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Rapport intérimaire - Rapport No. 197, Novembre 1979

Cas no 915 (Espagne) - Date de la plainte: 06-OCT. -78 - Clos

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  1. 457. Les plaintes figurent dans une communication du 6 octobre 1978 émanant de la Confédération nationale du travail (CNT) et dans deux communications de la Solidaritat d'Obrers de Catalunya (SOC), en date du 8 septembre et du 19 octobre 1978. Le gouvernement a soumis ses observations dans une communication du 5 octobre 1979.
  2. 458. L'Espagne a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. A. Allégations des organisations plaignantes

A. A. Allégations des organisations plaignantes
  1. 459. Dans sa plainte du 6 octobre 1978, la CNT présente une plainte du comité de grève des travailleurs des stations-service de la province de Barcelone, lequel allègue qu'une grave atteinte a été portée au droit des syndicats représentatifs des travailleurs de conclure des conventions collectives.
  2. 460. Les plaignants indiquent que les relations de travail entre les travailleurs et les employeurs des stations-service de la province étaient régies, depuis huit ans, par une convention collective de portée provinciale, car les travailleurs entendaient chercher un cadre de négociation qui permette à la fois l'unité de la branche, la défense des conditions socio-économiques propres à la province et le contrôle direct de la base sur les représentants. L'interprétation de la dernière convention provinciale (de 1977) a donné lieu à une grève de l'ensemble du secteur en octobre 1977, grève qui s'est terminée avec la signature d'un pacte additionnel à la convention dans lequel l'organisation patronale, en présence de l'autorité gouvernementale, a reconnu les revendications fondamentales des travailleurs.
  3. 461. Les plaignants ajoutent que, sur la base d'un accord de l'ensemble des travailleurs, exprimé lors d'assemblées successives, une plate-forme (dont ils joignent le texte) demandant une convention de portée provinciale a été élaborée, en mars 1978, avec la participation d'une majorité absolue de délégués élus directement par les travailleurs des diverses stations-service et de membres des différentes centrales syndicales. Cette composition mixte s'est retrouvée dans la commission de négociation, qui comprenait neuf membres de la CNT, en tant que centrale majoritaire, un indépendant, un membre des Commissions ouvrières et un autre de l'Union générale des travailleurs (UGT). En juillet, toujours d'après la CNT, ces deux dernières centrales, passant outre l'accord exprimé par une grande majorité des travailleurs de la province et des membres de la commission de négociation, ont décidé d'adhérer à la convention interprovinciale des stations-service.
  4. 462. En outre, la CNT joint à sa plainte copie d'une communication en date du 29 mars 1978, adressée par eux au Bureau des conventions collectives de Barcelone et dans laquelle elle dénonçait la convention collective en vigueur, d'une deuxième communication, du 22 juin 1978, dans laquelle elle présentait à la Délégation provinciale du travail la liste des membres de la commission de négociation, et d'une troisième communication, du 23 août 1978, émanant du porte-parole de ladite commission auprès de la Délégation provinciale du travail. Cette derrière communication contient un préavis de grève invoquant les dispositions du décret-loi du 4 mars 1977 et le désir de la grande majorité du secteur d'en rester à une convention pour la seule province de Barcelone. Il y est indiqué, en outre, que l'adhésion de certaines centrales syndicales à la convention nationale est arbitraire et illégale, car c'est à la commission élue en son temps qu'il appartient véritablement de représenter les travailleurs.
  5. 463. La CNT indique dans sa plainte que, ayant eu connaissance de la demande formulée par les travailleurs des stations-service en vue de la conclusion d'une convention provinciale et des infractions au droit que les autres centrales syndicales auraient commises en adhérant pour la province à la convention intersyndicale, le ministre du Travail s'est dépêché d'activer la signature d'une convention interprovinciale. Elle ajoute que, dans un délai d'un mois au plus, devant la plainte déposée par la commission de négociation de la convention provinciale, le ministère a publié l'homologation de la convention interprovinciale, applicable à la province de Barcelone, se rendant ainsi coupable d'une violation du droit de libre négociation. D'après la CNT, il existe des conventions interprovinciales dont l'homologation a pris six et neuf mois.
  6. 464. Les plaignants indiquent enfin que, devant le refus réitéré des employeurs de signer une convention provinciale, les travailleurs ont présenté le préavis de grève légal mentionné plus haut. Une fois la grève commencée, le gouvernement civil, l'organisation patronale et les autres centrales se sont employés à violer le droit de grève, occupant militairement un grand nombre de stations-service, faisant remplacer les grévistes, arrêtant les commissions d'information, recourant aux armes pour dissuader les piquets de grève et organisant un grand déploiement de forces afin d'intimider les travailleurs.
  7. 465. Dans sa communication du 8 septembre 1978, la Solidaritat d'Obrers de Catalunya (SOC), se référant au conflit susmentionné, demande que le gouvernement soit prié de modifier son comportement, qu'elle estime contraire aux intérêts des travailleurs. D'après l'organisation plaignante, la législation actuelle n'interdit pas la négociation d'une convention de portée provinciale et il existe d'ailleurs des précédents à ce genre de situation. C'est pourquoi les travailleurs ont déclenché leur mouvement de grève pour soutenir leur revendication.
  8. 466. D'après la SOC, l'autorité gouvernementale a ordonné que des policiers armés de mitraillettes soient postés dans tous les postes d'essence, même dans ceux où les travailleurs n'étaient pas en grève, et des employés de station-service et des militants syndicaux ont été arrêtés pour le simple fait d'avoir distribué des tracts ou placé des affiches d'information sur la grève. Dans sa communication du 19 octobre 1978, la SOC a indiqué que les personnes arrêtées avaient déjà été remises en liberté, mais que la contrainte exercée par le gouvernement, par le fait de la présence de policiers armés dans les postes d'essence, se poursuivait.
  9. 467. Dans ses observations du 5 octobre 1979, le gouvernement se réfère aux allégations de la CNT relatives aux mesures prises au sujet de la grève et indique que la plainte est trop générale et imprécise. Selon lui, le fait que la CNT ait fait mention, non seulement de l'autorité gouvernementale, mais aussi, sans distinction, de l'organisation patronale et des centrales syndicales, révèle l'inconsistance de cette plainte.
  10. 468. D'après le gouvernement, il convient d'attribuer le caractère de service public à la distribution de carburants, qui a des répercussions directes sur des activités essentielles et qu'il n'est pas possible d'interrompre. Par ailleurs, il est certain que les actes des forces de l'ordre ont eu pour seul objectif de protéger les travailleurs qui, faisant usage de leur liberté légitime, ne désiraient pas se mettre en grève, ainsi que les employeurs et leur entourage. Le gouvernement déclare que les mesures prises avaient le caractère de mesures de surveillance et de protection et visaient à éviter des situations de provocation et à empêcher que des dommages ne soient causés aux personnes et aux biens (cocktail Molotov, incendies provoqués, destruction d'appareils distributeurs, agressions - qui se sont poursuivies jusqu'aux domiciles particuliers de ces ouvriers et des patrons -, menaces graves pour l'intégrité physique des intéressés, etc.).
  11. 469. D'après le gouvernement, la plainte elle-même reconnaît clairement l'existence de travailleurs qui ne s'étaient pas joints à la grève et fait état de groupes d'information qui se rendaient auprès d'eux, groupes qui agissaient par la contrainte, la peur et la violence physique. Le gouvernement considère que ce qui a été exposé éclaire suffisamment le comportement des forces de l'ordre à l'occasion du conflit en question. En outre, il invoque les principes que le comité a toujours défendus au sujet de l'obligation pour les piquets de grève de respecter l'ordre public.
  12. 470. Le comité est saisi d'allégations qui se rapportent, d'une part, à la non-reconnaissance du droit de négociation collective de la CNT, laquelle estime être l'organisation la plus représentative de la province de Barcelone dans le secteur des stations-service, et, d'autre part, aux mesures prises par les autorités au cours de la grève que cette même organisation a déclenchée pour obtenir la reconnaissance de ce droit.

B. B. Conclusions du comité

B. B. Conclusions du comité
  1. 471. Le comité observe, en premier lieu, que la CNT formule diverses allégations à l'encontre de deux autres organisations syndicales, en se fondant sur le fait que celles-ci ont signé une convention collective de portée interprovinciale que les patrons et les autorités ont utilisée, d'après la CNT, comme prétexte pour refuser de négocier au niveau provincial, où la commission de négociation désignée par les travailleurs était constituée en majorité par les représentants de la CNT. Le comité a souligné, dans des cas antérieurs, l'opportunité qu'il y aurait de prendre des mesures appropriées en vue d'assurer aux travailleurs et aux employeurs le libre exercice du droit syndical, même vis-à-vis des autres organisations ou des tiers. Cependant, le comité a pour tâche de déterminer, dans chaque cas particulier, si le gouvernement a assuré ou non sur son territoire le libre exercice des droits syndicaux. Dans le cas présent, l'organisation plaignante n'a apporté aucune preuve de ce que les autres organisations syndicales qu'elle mentionne aient violé la liberté syndicale, que ce soit en relation avec la grève ou en ce qui concerne la négociation collective. Sur ce dernier point, le comité estime en effet qu'il faut distinguer entre l'exercice par ces organisations de leur propre droit de négocier et de faire homologuer une convention de portée nationale, si elles jouissent de la représentativité nécessaire à ce niveau, du droit qu'une autre organisation représentative des travailleurs d'une profession déterminée, ou d'une région ou d'une localité, peut avoir de participer à la négociation collective aux niveaux où elle est représentative.
  2. 472. En conséquence, avant de poursuivre son examen de cet aspect du cas, le comité souhaiterait recevoir les observations du gouvernement au sujet des allégations selon lesquelles les autorités auraient favorisé la conclusion d'une convention interprovinciale qui, d'après les plaignants, aurait entravé ou empêché la négociation d'une convention provinciale remplaçant celle qui était en vigueur antérieurement.
  3. 473. En ce qui concerne les allégations se rapportant aux mesures que les autorités ont prises au cours de la grève, le comité a, dans des cas antérieurs, rejeté des plaintes relatives à l'intervention des forces de sécurité lorsque les faits démontraient que cette intervention s'était bornée au maintien de l'ordre public, sans limiter l'exercice légitime du droit de grève; en même temps, il a exprimé l'opinion que le recours à la police pour briser une grève aurait constitué une violation des droits syndicaux. Le comité a signalé, d'autre parte, que l'utilisation des forces armées ou d'un autre groupe de personnes pour remplir les fonctions qui ont été abandonnées par suite d'un conflit du travail - et si, en outre, la grève est légale - ne pourrait être justifiée que par la nécessité d'assurer le fonctionnement de services ou d'industries dont la paralysie provoquerait un état de crise aiguë. Enfin, le comité a jugé légitimes les dispositions légales qui interdisent aux piquets de grève de troubler l'ordre public et de menacer les travailleurs qui poursuivent leurs occupations.
  4. 474. Dans le cas présent, les plaignants ont allégué que les autorités ont occupé militairement un grand nombre de stations-service, faisant remplacer les travailleurs en grève, arrêtant les commissions d'information, recourant aux armes pour dissuader les piquets de grève et organisant un déploiement de forces à des fins d'intimidation. A ces allégations, que les plaignants ont formulées sans fournir de renseignements précis (par exemple, l'identité et les fonctions syndicales des personnes arrêtées), le gouvernement répond, en termes également assez généraux, que les actes des forces de l'ordre ont eu pour seul objectif de protéger les travailleurs qui ne désiraient pas se mettre en grève et d'empêcher des dommages aux biens, et il indique que des agressions personnelles avaient été commises et des menaces graves proférées contre des ouvriers et des employeurs. Vu la contradiction qui existe entre les allégations des plaignants et les observations du gouvernement, ainsi que le manque d'informations précises sur les faits, et prenant note de ce que, d'après l'une des organisations plaignantes, les syndicalistes arrêtés ont été remis en liberté, le comité estime que cet aspect de la plainte n'appelle pas un examen plus approfondi.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 475. Dans ces conditions, le comité recommande su Conseil d'administration:
    • a) en ce qui concerne les mesures que les autorités ont prises en raison de la grève dans les stations-service de Barcelone, de décider, pour les raisons indiquées au paragraphe 474 ci-dessus, que cet aspect du cas n'appelle pas un examen plus approfondi;
    • b) de prier le gouvernement d'envoyer ses observations au sujet des allégations selon lesquelles les autorités auraient favorisé la conclusion d'une convention interprovinciale, entravant ou empêchant ainsi la négociation d'une convention provinciale;
    • c) de prendre note du présent rapport intérimaire.
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