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Rapport intérimaire - Rapport No. 197, Novembre 1979

Cas no 899 (Tunisie) - Date de la plainte: 01-FÉVR.-78 - Clos

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  1. 559. Le comité a déjà examiné cette affaire quant au fond à plusieurs reprises et pour la dernière fois en février 1979. Il a présenté à cette occasion des conclusions intérimaires qui figurent dans son 190e rapport (paragr. 301 à 360). Le Conseil d'administration a approuvé ce rapport à sa session de février-mars 1979 (209e session). En mai 1979, le comité, tout en ajournant le cas, a pris note de certaines informations transmises par le gouvernement. Depuis lors, le gouvernement a communiqué de nouveaux renseignements, les derniers en date par une lettre du 18 octobre 1979. La Confédération internationale des syndicats libres (CISL) a, pour sa part, envoyé des informations complémentaires par une lettre du 29 octobre 1979.
  2. 560. La Tunisie a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949,

A. Examens précédents

A. Examens précédents
  1. 561. Le cas porte essentiellement sur les suites d'une grève générale de 24 heures déclenchée le 26 janvier 1978. Cette action entraîna notamment l'arrestation et la condamnation de nombreux dirigeants syndicaux, parmi lesquels Habib Achour, secrétaire général de l'Union générale tunisienne du travail (UGTT).
  2. 562. D'après le gouvernement, la grève n'avait pas été organisée en conformité avec les règles du code du travail (prévoyant un préavis et une tentative préalable de conciliation). De toute manière, ce fait n'a pas été un élément déterminant dans la condamnation d'Habib Achour et de ses principaux collaborateurs à des peines d'emprisonnement.
  3. 563. Le comité avait observé que les objectifs de la grève générale du 26 janvier 1978 étaient définis de manière très différente par le gouvernement et par les plaignants. Ces derniers soutenaient que les dirigeants syndicaux avaient été condamnés pour avoir exercé leurs activités syndicales. Ils citaient les principaux griefs formulés par l'UGTT: blocage du dialogue sur le réajustement des salaires en fonction de la hausse du coût de la vie (tout en respectant les engagements pris dans le cadre du "pacte social"); escalade des provocations visant les syndicalistes et attaques contre les sièges de l'UGTT; volonté du parti au pouvoir de contrôler l'UGTT. Quant aux accusations portées centre les dirigeants syndicaux, elles reposaient, selon eux, sur des textes, articles, motions, etc., qui appelaient, certes, parfois à un changement politique mais, ajoutaient-ils, on ne pouvait considérer comme une conspiration l'expression publique de positions syndicales. Rejetant la responsabilité des syndicalistes dans les violences commises ce jour-là, les plaignants affirmaient que des dispositions avaient été prises pour éviter, au cours de la grève, toute initiative de nature à justifier l'intervention de la police. Ils considéraient que les manifestations non pacifiques et les pillages venaient de provocateurs et que l'armée était responsable des morts et des blessés.
  4. 564. D'après le gouvernement, au contraire, l'arrêt de travail était de nature politique; il visait à mettre en difficulté le fonctionnement des institutions et à paralyser l'économie du pays. La Cour de sûreté de l'Etat, dans son arrêt du 9 octobre 1978, avait qualifié dans le même sens la grève générale d'illégale; elle a condamné Habib Achour et ses collaborateurs pour avoir conspiré contre l'Etat. Des courants idéologiques de diverses tendances s'étaient, selon l'arrêt, infiltrés en Tunisie à travers l'UGTT et s'étaient unis dans leur hostilité au régime; ces courants avaient détourné les dirigeants de la centrale de leurs activités syndicales vers une opposition politique camouflée par des revendications ouvrières. La cour relevait des voyages d'Habib Achour à l'étranger et ses rencontres notamment avec des personnalités politiques de l'opposition. Elle citait des extraits de journaux nationaux et étrangers, en particulier une déclaration de 19. Achour: "Je crois qu'on ne peut sortir de cette crise tant que le pouvoir politique est entre les mains de trois personnes", qu'il nommait. Le nombre des accusés et leurs manoeuvres pour porter le désordre, le meurtre et le pillage étaient, selon l'arrêt, les éléments constitutifs d'un complot contre la sécurité intérieure de l'Etat, et ce complot avait pris une forme très claire tant du point de vue de la matérialité des actes (déprédations, etc.) que par le but visé par ces actes (porter atteinte au gouvernement).
  5. 565. Certaines des revendications avancées par l'UGTT (l'ajustement des salaires), avait relevé le comité, avaient un caractère strictement professionnel; d'autres concernaient la défense même du mouvement syndical contre, au dire des plaignants, des provocations et les tentatives des autorités pour contrôler l'UGTT. En revanche, le gouvernement considérait qu'il avait fait l'objet de manoeuvres visant à le renverser, sous le couvert de revendications professionnelles. Le comité avait estimé les éléments à sa disposition trop contradictoires pour pouvoir se prononcer en pleine connaissance de cause sur ce point. Il en allait de même à propos des divergences d'opinions sur la manière dont le procès s'était déroulé devant la Cour de sûreté de l'Etat.
  6. 566. Cette grève générale et les incidents auxquels elle a donné lieu ont conduit à l'arrestation de nombreux syndicalistes et à la condamnation de certains d'entre eux, notamment par la Cour de sûreté de l'Etat. Le comité avait relevé que beaucoup de ces personnes avaient retrouvé leur liberté (en raison d'un non-lieu, d'un sursis ou d'une mise en liberté conditionnelle). Toutefois, les condamnations intervenues avaient privé le mouvement syndical national de la plupart de ses principaux dirigeants; elles n'avaient pu manquer non plus d'être profondément ressenties par les militants syndicaux qui les avaient élus ainsi que par de nombreux sympathisants. Des tensions aussi graves avaient d'ailleurs dû laisser des souvenirs pénibles auprès de l'ensemble de la population. Plus d'une année s'étant alors écoulée depuis ces événements, le comité avait été d'avis que des mesures de clémence pourraient contribuer à atténuer les traces qui en étaient restées.
  7. 567. Certaines des plaintes portaient enfin sur les conditions de détention des syndicalistes incarcérés et sur les mauvais traitements dont certains auraient fait l'objet (cas, en particulier, d'Ismail Sahbani et de Said Gagui). Le gouvernement rejetait ces allégations et déclarait que les observateurs et les journalistes étrangers présents lors des différents procès qui avaient eu lieu (à Sousse, à Sfax et à Tunis) avaient pu constater que tous les inculpés, syndicalistes ou non, étaient en très bonne santé et ne portaient aucune trace de mauvais traitement. Il ajoutait, en donnant des précisions, que les conditions de détention des dirigeants condamnés étaient celles réservées aux personnes condamnées par les tribunaux, voire des conditions plus favorables. Le comité avait pris acte de ces informations. Il avait noté aussi qu Habib Achour ainsi qu'Abderrazak Ghorbal (secrétaire général de l'Union régionale de Sfax) étaient traités comme le sont ordinairement les détenus, bien qu'ils fussent séparés des autres prisonniers.
  8. 568. A sa session de février-mars 1979, le Conseil d'administration avait, en conséquence, sur recommandation du comité:
    • - constaté les contradictions entre les déclarations des plaignants et du gouvernement sur le fond de l'affaire ainsi que sur la manière dont le procès d'Habib Achour et d'autres dirigeants syndicaux s'était déroulé devant la Cour de sûreté de l'Etat;
    • - noté la libération de plusieurs syndicalistes cités par les plaignants;
    • - noté également les informations fournies par le gouvernement en réponse aux allégations relatives aux conditions de détention et aux mauvais traitements des syndicalistes incarcérés;
    • - demandé au gouvernement de bien vouloir informer le comité des résultats des poursuites engagées contre les quelques syndicalistes non encore jugés ainsi que de tout fait nouveau qui se produirait au sujet des syndicalistes condamnés, en particulier de toute mesure éventuelle de clémence qui pourrait être prise à leur égard.

B. Derniers développements

B. Derniers développements
  1. 569. Le gouvernement a fourni de nouvelles informations par des lettres des 23 et 29 mai, 19 juin et 18 octobre 1979.
  2. 570. Dans la première de ces communications, le gouvernement signalait la libération de 11 syndicalistes dont il donnait les noms, il transmettait, d'autre part, la copie d'un dossier médical concernant Said Gagui, ancien secrétaire général de la Fédération de l'alimentation et du tourisme, décédé le 9 janvier 1979; il ressortait de ces documents, soulignait-il, que l'intéressé était atteint d'une maladie cancéreuse et qu'il avait bénéficié de tous les soins et traitements médicaux nécessaires. Le gouvernement déclarait en outre qu'il continuait à examiner les conclusions formulées précédemment par le comité et qu'il ne manquerait pas de tenir le BIT informé de toutes les mesures qui seraient prises à l'égard tant des détenus en instance de jugement que des personnes condamnées (par les tribunaux de droit commun ou la Cour de sûreté de l'Etat) pour lesquelles des mesures de clémence pourraient être envisagées. Dans sa lettre du 29 mai 1979, le gouvernement indiquait qu'un certain nombre de syndicalistes impliqués dans les événements du 26 janvier 1978 avaient bénéficié de mesures de grâce; il ajoutait qu'il communiquerait par la suite la liste de ces personnes.
  3. 571. Tout en ajournant l'examen de cette affaire, le comité avait, en mai 1979, noté avec intérêt qu'un certain nombre de syndicalistes avaient été libérés. Il avait également noté que d'autres mesures de clémence pourraient être envisagées et que le gouvernement continuerait à fournir des informations sur tout développement à cet égard.
  4. 572. Le gouvernement a transmis, par une lettre du 19 juin 1979, des informations sur la situation des syndicalistes arrêtés dont les noms figuraient dans les plaintes reçues. Il en ressort qu'à cette date 77 d'entre eux se trouvaient en liberté et que 15 purgeaient encore leur peine; les noms de ces personnes sont repris en annexe.
  5. 573. Dans sa communication du 18 octobre 1979, le gouvernement signale qu'une mesure de grâce en faveur de M. Habib Achour a été annoncée par le chef de l'Etat le 3 août 1979. L'intéressé, poursuit-il, n'a passé en prison qu'un an et quelques mois alors qu'il avait été condamné à dix ans de travaux forcés; il vit actuellement au milieu des siens. Le gouvernement ajoute que les mesures de clémence dont pourrait éventuellement bénéficier les autres syndicalistes condamnés relèvent des prérogatives du chef de l'Etat et répète qu'il continuera à collaborer avec le comité.
  6. 574. Dans sa communication du 29 octobre 1979, la CISL signale aussi que, le 3 août 1979, le Chef de l'Etat a accordé sa grâce à quelques personnes dont Habib Achour. Elle ajoute cependant que l'intéressé est assigné à résidence et strictement surveillé; ses enfants, leurs conjoints et l'un de ses frères sont autorisés à lui rendre visite, mais il ne peut parler à des visiteurs qui n'auraient pas été agréés par la police de sûreté de l'Etat. En outre, le plaignant souligne que d'autres syndicalistes- condamnés par la Cour de sûreté de l'Etat n'ont pas été libérés,

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 575. Le comité prend note de ces derniers développements, notamment des renseignements médicaux fournis sur les circonstances de la mort de Said Gagui. Pour ce qui est des allégations relatives à la détention des syndicalistes à la suite de la grève du 26 janvier 1978, le comité relève avec intérêt que 77 de ces personnes sont aujourd'hui en liberté et que M. Habib Achour a fait l'objet d'une mesure de grâce. Le gouvernement ne précise toutefois pas si ces 77 personnes ont pu reprendra leurs activités syndicales et il ressort des dernières informations communiquées par la CISL que Habib Achour ne jouit pas d'une entière liberté de mouvement. En outre, les 14 personnes encore incarcérées occupaient, avant leur arrestation, des fonctions syndicales de tout premier plan: neuf d'entre elles étaient membres de la direction nationale de l'UGTT et cinq étaient responsables de fédérations régionales ou professionnelles. Le gouvernement, enfin, n'a pas fourni d'informations sur la situation actuelle de M. Ahmed Triki.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 576. En conséquence, le comité recommande au Conseil d'administration:
    • a) de noter avec intérêt que 77 syndicalistes cités par les plaignants sont aujourd'hui en liberté et de prier le gouvernement de préciser si ceux-ci ont pu reprendre leurs activités syndicales;
    • b) de noter avec intérêt également que Habib Achour a fait l'objet d'une mesure de grâce, et de demander au gouvernement de fournir des informations sur les restrictions à la liberté dont celui-ci ferait encore l'objet ainsi que sur toute mesure qui serait prise en sa faveur;
    • c) de demander également au gouvernement de fournir des informations sur toute mesure nouvelle qui, en vue de restaurer une pleine liberté syndicale, interviendrait à l'égard des 14 syndicalistes cités en annexe qui sont encore emprisonnés;
    • d) d'inviter le gouvernement à communiquer des informations sur la situation de M. Ahmed Triki, et
    • e) de prendre note de ce rapport intérimaire.

ANNEXE

ANNEXE
  1. Informations communiquées par le gouvernement sur les syndicalistes arrêtés dont les noms figuraient dans les plaintes
  2. A. Situation d'Habib Achour Voir paragraphe 573 ci-dessus.
  3. B. Sont en liberté
  4. 1. Abdellaziz Bouraoui
  5. 2. Sadok Allouche
  6. 3. Habib Ben Achour
  7. 4. El Mekki Ben Abderrahmane
  8. 5. El Kefi El Amri
  9. 6. Hafedh Gamoun
  10. 7. Mohamed Ben Aicha
  11. 8. Sadok Guedissa
  12. 9. Mizouni El M'Hemmedi
  13. 10. Messaoud Klila
  14. 11. Abdeasalem Jrad
  15. 12. Allala El Amri
  16. 13. Béchir Mabrouk
  17. 14. El Hadj Dami
  18. 15. Said El Haddad
  19. 16. Noureddine Bahri
  20. 17. Mohamed Salah Kheriji
  21. 18. Ahmed El Kahlaoui
  22. 19. Azouz Dhaouadi
  23. 20. Ban Rhouma
  24. 21. Salah Chelli
  25. 22. Salah Lahmar
  26. 23. Habib Gsouri
  27. 24. Mohamed Charaa
  28. 25. Mouldi Chouikha
  29. 26. Mokhtar Louati
  30. 27. Abdelkader Sallami
  31. 28. Moncef Fekih
  32. 29. Mohamed Ayab
  33. 30. Mohamed Dami
  34. 31. Jameleddine Ezzeddine
  35. 32. Abderrazak Boucetta
  36. 33. Salah Essid
  37. 34. Mohamed Neffati
  38. 35. Abdelmajid Saadgoui
  39. 36. Ezzeddine Krichen
  40. 37. El Borni El Allagui
  41. 38. Ahmed Chaabane
  42. 39. Touhami Haydri
  43. 40. Rachid Slouga
  44. 41. Najib Bouslah
  45. 42. AI- Mahdi
  46. 43. Ali Ben Salah
  47. 44. Moncef Gmar
  48. 45. Belgacem Kharchi
  49. 46. Ahmed Lajili
  50. 47. Mohamed Kassaoui
  51. 48. Lamine Cherif
  52. 49. Mohamed Ayoub
  53. 50. Bouraoui Attia
  54. 51. El Ajmi Hafaiedh
  55. 52. Amor Delajoura
  56. 53. Rachid Thabet
  57. 54. Ajimi Mathlouthi
  58. 55. Abdellaziz Ben Aicha
  59. 56. Brahim Farhat
  60. 57. Sadok Morjane
  61. 58. Mohamed Belajouza
  62. 59. Mohamed Naceur Djelassi
  63. 60. Ali Trabelsi
  64. 61. Hedi Eddeb
  65. 62. Salem El Haddad
  66. 63. Ali Mathlouthi
  67. 64. Jilani El Gabsi
  68. 65. Mongi Ayari
  69. 66. Saad Belloumi
  70. 67. Mohamed Ennaoui
  71. 68. Amar Hamaidi
  72. 69. Ouanés Sahnoun
  73. 70. Gader Lamaa
  74. 71. Hédi Tenjal
  75. 72. Néji Eramadi
  76. 73. Abdellaziz Ejaouadi
  77. 74. Ali Ban Romdhane
  78. 75. Mohamed Kouki
  79. 76. Hédi Der
  80. 77. Hamadi Bouhelfi.
  81. C. Purgent encore leur peine
  82. 1. Khereddine Salhi
  83. 2. Mustapha Gharbi
  84. 3. Sadok Besbes
  85. 4. Taieb Baccouche
  86. 5. Mohamed Ezzeddine
  87. 6. Abdelhamid Belaid
  88. 7. Hassen Hamoudia
  89. 8. Houcine Ben Gaddour
  90. 9. Abderrazak Ayoub
  91. 10. Abderrazak Ghorbal
  92. 11. Ismail Sahbani
  93. 12. Mohamed Chakroun
  94. 13. Néji Chaari
  95. 14. Salah B'Rour.
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