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Rapport intérimaire - Rapport No. 187, Novembre 1978

Cas no 889 (Colombie) - Date de la plainte: 07-SEPT.-77 - Clos

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  1. 485. Le comité a déjà examiné ce cas à sa session de février 1978, à l'occasion de laquelle il a présenté un rapport intérimaire au Conseil d'administration.
  2. 486. Depuis lors, le gouvernement a adressé une communication le 24 avril 1978.
  3. 487. La Colombie a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. Examen antérieur du cas par le comité

A. Examen antérieur du cas par le comité
  1. 488. La présente affaire porte essentiellement sur la mort, l'incarcération, la mise à pied ou le licenciement allégués de nombreux dirigeants et militants syndicaux ainsi que sur la suspension, le retrait ou le refus de la personnalité juridique à plusieurs organisations syndicales. Selon les plaignants, ces faits s'étaient produits en particulier - mais non pas exclusivement - à la suite d'une grève générale de 24 heures organisée le 14 septembre 1977 par les centrales syndicales du pays.
  2. 489. Ainsi, les plaignants déclaraient qu'on avait pu observer au cours des mois précédents une série d'atteintes aux droits syndicaux des travailleurs et de leurs organisations. Il s'agissait, selon eux, d'une réponse aux réclamations et aux actions légitimes des travailleurs face à une inflation débridée qui leur ôtait les moyens de subsistance alors que le niveau des salaires en Colombie était un des plus bas d'Amérique. La situation en était arrivée à un point tel, ajoutaient les plaignants, que toutes les organisations syndicales du pays avaient pour la première fois constitué un front commun d'unité d'action. Toutefois, le gouvernement avait adopté un décret présidentiel no 2004 prévoyant des peines de prison, d'amende et autres contre les dirigeants et les militants syndicaux qui avaient à organiser des grèves et d'autres manifestations légitimes.
  3. 490. Dans des communications postérieures, les plaignants avaient communiqué la liste de personnes mortes, incarcérées ou licenciées à la suite de la grève en question ainsi que les noms d'organisations syndicales dont la personnalité juridique avait été suspendue ou retirée, les privant ainsi de toute activité légale.
  4. 491. Le gouvernement avait transmis des observations en réponse à certaines allégations dans une lettre d'octobre 1977. Il s'était vu contraint, déclarait-il, pour des raisons d'ordre public interne - menacé par la grève du 14 septembre 1977 - de prendre certaines mesures en rapport notamment avec le décret no 2004 du 26 août 1977. Ces mesures, de caractère purement préventif et largement annoncées, entraînaient le licenciement pour motif justifié de ceux qui avaient provoqué, encouragé ou favorisé, d'une manière ou d'une autre, l'arrêt total ou partiel, continu ou échelonné des activités professionnelles. Ces mesures préventives, soulignait le gouvernement, étaient destinées à contenir la grève nationale du 14 septembre 1977. Celle-ci, comme l'avaient largement fait apparaître les investigations faites, n'avait pas un caractère professionnel mais visait à perturber l'ordre public. Il en était résulté douze victimes innocentes, des troubles et des dégâts à des véhicules et à des établissements de commerce.
  5. 492. En examinant le cas à sa session de février 1978, le comité avait pris connaissance du décret no 2004 adopté le 25 août 1977 par le gouvernement colombien. D'après ce décret, ceux qui organisent, dirigent, provoquent, encouragent ou favorisent d'une manière quelconque l'arrêt total ou partiel, continu ou échelonné, des activités normales de caractère professionnel ou autre sont, tant que durera l'état de siège, punis d'un emprisonnement de 30 à 180 jours. La sanction est prise par les gouverneurs, intendants, commissaires et par le maire du district spécial de Bogotá, au moyen d'une résolution motivée. Ces peines ou la participation aux arrêts de travail précités constituent en outre un juste motif de licenciement. Le gouvernement avait confirmé que ce décret avait été adopté à titre préventif afin de contenir la grève nationale du 14 septembre.
  6. 493. Se référant aux considérations qu'il avait exprimées dans un cas récent, le comité avait signalé que la convention no 87 reconnaît aux organisations syndicales le droit de formuler leur programme d'action et d'organiser leurs activités dont découlent non seulement le droit de négocier avec les employeurs, mais aussi celui d'exprimer leur point de vue sur des questions économiques et sociales touchant aux intérêts de leurs membres. Le comité avait également indiqué que c'est en partant du droit ainsi reconnu qu'il a considéré le droit de grève comme un moyen essentiel dont disposent les travailleurs pour promouvoir et défendre leurs intérêts professionnels alors qu'il a souligné que les grèves purement politiques ne tombent pas dans le champ d'application des principes de la liberté syndicale. Pour ce qui est des réclamations d'ordre économique, poursuivait le comité, le droit de grève ne devrait pas être restreint aux seuls différends de travail susceptibles de déboucher sur une convention collective particulière. Le comité avait estimé que les travailleurs et leurs organisations doivent pouvoir manifester, le cas échéant, dans un cadre plus large leur sentiment sur des questions économiques et sociales touchant à leurs intérêts.
  7. 494. Tout en observant le caractère contradictoire des versions des événements données par les plaignants et le gouvernement, le comité avait relevé la sévérité des méthodes utilisées en réponse à une grève de 24 heures, qui semblait avoir été en grande partie l'expression d'un malaise de beaucoup de travailleurs puisqu'elle était organisée par toutes les grandes tendances du mouvement syndical colombien. Le comité avait estimé que, si aucune mesure n'était prise, les suites de cette grève risquaient de détériorer pour longtemps le climat des relations professionnelles dans le pays.
  8. 495. Il avait considéré ainsi, comme il l'avait déjà signalé dans des situations semblables, qu'il serait particulièrement approprié, dans le cas des personnes ayant trouvé la mort lors de ces événements, que le gouvernement ordonne une enquête indépendante et impartiale afin d'éclaircir les faits et de déterminer les responsabilités.
  9. 496. Au sujet des personnes détenues, le comité avait estimé qu'une procédure aussi sommaire que celle prévue par le décret no 2004 risque d'aboutir à des décisions non fondées. Tout syndicaliste détenu devrait bénéficier d'une procédure judiciaire régulière garantissant pleinement les droits de la défense et conforme aux dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
  10. 497. A propos des licenciements et des mises à pied de dirigeants et militants syndicaux, le comité avait souligné que les relations professionnelles pourraient être grandement améliorées si les employeurs intéressés étudiaient avec soin la possibilité de réintégrer dans leurs fonctions les personnes ainsi sanctionnées.
  11. 498. Au sujet des allégations concernant la suspension de la personnalité juridique à des organisations syndicales, le comité avait rappelé que, dans plusieurs cas concernant la Colombie, il avait signalé que la suspension ou la dissolution d'un syndicat par la voie administrative n'est pas conforme aux principes de la liberté syndicale et que sur ses recommandations, le Conseil d'administration avait, dans un cas récent, invité le gouvernement à adopter dès que possible les mesures nécessaires pour modifier les dispositions du Code du travail à cet égard.
  12. 499. D'une manière générale, le comité avait considéré que les autorités compétentes devraient réexaminer la situation des syndicalistes condamnés en vertu du décret no 2004 précité ainsi que les mesures de suspension ou de retrait de la personnalité juridique à différents syndicats cités par les plaignants. Elles devraient également faire des démarches auprès des employeurs intéressés en vue de la réintégration des syndicalistes licenciés.
  13. 500. Dans ces conditions, le Conseil d'administration avait, sur recommandation du comité, prié le gouvernement de fournir des informations détaillées au sujet de la mort, de la détention, du licenciement ou de la mise à pied de syndicalistes ainsi que du refus, de la suspension et du retrait de la personnalité juridique à des organisations syndicales.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 501. Dans sa communication du 24 avril 1978, le gouvernement se réfère en premier lieu à la mort de syndicalistes. Il indique à cet égard qu'il n'appartient pas au ministère du Travail d'effectuer une enquête sur les personnes tuées à l'occasion de la grève générale du 14 septembre 1977 et sur les causes de ces décès puisque ces événements ont dépassé le domaine du droit du travail pour entrer dans celui de la politique. Il en résulte que ceci entre dans la compétence du pouvoir judiciaire.
  2. 502. Au sujet des licenciements survenus à la suite de la grève générale, le gouvernement déclare que le ministère du Travail a été et sera toujours particulièrement prudent en matière d'autorisations de licenciements collectifs de travailleurs. La grève générale a renforcé cette prudence et la rigueur avec laquelle ont été menées les enquêtes administratives ont abouti à ce qu'un nombre réduit d'autorisations de licenciements soit accordé.
  3. 503. De même, la politique du ministère du Travail a été de ne pas radier l'enregistrement des organisations de travailleurs légalement reconnues. Le gouvernement observe à ce sujet que le ministère du Travail n'a pas le pouvoir "de retirer la personnalité juridique", prérogative réservée à la justice ordinaire du travail. En cas de demandes d'annulation d'enregistrement du syndicat, le ministère effectue des enquêtes exhaustives destinées à vérifier l'authenticité et les fondements de fait et de droit des allégations afin que l'association professionnelle concernée n'ait pas son enregistrement radié sans motif suffisant. De même, le ministère du Travail ne décide pas de suspendre la personnalité juridique d'un syndicat engagé dans une action déterminée sauf circonstances spéciales et exceptionnelles.
  4. 504. En conclusion, le gouvernement affirme qu'il accorde une attention spéciale aux améliorations sociales dans ses réunions avec le Conseil syndical national. Les représentants siégeant à ce conseil ont décidé de créer des commissions chargées d'étudier tous les problèmes sociaux, en particulier la Commission des affaires législatives qui révisera les dispositions pertinentes en vue de rechercher l'application dans la loi des conventions nos 87 et 98-.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 505. Le comité note que le gouvernement a fourni dans sa réponse des observations au sujet des recommandations formulées par le comité lors de sa session de février 1978 quant aux allégations concernant la mort de syndicalistes, les licenciements intervenus à la suite de la grève générale du 14 septembre 1977 et la suspension de la personnalité juridique à certaines organisations syndicales.
  2. 506. Le gouvernement remarque au sujet de la mort de syndicalistes que l'instauration d'une enquête n'entre pas dans la compétence du ministère du Travail mais dans celle du pouvoir judiciaire. Le comité tient à expliquer à cet égard qu'en se référant à l'intérêt que présenterait une enquête indépendante et impartiale sur ces événements, il n'a en aucune manière voulu mettre en cause les prérogatives dont est investi le pouvoir judiciaire en ce domaine. Bien au contraire, le comité estime qu'une procédure légale régulière menée par les tribunaux compétents permettrait d'éclaircir les faits et de déterminer les responsabilités en pleine objectivité et indépendance.
  3. 507. Au sujet des licenciements, le comité note que, selon le gouvernement, un nombre réduit, d'autorisations de licenciements a été accordé à la suite de la grève générale du 14 septembre 1977. Le comité ne peut cependant manquer d'observer sur ce point que des plaignants avaient fait état de plusieurs centaines de licenciements de travailleurs et syndicalistes et qu'en particulier la CISL s'était référée, en indiquant le nom des entreprises ou des syndicats concernés, dans une annexe à sa plainte, à quelque 380 mesures de ce type. Dans des cas où il a eu à examiner des allégations de licenciements survenues à la suite de grèves, le comité a estimé que de telles mesures comportent de graves risques d'abus et de sérieux dangers pour la liberté syndicale. Il a considéré aussi, à ces occasions, que le développement des relations professionnelles pourrait être compromis par une attitude inflexible dans l'application aux travailleurs de sanctions trop sévères pour faits de grève. Eu égard à ces considérations, le comité demeure d'avis qu'il serait particulièrement utile que le gouvernement prenne des mesures en vue de favoriser la réintégration des travailleurs licenciés.
  4. 508. Pour ce qui est des mesures touchant à la personnalité juridique de plusieurs organisations syndicales, le comité note la déclaration du gouvernement selon laquelle le retrait de la personnalité juridique est une prérogative réservée à la justice ordinaire du travail. Le comité a en effet constaté que la sanction la plus grave, prévue par le Code du travail en son article 380, qui peut être imposée à un syndicat pour violation des dispositions du code est le retrait de la personnalité juridique et la dissolution du syndicat; cette mesure est prise par les tribunaux du travail à la requête du ministère du Travail. Cependant, le comité a relevé également que le ministère peut décider, dans le cas d'une grève déclarée illégale, de suspendre jusqu'à six mois la personnalité juridique d'un syndicat, et même de le dissoudre (article 450). Dans ces conditions, le comité se doit de rappeler l'importance qu'il attache à la norme contenue à l'article 4 de la convention selon laquelle les organisations de travailleurs ne sont pas sujettes à suspension ou dissolution par voie administrative. Pour que ce principe puisse être appliqué convenablement, il ne suffirait d'ailleurs pas que la législation prévoie un droit d'appel contre les décisions administratives, mais que ces dernières ne puissent prendre effet qu'une fois écoulé le délai légal sans qu'un appel ait été interjeté ou lorsque ces décisions ont été confirmées par l'autorité judiciaire. Il conviendrait aussi que les juges puissent connaître le fond de la question dont ils sont saisis.
  5. 509. Le comité considère en outre que ces principes revêtent une importance toute particulière dans le cas de la Colombie dans la mesure où, aux termes de l'article 372 du Code du travail, aucun syndicat ne peut fonctionner en tant que tel, ni exercer les fonctions que la loi et ses statuts lui attribuent et les droits qui lui incombent, tant qu'il n'a pas bénéficié de la reconnaissance de sa personnalité juridique. De plus, il ne peut fonctionner que pendant la validité de cette reconnaissance. De ce fait, une mesure de suspension de la personnalité juridique d'un syndicat entraîne pour ce dernier l'impossibilité de promouvoir et de défendre les intérêts de ses membres. Compte tenu de ces considérations, le comité estime qu'il serait très souhaitable que le gouvernement prenne les mesures nécessaires en vue de mettre la législation en conformité avec les principes exposés ci-dessus.
  6. 510. Le comité remarque que le gouvernement n'a pas communiqué ses observations au sujet de l'arrestation de syndicalistes. A cet égard, il estime devoir exprimer à nouveau sa préoccupation au sujet du caractère sommaire de la procédure prévue par le décret no 2004. Dans le cas de personnes ayant des activités syndicales, la présentation rapide d'un détenu devant le juge compétent constitue l'une des libertés civiles qui devrait être assurée par les autorités afin de garantir plus réellement l'exercice des droits syndicaux.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 511. Dans ces conditions, et pour ce qui est du cas dans son ensemble, le comité recommande au Conseil d'administration:
    • a) au sujet de la mort de syndicalistes, de signaler à l'attention du gouvernement la nécessité de mener à bien des enquêtes, dans de tels cas, en vue d'éclaircir les faits et de déterminer les responsabilités, tel qu'indiqué au paragraphe 506 ci-dessus;
    • b) au sujet des mesures de licenciement, de signaler à l'attention du gouvernement les principes et considérations exprimés au paragraphe 507 ci-dessus et de lui suggérer de prendre les mesures qui seraient nécessaires en vue de favoriser la réintégration des travailleurs licenciés;
    • c) au sujet de la suspension de la personnalité juridique de plusieurs syndicats ou de leur dissolution, de demander au gouvernement de prendre les mesures nécessaires en vue de mettre la législation en pleine conformité avec l'article 4 de la convention no 87 selon lequel les organisations de travailleurs ne sont pas sujettes à suspension par voie administrative, ainsi que de réexaminer la situation des syndicats dissous à l'occasion de la grève générale de 1977;
    • d) au sujet des arrestations de travailleurs et de syndicalistes, d'exprimer à nouveau sa préoccupation quant au caractère sommaire de la procédure prévue par le décret no 2004 et de prier le gouvernement de fournir des informations sur la situation actuelle des personnes arrêtées lors de la grève générale de 1977;
    • e) de prendre note de ce rapport intérimaire.
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