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Rapport intérimaire - Rapport No. 234, Juin 1984

Cas no 1007 (Nicaragua) - Date de la plainte: 20-NOV. -80 - Clos

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  1. 418. Le comité a examiné ce cas à diverses reprises [voir 208e rapport du comité, paragr. 371 à 391, et 218e rapport, paragr. 437 à 466, approuvés par le Conseil d'administration à ses 216e et 221e sessions, en mai-juin 1981 et novembre 1982, respectivement], le plus récemment à sa session de février-mars 1984 [voir 233e rapport du comité, paragr. 214 à 317, approuvé par le Conseil d'administration à sa 225e session de février-mars 1984], au cours de laquelle il a présenté un rapport intérimaire. Le gouvernement a envoyé certaines informations dans une communication datée du 27 février 1984, que le Bureau a reçue après la session du comité de février-mars 1984.
  2. 419. Le Nicaragua a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. Examen antérieur du cas

A. Examen antérieur du cas
  1. 420. Lors du dernier examen du cas par le comité, restait en instance l'allégation relative à la mort de M. Jorge Salazar Arguello, vice-président du Conseil supérieur de l'entreprise privée (COSEP). Le comité avait formulé à ce sujet la recommandation suivante au Conseil d'administration: "Le comité regrette profondément que le gouvernement n'ait pas encore fourni le texte du jugement que le tribunal militaire a rendu depuis un certain temps déjà contre les militaires auteurs de la mort du dirigeant d'entreprise M. Salazar Argüello et lui demande instamment de l'envoyer dans les meilleurs délais". [Voir 233e rapport du comité, paragr. 317.]
  2. B. Réponse du gouvernement
  3. 421. Dans sa communication du 27 février 1984, le gouvernement communique le texte du jugement du Tribunal militaire de première instance des Forces armées sandinistes du 1er mars 1982, concernant la mort de M. Jorge Salazar Argüello.
  4. 422. Dans ce jugement, le tribunal militaire arrête ce qui suit:
  5. "La présente affaire est classée de manière définitive et totale en ce qui concerne le délit d'homicide qui aurait été commis sur la personne de Jorge Salazar Argüello, homicide dont étaient accusés les camarades Javier del Carmen González Garcia, Francisco Javier Rodríguez Díaz et Pedro José Andino Villalobos, tous trois majeurs, militaires en service actif, le premier célibataire, le second marié et tous les trois domiciliés dans le ressort du présent tribunal, car il a été établi qu'ils avaient agi dans l'accomplissement d'un devoir et dans l'exercice légitime d'un droit, d'une autorité ou d'une charge et, en outre, en état de légitime défense. le tribunal ordonne donc qu'ils soient remis immédiatement en liberté."
  6. 423. Dans les attendus du jugement, le tribunal déclare en particulier ce qui suit:
  7. "... Il ressort du dossier que le 17 novembre 1980, dans la localité d'El Crucero, le défunt Salazar Argüello s'entretenait avec Néstor Omar Moncada Lau au sujet du transbordement d'armes de guerre que Salazar transportait dans une camionnette Cherokee, lui appartenant sans doute et qui, pour camoufler les agissements délictueux de son conducteur contre l'Etat révolutionnaire, portait deux jeux de plaques d'immatriculation superposées; Salazar Argüello et Moncada Lau étaient occupés à ce transbordement lorsqu'ils virent soudain déboucher devant la station d'essence Esso d'El Crucero, où ils effectuaient cette opération, la patrouille composée des accusés oeuvrant à préserver notre lutte en faveur des intérêts du peuple; les premiers ouvrirent immédiatement le feu contre le véhicule que conduisait la patrouille, de sorte que cette dernière a dû repousser l'agression dont elle était l'objet et M. Jorge Salazar Argüello est mort au cours de l'échange de coups de feu. Nous ne trouvons en l'espèce aucun élément de jugement qui pourrait amener le tribunal à mettre en doute que MM. Moncada Lau et Salazar Argüello ont été les premiers à ouvrir le feu contre les agents de l'ordre, et cette version des faits a été confirmée par Néstor Moncada Lau lui-même - complice dans les activités illégales de Salazar - dans sa déposition faite devant le juge militaire d'instruction, à 8 h 40 du matin, le vendredi 24 juillet 1981, de manière spontanée et volontaire; M. Moncada Lau a ajouté que, lorsqu'ils ont été découverts, ils allaient charger dans le véhicule qu'il conduisait six fusils M-16 et une certaine quantité de magazines se trouvant dans le véhicule de Salazar Argüello, et qu'à l'heure et au lieu convenus avec Salazar, ce dernier est arrivé, garant sa camionnette Cherokee à la hauteur de la voiture Toyota que conduisait Moncada Lau, derrière la station d'essence Esso de la localité susmentionnée, afin de protéger leur action délictueuse des regards des curieux qui auraient pu les surprendre; Moncada Lau a déclaré que, lorsqu'il venait de commencer de décharger les armes de la camionnette Cherokee que conduisait Salazar, un véhicule ayant à son bord des militaires - probablement des membres des Forces de sécurité de l'Etat - s'est arrêté et qu'à ce moment-là Salazar se trouvait au volant de la camionnette Cherokee, s'apprêtant, une fois achevé le transbordement des armes, à rentrer dans sa propriété située près d'El Crucero et que, par instinct de conservation, il a sorti l'arme à feu qu'il portait, laquelle était chargée, et a commencé à tirer contre la patrouille de la sécurité de l'Etat: cette dernière a été forcée de riposter aux coups de feu dont elle était l'objet et, au cours de cet échange, s'est produit la mort de Salazar Argüello; cette mort, certes regrettable à cause des conséquences qu'elle a pour ses parents et amis, ne peut être attribuée qu'à l'action désespérée de Moncada Lau et de Salazar cherchant à s'échapper indemnes des activités contre-révolutionnaires qu'ils menaient en vue de détruire notre Etat révolutionnaire et de recouvrer leurs privilèges perdus; ils sont allés jusqu'à essayer de démolir notre système en se livrant au trafic illégal d'armes de guerre et en se préparant à les utiliser; ainsi, les accusés Javier Del Carmen Rodríguez Garcia, Francisco Javier Rodríguez Diaz et Pedro Andino Villalobos n'ont fait qu'accomplir leur devoir de membres des Forces de sécurité de l'Etat et ont agi dans l'exercice légitime de leur droit en tant que militaires chargés de veiller au maintien de l'ordre interne et externe de la République. Dans cette situation, leur action entre parfaitement dans le champ d'application des dispositions portant immunité de responsabilité criminelle du neuvième alinéa de l'article 28 du Code pénal, de sorte que l'accusation de responsabilité criminelle dont ils ont fait l'objet est irrecevable du fait que leur conduite est pleinement justifiée.
  8. A supposer même que les accusés n'aient pas accompli leur devoir en repoussant l'agression dont ils faisaient l'objet de la part de Salazar Argüello et de Mondaca Lau et qu'ils n'aient pas exercé un droit d'autorité, même dans ces circonstances ils seraient exonérés de la responsabilité criminelle en vertu de la clause de la légitime défense, car les trois conditions qui doivent exister simultanément, d'après notre Code pénal, pour que l'on se trouve en présence d'un acte de légitime défense, se trouvaient réunies dans le cas d'espèce. Comme on le sait, pour qu'il y ait légitime défense, il faut qu'il existe une agression illégitime, qu'en même temps il y ait la nécessité rationnelle du moyen employé pour empêcher ou repousser cette agression et qu'il n'y ait pas de provocation de la part de la personne qui se défend, conditions qui sont dûment remplies dans le cas présent d'après la propre déclaration de Néstor Moncada Lau et d'après la déclaration de M. Jessi Rojas Sánchez, dont la déposition fait apparaître d'une manière indubitable que la patrouille des Forces de sécurité de l'Etat n'a pas attaqué Salazar et Moncada Lau, et qu'elle s'est bornée à repousser l'agression dont elle était l'objet de la part de ces derniers..."

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 424. Le comité prend note du contenu du jugement du Tribunal militaire de première instance des Forces armées sandinistes du 1er mars 1982 concernant la mort de M. Jorge Salazar Argüello, président du COSEP. Le comité rappelle, que dans son rapport antérieur sur ce cas, il avait pris note de ce qu'un tribunal militaire avait été saisi de l'affaire, en vertu de l'article 18 de la loi sur l'organisation du tribunal militaire et la procédure pénale militaire provisoire, aux termes duquel "il incombe aux tribunaux militaires de connaître des procès pénaux intentés au titre de tout acte punissable dans lequel est mis en cause un militaire, même si l'un des participants ou la victime sont des civils".[Voir 233e rapport, paragr. 232.]
  2. 425. Le comité note que, dans le jugement susmentionné, l'affaire est classée "en ce qui concerne le délit d'homicide qui aurait été commis contre la personne de M. Jorge Salazar Argüello, homicide dont sont accusés Javier del Carmen González Garcia, Francisco Javier Rodríguez Diaz et Pedro José Andino Villalobos, militaires en service actif ..., car il a été établi qu'ils ont agi en accomplissement de leur devoir et dans l'exercice légitime d'un droit, d'une autorité ou d'une charge et, en outre, en état de légitime défense".
  3. 426. Le comité note qu'il ressort du jugement que M. Salazar, afin de couvrir des actions délictueuses contre l'Etat révolutionnaire, a tiré contre le véhicule d'une patrouille des Forces de sécurité de l'Etat arrivée pendant que M. Salazar transportait des armes à feu (six fusils M-16) entre sa camionnette et la voiture de M. Montada Lau, de sorte que les membres de la patrouille ont dû repousser l'agression et qu'au cours de l'échange de coups de feu est mort M. Salazar. Les faits se sont produits le 17 novembre 1980 devant la station d'essence Esso d'El Crucero.
  4. 427. Le comité observe que l'autorité judiciaire militaire a conclu à l'existence de faits justificatifs en faveur des militaires auteurs de la mort de M. Salazar, en particulier que ce dernier aurait commencé l'échange de coups de feu et que la version des faits sur laquelle se base le jugement a été corroborée par M. Montada Lau, c'est-à-dire la personne qui accompagnait M. Salazar au moment de sa mort.
  5. 428. Cependant le comité souhaite souligner que dans sa communication du 3 décembre 1981 le gouvernement avait déclaré. "il n'est pas certain que M. Jorge Salazar soit mort à la suite d'une embuscade de la police. Cette personne est morte alors qu'elle allait être capturée en même temps que la personne qui l'accompagnait et qui a attaqué avec une arme à feu les autorités qui allaient l'arrêter, ceci a conduit à un échange de coups de feu qui a malheureusement provoqué la mort de M. Salazar Argüello". De même, dans sa communication du 7 septembre 1982 (reçue au BIT le 12 octobre 1982), le gouvernement avait déclaré: "s'il est certain que Jorge Salazar, au moment des événements, n'avait dans les mains aucune arme, comme l'a reconnu le Commandant Tomás Borge, il est vrai que six M-16 se trouvaient dans sa camionnette et qu'il se préparait à les remettre à Montada Lau".
  6. 429. Face à la contradiction qui existe entre le contenu du jugement du Tribunal militaire de première instance de l'"auditorium general" des Forces armées sandinistes du 1er mars 1982 (selon lequel M. Salazar aurait tiré le premier) et les communications susmentionnées du gouvernement (dans lesquelles il est reconnu implicitement et explicitement que M. Salazar n'était pas armé au moment des faits), communications qui ont respectivement une date antérieure et postérieure à la décision de justice, le comité doit exprimer sa surprise et demander instamment au gouvernement de fournir des explications sur ce point, d'autant plus qu'il constate que la décision de justice rendue le 1er mars 1982 ne lui a été transmise que par une communication du 27 février 1984, c'est-à-dire presque deux ans après qu'elle ait été rendue.
  7. 430. Afin de pouvoir se prononcer sur l'allégation en instance avec suffisamment d'éléments, le comité demande au gouvernement d'indiquer si le jugement du 1er mars 1982 a l'autorité de la chose jugée et s'il était possible de recourir en appel contre ce jugement ou si l'instance supérieure devait être consultée d'office.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 431. Dans ces conditions, le comité recommande au Conseil d'administration d'approuver le présent rapport intérimaire et en particulier les conclusions suivantes:
    • a) Le comité exprime sa surprise en constatant la contradiction qui existe entre le jugement du 1er mars 1982 (selon lequel le vice-président du COSEP, M. Jorge Salazar, aurait tiré le premier des coups de feu contre la patrouille de la sécurité, ce qui aurait conduit à son décès) et deux communications du gouvernement, l'une antérieure et l'autre postérieure à ce jugement (dans lesquelles il est implicitement et explicitement reconnu que M. Salazar n'était pas armé au moment des faits), et ceci d'autant plus que le jugement en question n'a été transmis par le gouvernement que presque deux ans après avoir été rendu. Le comité demande donc instamment au gouvernement d'expliquer cette contradiction et ce délai.
    • b) Le comité demande au gouvernement d'indiquer si le jugement du 1er mars 1982 a l'autorité de la chose jugée et s'il était possible de recourir en appel contre ce jugement ou si l'instance supérieure devait être consultée d'office.
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