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Rapport intérimaire - Rapport No. 177, Juin 1978

Cas no 889 (Colombie) - Date de la plainte: 07-SEPT.-77 - Clos

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  1. 313. Les plaintes ainsi que les informations complémentaires présentées par les plaignants figurent dans les communications suivantes: une communication de la Centrale latino-américaine des travailleurs (CLAT) en date du 7 septembre 1977, trois communications de la confédération internationale des syndicats libres (CISL) en date des 4 et 24 novembre, 6 décembre 1977, une communication de l'Union internationale des syndicats des travailleurs des industries alimentaires, tabacs, hôtels et branches connexes en date du 14 novembre 1977, deux communications de l'Union internationale des syndicats des travailleurs de la fonction publique et assimilés en date des 23 novembre 1977 et 5 janvier 1978.
  2. 314. Ces communications ont été transmises au gouvernement au fur et à mesure qu'elles étaient reçues. Ce dernier a fait parvenir certaines observations par une lettre du 17 octobre 1977.
  3. 315. La Colombie a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégations relatives à la grève du 14 septembre 1977

A. Allégations relatives à la grève du 14 septembre 1977
  1. 316. La CLAT déclare, dans sa communication du 7 septembre 1977, qu'on a pu observer au cours des mois précédents une série d'atteintes aux droits syndicaux des travailleurs et de leurs organisations. Il s'agit, selon elle, d'une réponse aux réclamations et aux actions légitimes des travailleurs face à une inflation débridée qui leur ôte les moyens de subsistance alors que le niveau des salaires en Colombie est un des plus bas d'Amérique. La situation en est arrivée à un point tel, ajoute la CLAT, que toutes les organisations syndicales du pays ont pour la première fois constitué un front commun d'unité d'action. Toutefois, le gouvernement a adopté un décret présidentiel no 2004 qui prévoit des peines de prison, d'amende et autres contre les dirigeants et les militants syndicaux qui organisent des grèves et d'autres manifestations légitimes.
  2. 317. Le gouvernement a transmis des observations en réponse à ces premières allégations dans sa lettre du 17 octobre 1977. Il s'est vu contraint, déclare-t-il, pour des raisons d'ordre public interne - menacé par la grève du 14 septembre 1977 - de prendre certaines mesures en rapport notamment avec le décret no 2004 du 26 août 1977. Ces mesures, de caractère purement préventif et largement annoncées, entraînent le licenciement pour motif justifié de ceux qui provoquent, encouragent ou favorisent, d'une manière ou d'une autre, l'arrêt total ou partiel, continu ou échelonné des activités professionnelles. Ces mesures préventives, souligne le gouvernement, étaient destinées à contenir la grève nationale du 14 septembre 1977. Celle-ci, comme l'ont largement fait apparaître les investigations faites, n'avait pas un caractère professionnel mais visait à perturber l'ordre public. Il en est résulté douze victimes innocentes, des troubles et des dégâts à des véhicules et à des établissements de commerce.
  3. 318. Dans des communications plus récentes, la CISL signale que le climat social s'est détérioré en Colombie, particulièrement depuis le milieu de 1977 et plus encore en septembre 1977 quand le gouvernement a établi un système des plus répressifs contre les travailleurs et leurs représentants syndicaux. L'action gouvernementale, poursuit le plaignant, a entraîné la mort, l'arrestation et le licenciement de nombreuses personnes qui, suivant les mots d'ordre lancés par leurs organisations syndicales avaient déclenché une grève pour défendre leurs intérêts économiques; le gouvernement a réagi avec une grande sévérité contre cette grève qui aurait dû être considérée comme normale. La CISL communique également des listes de personnes mortes, incarcérées ou licenciées à la suite de la grève en question ainsi que les noms d'organisations syndicales dont la personnalité juridique a été suspendue ou retirée, les privant ainsi de toute activité légale.
  4. 319. L'Union internationale des syndicats des travailleurs des industries alimentaires, tabacs, hôtels et branches connexes se réfère également à la grève générale de 24 heures lancée par les quatre centrales syndicales le 14 septembre 1977. Le plaignant cite les noms de plusieurs syndicats dont la personnalité juridique a été suspendue par résolution du ministre du Travail et signale le licenciement de nombreux travailleurs dont des dirigeants de ces organisations.
  5. 320. L'Union internationale des syndicats des travailleurs de la fonction publique et assimilés se plaint des restrictions aux droits syndicaux dont ont été victimes plusieurs organisations syndicales. La grève générale du 14 septembre 1977 avait pour objet, déclare-t-elle, d'obtenir une réponse du gouvernement aux demandes des travailleurs et avait été organisée par les autres centrales syndicales du pays, avec la participation des organisations autonomes des travailleurs des services publics comme le Comité intersyndical des travailleurs au service de l'Etat (CITE). Après cette grève, allègue le plaignant, on a dénombré plus de 100 travailleurs tués par les forces gouvernementales; des centaines de travailleurs des services publics et de l'enseignement ont été licenciés. Les sanctions et les mesures prises ont également touché des dirigeants syndicaux. Le plaignant cite les noms de plusieurs dirigeants licenciés ou mis à pied ainsi que de deux autres condamnés à deux mois de prison pour avoir exercé des activités syndicales.
  6. 321. Le gouvernement n'a pas répondu à ces allégations.

B. Autres allégations

B. Autres allégations
  1. 322. Dans sa communication du 7 septembre 1977, la CLAT signalait également un certain nombre de faits analogues;
    • - la suspension de la personnalité juridique de l'Union syndicale ouvrière (USO) en août 1977 par décision administrative du ministère du Travail; le licenciement et l'incarcération des militants et dirigeants syndicaux de cette organisation;
    • - le licenciement de travailleurs à l'usine de ciment Argos à Medellin;
    • - la détention et les persécutions policières pour les maîtres d'école appartenant à l'Association des instituteurs d'Antioquia (ADIDA) ;
    • - le refus du gouvernement d'accorder la reconnaissance syndicale et la personnalité juridique à différents syndicats qui remplissent normalement les exigences établies par le Code du travail; le plaignant citait parmi eux le Syndicat des travailleurs des arts graphiques et du papier de Cundinamarca et le Syndicat de l'entreprise Indupalma; en outre, la personnalité juridique du Syndicat des entreprises publiques de Medellin a été suspendue.
  2. 323. Pour ce qui est des licenciements et des emprisonnements signalés par la CLAT, le gouvernement déclare, dans sa communication du 17 octobre 1977, qu'il s'agissait, comme pour la grève du 14 septembre 1977, de situations dangereuses pour l'ordre public qui exigeaient des mesures préventives et policières en vue de maintenir les institutions. Il se réfère ensuite à la non-reconnaissance de la personnalité juridique du Syndicat des travailleurs des arts graphiques et du papier de Cundinamarca et du Syndicat de l'entreprise Indupalma. Il indique que, dans le premier cas, le nombre minimum de membres requis n'était pas atteint et que, dans le second, les travailleurs qui avaient organisé le syndicat n'exerçaient pas leurs activités dans l'entreprise concernée.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 324. L'affaire porte essentiellement sur la mort, l'incarcération, la mise à pied ou le licenciement allégués de nombreux dirigeants et militants syndicaux ainsi que sur la suspension, le retrait ou le refus de la personnalité juridique à plusieurs organisations syndicales. Selon les plaignants, ces faits se sont produits en particulier - mais non pas exclusivement - à la suite de la grève générale de 24 heures organisée le 14 septembre 1977.
  2. 325. Il ressort des informations disponibles que le gouvernement colombien a adopté le 25 août 1977 un décret no 2004 sur la grève. D'après celui-ci, ceux qui organisent, dirigent, provoquent, encouragent ou favorisent d'une manière quelconque l'arrêt total ou partiel, continu ou échelonné, des activités normales de caractère professionnel ou autre sont, tant que durera l'état de siège, punis d'un emprisonnement de 30 à 180 jours. La sanction est prise par les gouverneurs, intendants, commissaires et par le maire du district spécial de Bogotá, au moyen d'une résolution motivée. Ces peines ou la participation aux arrêts de travail précités constituent en outre un juste motif de licenciement. Le gouvernement a confirmé que ce décret avait été adopté à titre préventif afin de contenir la grève nationale du 14 septembre.
  3. 326. Comme le comité l'a déjà signalé, notamment dans un cas récent, la convention no 87 reconnaît aux organisations syndicales le droit de formuler leur programme d'action et d'organiser leurs activités dont découlent non seulement le droit de négocier avec les employeurs, mais aussi celui d'exprimer leur point de vue sur des questions économiques et sociales touchant aux intérêts de leurs membres. C'est aussi en partant du droit ainsi reconnu que le comité a considéré le droit de grève comme un moyen essentiel dont disposent les travailleurs pour promouvoir et défendre leurs intérêts professionnels alors qu'il a souligné que les grèves purement politiques ne tombent pas dans le champ d'application des principes de la liberté syndicale. Pour ce qui est des réclamations d'ordre économique, le droit de grève ne devrait pas être restreint aux seuls différends de travail susceptibles de déboucher sur une convention collective particulière. Le comité a estimé que les travailleurs et leurs organisations doivent pouvoir manifester, le cas échéant, dans un cadre plus large leur sentiment sur des questions économiques et sociales touchant à leurs intérêts si une telle action se limite à l'expression d'une protestation; cette action ne devrait pourtant pas entraîner des actes de violence.
  4. 327. En l'occurrence, les plaignants décrivent la grève du 14 septembre 1977 comme une protestation des travailleurs et de leurs organisations en face d'une grave détérioration de la situation sociale et économique des salariés. Le gouvernement affirme au contraire que cette action n'avait pas un caractère professionnel mais visait à perturber l'ordre public. Le comité observe que ces deux versions des événements, décrites en termes très succincts, sont totalement contradictoires.
  5. 328. Quoi qu'il en soit, le comité ne peut manquer de relever la sévérité des méthodes utilisées en réponse à une grève de 24 heures, qui semble avoir été en grande partie l'expression d'un malaise de beaucoup de travailleurs puisqu'elle était organisée par toutes les grandes tendances du mouvement syndical colombien. Le comité estime que si aucune mesure n'est prise, les suites de cette grève risquent de détériorer pour longtemps le climat des relations professionnelles dans le pays.
  6. 329. Il considère ainsi, comme il l'a déjà signalé dans des situations semblables, qu'il serait particulièrement approprié, dans le cas des personnes ayant trouvé la mort lors de ces événements, que le gouvernement ordonne une enquête indépendante et impartiale afin d'éclaircir les faits et de déterminer les responsabilités.
  7. 330. Pour ce qui est des personnes détenues, le décret no 2004 du 25 août 1977, adopté peu avant la grève nationale, punit notamment de peines de prison les arrêts collectifs de travail et confie à de hauts fonctionnaires la tâche de juger les contrevenants. Selon le comité, une procédure aussi sommaire risque d'aboutir à des décisions non fondées. Tout syndicaliste détenu devrait bénéficier d'une procédure judiciaire régulière garantissant pleinement les droits de la défense et conforme aux dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Par ailleurs, le gouvernement ne fournit pas d'informations sur les nombreux détenus cités par les plaignants.
  8. 331. Le gouvernement n'a pas non plus communiqué de renseignements précis sur les dirigeants et militants syndicaux licenciés ou mis à pied. A cet égard, le comité désire souligner, comme il l'a fait dans un cas antérieur relatif à la Colombie, que les relations professionnelles pourraient être grandement améliorées si les employeurs intéressés étudiaient avec soin la possibilité de réintégrer dans leurs fonctions les personnes ainsi sanctionnées.
  9. 332. Le comité a enfin été appelé fréquemment à examiner, à propos de la Colombie, des allégations concernant le refus ou la suspension de la personnalité juridique à des organisations syndicales (cette qualité est indispensable pour qu'une organisation puisse agir en tant que telle). Il avait notamment signalé que la suspension ou la dissolution d'un syndicat par la voie administrative n'est pas conforme aux principes de la liberté syndicale et sur ses recommandations, le Conseil d'administration avait, dans un cas récent, invité le gouvernement à adopter dès que possible les mesures nécessaires pour modifier les dispositions du Code du travail à cet égard. De même, à propos des difficultés rencontrées par des organisations syndicales pour obtenir des autorités la personnalité juridique, il avait rappelés que si les fondateurs d'un syndicat doivent respecter les formalités prescrites par la loi, celles-ci de leur côté ne doivent pas être de nature entraver la libre création des syndicats. Elles ne doivent pas non plus être appliquées de 'manière à retarder ou à empêcher la formation des organisations professionnelles. Le comité est d'avis que ces considérations et principes devraient être rappelés à l'attention du gouvernement dans la présente affaire.
  10. 333. D'une manière générale, en se fondant sur les considérations exprimées aux paragraphes précédents, le comité considère souhaitable que les autorités compétentes réexaminent la situation des syndicalistes condamnés en vertu du décret no 2004 précité ainsi que les mesures de suspension ou de retrait de la personnalité juridique à différents syndicats cités par les plaignants. Le comité estime également qu'il serait souhaitable que le gouvernement fasse des démarches auprès des employeurs intéressés en vue de la réintégration des syndicalistes licenciés.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 334. Dans ces conditions, le comité recommande au Conseil d'administration:
    • a) de signaler au gouvernement les principes et considérations sur le droit de grève rappelés au paragraphe 326, et notamment que les travailleurs et leurs organisations doivent pouvoir manifester, le cas échéant, leur sentiment sur des questions économiques et sociales touchant à leurs intérêts à condition qu'une telle action se limite à l'expression d'une protestation et n'entraîne pas des actes de violence;
    • b) de suggérer au gouvernement de prendre des mesures dans le sens indiqué par le comité aux paragraphes 329 et 333 (au sujet de la mort, de la détention, du licenciement ou de la mise à pied de syndicalistes ainsi que du refus, de la suspension et du retrait de la personnalité juridique à des organisations syndicales) afin de rétablir un climat social plus propice au développement de bonnes relations professionnelles;
    • c) de prier le gouvernement de fournir des informations détaillées sur tous les points mentionnés ci-dessus et;
    • d) de signaler également à ce dernier que les dispositions législatives relatives notamment à la suspension ou au retrait de la personnalité juridique à des organisations syndicales ne sont pas, comme il est dit au paragraphe 332, en pleine conformité avec les principes de la liberté syndicale; et
    • e) de noter ce rapport intérimaire.
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