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- 307. La Confédération générale des travailleurs du Pérou (CGTP), la Centrale latino-américaine de travailleurs (CLAT) et la Confédération mondiale du travail (CMT) ont présenté des plaintes en violation des droits syndicaux au Pérou dans des communications respectivement en date des 31 janvier, 3 février et 11 février 1977.
- 308. Les textes de ces communications ont été transmis au gouvernement qui a adressé ses observations dans une communication du 15 septembre 1977.
- 309. Le Pérou a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.
A. A. Allégations des organisations plaignantes
A. A. Allégations des organisations plaignantes
- 310. Dans sa plainte, la Confédération générale des travailleurs du Pérou allègue que le secrétaire à l'organisation de la Fédération des travailleurs de l'industrie métallurgique du Pérou, Julián Sierra Corrales, a été exilé à Panama le 27 décembre 1976. Cette mesure a été prise après que ce dirigeant syndical eut été emprisonné pendant plus de cent jours sous l'accusation, fausse et arbitraire selon la CGTP, d'atteinte à "l'accroissement de la production". Cette accusation, portée par l'employeur, n'a fait l'objet d'aucune procédure d'ordre administratif ou judiciaire.
- 311. Pour sa part, la CLAT, au nom de ses filiales, la Confédération latino-américaine des travailleurs des télécommunications et la Fédération unique des travailleurs des télécommunications et des postes du Pérou (PUTT), déclare dans sa plainte que les travailleurs péruviens traversent une situation difficile et que les droits fondamentaux consacrés par les lois nationales et les conventions internationales sont violés.
- 312. La CLAT explique que, le 25 juin 1976, la FUTT a présenté au ministère des Transports et des Communications un cahier de revendications minimales. Après d'infructueuses démarches, les travailleurs décidèrent de faire grève le 17 décembre 1976 pour vingt-quatre heures. Une très forte répression s'ensuivit, au cours de laquelle se produisirent des arrestations de dirigeants et de leurs épouses, des perquisitions de domiciles et des outrages et abus envers des parents.
- 313. Ceci obligea la FUTT, poursuit la CLAT, à déclarer la grève générale illimitée. Le Directeur général des communications s'engagea à reprendre le dialogue et à chercher un accord si les travailleurs reprenaient le travail le 27 décembre 1976. La situation redevint alors normale. Pourtant, non seulement on refusa un accord mais, en outre, il fut procédé arbitrairement au licenciement de tous les dirigeants syndicaux et de nombreux travailleurs des télécommunications. A l'appui de ses déclarations, la CLAT joint divers documents, en particulier des listes de personnes (dirigeants syndicaux et parents) arrêtées, dont neuf étaient encore détenues; un bulletin de santé du secrétaire à l'organisation de la FUTT attestant que, pendant sa détention, ce dernier souffrait de douleurs lombaires et des membres inférieurs; des bulletins de la Direction des postes et télégraphes concernant l'interdiction de réunions sur les lieux de travail et de l'octroi d'autorisations d'absences; une liste de soixante-quatorze personnes licenciées en raison de la grève (il est précisé sur cette liste que le total des personnes congédiées est de l'ordre d'une centaine).
- 314. Enfin, la CLAT se réfère à la résolution suprême no 000777 TC/CO du 5 janvier 1977 - dont elle fournit le texte - qui annule l'inscription de diverses organisations: l'Association des télégraphistes et radio-télégraphistes péruviens, l'Association nationale des facteurs et auxiliaires des postes du Pérou, la Société des employés des postes du Pérou et l'Association des chauffeurs des postes et télégraphes du Pérou. L'exposé des motifs de cette résolution rappelle qu'en vertu de l'article 49 de la loi no 11377, les associations de travailleurs du secteur public ne peuvent adopter une organisation et des modalités d'action propres aux syndicats, ni exercer des contraintes dans leurs revendications ou recourir à la grève. Il est ensuite indiqué que, malgré ces dispositions de la loi, les associations visées ont constitué une "Fédération unique des travailleurs des télécommunications et des postes". Elles ont en outre, poursuit la résolution suprême, mené une intense activité d'agitation au sein de la Direction des postes et télégraphes et ont incité les travailleurs à la paralysie d'un service public, ce qui constitue des délits affectant la sécurité de l'Etat. De ce fait, la résolution déclare que ces associations ont perdu droit à la reconnaissance officielle et dispose l'annulation de leur inscription dans les registres officiels.
- 315. La CMT formule dans sa communication des allégations identiques à celles présentées par la CLAT.
- 316. Dans sa réponse, le gouvernement précise que la situation à laquelle se sont référées la CLAT et la CMT concerne uniquement les travailleurs de la Direction des postes et télégraphes et non ceux des autres services publics du secteur des télécommunications. Le gouvernement indique également qu'au sein de cette direction, il n'existe pas d'organisations syndicales officiellement reconnues. En effet, conformément à l'article 49 de la loi no 11377 du 29 mai 1950, les travailleurs des organismes publics dépendant du gouvernement central peuvent s'associer à des fins culturelles, sportives, coopératives ou d'assistance. Les travailleurs de la Direction des postes et télégraphes s'étaient ainsi regroupés dans des organisations civiles officiellement reconnues.
- 317. Ces associations, qui n'ont pas la qualité de syndicats, ont, selon le gouvernement, commis depuis 1971 des actes qui les situent en dehors de leur statut légal. En 1974, elles se regroupèrent sous le nom de "Front unique des travailleurs des télécommunications et des postes". A la suite d'un congrès, elles constituèrent en 1975 la "Fédération unique des travailleurs des télécommunications et des postes" et organisèrent des arrêts de travail dans les services publics des postes et télécommunications. Ainsi, en juin 1975, une grève de quinze jours fut déclenchée sans que soit pris en considération le grave préjudice qui était porté à la collectivité. Ces faits étaient, selon le gouvernement, illégaux car les associations en question exerçaient des activités interdites dans le cadre de leur statut légal. En outre, il s'agissait de délits qui entraînèrent l'ouverture de procès pénaux devant la Cour de justice militaire, conformément à l'article 144 du décret-loi no 19020 (loi générale des télécommunications) qui qualifie ces arrêts de travail de sabotages. Pourtant, poursuit le gouvernement, les travailleurs de la Direction des postes et télégraphes impliqués dans ces actions pénales bénéficièrent de mesures d'amnistie.
- 318. Pour ce qui est plus particulièrement des faits mentionnés par les plaignants, le gouvernement confirme que le 25 juin 1976 la Fédération unique des travailleurs des télécommunications et des postes présenta un cahier de revendications minimales. Ce cahier comportait, selon le gouvernement, des revendications incompatibles avec le régime appliqué aux travailleurs publics du gouvernement central. Le ministère des Transports et des Communications déclara alors que ce cahier ne pouvait être négocié. Toutefois, en vue de maintenir le dialogue à tous les niveaux, le Directeur des postes et télégraphes indiqua, par lettre du 7 octobre 1976, aux présidents des associations que seraient satisfaites les revendications concernant certaines questions, à savoir l'octroi de bourses, la nationalisation du travail, l'assurance-vie, la formation et la reconnaissance du temps de service. Au sujet des salaires, il fut indiqué que ce point serait examiné en son temps conformément à la politique de rémunération que le gouvernement établirait pour le secteur public dans le prochain budget.
- 319. Entre le 1er et le 10 décembre 1976, les autorités supérieures du ministère des Transports et des Communications maintinrent le contact et le dialogue avec les présidents des quatre associations en vue de chercher une solution, mais l'intransigeance des travailleurs entrava les négociations. Le Directeur supérieur du ministère indiqua aux représentants des organisations que les revendications économiques étaient subordonnées aux lois relatives au budget et aux rémunérations de l'exercice 1977. Cette position fut exposée aux travailleurs par le ministre personnellement le 10 décembre 1976.
- 320. Le 15 décembre 1976, la fédération adressa au ministre une communication donnant un délai de 48 heures pour que soit garantie la satisfaction du cahier de revendications minimales. Le ministre décida de renvoyer cette communication estimant qu'elle était irrecevable quant au fond et impertinente quant à la forme. Les organisations décidèrent alors de déclencher le 18 décembre 1976 une grève illimitée des travailleurs de la Direction des postes et télégraphes dans l'intention manifeste de provoquer le chaos et d'attaquer les mesures de redressement économique. Elles obéissaient ainsi aux consignes d'agitateurs politiques de tendances radicales. Soulignant le rôle important des postes et télécommunications, le gouvernement indique que, conscients de leurs responsabilités, la majorité des travailleurs des postes et télégraphes n'obéirent pas à l'ordre de grève. Les dirigeants des organisations menacèrent et même agressèrent les travailleurs qui se rendaient à leur service. La correspondance fut, dans bien des cas, perdue et détruite. Dans ces conditions, le directeur du ministère des Transports et des Communications autorisa la révocation des coupables et demanda l'arrestation de vingt-six travailleurs qui avaient été identifiés. Par la suite, il fut demandé au ministre de l'Intérieur de mettre fin aux détentions. Dès lors, aucune personne ne fut maintenue en arrestation pour ces événements.
- 321. Néanmoins, le gouvernement, tenant compte des préjudices subis et des graves problèmes liés à l'attitude conciliatrice qu'il avait prise, adopta la résolution suprême no 0002/77 TC/CO du 5 février 1977 portant annulation de l'inscription des associations de travailleurs des postes et télégraphes, en raison de la transgression, par ces organisations, des normes et fonctions qui devaient être les leurs.
- 322. En conclusion, le gouvernement déclare que la plainte n'est pas fondée car à aucun moment les autorités n'ont entravé le libre exercice des activités syndicales. Elles se sont limitées à freiner les actes illégaux et délictueux perpétrés par des groupes de travailleurs, en annulant l'inscription des associations qui avaient dénaturé leurs objectifs. De même, le gouvernement affirme que le licenciement et la détention de travailleurs des postes et télégraphes ne sont pas dus à leurs activités syndicales mais à des actes délictueux contre l'ordre public, la sécurité et la propriété des autres travailleurs ainsi que contre la collectivité en général.
B. B. Conclusions du comité
B. B. Conclusions du comité
- 323. Le comité note que le présent cas concerne, d'une part, l'exil d'un dirigeant syndical et, d'autre part, le retrait de l'enregistrement d'organisations de travailleurs des postes et télécommunications ainsi que les mesures d'arrestation et de licenciement prises à l'encontre de dirigeants syndicaux et de travailleurs de ce secteur d'activité.
- 324. Au sujet de l'exil de M. Julián Sierra Corrales, dirigeant de la Fédération des travailleurs de l'industrie métallurgique du Pérou, le comité constate que le gouvernement ne fait aucun commentaire sur ce point. D'une manière générale, le comité tient à souligner l'importance qu'il attache à ce que les mesures d'exil de syndicalistes soient entourées de toutes les garanties nécessaires et ne soient pas motivées par les activités syndicales légitimes des intéressés. Afin de se prononcer sur le fond de la question, le comité souhaite recevoir les observations du gouvernement à propos de cette allégation.
- 325. Pour ce qui est du retrait de l'enregistrement de quatre associations de travailleurs du secteur des postes et télécommunications, le comité note que, selon les dires du gouvernement, ces associations n'avaient pas le statut d'organisations syndicales et leurs activités se situaient en dehors de leur statut légal établi par la loi no 11377 du 29 mai 1950. Le comité a pris connaissance de la loi en question, et plus particulièrement de l'article 49 qui s'énonce ainsi: "Les employés des organismes publics ne peuvent s'associer que dans les domaines de la culture, des sports, de l'assistance ou de l'action coopérative. Il est interdit aux dites associations d'adopter la dénomination propre aux syndicats ou de s'organiser à la manière de ceux-ci, d'adopter les modalités d'action de ces organismes, d'user de contraintes pour faire aboutir leurs revendications et de recourir à la grève."
- 326. Le comité constate qu'aux termes de ces dispositions, il est interdit aux travailleurs des organismes publics de s'organiser en syndicats. Le comité ne peut que relever l'incompatibilité de ces dispositions de la législation péruvienne et du principe établi à l'article 2 de la convention no 87, ratifiée par le Pérou, selon lequel les travailleurs sans distinction d'aucune sorte - y compris les travailleurs du secteur public - ont le droit, sans autorisation préalable, de constituer les organisations de leur choix et de s'y affilier. Selon l'article 10 de la convention, le terme "organisation" signifie toute organisation de travailleurs ayant pour but de promouvoir et de défendre les intérêts des travailleurs. Le comité remarque à cet égard que la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations formule depuis plusieurs années des commentaires sur l'interdiction du droit syndical dans la fonction publique et dans les entreprises de l'Etat au Pérou. Il apparaît de toute manière que les organisations en cause, dans le présent cas, exerçaient déjà, en pratique, certaines activités de nature syndicale. Le comité estime que les activités syndicales légitimes devraient être reconnues par la loi dans tout le secteur public, en conformité avec la convention no 87. Enfin, le comité souhaite rappeler le principe énoncé à l'article 4 de la convention, selon lequel les organisations de travailleurs ne sont pas sujettes à dissolution ou à suspension par voie administrative.
- 327. A propos des mesures d'arrestation et de licenciement de dirigeants syndicaux et de travailleurs du secteur des postes et télécommunications, le comité note que ces mesures ont été prises à la suite de la grève déclenchée par leurs organisations. En effet, aux termes de la législation péruvienne (décret-loi no 19020, article 144), toute incitation, tout appel ou toute participation à une grève illégale des services publics de télécommunications et de radiodiffusion est considéré comme délit de sabotage soumis à la juridiction militaire et passible de 1 à 10 ans de prison. Selon le gouvernement, des actes de violence auraient été en outre commis à l'encontre de travailleurs non grévistes.
- 328. Le comité a toujours considéré que la reconnaissance du droit syndical dans la fonction publique n'implique pas nécessairement le droit de grève. Le comité a admis que le droit de grève pourrait faire l'objet de restrictions, voire d'interdictions, dans la fonction publique ou les services essentiels, parce que la grève pourrait y provoquer de graves préjudices pour la collectivité nationale. Toutefois, lorsque les grèves sont interdites ou soumises à des restrictions dans les services essentiels ou dans la fonction publique, des garanties appropriées devraient être accordées pour sauvegarder les intérêts des travailleurs ainsi privés d'un moyen essentiel de défense professionnelle. Les restrictions devraient s'accompagner de procédures de conciliation et d'arbitrage appropriées, impartiales et rapides aux étapes desquelles les intéressés devraient pouvoir participer et que les décisions arbitrales devraient être dans tous les cas obligatoires pour les deux parties.
- 329. Le comité note que les travailleurs qui avaient été arrêtés ont maintenant recouvré la liberté. Pour ce qui est des licenciements, le comité souhaite rappeler qu'il a signalé, à plusieurs reprises, que le développement des relations professionnelles pourrait être compromis par une attitude inflexible dans l'application aux travailleurs de sanctions trop sévères pour faits de grève. Dans le cas présent, le comité estime qu'il pourrait être utile que le gouvernement réexamine la situation des travailleurs licenciés à la suite du conflit survenu dans le secteur des postes et télécommunications.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 330. Dans ces conditions, le comité recommande au Conseil d'administration:
- a) au sujet de l'exil de M. Julián Sierra Corrales, de demander au gouvernement d'adresser ses commentaires sur cette question;
- b) au sujet du conflit du travail dans le secteur des postes et télécommunications:
- i) d'attirer l'attention du gouvernement sur l'importance des principes et considérations exposés au paragraphe 326, notamment de l'article 2 de la convention no 87 - ratifiée par le Pérou - aux termes duquel les travailleurs, sans distinction d'aucune sorte, y compris les travailleurs des organismes publics, ont le droit de constituer des organisations de leur choix;
- ii) d'inviter instamment le gouvernement à prendre des mesures en vue de reconnaître le libre exercice du droit syndical à tous les travailleurs du secteur public;
- iii) de signaler que les restrictions au droit de grève dans la fonction publique et les services essentiels devraient s'accompagner de procédures de conciliation et d'arbitrage appropriées, impartiales et rapides aux étapes desquelles les intéressés devraient participer et que les décisions arbitrales devraient être obligatoires pour les deux parties;
- c) au sujet des mesures d'arrestation et de licenciement:
- i) de noter avec intérêt que les personnes détenues ont maintenant recouvré la liberté;
- ii) d'attirer l'attention sur les considérations exposées au paragraphe 329 et de suggérer au gouvernement d'envisager de réexaminer la situation des travailleurs licenciés;
- d) de noter le présent rapport intérimaire.