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Rapport intérimaire - Rapport No. 208, Juin 1981

Cas no 1007 (Nicaragua) - Date de la plainte: 20-NOV. -80 - Clos

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  1. 371. Cette plainte figure dans une communication en date du 20 novembre 1980 émanant de l'organisation internationale des employeurs, qui a envoyé des informations complémentaires le 9 janvier 1981. Le gouvernement y a répondu par des communications en date des 21 novembre 1980 et 30 janvier 1981.
  2. 372. Le Nicaragua a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégations de l'organisation plaignante

A. Allégations de l'organisation plaignante
  1. 373. L'OIE allègue que, le 17 novembre 1980, M. Jorge Salazar Argüello, vice-président du Conseil supérieur de l'entreprise privée (COSEP), a été abattu par la police, au cours d'une embuscade, quelques instants après avoir présidé une réunion du COSEP et alors qu'il ne portait pas d'arme. D'après l'OIE, qui qualifie ce fait d'assassinat, aucune preuve sérieuse n'a été administrée pour soutenir les accusations portées par le gouvernement contre M. Salazar Argüello (transport d'armes, appartenance à un mouvement séditieux, tentative de rétablir le régime de Somoza et obtention d'aide de l'étranger à cet effet).
  2. 374. En se référant à la violation, au Nicaragua, des libertés civiles indispensables à l'exercice des droits syndicaux, l'organisation plaignante a insisté sur son incidence sur la manière dont les faits en rapport avec la mort de M. Salazar ont été traités. Ainsi, d'après l'organisation plaignante, le droit à un jugement équitable par un tribunal indépendant n'aurait pas été respecté à l'égard de M. Salazar- le tribunal, devant lequel ont comparu huit membres accusés d'un complot contre-révolutionnaire, a acquitté d'autres personnes et a décidé de classer définitivement "en faveur" de Jorge Salazar Argüello l'affaire pour cause de mort, continuant de la sorte à faire régner l'incertitude sur les événements réels du 17 novembre 1980 et sur les accusations selon lesquelles le défunt aurait dirigé ledit complot. Les prétendues preuves consistent en déclarations de journalistes et de détenus (obtenues de ces derniers en prison), en un témoignage verbal d'un membre de la police et en un témoignage écrit d'un fonctionnaire qui ne s'est pas présenté au procès.
  3. 375. L'organisation plaignante ajoute, au sujet de la liberté d'expression, que le gouvernement - se fondant sur le décret no 511, du 10 septembre 1980 - a interdit aux moyens de communication de masse (presse, radio, etc.) d'informer le public sur l'assassinat de M. Salazar, qualifié d"'affrontement armé", sans un contrôle préalable, effectué par les services du gouvernement, de la véracité de ces informations.
  4. 376. L'OIE signale, dans sa communication du 20 novembre 1980, que plusieurs dirigeants d'entreprise ont été emprisonnés. Elle indique, à propos des arrestations et des détentions qui sont inter-, venues à la suite du changement de régime, que ces mesures n'ont pas cessé et que l'article 51 du décret sur les droits et garanties des Nicaraguayens refuse le droit de recours à l'habeas corpus pour certains délits ("crimes supposés ou réels commis sous le régime de Somoza").
  5. 377. L'OIE affirme également que le gouvernement tolère et favorise les pressions du Front sandiniste de libération nationale (FSLN) qui s'exercent sur les centrales syndicales indépendantes pour les forcer à s'affilier à une centrale syndicale unique. L'OIE, dans une des annexes jointes à ses communications, se réfère au projet de loi sur les associations syndicales. Ce texte dispose que la politique syndicale doit être orientée de manière à éviter la prolifération des organisations syndicales, à interdire la création d'autres syndicats s'il en existe déjà un dans une profession ou une branche d'activité et à créer une centrale unique de travailleurs pour les salariés occupés dans les villes et pour les travailleurs agricoles; enfin, il dispose que les syndicats ne peuvent grouper que des travailleurs, alors que la convention no 87 garantit le même droit aux employeurs.
  6. 378. En ce qui concerne les employeurs et les professions indépendantes, l'OIE affirme que le FSLN s'efforce, avec l'appui du gouvernement, de diviser le COSEP en organisant les petites et moyennes entreprises, ainsi que les professions indépendantes. L'OIE signale notamment qu'un avant-projet de loi portant réglementation de l'exercice des professions (qui émane du FSLN et qui a été publiée par lui et le gouvernement) confère des pouvoirs exorbitants à deux organes dont la création est envisagée (le Conseil national des professions et la Confédération nationale des associations nationales) et limite la liberté d'action des personnes exerçant des professions indépendantes. D'après l'OIE, le gouvernement est hostile au COSEP et à ses membres.
  7. 379. L'OIE allègue enfin qu'aux termes du décret no 530, du 24 septembre 1980, la négociation et l'approbation des conventions collectives doivent forcément être soumises pour approbation au ministère du Travail.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 380. Dans sa communication du 30 janvier 1981, le gouvernement déclare que le décès de M. Salazar est dépourvu de tout rapport avec sa qualité de vice-président du COSEP et qu'on ne saurait le considérer comme un assassinat, car les éléments constitutifs de ce crime - préméditation, guet-apens ou disproportion des forces - n'étaient pas réunis, ni comme un homicide, puisque ce décès a été le résultat d'un heurt entre des membres de la sécurité de l'Etat et un groupe armé auquel appartenait le défunt et qui conspirait contre le gouvernement.
  2. 381. On ne saurait, ajoute le gouvernement, considérer la mort de M. Salazar comme violant la convention no 87 puisqu'il a été amplement démontré par des dépositions de témoins et des aveux de personnes arrêtées qu'il existait une tentative de coup de force et les plans d'une conspiration qui s'efforçait d'exécuter ce projet avec le concours de personnes ayant appartenu, en son temps, à l'ex-garde de Somoza; ces activités, poursuit le gouvernement, ne sauraient donc être considérées d'aucun point de vue comme syndicales: il s'agissait manifestement de conspiration, formant un délit contre la sécurité de l'Etat.
  3. 382. Les personnes arrêtées, affirme le gouvernement, ne sauraient en aucune manière être qualifiées de dirigeants syndicaux, comme la plainte de l'OIE l'affirme, car elles n'appartenaient à aucun syndicat (bien que la chose soit possible, il n'existe pas, au Nicaragua, de syndicats d'employeurs mais il existe des associations constituées et réglementées en vertu du Code civil); les personnes en question conspiraient donc contre la paix, la sécurité de l'Etat et la vie des personnes au pouvoir.
  4. 383. Le gouvernement rejette par conséquent l'accusation de violation de la convention no 87 et celle d'assassinat.
  5. 384. Le gouvernement a joint à ses communications une copie de la plainte pour infractions pénales et le texte du jugement rendu à propos des délits mentionnés (jugement qui fait à l'heure actuelle l'objet d'un pourvoi en appel), ainsi que la copie des dépositions recueillies par les autorités judiciaires et policières, dépositions qui renseignent sur la participation de Jorge Salazar, Dora Maria Lau de Lacayo, Leonardo Ramón Sommarriba, Alejandro Salazar Elizondo, Nestor Moncada Lau, Luis Adolfo Valle Lau, Mario Hannon Talavera, Jaime Francisco Castillo et Gabriel Lacayo Benard à des menées conspiratrices visant à renverser le gouvernement au moyen de coup d'Etat et d'attentats contre la vie des gouvernants.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 385. Avant d'aborder les questions soulevées par l'organisation plaignante, le comité tient à exprimer sa préoccupation devant la gravité de certaines allégations concernant la mort d'un dirigeant du COSEP - mort que le comité regrette profondément - et l'arrestation de plusieurs dirigeants patronaux.
  2. 386. De l'avis du comité, le fait que le COSEP n'aurait pas le caractère d'organisation syndicale aux yeux de la législation du Nicaragua ne dispense pas le gouvernement des obligations découlant notamment de la ratification par ce pays de la convention no 87 de respecter la liberté des employeurs du Nicaragua de constituer l'organisation de leur choix, et le droit de cette dernière d'organiser sa gestion et son activité et de formuler son programme d'action sans intervention des autorités publiques de nature à limiter ce droit.
  3. 387. Le comité prend note des informations fournies par le gouvernement au sujet de M. Jorge Salazar Argüello et notamment du fait que le Tribunal criminel de première instance du district de Managua a classé définitivement en faveur de Jorge Salazar Argüello, en raison du décès de celui-ci; le comité note néanmoins que le gouvernement, dans sa réponse, accuse M. Jorge Salazar Argüello de conspirer contre le gouvernement au sein d'un groupe armé. Il observe également que, si ces informations concernent de prétendues menées conspiratrices, elles ne contiennent pas de précisions suffisantes sur les motifs et les circonstances de l'action de la police qui a abouti à la mort de M. Salazar dont, selon les informations en la possession du comité, le gouvernement a formellement reconnu qu'il n'était pas armé au moment de cette action. A ce propos, le comité observe qu'en répondant par écrit à une série de questions formulées par le ministère public - texte que le gouvernement a joint à ses communications - le responsable en second de la sécurité de l'Etat n'a rien consigné en regard de la question no 45, relative aux circonstances de la mort de M. Salazar. Le comité constate également que, bien que le texte du jugement communiqué par le gouvernement fasse allusion aux formalités entreprises par la deuxième Chambre criminelle pour élucider les circonstances de la mort de Jorge Salazar Argüello, formalités qui comportent des dépositions de témoins, la copie de ces pièces ne lui a pas été envoyée. Dans ces circonstances, et comme il l'a fait par le passé quand il était saisi d'allégations relatives à la mort de syndicalistes, le comité ne peut que demander au gouvernement d'ouvrir dans les meilleurs délais, si cela n'a pas déjà été fait, une enquête judiciaire indépendante pour élucider complètement les faits, déterminer les responsabilités et punir les coupables, ainsi que de communiquer les résultats de l'enquête.
  4. 388. En ce qui concerne les arrestations et l'emprisonnement de dirigeants patronaux, le comité a examiné le texte du jugement qui les a condamnés à différentes peines privatives de liberté, pour leur participation à des menées conspiratrices, et il a pris note du fait qu'un pourvoi en appel a été interjeté. Le comité prie le gouvernement de lui envoyer le texte de l'arrêt de la Cour d'appel avec ses considérants, pour qu'il puisse se prononcer sur les allégations en pleine connaissance de cause.
  5. 389. Pour ce qui est du décret no 530, du 24 septembre 1980, en vertu duquel les conventions collectives doivent être soumises à l'approbation du ministère du Travail, le comité se doit d'appeler l'attention du gouvernement sur le fait qu'en ce qui concerne l'exigence de l'homologation d'une convention collective par le ministère avant qu'elle puisse entrer en vigueur, une telle exigence n'est pas pleinement conforme aux principes de la négociation volontaire établis par la convention no 982. Dans des cas analogues, le comité a recommandé la mise en oeuvre de certains moyens visant à inviter les parties aux négociations collectives à tenir compte volontairement de considérations relatives à la politique économique et sociale du gouvernement et à la sauvegarde de l'intérêt général, tels que la création d'organismes consultatifs; il conviendrait cependant d'emprunter toujours la voie de la persuasion et non celle de la contrainte, les parties devant rester libres de leur décision finale.
  6. 390. Enfin, le comité constate que le gouvernement n'a pas répondu aux allégations concernant: le projet de loi sur les associations syndicales et les pressions éventuelles du FSLN sur les centrales syndicales indépendantes pour les forcer à s'affilier à une centrale syndicale unique; les atteintes à la liberté d'information en interdisant la publication d'informations concernant la mort de M. Salazar Argüello; les prétendus efforts du FSLN avec l'appui du gouvernement pour diviser le COSEP; l'avant-projet de loi sur la réglementation de l'exercice des professions et l'hostilité du gouvernement à l'égard du COSEP et de ses membres. Le comité prie le gouvernement de lui adresser des informations sur toutes ces allégations.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 391. Dans ces conditions, le comité recommande au Conseil d'administration d'approuver le présent rapport intérimaire et, notamment, les conclusions suivantes:
    • Le comité déplore la mort du vice-président du COSEP, Jorge Salazar Argüello et exprime la préoccupation que lui inspire la gravité des allégations.
    • Le comité attire l'attention du gouvernement sur le fait que l'obligation qu'il a de respecter les droits syndicaux ne dépend pas de la forme juridique que les employeurs du Nicaragua choisissent de donner à leur organisation.
    • Le comité prie le gouvernement d'ouvrir dans les meilleurs délais, si cela n'a pas déjà été fait, une enquête judiciaire indépendante sur la mort de Jorge Salazar Argüello, pour élucider complètement les faits et déterminer les responsabilités et le prie aussi de lui communiquer les résultats de cette enquête.
    • Pour ce qui est des dirigeants arrêtés et condamnés à des peines de prison, le comité prie le gouvernement de lui envoyer le texte de l'arrêt de la Cour d'appel avec ses considérants.
    • Le comité attire l'attention du gouvernement sur le fait qu'il n'est pas pleinement conforme aux principes de la négociation volontaire de soumettre les conventions collectives à l'approbation préalable du ministère du Travail et, dans des cas analogues, il a recommandé l'adoption de procédures empruntant la voie de la persuasion et non pas de la contrainte, pour que les parties tiennent compte de manière volontaire des considérations relatives à la politique économique et sociale du gouvernement lorsqu'elles négocient des conventions collectives.
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