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Rapport définitif - Rapport No. 208, Juin 1981

Cas no 874 (Espagne) - Date de la plainte: 18-MARS -77 - Clos

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  1. 59. Le comité a examiné ce cas au cours de ses sessions de mai 1977 et de novembre 1978, et a présenté à chacune de ces occasions un rapport provisoire au Conseil d'administration. Par la suite, le comité a reçu une communication de la Confédération syndicale des commissions ouvrières, en date du 27 juin 1979. Le gouvernement a fait parvenir ses observations par des communications du 5 octobre 1979, du 25 février et du 5 mai 1980, du 23 janvier et du 11 mai 1981.
  2. 60. L'Espagne a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. Exposé récapitulatif de la situation

A. Exposé récapitulatif de la situation
  1. 61. La Confédération internationale des syndicats libres (CISL) avait allégué que le décret-loi royal no 17 du 4 mars 1977 sur les relations professionnelles, tout en reconnaissant le principe de l'exercice du droit de grève par les travailleurs, restreignait en fait ce droit et le supprimait même par le biais de plusieurs dispositions contraires aux principes de la liberté syndicale. La CISL avait de même allégué que le décret-loi royal précité maintenait en vigueur les dispositions relatives à l'enregistrement et à l'homologation des conventions collectives par l'autorité gouvernementale.
  2. 62. Le gouvernement, pour sa part, avait signalé le caractère transitoire du décret-loi royal 17/1977 et s'était référé à d'autres dispositions législatives qui modifiaient dans une certaine mesure la portée et l'application de certaines de ses dispositions, ainsi qu'aux dispositions du projet de Constitution qui concernent la reconnaissance de la liberté syndicale, du droit de négociation collective et du droit de grève.
  3. 63. Ayant examiné le décret-loi royal 17/1977 sur les relations professionnelles, le comité a jugé qu'il contenait, quant à l'exercice du droit de grève, certaines dispositions propres à soulever des problèmes de conformité avec les principes de la liberté syndicale. En particulier, il avait signalé que certaines conditions posées pour le déclenchement de la grève (article 3, alinéas 1 et 2, du décret-loi royal 17/1977) ainsi que pour le déroulement de celle-ci (article 5) pourraient limiter sensiblement l'action des travailleurs et des syndicats qui les représentent dans ce type de conflit.
  4. 64. Le comité avait relevé également l'interdiction des grèves, pour les travailleurs qui prêtent leurs services dans des secteurs vitaux en vue d'interrompre le processus de production (article 7 (2)), ainsi que la faculté qu'avait le gouvernement, sur recommandation du ministère du Travail, compte tenu de la durée ou des conséquences de la grève, de l'attitude des parties et de la gravité du préjudice porté à l'économie nationale, d'ordonner la reprise du travail pour une période maximum de deux mois ou à titre définitif par voie d'arbitrage obligatoire (article 10). A propos de ces dispositions, le comité avait considéré qu'elles laissaient aux autorités gouvernementales un large pouvoir discrétionnaire pour soumettre un conflit du travail à une décision d'arbitrage obligatoire, empêchant de ce fait le recours à la grève; le comité avait également observé que, tout en admettant que le recours à la grève puisse être limité ou même interdit dans la fonction publique, les services essentiels, voire un secteur clé pour la vie d'un pays, pour le motif des préjudices graves qu'un arrêt de travail pourrait entraîner pour la collectivité nationale, ce principe risquait de perdre tout son sens s'il s'agissait de déclarer illégale la grève dans des entreprises ne fournissant pas un service essentiel au sens strict du terme.
  5. 65. Le comité avait constaté en outre que le décret-loi royal 17/1977 n'avait pas abrogé les dispositions législatives qui permettent aux autorités de refuser l'homologation des accords collectifs pour contravention à une disposition légale ni celles qui prévoient que ces conventions collectives ne pourront contenir de clauses susceptibles de causer un préjudice grave à l'économie nationale. Le comité avait fait état, à ce sujet, des implications que comportait le principe des négociations volontaires.
  6. 66. Le comité avait recommandé au Conseil d'administration d'exprimer l'espoir que la législation en préparation tiendrait compte des principes exposés et priait le gouvernement de fournir des informations sur l'évolution de la situation.

B. Nouvelles allégations

B. Nouvelles allégations
  1. 67. Dans sa communication du 27 juin 1979, la Confédération syndicale des commissions ouvrières a allégué que l'Etat espagnol avait enfreint la convention no 98 et que, lorsque la Direction générale du travail avait homologué l'accord qui avait mis fin à la grève que la représentation des travailleurs avait déclarée au cours de la négociation de la VIIIe convention collective avec la Compagnie nationale des téléphones, qui devait entrer en vigueur le 1er janvier 1979, avait procédé unilatéralement, dans le texte de cet accord, sans aucune consultation avec les employeurs et les travailleurs intéressés, à la suppression ou à la modification de clauses essentielles de la convention collective conclue.

C. Réponse du gouvernement

C. Réponse du gouvernement
  1. 68. Le gouvernement, dans sa communication du 5 octobre 1979, après avoir insisté sur le caractère purement transitoire du décret-loi royal 17/1977 et s'être référé aux dispositions de la nouvelle Constitution espagnole- relatives à la grève, aux négociations collectives et aux conflits collectifs, a déclaré qu'il convenait d'aborder la problématique complexe des relations professionnelles à la lumière de la Constitution. De fait, a ajouté le gouvernement, il se produit constamment des situations de grève en marge des dispositions du décret-loi royal 17/1977 dans la quasi-totalité des secteurs de production et auxquelles les différentes organisations syndicales ont participé et participent encore directement.
  2. 69. Dans sa communication du 5 mai 1980, le gouvernement a déclaré que le Statut des travailleurs a été approuvé le 10 mars 1980 en tant que loi et que ce statut reconnaît le droit de grève. Le gouvernement a ajouté que la réglementation de ce droit exige, conformément à la Constitution, une loi spécifique qui devra prendre le caractère de loi organique, laquelle portera dérogation de la partie en vigueur du décret-loi royal 17/1977. Le gouvernement a précisé que le projet tiendrait compte de la doctrine de l'OIT en la matière et a déclaré, dans sa communication du 23 janvier 1981, que la loi organique en question était en préparation.
  3. 70. A sa communication du 11 mai 1981, le gouvernement a joint copie de la sentence prononcée par le Tribunal constitutionnel d'Espagne en date du 8 avril 1981, à la suite d'un recours interjeté pour inconstitutionnalité du décret-loi royal 17/1977.
  4. 71. Dans cette sentence, le Tribunal constitutionnel déclare que l'article 3 du décret-loi royal 17/1977 n'est pas inconstitutionnel à condition qu'il soit entendu que le droit de grève, qui appartient aux travailleurs, peut être exercé par eux-mêmes, par leurs représentants et par les organisations syndicales, dans les limites du lieu de travail sur lequel la grève s'étend, et que sont inconstitutionnelles les dispositions dudit article qui exigent que la décision de déclarer la grève soit adoptée dans chaque lieu de travail (alinéa 1)), celles qui prescrivent qu'à la réunion des représentants des travailleurs, un pourcentage déterminé de ceux-ci doit être présent (alinéa 2) a)), et celles qui prévoient que l'initiative de déclarer la grève doit être appuyée par 25 pour cent des travailleurs (alinéa 2) b)).
  5. 72. La sentence du Tribunal constitutionnel dispose aussi que le premier paragraphe de l'article 5 ("Seuls pourront être élus en qualité de membres du comité de grève les travailleurs du lieu de travail touché par le différend.") n'est pas inconstitutionnel dans le cas des grèves qui ne portent pas sur plus d'un lieu de travail mais que, par contre, il l'est dès que les grèves s'étendent à plus d'un lieu de travail.
  6. 73. La sentence du 8 avril 1981 ajoute que l'alinéa 7) de l'article 61 est inconstitutionnel en tant qu'il habilite de façon exclusive l'employeur à désigner les travailleurs qui devront veiller au bon état des locaux, machines ou installations.
  7. 74. Le premier paragraphe de l'article 102, poursuit la sentence, est inconstitutionnel en tant qu'il habilite le gouvernement à ordonner la reprise du travail, mais non pas en tant qu'il l'habilite à instituer un arbitrage obligatoire, à condition que soit respectée l'obligation d'impartialité des arbitres.
  8. 75. La sentence dispose encore que le deuxième paragraphe de l'article 103 n'est pas inconstitutionnel, qui attribue à l'autorité gouvernementale le pouvoir d'adopter les mesures nécessaires à assurer le maintien des services essentiels à la collectivité, en tant que l'exercice de ce pouvoir est soumis à la juridiction des cours de justice et au recours devant le Tribunal constitutionnel.
  9. 76. Enfin, la sentence déclare que le terme "directement" à l'alinéa b) de l'article 11 ("Est illégale toute grève qui...") est une grève de solidarité ou de soutien, sauf si elle concerne directement les intérêts professionnels des personnes qui la déclarent ou la poursuivent") est inconstitutionnel.
  10. 77. Le gouvernement déclare en dernier lieu que l'article 164 de la Constitution espagnole dispose que les sentences du Tribunal constitutionnel "qui déclarent inconstitutionnelle une loi ou une norme ayant force de loi et toutes celles qui ne se limitent pas à l'estimation subjective d'un droit s'appliquent à tous dans tous leurs effets". "Sauf dans les cas où la sentence en dispose autrement - poursuit l'article 164 de la Constitution -, la partie de la loi qui n'est pas déclarée inconstitutionnelle reste en vigueur.

D. Conclusions du comité

D. Conclusions du comité
  1. 78. Le comité prend note des déclarations du gouvernement et, en particulier, de l'information suivant laquelle une loi organique est en préparation, qui réglementera l'exercice du droit de grève et qui abrogera la partie en vigueur du décret-loi royal no 17/1977; il note que le projet tiendra compte de la doctrine de l'OIT en la matière et qu'il se produit constamment des situations de grève en marge de ce que prévoit le décret-loi royal n° 17/1977 dans presque tous les secteurs de la production. Le comité a pris note avec intérêt de la sentence que le Tribunal constitutionnel a prononcée le 8 avril 1981 à la suite d'un recours mettant en cause l'inconstitutionnalité du décret-loi royal n° 17/1977, et relevé que cette sentence déclare inconstitutionnelles quelques-unes des dispositions des articles 3, 5 et 10 auxquelles le comité avait fait objection.
  2. 79. Le comité observe, en particulier, qu'au sujet de l'article 3 du décret-loi royal no 17/1977 (conditions de déclaration de grève), la sentence du Tribunal constitutionnel du 8 avril 1981 reconnaît le droit aux organisations syndicales d'exercer le droit de grève et déclare inconstitutionnelles l'obligation suivant laquelle la décision de grève doit être adoptée dans chaque lieu de travail, l'obligation suivant laquelle, à la réunion des représentants des travailleurs, doivent être présents au moins 75 pour cent de ceux-ci et l'obligation suivant laquelle l'initiative de déclarer la grève doit être appuyée par 25 pour cent des travailleurs.
  3. 80. Au sujet de l'article 5 du décret-loi royal no 17/1977 (relatif au déroulement de la grève ainsi qu'à la fonction et à la composition du comité de grève), le comité relève que son premier paragraphe ("seuls pourront être élus en qualité de membres du comité de grève les travailleurs du lieu de travail touché par le différend") est inconstitutionnel lorsque les grèves s'étendent à plusieurs lieux de travail.
  4. 81. Le comité note que le Tribunal constitutionnel a déclaré inconstitutionnel l'article 6, alinéa 7), en tant qu'il habilite de façon exclusive l'employeur à désigner les travailleurs qui, pendant la grève, auront la charge de veiller au bon état des locaux, des machines ou des installations. En ce qui concerne l'article 11 du décret-loi royal no 17/1977 ("Est illégale toute grève qui...b) est une grève de solidarité ou de soutien, sauf si elle concerne directement les intérêts professionnels des personnes qui la déclenchent ou la poursuivent"), le comité note également que le terme "directement" de l'alinéa b) de cet article est inconstitutionnel.
  5. 82. Le comité observe toutefois que le gouvernement peut ordonner la reprise du travail en cas de grève en obtenant un arbitrage obligatoire aux termes de l'article 10, premier paragraphe ("sur recommandation du ministère du Travail, le gouvernement pourra, compte tenu de la durée ou des conséquences de la grève, de l'attitude des parties et de la gravité du préjudice porté à l'économie nationale..."), encore que le Tribunal constitutionnel ait mis comme condition à cet arbitrage le respect de l'obligation d'impartialité des arbitres et ait déclaré inconstitutionnelle la latitude laissée au gouvernement d'ordonner la reprise du travail dans le délai qu'il fixera, pour une période maximum de deux mois. A ce sujet, le comité estime que le premier paragraphe de l'article 10, tel que l'a jugé l'autorité judiciaire compétente lorsqu'elle en a examiné la constitutionnalité, et l'article 7 2), auquel la sentence du Tribunal constitutionnel ne fait pas allusion et aux termes duquel sont réputées constituer des actes illicites ou abusifs les grèves auxquelles ont recours les travailleurs qui prêtent leurs services dans des secteurs vitaux en vue d'interrompre le processus de production, continue de conférer en certains cas aux autorités gouvernementales le pouvoir discrétionnaire de soumettre un conflit du travail à une décision d'arbitrage obligatoire, qui pourrait empêcher le recours à la grève. En conséquence, et compte tenu du fait que dans des circonstances normales le recours à l'arbitrage obligatoire ou l'interdiction des grèves ne devraient pouvoir être imposés que dans la fonction publique ou les services essentiels au sens strict, le comité estime qu'il serait utile au développement harmonieux des relations professionnelles et de la liberté d'action des organisations syndicales que la future loi organique sur la grève, actuellement en préparation, définisse les services réellement essentiels, c'est-à-dire ceux dont l'interruption pourrait mettre en danger la vie ou les conditions normales d'existence de tout ou partie de la population.
  6. 83. Le comité note, d'autre part, que, d'après le Tribunal constitutionnel, "le deuxième paragraphe de l'article 10, qui confère à l'autorité gouvernementale le pouvoir d'ordonner les mesures nécessaires pour assurer le bon état des services essentiels à la collectivité, n'est pas inconstitutionnel pour autant que l'exercice de ce pouvoir soit soumis à la juridiction des cours de justice et au recours devant le Tribunal constitutionnel". Le comité observe que, dans la référence qu'il fait au deuxième paragraphe de l'article 10, le Tribunal semble en limiter la portée aux services essentiels pour la collectivité et, par conséquent, parait interpréter ces services de manière restrictive, contrairement à ce qui est dit dans l'article en question qui fait référence à "un genre quelconque de services publics ou de services reconnus essentiels ou d'une nécessité immédiate".
  7. 84. En ce qui concerne l'allégation relative aux formalités d'homologation des conventions collectives, notamment en matière salariale, le comité a examiné la loi du 10 mars 1980 portant Statut des travailleurs et observe avec intérêt que celle-ci ne confère à l'autorité du travail que des fonctions d'enregistrement, supprimant de cette manière l'obligation d'homologuer les conventions collectives. Le comité observe également que la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations, à sa session de mars 1981, a noté que les dispositions qui imposaient des limitations à la négociation collective sur la validité des clauses salariales ne sont plus applicables.
  8. 85. Le comité observe que le gouvernement n'a pas répondu à l'allégation relative à la suppression ou à la modification de certaines clauses par la Direction générale du travail et qui figurent dans le texte du pacte qui a mis fin à la grève qui était, survenue durant la négociation de la VIIIe convention collective avec la Compagnie nationale des téléphones. Le comité, compte tenu du temps écoulé depuis le dépôt de la plainte et ayant constaté que la loi portant Statut des travailleurs supprime les formalités d'homologation des conventions collectives et établit un système qui tend à stimuler et à promouvoir les procédures de négociation volontaire et que, par conséquent, les parties pourraient - si elles ne l'ont pas encore fait - modifier la teneur du pacte auquel le plaignant a fait référence, considère que cet aspect du cas n'appelle pas un examen plus approfondi.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 86. Dans ces conditions, le comité recommande au Conseil d'administration d'approuver le présent rapport et, en particulier, les conclusions suivantes:
    • Le comité prend note de la sentence du Tribunal constitutionnel du 8 avril 1981 qui fait droit au recours contre le décret-loi royal no 17/1977 pour inconstitutionnalité et observe que cette sentence se fonde sur des critères qui s'accordent à ceux que le comité avait invoqués dans son dernier rapport sur le cas présent en ce qui concerne les articles 3 et 5 et au sujet de certains aspects en relation avec le premier paragraphe de l'article 10 du décret-loi royal no 17/1977.
    • Le comité note qu'une loi organique sur la grève est en préparation, qui abrogera la partie encore en vigueur du décret-loi royal no 17/1977, et prend acte du fait que le projet tiendra compte de la doctrine de l'OIT en la matière.
    • Le comité considère qu'il serait utile au développement harmonieux des relations professionnelles, que la future loi organique sur le droit de grève définisse les services qui sont réellement essentiels, dans lesquels l'exercice du droit de grève pourrait être limité ou interdit.
    • Le comité prend note avec intérêt de la suppression des formalités d'homologation des négociations collectives et de l'abrogation des dispositions qui limitaient la négociation collective en matière salariale.
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