonnes années.
  9. 55. Au sujet de cette question en général, le comité rappelle que le principe de la liberté syndicale risquerait très souvent de rester lettre morte si les travailleurs et les employeurs devaient, pour pouvoir constituer une organisation, obtenir une autorisation quelconque. Il peut s'agir, soit d'une autorisation visant directement la création de l'organisation syndicale elle-même, soit encore d'une autorisation dont l'obtention est nécessaire avant la création de cette organisation. Il n'en reste pas moins que les fondateurs d'un syndicat doivent observer les prescriptions de publicité et les autres dispositions analogues qui peuvent être en vigueur en vertu d'une législation déterminée. Toutefois, ces prescriptions ne doivent pas équivaloir en pratique à une autorisation préalable, ni s'opposer à tel point à la création d'une organisation qu'elles puissent constituer en fait une interdiction pure et simple.
  10. 56. Par conséquent, le comité recommande au conseil d'administration d'appeler l'attention du gouvernement sur les principes et considérations exposés au paragraphe ci-dessus et d'exprimer l'espoir que le gouvernement se prononcera définitivement, aussitôt que possible, au sujet de la seconde demande de reconnaissance de la personnalité juridique présentée par la Fédération nationale des ouvriers sur métaux.
    • Allégations relatives à la liberté de réunion
  11. 57. Les plaignants allèguent que l'état de siège qui règne en Colombie depuis plus de vingt ans pour ainsi dire sans interruption a eu pour effet de réduire considérablement les activités syndicales. Le décret-loi no 672 du 22 mars 1956 prévoit que la tenue d'assemblées syndicales est soumise à un préavis de cinq jours, communiqué au commandant de brigade (autorité militaire) et à l'inspecteur du travail. Les autorités auraient considéré cette modalité non pas comme une notification mais comme une demande d'autorisation. Le commandant refuse souvent de donner son visa, de telle sorte que la réunion n'est pas autorisée et que, si elle a lieu, elle est illégale.
  12. 58. Le gouvernement répond que le décret 276 du 3 mars 1971 dispose que les autorités militaires et politiques doivent décider s'il est possible d'organiser des réunions syndicales sans compromettre l'ordre public.
  13. 59. Le comité rappelle que le droit des syndicats de se réunir librement dans leurs propres locaux, sans qu'il soit nécessaire d'obtenir une autorisation préalable et sans ingérence des autorités publiques, est un élément fondamental de la liberté syndicale. Les réunions et manifestations publiques constituent également un droit syndical important, même si c'est au gouvernement, dont la charge est de sauvegarder l'ordre public, qu'il appartient de déterminer, dans l'exercice de ses pouvoirs en matière de sécurité, si, dans des circonstances particulières, des réunions, y compris des réunions syndicales, peuvent mettre en danger l'ordre et la sécurité publics et de prendre les mesures préventives nécessaires. Toutefois, il ne faut pas que l'autorisation de tenir ces réunions et manifestations soit arbitrairement refusée.
  14. 60. Le comité recommande au Conseil d'administration d'appeler l'attention du gouvernement sur les principes exposés ci-dessus et d'exprimer l'espoir que les autorités compétentes ne refuseront pas arbitrairement d'accorder l'autorisation de tenir des réunions syndicales.
    • Allégations relatives à la tentative d'entraver les négociations collectives
  15. 61. Les plaignants prétendent en outre que le droit d'organisation et celui de négociation collective ont pour ainsi dire cessé d'exister en Colombie par suite de l'application d'une "doctrine", établie par le ministère du Travail et de la Sécurité sociale, selon laquelle les employeurs ont légalement le droit de présenter directement à leurs travailleurs des propositions en vue de conclure des "accords" (pactos colectivos). Ces "accords" sont prétendument imposés aux travailleurs non syndiqués, au moyen de menaces. Leurs conditions peuvent différer complètement de celles d'une convention collective (convención colectiva) existant pour l'unité en cause. Les plaignants prétendent que les fonctionnaires du ministère du Travail ont affirmé que là où il y a "accord", il ne peut pas y avoir de convention collective mais qu'en revanche, l'existence d'une convention collective n'empêche pas la négociation d"'accords". La situation des syndicats en matière de négociation se trouve ainsi gravement compromise.
  16. 62. Le gouvernement affirme qu'il est inexact de dire que le droit de négociation collective n'existe plus en Colombie et signale que 554 conventions collectives ont été déposées auprès du ministère en 1973. Il précise que le ministère du Travail ne s'est nullement employé à lancer des "doctrines" telles que celles que les plaignants mentionnent; ce qui s'est passé en réalité, c'est que la Cour suprême a rendu un arrêt conformément auquel les employeurs désireux de dénoncer une convention collective peuvent présenter des propositions en vue de conclure une nouvelle convention collective. En outre, le gouvernement nie que le ministère du Travail applique une politique visant à encourager les "accords". Ceux-ci sont autorisés par le Code du travail et le ministère applique simplement la loi telle qu'elle a été adoptée.
  17. 63. Le comité souhaite rappeler que la convention no 98 invite (à l'article 4) les gouvernements à adopter des mesures propres à encourager et à promouvoir le développement et l'utilisation les plus larges de procédures de négociation volontaire entre les employeurs et les organisations d'employeurs, d'une part, et les organisations de travailleurs, d'autre part, en vue de régler par ce moyen les conditions d'emploi. Aux termes de l'alinéa 1) du paragraphe 2 de la recommandation (no 91) sur les conventions collectives, 1951, on entend par convention collective tout accord conclu entre, d'une part, un employeur, un groupe d'employeurs ou une ou plusieurs organisations d'employeurs, et, d'autre part, une ou plusieurs organisations représentatives de travailleurs, ou, "en l'absence de telles organisations, les représentants des travailleurs". Le comité a fait observer dans le passé que les instruments internationaux mentionnés ci-dessus mettent en évidence le rôle des organisations de travailleurs, qui est celui de parties à une négociation collective; la recommandation no 91, en particulier, ne mentionne les représentants des travailleurs non organisés qu'en cas d'absence de telles organisations. Dans ces conditions, le comité estime qu'une négociation directe conduite entre l'entreprise et son personnel sans qu'il soit tenu compte des organisations représentatives existantes, peut, dans certains cas, être contraire au principe selon lequel il faut encourager et promouvoir la négociation collective entre les employeurs et les organisations de travailleurs.
  18. 64. En ce qui concerne la possibilité pour les employeurs de présenter, conformément à la législation, des cahiers contenant leurs propositions aux fins de négociation collective, le comité estime que si ces propositions sont destinées simplement à servir de base à la négociation volontaire à laquelle se réfère la convention no 98, cela ne doit pas être considéré comme une violation des principes applicables en la matière.
  19. 65. Le comité recommande donc au Conseil d'administration d'appeler l'attention du gouvernement sur les considérations et sur les principes exposés ci-dessus, en particulier sur le danger que peut représenter la négociation d"'accords" ("pactos collectivos"), qui ne tiennent pas compte des organisations de travailleurs existantes, pour l'évolution normale de la négociation collective en Colombie.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 66. Dans ces conditions et pour ce qui est du cas dans son ensemble, le comité recommande au Conseil d'administration:
    • a) en ce qui concerne la tenue de réunions syndicales, d'attirer l'attention du gouvernement sur les principes exposés au paragraphe 59 ci-dessus et d'exprimer l'espoir que les autorités compétentes ne refuseront pas arbitrairement d'autoriser la tenue de réunions syndicales;
    • b) en ce qui concerne la tentative d'entraver la négociation collective, d'attirer l'attention du gouvernement sur les considérations et principes exposés aux paragraphes 63 et 64 ci-dessus et, plus particulièrement, sur le danger que peut représenter la négociation d "accords" ("pactos collectivos"), qui ne tiennent pas compte des organisations existantes, pour l'évolution normale de la négociation collective en Colombie;
    • c) en ce qui concerne les allégations relatives à la reconnaissance de la personnalité juridique des organisations syndicales:
    • i) d'attirer l'attention du gouvernement sur les considérations et principes exposés aux paragraphes 52 à 55 ci-dessus et d'exprimer l'espoir que le gouvernement se prononcera définitivement, aussitôt que possible, au sujet de la seconde demande de reconnaissance de la personnalité juridique présentée par la Fédération nationale des ouvriers sur métaux;
    • ii) d'inviter le gouvernement, conformément à la procédure définie au paragraphe 25 du 127e rapport du comité, à faire connaître, avant la session de novembre 1974 du Comité, les mesures prises à ce sujet.
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