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Rapport définitif - Rapport No. 150, Novembre 1975

Cas no 758 (Costa Rica) - Date de la plainte: 13-AOÛT -73 - Clos

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  1. 25. La plainte de la Confédération costaricienne des travailleurs démocratiques (CCTD) figure dans une communication du 13 août 1973; celle du Syndicat professionnel des travailleurs de l'électricité et des télécommunications (SITET), dans une lettre du 15 mars 1974. Le SITET a envoyé des informations complémentaires le 23 avril 1974. Le gouvernement a fait parvenir ses observations par des lettres du 5 novembre et du 10 décembre 1974.
  2. 26. Le Costa Rica a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. A. Allégations des organisations plaignantes

A. A. Allégations des organisations plaignantes
  1. 27. La CCTD déclare que lors de la 58e session de la conférence internationale du Travail (1973), le délégué travailleur du Costa Rica avait accusé son gouvernement de se livrer à des persécutions syndicales et que le délégué gouvernemental avait pris l'engagement que son gouvernement (y compris les institutions autonomes) n'exercerait aucunes représailles à l'encontre des dirigeants syndicaux et ne les persécuterait pas. Contrairement à cette promesse, poursuit le plaignant, l'Institut costaricien d'électricité (ICE), organisme autonome dont les directeurs sont nommés par le gouvernement et qui compte un ministre délégué du gouvernement central, a congédié des membres du SITET et entamé des poursuites pénales contre M. Guido Núñez Roman, Secrétaire général de cette organisation l'accusant d'avoir fait usage du droit de grève, engagé la négociation d'une convention collective et exercé des pressions syndicales à cette fin.
  2. 28. Le SITET indique, dans sa lettre du 15 mars 1974, que, depuis son inscription auprès de l'administration compétente, il a dû supporter de fortes pressions de la part de l'ICE. Une enquête menée par une commission spéciale de l'assemblée législative révéla, ajoute-t-il, le bien-fondé de cette accusation; un député demanda alors qu'on inclût, parmi les conditions requises pour l'octroi d'un prêt par la Banque interaméricaine de développement, l'immunité (fuero) syndicale et l'obligation de négocier une convention collective. Les administrateurs de VICE s'engagèrent alors à modifier leur politique à l'égard du syndicat.
  3. 29. Se fondant sur cette promesse, poursuit ce plaignant, le SITET présenta en avril 1971 un projet de convention collective, mais un mois plus tard l'institut patronnait la transformation d'une association de crédit créée en son sein en un syndicat dénommé ASDEICE et lui accorda toutes sortes de privilèges (bureau meublé, employé, véhicule avec chauffeur, budget pour la publication d'un bulletin mensuel, etc.). Ce syndicat, sous la coupe des employeurs, continue ce plaignant, présenta également un projet de convention collective. Face à ces deux projets, VICE déclara que les deux organisations devaient d'abord s'entendre, sachant très bien que le syndicat fantoche n'accepterait pas de le faire. En effet, le projet de convention ne donna aucun résultat. De nouvelles pressions furent exercées sur les travailleurs pour qu'ils quittent le SITET et si l'autre syndicat tomba, selon le plaignant, aux mains des communistes, cela ne changea pas l'attitude de l'ICE en sa faveur; certains de ses membres bénéficièrent même de promotions.
  4. 30. Le SITET présenta alors une plainte au ministre. Le directeur de l'institut ayant déclaré que le différend devait être soumis aux tribunaux du travail, ajoute le plaignant, ce dernier engagea la procédure propre aux conflits collectifs de caractère économique et social. Les parties furent convoquées en conciliation, mais l'institut refusa de négocier. Le SITET demanda alors un arbitrage obligatoire, mais cela lui fut refusé; en vertu de la loi portant création de cet organisme, l'institut n'est pas, en effet, tenu de s'y soumettre. Devant cette situation, les travailleurs décidèrent de se mettre en grève, bien que cette action fût illégale puisque VICE est un service public. L'employeur licencia alors huit travailleurs qui comptaient tous dix-sept années de service, non pas pour leur participation à la grève, mais pour des actes délictueux qu'ils auraient commis au préjudice de l'entreprise. Le plaignant demanda au ministère du Travail d'enquêter sur ces accusations injustes et l'enquête prouva que ces allégations étaient sans fondement, mais les travailleurs ne furent pas réintégrés. A la suite de la grève également, le Secrétaire général du SITET, Guido Núñez Roman, les autres membres du conseil exécutif du syndicat, ainsi que les travailleurs congédiés, furent accusés d'incitation à l'abandon collectif du travail, délit prévu par l'article 334 du Code pénal; leur procès est au stade de l'instruction.
  5. 31. Depuis lors, poursuit le SITET, la situation n'a fait qu'empirer et les pressions contre le syndicat se sont faites plus fortes; des travailleurs sont congédiés sous n'importe quel motif sans recevoir les indemnités légales. La direction a créé un groupe dit "de sauvegarde de VICE" dont tous les chefs de service sont membres et qui se rend dans tous les centres de travail pour pousser les travailleurs à quitter le syndicat. D'après le SITET, on va même jusqu'à rédiger leur lettre de démission. Cette campagne aurait permis à la direction d'enlever 1.100 membres au syndicat. Alors que, selon les statuts du syndicat, le travailleur désireux de quitter celui-ci, doit en avertir le conseil exécutif et que ce dernier donne alors des instructions pour que la cotisation syndicale ne soit plus retenue sur son salaire, l'ICE utilise, aux dires du plaignant, d'autres méthodes. Il arrive que le SITET soit informé par le service des traitements qu'un travailleur quitte le syndicat et que sa cotisation ne sera plus retenue sur son salaire; le syndicat ne reçoit alors d'autres informations que celles que l'ICE lui envoie. Il arrive aussi que le travailleur envoie sa lettre de démission au chef du personnel, qui donne des instructions pour que cesse la retenue de la cotisation syndicale et qui envoie au syndicat avec la lettre du travailleur une copie de ses instructions au Service des traitements. Parfois, enfin, le travailleur s'adresse directement au Service des traitements qui raye le démissionnaire de ses listes. Selon le SITET, les procédures normales sont utilisées pour ce qui est de l'autre syndicat; on ne raye pas les travailleurs des listes, mais on les force à rester membres de cette organisation. Le SITET précise qu'il a dénoncé ces pratiques au ministère du Travail, mais qu'il n'a eu connaissance d'aucune démarche entreprise à cet égard.
  6. 32. La seconde communication du SITET se réfère à une autre pratique du même ordre: le chef du personnel aurait suspendu la retenue des cotisations syndicales de certains travailleurs, alors que le syndicat s'était borné à lui demander la suspension des contributions pour amortissement de crédit à un organisme dépendant du syndicat.
  7. 33. Le gouvernement a répondu par deux communications datées des 5 novembre et 10 décembre 1974. A propos du licenciement de huit grévistes, il souligne que l'action déclenchée à l'ICE, qui est un service public, était illégale et se réfère à cet égard à l'article 61 de la Constitution et aux articles 364, 366, 368 et 369 du Code du travail. L'article 368 interdit, en particulier, la grève dans les services publics et confie les différends qui pourraient y surgir aux tribunaux du travail. L'article 369 qualifie notamment de services publics tous ceux qui sont assurés par les travailleurs de l'Etat ou de ses institutions lorsque les activités de l'Etat ou de ses institutions n'ont pas le caractère d'activités exercées également par des entreprises privées à but lucratif.
  8. 34. Le gouvernement communique une copie de la décision du tribunal du travail (et de celle du tribunal supérieur du travail la confirmant), qui constate que les négociations ont été rompues à la suite de la menace de grève et qui déclare cette grève illégale. Celle-ci constituait, dès lors, poursuit le gouvernement, un juste motif de licenciement en vertu de l'article 370 du Code du travail. LICE parut accepter, à la suite de conversations engagées en vue de rétablir la paix sociale, de ne pas congédier de travailleurs pour le simple fait d'avoir participé à la grève et de ne renvoyer que les grévistes qui avaient porté préjudice à l'entreprise par des actes punis pénalement. Sur la base de ce compromis implicite, et à la demande du syndicat, le ministère du Travail enquêta sur la responsabilité pénale des travailleurs licenciés: sept sur huit n'avaient participé à aucun acte délictueux, mais l'institut les congédia malgré tout, ce qui était légalement son droit.
  9. 35. Au sujet des poursuites pénales engagées contre le Secrétaire général du SITET, le gouvernement déclare que l'ICE porta plainte sur la base des articles 251, 254 et 334 du code pénal. Ces articles sont ainsi conçus:
  10. "251. - Sera passible des peines prévues à l'article 255, augmentées d'un tiers, quiconque aura mis en danger la sécurité publique:
  11. 1) en portant atteinte aux usines, ouvrages et installations utilisés pour la production ou le transport d'énergie électrique ou de matières énergétiques;
  12. 2) en portant atteinte à la sécurité d'un moyen quelconque de télécommunication;
  13. 3) en entravant la réparation des dommages subis par les usines, ouvrages ou installations mentionnés à l'alinéa 1 ou au rétablissement des communications interrompues.
    • La peine sera de trois à huit ans d'emprisonnement si les actes ont provoqué une catastrophe.
    • Les faits prévus au présent article seront passibles de la peine prévue à l'article 246 lorsqu'ils auront été commis pour empêcher ou gêner les travaux de défense ou de sauvetage après une catastrophe."
  14. "254. - Sera puni d'un emprisonnement de six mois à deux ans quiconque sans créer un état de danger public, aura empêché, entravé ou gêné le fonctionnement normal des transports par terre, par voie d'eau ou par air, ou les services publics de communications ou de fourniture d'énergie."
  15. "334. - Sera puni d'un emprisonnement de six mois à deux ans et de soixante à cent vingt jours d'amende calculée en pourcentage du revenu quiconque aura incité des fonctionnaires ou des employés des services publics à abandonner collectivement leur travail."
  16. 36. Le gouvernement précise que 19. Núñez Róman n'a jamais été incarcéré. Le magistrat instructeur a prononcé une ordonnance "d'emprisonnement et de mise en jugement", mais l'inculpé est en liberté en attendant de passer en jugement; le procès n'est pas terminé. Au cours de la procédure, les défenseurs de l'inculpé ont introduit un recours devant la Cour suprême de justice, pour inconstitutionnalité de l'article 334 du Code pénal, mais ce recours a été rejeté. L'Assemblée législative est, d'autre part, saisie d'un projet d'abrogation de l'article 334 du Code pénal, qui a fait l'objet d'un avis de majorité favorable à la Commission des affaires sociales de l'assemblée.
  17. 37. Le gouvernement confirme, par ailleurs, l'existence d'un groupe dit "de sauvegarde de l'ICE", mais dément que ce groupement exerce des pressions sur les travailleurs pour qu'ils quittent le syndicat. Le gouvernement joint à ses observations une volumineuse documentation qui contient, notamment, le compte rendu d'une enquête menée par l'inspection du travail à propos des allégations de pratiques antisyndicales. D'après ce document, le "groupe de sauvegarde de l'ICE" visait à apporter la tranquillité au personnel de l'institut à un moment où l'autre syndicat, l'ASDEICE, préparait une grève de solidarité avec les grévistes licenciés du SITET. Vingt-cinq travailleurs interrogés avaient déclaré aux enquêteurs avoir quitté le SITET sans avoir subi de pression de la part de ce groupement. Selon les enquêteurs, on n'a pas pu prouver que des membres de ce groupement avaient rédigé certaines lettres de démission dont il est question; la plupart de celles-ci furent écrites par les responsables des bureaux dans les divers lieux de travail, dans tous les cas à la demande expresse des intéressés. Le gouvernement communique, en annexe, le texte des déclarations des travailleurs interrogés. Parmi les raisons invoquées pour ces démissions, on y trouve notamment le désaccord sur le déclenchement de la grève et le besoin de consacrer à d'autres dépenses l'argent des cotisations syndicales.
  18. 38. Le document ajoute que 198 travailleurs quittèrent le syndicat entre le 1er juin 1973 et le 31 mai 1974. Dans quelques cas, le travailleur communiqua par écrit sa décision au syndicat; parfois, le travailleur demanda à l'employeur de ne plus retenir la cotisation syndicale sur son salaire parce qu'il quittait le syndicat; il est arrivé aussi que les travailleurs envoient une démission collective à l'employeur, de la même manière; le plus souvent, le Département du personnel reçut des intéressés une copie de leur lettre de démission envoyée au syndicat et, dans ces cas, l'employeur n'a pas vérifié si le syndicat avait effectivement reçu l'original. Le rapport en question conclut que la procédure suivie par l'ICE pour rayer le nom des travailleurs démissionnaires de ses listes établies pour la retenue de la cotisation syndicale est une affaire interne puisque le Département du personnel, mis au courant de la démission par un des moyens précités, demande au Service des traitements de cesser de retenir la cotisation syndicale sur le salaire de l'ancien syndiqué.

B. B. Conclusions du comité

B. B. Conclusions du comité
  1. 39. L'affaire porte donc essentiellement sur la grève déclenchée par le SITET à l'Institut costaricien d'électricité, ainsi que sur certaines pratiques antisyndicales qui se seraient produites dans cet organisme.
  2. 40. La comité note que les relations entre l'ICE et le SITET étaient très tendues depuis la création de ce syndicat et que ce dernier se plaignait de pressions exercées sur ses membres pour qu'ils abandonnent le syndicat ainsi que du concours apporté par l'institut à la création et aux activités d'un syndicat concurrent. Le comité note également que la grève fut déclenchée après l'échec des négociations et que, selon le plaignant, l'ICE aurait refusé de soumettre le conflit à l'arbitrage obligatoire, comme l'aurait permis la loi portant création de cet organisme. La grève était illégale puisque l'ICE est classé parmi les services publics où toute grève est interdite (articles 368 et 369 du Code du travail). Selon l'employeur, le licenciement de huit grévistes était dû, non pas à leur participation à cette action, mais aux actes préjudiciables à l'entreprise et faisant l'objet de sanctions pénales auxquels ils se seraient livrés. Le comité observe cependant qu'une enquête effectuée par le ministère du Travail a révélé que sept de ces huit travailleurs licenciés n'avaient commis aucun délit pénal. La décision de les congédier a été néanmoins maintenue.
  3. 41. Se fondant sur le principe que les allégations relatives au droit de grève n'échappent pas à sa compétence dans la mesure où elles affectent l'exercice des droits syndicaux, le Comité a signalé à de nombreuses reprises, notamment dans des cas relatifs au Costa Rica, que si l'on peut admettre que le droit de grève fasse l'objet de restrictions dans la fonction publique et les services essentiels, il devrait alors exister des garanties adéquates destinées à sauvegarder les intérêts des travailleurs ainsi privés d'un moyen essentiel de promouvoir leurs intérêts professionnels et que ces restrictions doivent s'accompagner de procédures de conciliation et d'arbitrage appropriées, impartiales et expéditives aux différentes étapes desquelles les intéressés devraient pouvoir participer. Dans le cas présent, la grève a été déclenchée dès la rupture des négociations. Toutefois si, comme l'affirme le SITET, l'arbitrage pouvait être refusé par l'ICE, conformément aux dispositions d'une loi spéciale, les travailleurs de cette institution seraient privés, non seulement du droit de grève, mais aussi des autres garanties mentionnées pour sauvegarder leurs intérêts professionnels, ce qui est contraire au principe énoncé ci-dessus.
  4. 42. En ce qui concerne les allégations relatives à des pratiques antisyndicales, l'enquête effectuée par l'inspection du travail révèle que vingt-cinq travailleurs interrogés ont déclaré avoir quitté le SITET sans avoir subi de pressions de la part du groupement dit "de sauvegarde de l'ICE", mais parce qu'ils n'étaient pas d'accord sur le déclenchement de la grève, parce qu'ils avaient besoin de l'argent des cotisations syndicales ou pour d'autres raisons. Le Comité considère cependant qu'il est assez étrange que, dans de nombreux cas, des syndiqués désireux d'abandonner le syndicat se soient adressés, à cette fin, en premier lieu et parfois exclusivement, à l'employeur, que des syndiqués envoient une démission collective et que souvent les lettres de démission aient été rédigées par des chefs de bureau à la demande des travailleurs intéressés. Il estime que si le groupement "de sauvegarde de l'ICE" avait été inspiré par la direction pour inciter les travailleurs à quitter le syndicat, cela mettrait en cause les principes de la liberté syndicale.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 43. Dans ces conditions, et pour ce qui est du cas dans son ensemble, le comité recommande au Conseil d'administration:
    • a) au sujet des allégations relatives à des pratiques antisyndicales, d'appeler l'attention sur les considérations exprimées au paragraphe 42;
    • b) au sujet des allégations relatives à la grève, de souligner l'importance qu'il attache au principe selon lequel il devrait exister, lorsque le droit de grève est interdit dans les services essentiels, des garanties adéquates destinées à sauvegarder les intérêts des travailleurs ainsi privés d'un moyen essentiel de promouvoir leurs intérêts professionnels et que ces restrictions devraient s'accompagner, dans tous les cas, de procédures de conciliation et d'arbitrage appropriées, impartiales et expéditives aux différentes étapes desquelles les intéressés devraient pouvoir participer.
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