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Rapport intérimaire - Rapport No. 230, Novembre 1983

Cas no 1160 (Suriname) - Date de la plainte: 28-SEPT.-82 - Clos

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  1. 509. Le comité a déjà examiné ce cas à sa session de février 1983 et a présenté des conclusions intérimaires au Conseil d'administration. Le gouvernement a, par la suite, fait parvenir des communications datées du 7 avril et du 16 mai 1983, dont il est pris note dans un paragraphe spécial du 226e rapport du comité au Conseil d'administration.
  2. 510. De plus, et avec l'accord du gouvernement, M. W.R. Simpson, chef du Service de la liberté syndicale, s'est rendu en mission de contacts directs au Suriname en qualité de représentant du Directeur général. Il était accompagné de Mme Jane Hodges, du Service de la liberté syndicale. La mission s'est déroulée du 18 au 25 août 19833.
  3. 511. Suite à une demande formulée par le gouvernement du Suriname, M. R.G. Simons, secrétaire permanent au Travail par intérim, a fait une déclaration devant le comité le 7 novembre 1983.
  4. 512. Le Suriname a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, mais n'a pas ratifié la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. Examen antérieur du cas

A. Examen antérieur du cas
  1. 513. A son premier examen du cas en février 1983, le comité a exprimé sa profonde préoccupation face à la gravité des allégations formulées, qui ont trait à la mort du dirigeant syndical Cyrill Daal pendant sa détention en forteresse, à l'arrestation ou la disparition de dirigeants syndicaux et à l'occupation et la destruction des locaux du syndicat "De Moederbond". Tout en notant l'explication donnée par le gouvernement sur la mort "accidentelle" de ce dirigeant pendant une tentative d'évasion, 1e comité a souligné qu'un climat de violence constitue un grand obstacle à l'exercice des droits syndicaux.
  2. 514. De plus, le Conseil d'administration, sur la recommandation du comité, a adopté les recommandations suivantes:
    • - Le comité prie le gouvernement de fournir des informations détaillées et précises sur les allégations et, notamment, sur les circonstances qui ont conduit à la mort et à l'arrestation de syndicalistes, y compris le résultat de toute enquête qui pourrait être faite.
    • - Le comité note que le gouvernement consent à la proposition du Directeur général d'envoyer une mission de contacts directs au Suriname pour élucider la situation et permettre ainsi au comité de parvenir à des conclusions en pleine connaissance de cause.
    • - Le comité espère qu'il aura à sa disposition, à sa prochaine réunion, le rapport du représentant du Directeur général sur la situation.
  3. 515. La mission de contacts directs a été deux fois reportée par le gouvernement. A sa 223e session (mai-juin 1983), le conseil d'administration notait que, pendant sa session de mai 1983, il avait reçu du gouvernement une communication datée du 16 mai 1983 qui donnait des observations détaillées sur les allégations, mais que le comité n'a pas pu examiner alors. En ce qui concerne la demande de contacts directs, le Conseil d'administration a noté que le gouvernement indiquait qu'il confirmerait son invitation dès que possible. Le comité a exprimé le ferme espoir que le gouvernement prendrait les dispositions voulues pour que, dans un proche avenir, une mission de contacts directs puisse se rendre sur place afin de lui permettre, lors de sa réunion de novembre, d'examiner le cas en meilleure connaissance de cause.

B. Nouvelles communications du gouvernement

B. Nouvelles communications du gouvernement
  1. 516. Le gouvernement, dans sa communication du 7 avril 1983, rejetait à nouveau toutes les allégations et déclarait que toutes les personnes suivantes étaient en vie; Fred Derby (qui participait alors aux négociations syndicales); John Kamperveen (aux Pays-Bas); Mangal (encore en détention pour sa participation à une tentative de coup d'état en mars 1982). Selon le gouvernement, les faux renseignements sur les troubles de décembre 1982 au Suriname avaient été délibérément répandus pour tromper l'opinion internationale.
  2. 517. Dans sa communication du 16 mai 1983, le gouvernement souligne qu'il a toujours nié les allégations, et répète que M. Daal a trouvé la mort pendant une tentative d'évasion. Il déclare qu'il n'y a au Suriname aucune loi ou règlement qui restreigne la liberté syndicale, y compris le droit de grève, ou la négociation collective, et indique que les restrictions temporaires mises par proclamation au droit de réunion après le 8 décembre 1982 ont été abrogées de la même manière le 25 février 1983. Le gouvernement souligne aussi que toutes les réglementations du travail sont rédigées avec consultation des organisations de travailleurs intéressées, et il communique des coupures de presse à l'appui.
  3. 518. Après un rappel du passé colonial du pays, le gouvernement déclare que le mouvement révolutionnaire lancé au Suriname le 25 février 1980 risquait encore d'être enrayé par les intérêts étrangers et par certains milieux corrompus locaux. Cette situation exigeant une vigilance accrue quant à la sécurité nationale, le gouvernement estime devoir gouverner en étroite collaboration avec l'autorité militaire.
  4. 519. Selon le gouvernement, l'arrestation de M. Daal, président du Moederbond, n'était en rien liée à ses activités syndicales. M. Daal avait été arrêté en raison d'activités politiques manifestement subversives qui tendaient à renverser le gouvernement. Le gouvernement déclare que ses activités faisaient partie d'un plan de déstabilisation qui devait aboutir à un coup de force.
  5. 520. Le gouvernement estime que le Moederbond ne participait pas à ce plan en tant que fédération syndicale, mais que M. Daal et M. A. Haakmat, conseiller principal du Moederbond, conspiraient à titre individuel. Il relève que M. Haakmat avait quitté le pays avant le 8 décembre pour recruter des mercenaires dans le cadre du complot antigouvernemental, et soutient que M. Haakmat s'occupe encore activement de recruter une force mercenaire pour envahir le pays. Le gouvernement souligne que les autres personnalités du Moederbond n'avaient pas été informées du rôle que devait jouer la fédération dans le complot, et que le comité directeur a par conséquent, après avoir consulté les syndicats affiliés, exclu tous les conseillers et responsables restés à l'étranger après les événements, se dissociant ainsi de leurs activités contre-révolutionnaires.
  6. 521. En ce qui concerne les grèves menées par les syndicats affiliés au Moederbond avant les événements du 8 décembre 1982, le gouvernement déclare que M. Daal manipulait sa fédération pour rétablir la situation d'avant le 25 février 1980 et il souligne que ces agissements étaient isolés et ne trouvaient aucun appui de la part des autres grands syndicats. Il souligne que le président du Moederbond a été le seul membre de cette fédération parmi les personnes arrêtées pour appartenance à une organisation politique secrète et subversive visant à renverser le gouvernement par la force.
  7. 522. D'après le gouvernement, les locaux du Moederbond étaient un des lieux de rencontre de ce groupe clandestin; il exprime son regret de ce que les opérations militaires menées pour étouffer le complot aient entraîné la destruction des locaux, et déclare que, lors de récentes délibérations entre le Premier ministre et le comité directeur du Moederbond, le gouvernement s'est engagé à construire de nouveaux locaux.
  8. 523. En ce qui concerne la détention prétendue de syndicalistes, le gouvernement déclare qu'aucun dirigeant syndical n'est actuellement détenu, car les mesures de sécurité ne visaient aucun mouvement syndical ou ouvrier. Il s'est avéré que trois des personnes arrêtées le 8 décembre 1982 étaient des syndicalistes connus; l'un d'entre eux a été relâché dans les 24 heures parce qu'il n'avait manifestement eu aucune part au complot. Les deux autres ont perdu la vie en essayant de s'évader.
  9. 524. Le gouvernement a pleinement conscience des obstacles qu'un climat de violence met à l'exercice des droits syndicaux; c'est pourquoi il s'efforce d'exécuter pacifiquement son programme de reconstruction nationale. Il estime que la violence a été suscitée à plusieurs reprises, et de propos délibéré, par des individus hostiles à la révolution et aux mesures de reconstruction nationale du gouvernement. Il relève qu'au cours des trois années passées depuis la révolution, il y a eu quatre tentatives graves de renverser le gouvernement par la force. Malgré les mesures de sécurité qu'a naturellement dû prendre l'armée, le gouvernement a toujours essayé de créer et d'entretenir un climat dans lequel les syndicats puissent poursuivre normalement leurs activités. Il renvoie à ce propos aux coupures de presse qui reflètent la position des diverses fédérations syndicales depuis le 8 décembre 1982.

C. La mission de contacts directs

C. La mission de contacts directs
  1. 525. A la suite de sa mission au Suriname (18 au 25 août 1983), M. W.R. Simpson, représentant du Directeur général, a présenté au Directeur général un rapport sur les divers contacts qu'il a pris pendant son séjour. Il indique dans ce rapport qu'il a joui de toutes les facilités pour rencontrer toutes les personnes dont il jugeait le concours utile su succès de sa mission.
    • I. L'attaque des locaux du Moederbond le 17 septembre 1982
  2. 526. La mission, pendant son entretien avec le comité directeur du Moederbond, a pu recevoir le témoignage direct d'un membre qui se trouvait dans le bâtiment pendant les événements du 17 septembre 1982. Ce témoin a déclaré que des lycéens, en vacances ce mois-là, occupaient le bâtiment, encouragés du dehors par des membres du Service de mobilisation populaire qui leur disaient que le Moederbond était responsable de la récente grève de l'hôpital universitaire. Le témoin ayant téléphoné à la police, celle-ci arriva pour conduire au poste deux ou trois meneurs de l'occupation. L'incident était clos, mais quand le Moederbond appela plus tard le poste de police, on lui répondit qu'un responsable du Service de mobilisation populaire avait exigé la mise en liberté des meneurs et que la police les avait laissés partir sans retenir de charges contre eux. Il ne fut plus question de l'occupation, et le Moederbond ne fit aucune autre démarche, la suite des événements ayant fait passer ces incidents au second plan.
  3. 527. Le ministre du Travail a expliqué au représentant du Directeur général qu'il faut placer cet incident - tout comme les autres allégations - dans le cadre des changements survenus dans le pays entre le 25 février 1980 (où les forces armées prirent le pouvoir) et le 8 décembre 1982. Il a déclaré qu'un groupe de suspects se réunissaient au Moederbond pour y débattre des activités tendant à renverser le gouvernement, mais que de toute façon cette allégation n'a plus d'objet depuis les événements du 8 décembre.
    • II. La genèse des événements du 8 décembre 1982
  4. 528. Le ministre du Travail, les syndicalistes et les employeurs avec lesquels le représentant du Directeur général s'est entretenu ont fait de ces événements des récits clairs et concordants dont on trouve ici la synthèse. Quand les militaires prirent le pouvoir le 25 février 1980, ils avaient peu d'expérience politique et se tournèrent vers tous les milieux (syndicats progressistes, organisations de masse et même certains membres du gouvernement déposé) qui pouvaient les aider à composer un gouvernement. Le Moederbond avait d'ailleurs proposé pour ce premier cabinet deux personnes, dont une entra au ministère, et un membre du CLO fut aussi nommé ministre sur ses titres personnels. Egalement invité, le C-47 refusa sa participation, malgré son principe que la politique et le syndicalisme sont inséparables, jugeant trop incertaine la ligne politique à venir des militaires. Le président du C-47 assura néanmoins que sa fédération et la population soutiendraient pour le moment le gouvernement militaire par déception devant les fausses promesses du précédent gouvernement. On notera que les fédérations syndicales étaient représentées dans les nouveaux comités gouvernementaux de consultation et de planification.
  5. 529. Cependant, vers la mi-1982, les grèves se multiplièrent, surtout à l'instigation du Moederbond et de ses affiliés, et le gouvernement intervint de plus en plus dans la vie des organisations. Le C-47 était lui aussi impliqué, et ses représentants ont décrit la grève menée en avril 1982 par un syndicat affilié du secteur hospitalier et condamnée par le ministre de la Santé, lors d'une conférence de presse. Le gouvernement avait empêché le C-47 de tenir une contre-conférence de presse et avait confisqué 15.000 exemplaires du bulletin dans lequel cette fédération répondait au ministre. En juillet 1982, une filiale du Moederbond déclencha à l'hôpital universitaire une grève à propos de l'application des conventions de 1977-1982 dans la santé publique. En septembre, il y eut une grève des postiers du Moederbond à propos des conditions de travail et notamment de la climatisation des locaux. L'agitation culmina en octobre avec une grève des contrôleurs aériens affiliés au Moederbond; le conflit, apparemment motivé par les salaires et les conditions de travail, se trouva réglé le 2 novembre 1982; cette grève et les manifestations populaires qui l'accompagnaient coïncidèrent avec l'arrivée au Suriname du Premier ministre de la Grenade. C'est cette grève que dirigea personnellement Cyrill Daal, président du Moederbond.
  6. 530. Les employeurs avec lesquels le représentant du Directeur général s'est entretenu ont estimé que les événements qui ont abouti au 8 décembre 1982 étaient de nature politique, et que l'action du Moederbond, et notamment les grèves, exerçait une forte pression sur le gouvernement. Certains d'entre eux ne voient guère de changement dans l'attitude du Moederbond pendant la négociation collective de juillet à décembre, mais d'autres déclarent que l'attitude des syndicats résulte de ce que le gouvernement lui-même, en n'assurant pas les procédures de médiation officielle, aurait laissé se creuser un vide entre les syndicats et les employeurs. L'occupation des locaux par l'armée après la grève de l'hôpital universitaire a pu aussi, disent-ils, indisposer les syndicats; d'autres encore déclarent que les difficultés entre les syndicats et l'armée sont nées dès la création du Front révolutionnaire en 1981, les syndicats ne sachant pas quelle place ils y tiendraient réellement; quoiqu'il en soit, c'est à ce moment que le Moederbond aurait commencé à préconiser le retour à la démocratie.
    • III. Les arrestations et les morts des 7 et décembre 1982
  7. 531. Le ministre du Travail a déclaré à la mission que de nombreuses personnes ont été arrêtées le 7 décembre pour interrogatoire parce qu'il y avait de fortes raisons de craindre un coup contre le régime pour la fin de décembre. Il juge que Daal a été arrêté à titre individuel et que de nombreux membres du comité directeur du Moederbond n'étaient au courant de rien. Le ministre a indiqué que rien ne prouve des rapports précis entre Daal et les 14 autres personnes tuées le 8 décembre, mais qu'il y avait eu entre eux "quelques rencontres" avant cette date.
  8. 532. M. Derby, président du C-47, arrêté et conduit ce soir-là au Fort Zeelandia (Etat-major des militaires) avec 14 autres personnes, a décrit au représentant du Directeur général les circonstances de son arrestation. Il a été le seul, sur un total de 16 personnes interrogées pendant ces 24 heures par le lieutenant-colonel Bouterse, à pouvoir quitter le Fort vivant. Il ajoute que lui-même et M. Daal n'étaient pas les seuls syndicalistes arrêtés; les autres étaient M. E.A. Hoost, M. L.P. Raman et M. Bram Behr. M. Derby ignore encore pourquoi il a été arrêté et pourquoi on l'a relâché; on lui a dit que le lieutenant-colonel Bouterse l'avait laissé partir du Fort parce qu'il le tenait pour honnête. Il souligne que, pendant les 18 heures qu'il a passées dans une cellule avec plusieurs autres personnes arrêtées le 7 décembre, il n'a subi aucun mauvais traitement. Pendant sa détention, il a eu deux entretiens avec le lieutenant-colonel Bouterse; ayant demandé à ce dernier la libération de M. Hoost et de deux autres compagnons de cellule, le colonel lui avait répondu qu'ils seraient relâchés; on devait apprendre le 9 décembre que ces personnes avaient en fait été tuées avec Daal et les autres.
  9. 533. Les opinions diffèrent sur les raisons qu'avait Daal de poursuivre la grève jusqu'au 2 novembre 1982 malgré les risques évidents que cela présentait. Le comité directeur du Moederbond était lui-même divisé sur la question. L'un de ses membres déclare avoir personnellement averti Daal, le 29 octobre, du risque qu'il y avait à poursuivre la grève seul, sans l'appui des autres fédérations. Un autre membre maintient au contraire que tout le monde encourageait Daal dans son action et que l'ensemble du Moederbond le soutenait. Les représentants du C-47 avec lesquels la mission s'est entretenue pensent que Daal était la dupe de certains groupes ou intérêts qu'ils ne sauraient définir exactement mais qui existent dans le pays et à l'étranger. M. Derby indique que le 30 octobre il a été lui-même contacté par des personnes qui voulaient savoir si le C-47 soutiendrait la grande réunion populaire que Daal comptait rassembler le lendemain. Les représentants du PWO avec qui le représentant du Directeur général a parlé pensent que Daal s'est peut-être aussi senti encouragé par les manifestations qui ont eu lieu pour protester contre son arrestation. Les représentants de la CLO rencontrés par la mission jugent que Daal, dont la forte personnalité lui permettait de faire descendre les foules dans la rue, se considérait comme le champion, et au besoin le martyr, de la cause démocratique.
  10. 534. Les représentants employeurs avec qui le représentant du Directeur général s'est entretenu assurent que personne, pas même Daal, ne soupçonnait les militaires capables de ce qu'ils ont commis le 8 décembre. L'un d'eux, qui avait en fait rencontré Daal le 7 décembre, rapporte que Daal lui avait dit qu'il savait bien à quoi il s'exposait, mais "qu'il lui était égal de mourir tout de suite ou dans un an"; selon ce témoin, Daal était atteint d'un cancer de la gorge. les représentants d'une autre association d'employeurs ont déclaré à la mission que Daal ne semblait pas saisir la portée de ses actes: il leur aurait dit, lors d'une réunion tenue le 2 novembre entre le Moederbond et des représentants des employeurs et de l'Eglise, qu'un membre du gouvernement militaire lui avait conseillé de "penser à l'avenir" s'il continuait à provoquer l'armée. Les témoins déclarent que les discours de Daal en faveur de la libre entreprise et ses critiques contre les mesures de socialisation prises par le gouvernement étaient naturellement jugés subversifs par ses adversaires.
  11. 535. Des entretiens de la mission avec les membres du gouvernement et de l'administration, il ressort clairement que le gouvernement n'a pas l'intention de faire procéder à une enquête indépendante sur les incidents mortels. Le Procureur général n'a pas su dire si le ministre de la Justice envisageait la question. Le ministre du Travail a en revanche insisté sur le fait qu'au moment des événements on s'attendait à une invasion du pays et que le gouvernement subissait des pressions de l'intérieur comme de l'étranger. Le comité directeur du Moederbond déclare avoir eu trois entrevues avec le gouvernement peu après les événements du 8 décembre, mais en aucune dé ces occasions il n'a été question d'une enquête sur les cas de mort d'homme. Les autres centrales syndicales considèrent que l'enquête serait rendue difficile par l'opposition du commandement militaire et ne servirait d'ailleurs à rien parce que la vérité ne serait jamais établie.
    • IV. La destruction des locaux du Moederbond e décembre 1982
  12. 536. Le ministre du Travail, quand il a confirmé au représentant du Directeur général la destruction du siège du Moederbond, l'a aussi assuré qu'après des pourparlers entre le comité directeur du Moederbond et le ministère des Travaux publics, l'accord s'était fait sur la reconstruction des locaux aux frais de l'Etat. Les travaux devaient commencer en fin 1983 ou au début 1984 au plus tard. Le ministre a expliqué que le gouvernement devait en principe rembourser au Moederbond le loyer de ses locaux temporaires actuels. Le gouvernement prend cet engagement pour montrer que la destruction des locaux n'était pas dirigée contre le Moederbond ni contre les travailleurs. Le Moederbond a confirmé que le gouvernement s'est engagé à entamer prochainement la reconstruction.

D. Déclaration du secrétaire permanent du Travail par intérim devant le comité

D. Déclaration du secrétaire permanent du Travail par intérim devant le comité
  1. 537. Le secrétaire permanent du Travail par intérim, M. Simons, a rappelé que les événements du 8 décembre sont intervenus dans le cadre d'un risque grave d'invasion imminente du pays par des puissances étrangères. D'après M. Simons, le tripartisme et les droits syndicaux ont toujours été respectés au Suriname mais la grève des contrôleurs du trafic aérien, qui a précédé les événements du 8 décembre, n'avait pas un caractère syndical mais politique. A la question de savoir si le gouvernement comptait ordonner l'ouverture d'une enquête judiciaire au sujet de la mort des dirigeants syndicaux survenue le 8 décembre 1982, le secrétaire au Travail a indiqué que, puisque le risque d'invasion existait encore, la question relevait des autorités militaires. Il a cependant assuré le comité qu'il transmettrait à son gouvernement la requête du comité concernant une telle enquête.

E. Conclusions du comité

E. Conclusions du comité
  1. 538. Le comité a étudié les réponses écrites du gouvernement aux allégations et les informations recueillies par le représentant du Directeur général pendant sa mission de contacts directs au Suriname.
  2. 539. Le comité remercie le représentant du Directeur général pour son rapport détaillé, et tient aussi à exprimer au gouvernement du Suriname combien il apprécie l'assistance qu'il lui a prêtée en donnant droit à la demande de contacts directs et en donnant au représentant du Directeur général les facilités voulues pour effectuer sa mission.
    • i) L'attaque de septembre contre les locaux du Moederbond
  3. 540. Le comité note que ni la dernière réponse écrite du gouvernement ni les entretiens menés au Suriname avec les autorités n'ont éclairci cette allégation, si ce n'est que les locaux auraient servi aux réunions d'un groupe clandestin visant à renverser le gouvernement par la force. Etant donné que le comité directeur du Moederbond n'a pas cherché à obtenir des autorités compétentes une , explication, une enquête ou des excuses, et que la destruction ultérieure des locaux rendrait vaine toute enquête sur leur occupation, le comité considère que la poursuite de l'examen de cet aspect du cas serait sans objet.
    • ii) Les arrestations et les morts des 7 et 8 décembre 1982
  4. 541. Des déclarations écrites et orales du gouvernement, il ressort clairement pour le comité que le gouvernement a fait arrêter M. Daal, président du Moederbond, en raison d'activités que le gouvernement tient pour politiques et sans rapport avec les fonctions syndicales. Il est également clair que, malgré les affirmations de certains membres de l'actuel comité directeur du Moederbond, les autres partenaires sociaux considèrent que les grèves et manifestations de masse suscitées par Daal pendant la deuxième moitié de 1982 allaient J bien au-delà de l'action syndicale normale et visaient à faire rétablir t un régime de type démocratique.
  5. 542. Bien que l'arrestation et la mort de trois autres syndicalistes au même moment ne fassent pas spécifiquement l'objet des allégations de la CISL et de la CMT dans le présent cas, le comité estime leur situation parallèle à celle de M. Daal.
  6. 543. En ce qui concerne les activités politiques imputées à Cyrill Daal, le comité note que le gouvernement n'a produit aucun témoignage spécifique à l'appui de cette thèse, et que les textes des discours de M. Daal ont disparu pendant la destruction des locaux du Moederbond. D'autre part, le comité observe que d'autres sources ont fourni des indications substantielles que les actions de M. Daal avaient des rapports plus directs avec le mouvement pour un retour au système démocratique. De l'avis du comité, un tel système est fondamental pour le libre exercice des droits syndicaux. Le comité a néanmoins toujours souligné, et tient à rappeler particulièrement à l'attention du gouvernement dans le présent cas, que même quand des syndicalistes sont accusés de délits politiques ou criminels que le gouvernement tient pour étrangers à leurs activités syndicales, les personnes en question doivent être jugées promptement et équitablement par une autorité judiciaire indépendante et impartiale.
  7. 544. Le comité déplore que le gouvernement du Suriname, se sentant selon ses dires menacé par des mouvements antigouvernementaux dans le pays et au dehors, ait fait arrêter de nuit certaines personnes, dont des syndicalistes, et les ait retenues sans charges et sans possibilité de représentation juridique dans une enceinte militaire au lieu de suivre les procédures judiciaires normales. Ce fait est d'autant plus déplorable que les prisonniers ont été tués pendant leur détention militaire.
  8. 545. Le comité condamne dans les termes les plus sévères les morts d'hommes survenues le 8 décembre 1982. Le gouvernement n'a donné aucune preuve que les détenus aient tenté de s'échapper, et considérant les circonstances de leur arrestation et de leur détention au Fort, le comité a la plus grande peine à admettre cette explication. Le comité tient une fois de plus à souligner, comme il l'a fait par le passé, que les situations comportant mort d'homme doivent être immédiatement l'objet d'une enquête judiciaire sur les circonstances des décès pour établir les faits et déterminer les responsabilités 1. Ce n'est que dans le respect du droit que peuvent s'exercer normalement les droits de l'homme, et notamment les droits syndicaux.
  9. 546. En conséquence, le comité déplore que le gouvernement n'ait entrepris aucune enquête sur les morts et qu'il ait informé le représentant du Directeur général qu'aucune enquête n'est prévue. De l'avis du comité, une telle enquête montrerait de la part du gouvernement une certaine volonté d'assurer que les tragiques événements du 8 décembre 1982 ne se reproduisent pas. Le comité note les assurances données par le représentant gouvernemental qu'il transmettra au gouvernement la requête du comité concernant cette enquête. Le comité prie instamment le gouvernement de reconsidérer sa position. Il demande au gouvernement de l'informer des résultats de toute enquête qui serait ainsi entreprise.
    • iii) La destruction des locaux du Moederbond
  10. 547. Le comité constate, d'après la communication écrite du gouvernement, que les locaux de la fédération syndicale Moederbond ont été détruits par la force armée le 8 décembre 1982. Il note aussi dans le rapport du représentant du Directeur général que les autorités regrettent cette destruction et se sont engagées à construire de nouveaux locaux pour ce syndicat. Le comité note aussi que le gouvernement doit en principe payer le loyer des locaux actuels du Moederbond. Le Moederbond a confirmé que la construction de ces nouveaux locaux doit commencer vers la fin de 1983.
  11. 548. Bien qu'il note les efforts du gouvernement pour rendre au syndicat les locaux qu'il a perdus du fait de l'intervention militaire, le comité tient à attirer l'attention du gouvernement sur la résolution concernant les droits syndicaux et leurs relations avec les libertés civiles, adoptée par la Conférence internationale du Travail à sa 54e session (1970), dans laquelle la protection des biens syndicaux figure parmi les libertés civiles déclarées essentielles pour l'exercice normal des droits syndicaux. Le comité veut croire que la construction des nouveaux locaux syndicaux aux frais de l'Etat sera vite et bien menée et que la protection des biens et locaux syndicaux sera désormais pleinement assurée.
    • iv) Détention de syndicalistes
  12. 549. Le comité note, des déclarations écrites et orales du gouvernement, qu'aucun syndicaliste n'est actuellement retenu dans les prisons du Suriname et qu'aucun syndicaliste n'est l'objet d'un mandat d'arrestation ou d'accusation. Il considère donc que cet aspect du cas n'appelle pas d'examen plus approfondi.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 550. Dans ces conditions, le comité recommande au Conseil d'administration d'approuver le présent rapport intérimaire et notamment les conclusions suivantes:
    • a) Le comité apprécie le fait que le gouvernement a coopéré en acceptant la demande de contacts directs et en assurant au représentant du Directeur général les facilités voulues pour effectuer sa mission.
    • b) Le comité estime qu'il serait sans objet de poursuivre l'examen de l'aspect du présent cas concernant l'attaque des locaux du syndicat Moederbond par des lycéens en septembre 1982.
    • c) Le comité déplore que le gouvernement, se sentant selon ses dires menacé par des mouvements antigouvernementaux dans le pays et au dehors, ait fait arrêter de nuit certaines personnes dont des syndicalistes et les ait retenues sans charges ni possibilité de représentation juridique dans une enceinte militaire au lieu de suivre les procédures judiciaires normales.
    • d) Le comité tient à attirer à ce propos l'attention du gouvernement sur le principe de la liberté syndicale selon lequel, quand des syndicalistes sont accusés de délits politiques ou criminels que le gouvernement tient pour étrangers à leurs activités syndicales, les personnes en question doivent être jugées promptement et équitablement par une autorité judiciaire indépendante et impartiale.
    • e) En ce qui concerne la mort de syndicalistes en détention militaire le 8 décembre 1982, le comité condamne ces actes dans les termes les plus sévères. Il déplore que le gouvernement n'ait ouvert aucune enquête sur ces décès et n'envisage pas d'en ouvrir une. Le comité estime qu'une telle enquête montrerait de la part du gouvernement une certaine volonté d'assurer que les tragiques événements du 8 décembre 1982 ne se reproduisent pas. Le comité note les assurances données par le représentant gouvernemental qu'il transmettra au gouvernement cette requête concernant cette enquête. Il prie instamment le gouvernement de reconsidérer sa position. Il demande au gouvernement de l'informer des résultats de toute enquête qui serait ainsi entreprise.
    • f) Le comité tient à attirer l'attention du gouvernement à cet égard sur le principe de la liberté syndicale selon lequel les situations comportant mort d'homme doivent être immédiatement l'objet d'une enquête judiciaire sur les circonstances des décès pour établir les faits et déterminer les responsabilités.

Z. ANNEXE

Z. ANNEXE
  • Rapport sur la mission de contacts directs au Suriname effectuée par M. W.R. Simpson
  • Chef du Service de la liberté syndicale, Département des normes internationales du travail
  • Introduction
    1. 1 La mission a eu lieu dans le cadre des procédures applicables à l'examen des plaintes en violation des droits syndicaux, présentées par la Confédération internationale des syndicats libres (CISL) et la Confédération mondiale du travail (CMT) contre le gouvernement du Suriname (cas no 1160).
    2. 2 Le Comité de la liberté syndicale du Conseil d'administration a examiné le cas no 1160 à sa réunion de février 1983 et a présenté un rapport intérimaire au Conseil d'administration dans lequel il a pris note de l'acceptation par le gouvernement de la proposition du Directeur général d'envoyer une mission de contacts directs dans le pays pour élucider la situation. Dans des communications datées du 14 mars et du 15 avril 1983, le gouvernement a reporté les dates proposées pour la mission. A sa réunion de mai 1983, le Comité de la liberté syndicale a pris note d'une communication du gouvernement contenant des observations détaillées sur les allégations en instance et indiquant qu'il confirmerait l'invitation au Directeur général d'envoyer une mission au Suriname dès que possible.
    3. 3 Des dispositions en vue de permettre à une mission de contacts directs de se rendre au Suriname ont été prises pendant la 69e session de la Conférence internationale du Travail (juin 1983) après des entretiens avec la délégation gouvernementale du Suriname dirigée par le ministre du Travail et de la Santé publique. Dans des communications datées des 22 et 25 juillet 1983, le gouvernement a confirmé que la mission de contacts directs pourrait avoir lieu pendant la seconde quinzaine du mois d'août. Le 29 juillet, le Bureau a eu une communication avec le gouvernement confirmant que la mission pourrait avoir lieu au Suriname du 18 au 25 août inclus et qu'elle serait effectuée par le représentant désigné par le Directeur général, M. W.R. Simpson, chef du Service de la liberté syndicale du Département des normes internationales du travail.
    4. 4 Il a été indiqué au gouvernement que la mission aimerait avoir des entretiens avec les ministres des Affaires étrangères, du Travail et de la Santé publique, des Affaires intérieures et de la Justice, les représentants des quatre fédérations syndicales et des deux fédérations d'employeurs ainsi qu'avec toute autre personne qui pourrait aider la mission à établir les faits, en particulier en ce qui concerne l'occupation en septembre 1982 des locaux d'un grand syndicat et leur destruction en décembre 1982, et les arrestations et la mort de dirigeants syndicaux dans la nuit du 7 au 8 décembre 1982.
    5. 5 Les préparatifs étant ainsi achevés, j'ai effectué la mission au Suriname du 18 au 25 août 1983. Tout au long de la mission, j'ai été accompagné de Mme Jane Hodges du Service de la liberté syndicale du Département des normes internationales du travail.
    6. 6 Pendant toute la mission, le gouvernement a manifesté une réelle volonté de faire en sorte que je puisse accomplir ma tâche et a tout fait pour me la faciliter. Immédiatement après notre arrivée dans la capitale, Paramaribo, un entretien a été organisé avec trois des cinq membres de la Commission nationale, organe constitué par décret et chargé de recevoir les missions des organisations ou organismes internationaux. Pendant cette première réunion, un programme détaillé a été élaboré comportant des entretiens avec les personnes suivantes: le Premier ministre et ministre des Affaires étrangères, Dr E. Alibux; la ministre du Travail et de la Santé publique, M. L.W. Boksteen; le procureur général, Dr R.M. Reeder, représentant le ministre de l'Intérieur et de la Justice; le bureau de la Fédération syndicale: C.47; le bureau de l'Organisation progressiste de travailleurs (PWO); le bureau de l'Organisation de fonctionnaires (CLO); le bureau de l'AVVS de Moederbond; l'Association des fabricants surinais (AFSA); l'Association de commerce et d'industrie de Suriname (VSB). Il a été aussi décidé qu'après tous ces entretiens un dernier entretien aurait lieu avec le ministre du Travail. En outre, des dispositions ont été prises pour que la mission visite le Collège syndical patronné par le, gouvernement, connu sous le sigle de SIVIS.
    7. 7 Contrairement à la pratique suivie par le gouvernement lors de missions antérieures d'enquête au Suriname effectuées par certaines autres organisations internationales, la mission a pu à tout moment organiser ses entretiens sans la présence de personnel militaire ou de fonctionnaires du gouvernement. Plusieurs fois, nos interlocuteurs ont relevé cette absence d'ingérence et indiqué que, s'il n'en avait pas été ainsi, ils n'auraient pas été en mesure de parler aussi librement. qu'ils l'ont fait.
    8. 8 Au début de la mission, j'ai eu l'occasion de m'entretenir brièvement avec le Premier ministre, le Dr E. Alibux, qui est aussi le ministre des Affaires étrangères, et j'en ai profité pour souligner que l'impartialité et l'objectivité du rapport de mission dépendaient entièrement de la coopération que je rencontrerais et de la liberté et la franchise des entretiens que j'aurais avec les divers ministères et partenaires sociaux. J'ai expliqué que cette mission de contacts directs au Suriname concernait les droits syndicaux et n'avait rien à voir avec la politique intérieure du pays. J'ai souligné aussi que l'Organisation internationale du Travail n'est pas un tribunal international et que l'objet de son mécanisme de contrôle est de faire en sorte que, au moyen de l'examen objectif de tous les faits, les droits syndicaux soient pleinement respectés et les droits de l'homme, qui sont essentiels au libre exercice des droits syndicaux, soient garantis. J'ai également souligné que par leur appartenance à l'OIT et par la ratification des conventions de l'OIT les Etats, y compris Suriname, ont accepté un certain contrôle international de leurs actes et, de ce fait, renoncé à une partie de leur souveraineté. Le Premier ministre m'a assuré que la mission serait entièrement libre d'avoir tous les entretiens qu'elle jugerait utiles et il a exprimé le ferme espoir que la mission serait fructueuse.
  • Historique
    1. 9 Le Suriname, qui est devenu une république indépendante le 25 novembre 1975 après presque 300 ans de colonisation hollandaise, est situé sur la côte nord du continent sud-américain et a des frontières communes avec la Guyane, le Brésil et la Guyane française. II couvre une superficie totale d'environ 163.000 km2. Le 25 février 1980, un petit groupe de sergents de l'armée - qui, avec d'autres membres du syndicat de l'armée, étaient en grève depuis deux mois à propos de revendications salariales - s'est emparé du pouvoir. Le Cabinet civil est responsable devant le Centre politique (lieutenant-colonel Bouterse, le Premier ministre, le ministre des Finances et le chef en second de l'armée) et il reçoit des directives du Conseil consultatif (M. Cruden et M. Sylvester, deux syndicalistes, et M. Udenhout du ministère de l'Education). La population, qui se chiffre à environ 360.000 personnes, est d'origine diverse et comprend des Amérindiens, des Hindoustanis, des Créoles, des Javanais et des Chinois. Environ les deux tiers de la population vivent à Paramaribo, et le reste essentiellement le long d'une bande côtière qui représente 3 pour cent de la superficie terrestre totale. L'intérieur du pays se compose principalement de forêt tropicale dense.
    2. 10 L'économie du Suriname est inégalement développée: elle compte quelques entreprises modernes à forte intensité de capital, qui fournissent la plus grande partie de la production et des exportations du pays et qui sont dominées par les capitaux étrangers, et un secteur traditionnel stagnant. Outre les deux sociétés minières de bauxite, Suralco (que la mission a visitée) et Billiton, il existe aussi de grandes entreprises agricoles, notamment des entreprises d'Etat s'occupant de la recherche, de la culture et de la production de riz et de la transformation du bois. Le PNB par habitant était estimé à environ 2.860 dollars E.-U. en 1982. Du fait de la dualité de la structure économique, le secteur à forte intensité de capital emploie relativement peu de main-d'oeuvre et verse des salaires plus élevés que le secteur sous contrôle national et le secteur du commerce caractérisés par une productivité plus faible. Malgré une forte émigration au cours des dernières années et l'expansion rapide du secteur public, le chômage atteint encore environ 18 pour cent de la population active.
    3. 11 L'une des quatre fédérations syndicales, la C.47, compte de 12.000 à 15.000 membres dans les secteurs suivants: bauxite, métallurgie, agriculture, approvisionnement en eau, transports aériens, hôtellerie, enseignement privé et soins infirmiers; la Moederbond compte 15.000 membres dans le secteur public, l'industrie et les services; la PWO a 4.500 membres dans l'agriculture, le ciment, et le commerce; la CLO représente 40.000 fonctionnaires. Il existe deux organisations d'employeurs: l'ASFA comprenant 132 entreprises manufacturières et la VSB qui représente 170 entreprises privées et sociétés d'Etat. La Moederbond est affiliée à la CISL, la PWO à la CMT et à la Centrale latino-américaine de travailleurs (CLAT), et la CLO au Secrétariat professionnel international de l'enseignement (SPIE) et à la Fédération internationale du personnel des services publics (INFEDOP). La C.47 a pris la décision de ne pas s'affilier à une organisation internationale pour le moment. Aucune des deux organisations d'employeurs n'est affiliée à une organisation internationale.
    4. 12 Du point de vue des principes internationaux de la liberté syndicale, la législation du travail du Suriname n'a pas suscité d'observations importantes de la part de la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations. En particulier, la négociation collective a toujours été librement et couramment pratiquée au Suriname: même dans la fonction publique, la CLO négocie tous les deux ans une convention collective commune pour ses membres (environ la moitié de l'effectif total de 84.000) avec un comité spécial désigné par le gouvernement à cette fin. Un conseil de médiation, qui comprend actuellement deux représentants du gouvernement et un syndicaliste à la retraite du secteur de la bauxite et qui est aussi fonctionnaire, s'occupe du règlement des conflits, principalement pour le secteur privé. Le représentant des employeurs au conseil qui, pour des raisons personnelles, a démissionné il y a quatre ans, n'a pas été remplacé. Il existe aussi un conseil de la fonction publique chargé du règlement des conflits dans la fonction publique, et le Centre politique semble avoir des pouvoirs spéciaux pour régler les conflits si la demande lui en est faite. Le droit de grève est reconnu dans tous les secteurs.
  • Les allégations
    • a) L'attaque contre les locaux de la Moederbond le 17 septembre 1982
      1. 13 La CISL avait allégué que les locaux du syndicat qui lui est affilié avaient été occupés par un groupe de jeunes, dont certains étaient armés, et qui étaient membres de la "section de mobilisation populaire" du ministère de la Culture, de la Jeunesse et des Sports. Selon la CISL, les jeunes avaient procédé au pillage des locaux pendant plusieurs heures et empêché la tenue d'une réunion syndicale qui devait avoir lieu dans ces locaux.
      2. 14 Le gouvernement avait répondu que l'occupation illégale des locaux de la Moederbond avait été le fait d'individus apparemment indignés par la participation de ce syndicat à une grève récente du personnel d'un hôpital. Le gouvernement avait souligné que les autorités n'étaient pas intervenues et n'avaient participé en aucune façon à cette occupation. Le gouvernement avait déploré que la Moederbond n'ait pas rectifié les informations fournies au BIT, malgré l'échange de télégrammes qui avait eu lieu entre le syndicat et le gouvernement.
      3. 15 Au cours de mon entretien avec le Syndicat de la Moederbond, j'ai eu un compte rendu des événements du 17 septembre 1982 par l'un des membres qui se trouvaient dans le bâtiment au moment des faits. Il a déclaré que des écoliers, qui se trouvaient en vacances ce mois-là, avaient occupé le bâtiment avec l'appui verbal de membres du Département de la mobilisation populaire qui se trouvaient à l'extérieur. Selon mon interlocuteur, ces derniers disaient aux étudiants que la Moederbond était responsable de la récente grève de l'hôpital universitaire. Après un appel téléphonique de ce membre du bureau de la Moederbond, la police est arrivée et a emmené deux ou trois des meneurs de l'occupation au commissariat de police. L'incident était terminé, mais lorsque la Moederbond a appelé plus tard le commissariat de police à ce sujet, on lui a dit qu'un responsable du Département de la mobilisation populaire avait exigé la libération des meneurs et que la police les avait laissés partir sans engager de poursuites contre eux. Il n'a plus été question de l'occupation, et la Moederbond n'a entrepris aucune autre démarche à ce sujet car la suite des événements allait lui ôter de son importance. Selon les dirigeants de la Moederbond, le Département de la mobilisation populaire est un organisme de coordination entre les comités populaires et les conseils régionaux et de district de création récente; il s'occupe d'activités sociopolitiques comme la reconstruction des routes et l'éducation politique des jeunes.
      4. 16 Mon entretien avec le Procureur général, représentant le ministre de la Justice et des Affaires intérieures, n'a pas élucidé l'incident. En réponse à plusieurs questions détaillées, le Procureur a simplement déclaré qu'aucune plainte n'avait été déposée auprès de ses services et que tout ce qu'il savait de l'incident, c'était ce qu'il avait lu à ce sujet dans les journaux. Le ministre du Travail a indiqué que cet incident - comme les autres allégations - devait être considéré dans le contexte des changements intervenus dans le pays entre le 25 février 1980 (lorsque les militaires se sont emparés du pouvoir) et le 8 décembre 1982. Il a déclaré que les locaux de la Moederbond étaient utilisés par un groupe de personnes soupçonnées de se réunir pour discuter d'activités visant à renverser le gouvernement. Il a indiqué en outre que les événements du 8 décembre avaient en tout état de cause rendu sans objet cette allégation.
    • b) Les événements conduisant au 8 décembre 1982
      1. 17 Le ministre du Travail, les syndicalistes et les employeurs avec qui j'ai parlé ont donné des descriptions claires et concordantes de ces événements. Voici une synthèse de leurs observations. Lorsque les militaires se sont emparés du pouvoir le 25 février 1980, ils avaient peu d'expérience de la politique et ils demandé à autant de groupes que possible (syndicats progressistes, organisations populaires et même membres du gouvernement évincé) de les aider à mettre en place un gouvernement. La Moederbond avait proposé deux candidats à des postes ministériels au Premier cabinet (l'un d'eux a été choisi); un membre de la CLO a été nommé à titre personnel à des fonctions ministérielles. Malgré sa position officielle, selon laquelle la politique et le syndicalisme ne sauraient être séparés, la C.47, invitée à présenter des candidats à des postes, ne l'a pas fait, estimant que la ligne politique future des militaires n'était pas claire. Le président de la C.47 a souligné toutefois que sa fédération et l'ensemble de la population soutenaient les militaires à l'époque parce qu'elles avaient été déçues par les promesses non tenues du gouvernement précédent: A noter que les fédérations étaient représentées au Conseil de planification et au Conseil consultatif du nouveau gouvernement. Une personne mentionnée par plusieurs de mes interlocuteurs, M. André Haakmat, a joué un rôle particulièrement important dans le nouveau gouvernement, en particulier en ce qui concerne la Moederbond et les activités syndicales en général. En sa qualité de ministre de la Justice, M. Haakmat a préparé un décret pour interdire les grèves le 13 août 1980. Le même jour, il y a eu une tentative de coup d'Etat qui a entraîné la suspension de la Constitution et la dissolution du Parlement, de sorte que le décret antigrève n'a jamais été adopté. A part un incident en novembre 1980 relatif à l'occupation des locaux et à la confiscation des livres d'un" syndicat affilié à la C.47 sur ordre du ministre Haakmat, la situation concernant les relations politiques et professionnelles a été calme jusqu'à ce que le gouvernement, après des entretiens avec les étudiants, les organisations progressistes et les agriculteurs créait en décembre 1981 un "Front révolutionnaire" qui, de l'avis de beaucoup, supprimait pratiquement toute possibilité de retour à la démocratie que les militaires avaient promise au début. Il s'ensuivit des démissions de membres du Cabinet; une nouvelle tentative de coup d'Etat au milieu de mars 1982 conduisit à la formation d'un nouveau gouvernement. En janvier 1982, le ministre Haakmat a été déchargé de ses diverses fonctions ministérielles et il est devenu conseiller officiel de la Fédération syndicale Moederbond.
      2. 18 A partir de ce moment-là, la fréquence des grèves, en particulier du fait de la Moederbond et de ses affiliés, s'est accélérée et l'ingérence du gouvernement dans la vie collective s'est accrue. La C.47 a également participé à des grèves; ses représentants ont décrit la grève d'avril 1982 par l'un des syndicats affiliés d'infirmières que le ministre de la Santé avait condamnée au cours d'une conférence de presse. Le gouvernement a empêché la C.47 de donner à son tour une conférence de presse et a confisqué les 15.000 exemplaires du journal qui contenait la réponse de la fédération au ministre. En juillet 1982, il y a eu une grève à l'hôpital universitaire concernant les conditions des accords de 1977-1982 avec le ministère de la Santé. En août, les militaires ont demandé à l'ancien ministre M. Haakmat de préparer un document sur la formation d'une nouvelle structure démocratique faisant participer les civils. En septembre, il y a eu une grève partielle des travailleurs des postes concernant les conditions de travail, en particulier l'installation de la climatisation. Enfin, les contrôleurs du trafic aérien affiliés à la Moederbond ont organisé une grève en octobre 1982 au sujet des salaires et des conditions de travail. Cette grève a été conduite personnellement par Cyril Daal, président de la Moederbond.
      3. 19 Les circonstances qui entourent cette grève sont d'une importance particulière; elles ont été décrites en détail par ceux qui y ont participé. Le lundi 25 octobre, le lieutenant-colonel Bouterse a contacté personnellement M. Daal, président de la Moederbond, et lui a intimé l'ordre d'annuler la grève, sinon "il serait enfermé et on n'entendrait plus parler de lui". M. Derby, président de la C.47, a décrit comment il avait, lui aussi, averti M. Daal que la poursuite de la grève pourrait avoir de graves conséquences. Le mardi 26 octobre. M. Daal a convoqué une réunion de tous les affiliés de la Moederbond, réunion dont la presse a largement rendu compte. Le mercredi 27 octobre, M. Haakmat, conseiller de la Moederbond, a annoncé que M. Daal était entré dans la clandestinité, mais le jeudi 28 octobre, M. Daal a été arrêté dans son bureau puis libéré quelques heures plus tard à la suite d'une intervention de la C.47 et de la CLO qui ont menacé de déclencher une grève générale si la détention de M. Daal se poursuivait. Vu la gravité des événements, M. Derby a organisé une réunion de tous les affiliés de la C.47, et il a été convoqué par le Premier ministre pour expliquer cette décision. Le vendredi 29 octobre, la Moederbond a organisé une autre réunion et , une grève générale de deux heures pour protester contre l'arrestation de M. Daal. Le samedi 30 octobre, certains employeurs ont pris contact avec les responsables de la Moederbond et les ont avertis du danger de la situation si la Moederbond continuait sa grève seule. Le même soir, les quatre fédérations syndicales se sont réunies dans un hôtel de Paramaribo, mais les autres centrales n'ont pas pu se mettre d'accord avec M. Daal au sujet de la poursuite de la grève. Le dimanche 31 octobre, M. Daal a organisé une troisième manifestation à laquelle ont participé 15.000 à 17.000 personnes et qui a coïncidé avec l'arrivée au Suriname de l'avion du Premier ministre de Grenade, M. Bishop. Pour accueillir M. Bishop, il y avait à peine 1.500 personnes. La C.47 de M. Derby n'a pas soutenu cette manifestation. J'ai appris que dans tous les grands rassemblements organisés par M. Daal ses discours se limitaient pratiquement à demander le retour des militaires dans leurs casernes et le rétablissement de la démocratie dans le pays.
      4. 20 Les informations que la Moederbond a fournies à la mission sur ces événements présentent un intérêt particulier. Le bureau du syndicat m'a dit qu'après les grèves de juillet et de septembre la Moederbond a commencé à être accusée d'organiser des grèves qui avaient un effet déstabilisateur. Bien que le ministre du Travail ait promis à la fédération que des discussions auraient lieu, M. Daal a estimé qu'il devait obtenir à tout prix une réunion pour trouver une solution. Auparavant, le conseil exécutif d'alors avait demandé à M. Daal de ne pas déclencher une grève des contrôleurs du trafic aérien, mais, une fois l'ordre de grève lancé, la situation a rapidement empiré. Selon les membres de la Moederbond avec lesquels je me suis entretenu, la date de l'arrivée du Premier ministre de Grenade n'était pas connue lorsque l'ordre de grève a été lancé. Tout en soulignant que la grève n'avait rien à voir au début avec l'arrivée de M. Bishop, mes interlocuteurs ont admis que M. Daal s'était plaint par la suite de la visite parce qu'elle se faisait aux frais du gouvernement du Suriname, ce qui, à son avis, était totalement injustifié. Mes interlocuteurs m'ont dit que la détérioration des relations entre les militaires et M. Daal en octobre 1982 était difficile à expliquer, d'autant que M. Daal avait donné au début son appui aux militaires et qu'il avait personnellement soutenu le lieutenant-colonel Bouterse. Une suggestion a été avancée, à savoir que certaines personnes qui n'appréciaient pas les relations étroites entre M. Daal et le lieutenant-colonel Bouterse ont cherché à détruire la confiance qui existait entre les deux. Ces personnes étaient des éléments de gauche qui ne partageaient pas les vues politiques de M. Daal. Le rôle de l'ancien ministre, M. A. Haakmat, qui continuait de conseiller non seulement la Moederbond mais aussi le gouvernement, a été qualifié par certains membres du bureau de douteux. On m'a dit que les conseils de M. Haakmat à la fédération étaient donnés par écrit au début et étaient mis à la disposition de tous les membres du bureau d'alors, mais que par la suite ils ont été donnés oralement et uniquement à M. Daal. Ce dernier, m'a-t-on dit, qui était un ami intime de M. Haakmat, avait à l'occasion exprimé des doutes au sujet du double rôle consultatif que M. Haakmat avait assumé et des avis qu'il donnait à la fédération. Il y a eut toutefois des divergences d'opinion entre les membres du bureau sur la question de savoir si M. Haakmat lui-même s'est attiré finalement la défaveur des militaires parce qu'il a poussé M. Daal à continuer la lutte pour un retour à la démocratie, ou parce qu'il a laissé M. Daal donner l'ordre de grève "sur la question du retour à la démocratie" sans l'informer que des discussions étaient déjà en cours sur ce problème au sein du gouvernement. Les membres du bureau ont souligné que 18 mois s'étant écoulés depuis que la promesse avait été faite par les militaires d'organiser des élections, la Moederbond, sous la direction de M. Daal, avait commencé une campagne active pour le retour à une structure démocratique dans le pays.
      5. 21 Les employeurs avec lesquels j'ai eu des entretiens ont estimé que les événements conduisant au 8 décembre 1982 étaient de caractère politique et que l'action de la Moederbond, en particulier les grèves, plaçait le gouvernement dans une situation très difficile. Certains ont estimé qu'il n'y avait pas eu de changement dans l'attitude de la Moederbond à l'égard de la négociation collective pendant la période juillet-décembre. D'autres, par contre, ont déclaré que l'attitude des syndicats était le résultat du vide créé par le gouvernement lui-même, car le conseil de médiation ne jouait pas son rôle de lien entre les syndicats et les employeurs. Il se peut aussi, ont-ils dit, que l'occupation des locaux par l'armée après la grève de l'hôpital universitaire ait suscité l'hostilité des syndicats. D'autres encore ont déclaré que les problèmes entre les syndicats et les militaires avaient commencé dès 1981 lorsque le front révolutionnaire a été créé, car les syndicats ne savaient pas exactement quelle serait leur place dans cette structure; en tout état de cause, ont-ils dit, c'est à ce moment-là que la Moederbond a commencé à préconiser le retour à la démocratie.
      6. 22 La grève des contrôleurs du trafic aérien a poussé la C.47, la PWO et la CLO à présenter aux militaires un plan par étapes, auquel la Moederbond a souscrit par la suite, pour une structure démocratique au Suriname. Après des négociations entre M. Daal et le commandant R. Horb, membre du Centre politique, le travail a repris le 2 novembre 1982. Les discussions se sont poursuivies avec le Centre politique jusqu'au 15 novembre lorsque le lieutenant-colonel Bouterse a annoncé inopinément à la télévision que les négociations étaient arrêtées. Selon un groupe d'employeurs avec qui je me suis entretenu, pendant cette période le commandant Horb avait désigné 12 gardes du corps pour protéger M. Daal pendant quatre jours. Les employeurs ont aussi fait état de troubles à l'université. En outre, pendant le mois de novembre, une "Association pour la démocratie au Suriname" a été formée et les représentants des 13 associations membres (le Comité des Eglises chrétiennes, the Hundi Religious Community Samatan Dharm, the Hindu Religious Community Aryans, l'Association des directeurs et rédacteurs en chef de la presse du Suriname, the Madjlieu Moedirmen of Suriname, l'Association islamique du Suriname, l'Association musulmane du Suriname, l'Association des entreprises du Suriname, l'Association des fabricants du Suriname, l'Association des avocats du Suriname, l'Association des médecins du Suriname, l'Organisation centrale de syndicats d'agriculteurs et le Conseil national des femmes du Suriname), à la suite d'une déclaration télévisée faite par le lieutenant-colonel Bouterse en sa qualité de président du Conseil politique le 15 novembre, lui ont adressé une lettre le 23 novembre 1982 dans laquelle ils ont souligné qu'à leur avis la seule façon pour le régime de garder le pouvoir serait "d'exercer un pouvoir répressif". L'association a proposé l'examen de certains principes de base qui, à son avis, étaient fondamentaux dans toute société démocratique.
      7. 23 Outre ces événements, M. Daal, selon le gouvernement, participait à des réunions et à des activités qui étaient de caractère subversif et qui étaient nettement liées à des plans organisés par des forces aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays visant à renverser le régime par la force.
    • c) Les arrestations et les décès des et 8 décembre 1982
      1. 24 Les plaignants dans le cas no 1160 avaient allégué la détention de dirigeants syndicaux et l'assassinat de M. Daal, président de la Moederbond, les 7 et 8 décembre 1982. Le gouvernement avait répondu que les autorités militaires avaient officiellement annoncé le 8 décembre 1982 la mort dans un accident d'un certain nombre de personnes, qui étaient détenues pour avoir participé à des activités visant à renverser le gouvernement par des moyens violents, alors qu'elles tentaient de s'échapper de prison. Le gouvernement a également déclaré qu'il veillerait à ce que pareils faits ne se reproduisent pas à l'avenir.
      2. 25 Le ministre du Travail a indiqué à la mission que de nombreuses personnes avaient été arrêtées et interrogées le 7 décembre parce qu'il y avait de sérieuses raisons de penser qu'une action serait entreprise contre le régime à la fin de décembre. Il a affirmé que M. Daal avait été arrêté en tant qu'individu et que nombre de membres du conseil de la Moederbond ne savaient pas ce qui se passait. Le ministre a indiqué qu'il n'y avait pas de preuve d'un lien certain entre M. Daal et les 14 autres personnes tuées le 8 décembre, mais il a dit qu'il y avait eu "quelques entretiens" entre eux avant cette date.
      3. 26 M. Derby, président de la fédération C.47, qui se trouvait parmi. les 15 personnes emmenées ce soir-là pour être détenues au Fort Zeelandia, a décrit les circonstances de son arrestation. Il est le seul, du groupe de 16 personnes (la seizième, le lieutenant S. Ramboans, a été transférée de la caserne au Fort pour être détenue avec les autres) interrogées par le lieutenant-colonel Bouterse pendant cette période de 24 heures, à être sorti vivant du Fort. Selon M. Derby, lui-même et M. Daal n'étaient pas les seuls syndicalistes arrêtés; il y avait aussi: M. E. A. Hoost (l'un des fondateurs de la C.47, ancien conseiller juridique de la CLO et ancien ministre, qui était au moment de son arrestation avocat en activité et conseiller officiel de la C.47); M. L.P. Rahman (secrétaire du Syndicat des travailleurs de la brasserie, président du Syndicat de l'inspection de la santé "BOSI", du Syndicat du personnel des services pharmaceutiques et du Syndicat du personnel du ministère de la Santé et rédacteur en chef du journal syndical de la C.47); et M. Brahm Behr. M. Derby m'a dit toujours ignorer les motifs de son arrestation et de sa libération. On lui a dit que le lieutenant-colonel Bouterse l'avait laissé partir du Fort parce qu'il le considère comme honnête. Il a souligné que pendant les 18 heures de sa détention - alors qu'il partageait une cellule avec plusieurs autres personnes arrêtées le 7 décembre - il n'a pas subi de mauvais traitements. Pendant sa détention, il a eu deux entretiens avec le lieutenant-colonel Bouterse. Il a déclaré qu'il avait demandé à ce dernier la libération de M. Hoost et de deux autres personnes qui avaient partagé sa cellule et on lui a dit qu'elles seraient libérées. En fait, le 9 décembre, ces deux personnes avaient également été tuées en même temps que M. Daal et les autres.
      4. 27 Les opinions étaient divergentes en ce qui concerne les raisons pour lesquelles M. Daal a continué la grève alors que, de l'avis de nos interlocuteurs, les conséquences étaient manifestement graves. Les dirigeants de la Moederbond eux-mêmes étaient divisés sur la question. Un membre a souligné qu'il avait mis en garde personnellement M. Daal, le 29 octobre, contre le danger de continuer la grève sans l'appui des autres fédérations. Un autre membre a affirmé toutefois que tout le monde encourageait M. Daal dans sa ligne d'action et que la Moederbond, dans son ensemble, l'appuyait au sujet de la grève.
      5. 28 Les représentants de la C.47 avec lesquels je me suis entretenu estimaient que M. Daal avait été victime de représailles de la part de certains groupes ou intérêts qu'ils ne pouvaient pas déterminer de manière précise, mais qui existaient aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays. M. Derby a indiqué que, le 30 octobre, lui-même avait été contacté par des personnes qui voulaient savoir si la C.47 appuierait le grand rassemblement organisé par M. Daal qui devait avoir lieu le lendemain. Les représentants de la PWO avec lesquels j'ai été en contacts ont déclaré que M. Daal avait peut-être aussi été encouragé par les grandes manifestations qui avaient eu lieu pour protester contre son arrestation. Les représentants du bureau de la CLO ont exprimé l'avis que M. Daal, dont la forte personnalité lui permettait de faire descendre la population dans la rue, se voyait facilement champion et même martyr, si nécessaire, de la cause de la démocratie.
      6. 29 Les représentants de l'ASFA avec lesquels je me suis entretenu ont souligné que personne, pas même M. Daal, ne se doutait que les militaires fussent capables de perpétrer les actes qu'ils ont commis le 8 décembre. L'un de ces représentants avait justement rencontré M. Daal le 7 décembre; ce dernier lui avait dit qu'il se rendait compte que ses actes comportaient un risque, mais que "peu lui importait s'il mourait aujourd'hui ou dans un an". Selon les représentants de l'ASFA, M. Daal avait le cancer de la gorge. Les représentants de la VSB avec lesquels j'ai parlé ne pensaient pas que M. Daal mesurait toute la portée de ses actions. Il leur avait dit, lors d'une réunion le 2 novembre entre la Moederbond et les représentants des organisations d'employeurs et des organisations religieuses, que le commandant Horb l'avait mis en garde et lui avait conseillé de "penser à son avenir" s'il continuait à défier les militaires. Ils ont indiqué que les discours de M. Daal en faveur de la libre entreprise et ses critiques contre la socialisation entreprise par le gouvernement étaient naturellement qualifiés par ses adversaires de subversifs.
      7. 30 D'après les entretiens que j'ai eus avec de hauts fonctionnaires et des membres du gouvernement, il était évident que le gouvernement n'avait pas l'intention de mener une enquête indépendante sur les décès. Le procureur général n'était pas en mesure de dire si le ministre de la Justice envisageait la question. Le ministre du Travail a souligné que les événements avaient eu lieu dans le contexte d'une menace d'invasion du Suriname et de pressions antigouvernementales exercées par des forces tant intérieures qu'extérieures. Les dirigeants de la Moederbond ont déclaré qu'ils avaient eu trois entretiens avec le gouvernement, peu après les événements du 8 décembre: l'un, le 11 décembre, concernait la demande du ministre de l'Energie et des Ressources naturelles d'encourager les travailleurs de la bauxite, qui étaient en grève, à reprendre le travail; le second, le 13 janvier, faisait suite à une invitation aux dirigeants de la Moederbond d'exprimer leurs vues sur les capacités et les qualités du nouveau gouvernement. Pendant cette réunion, la Moederbond a présenté un document sur la politique du gouvernement envers le mouvement syndical. Au cours du troisième entretien, également le 13 janvier, qui a eu lieu avec le lieutenant-colonel Bouterse lui-même, les dirigeants de la Moederbond ont déploré les événements du 8 décembre et exprimé l'espoir que pareils événements ne se reproduiraient pas au Suriname. A aucun de ces entretiens la question d'une enquête sur les décès n'a été soulevée. Les autres centrales syndicales ont estimé qu'une enquête serait difficile à cause de la direction militaire et inutile car, à leur avis, la vérité ne serait jamais mise au jour.
    • d) La destruction des locaux de la Moederbond le 8 décembre 1982
      1. 31 Les confédérations plaignantes, dans le cas no 1160, la CISL et la CMT, avaient allégué que le siège de la Moederbond avait été détruit. Au moment du premier examen de la plainte par le comité, le gouvernement n'avait pas fait d'observations sur ce point.
      2. 32 Au cours des entretiens que j'ai eus avec le ministre du Travail au cours desquels il a confirmé la destruction du siège de la Moederbond, il m'a assuré que des pourparlers avaient eu lieu entre les dirigeants de la Moederbond et le ministère des Travaux publics et qu'un accord avait été conclu sur la reconstruction des locaux aux frais du gouvernement. Les travaux devraient commencer à la fin de 1983 ou au début de 1984, au plus tard. Le ministre a expliqué que le gouvernement rembourserait sans doute à la Moederbond le loyer payé pour les bureaux ' occupés actuellement. Le gouvernement a pris ces initiatives parce qu'il ne veut pas que la destruction des locaux soit interprétée comme un acte contre la Moederbond ou contre les travailleurs. La Moederbond a confirmé que le gouvernement avait accepté d'entreprendre la reconstruction des locaux à bref délai. A noter que les nouveaux dirigeants de la Moederbond ont d'abord refusé l'aide du gouvernement pour reconstruire les locaux car ils espéraient recevoir une aide financière à cette fin du mouvement syndical international. Le Congrès du travail des Caraïbes a, en effet, ouvert un fonds pour aider à la reconstruction, mais les contributions ont été si modestes qu'elles n'ont pas permis d'assurer la reconstruction.
    • e) La situation depuis le 8 décembre 1982 jusqu'au moment de la mission
      1. 33 D'après mes entretiens avec le ministre du Travail, certaines restrictions aux droits syndicaux ont été imposées par les autorités tout de suite après les événements du 8 décembre 1982, mais ces restrictions ne sont plus appliquées actuellement. Par exemple, entre le 8 décembre 1982 et le 25 février 1983, le gouvernement a interdit les réunions publiques. Selon le ministre du Travail, cette interdiction était nécessaire à cause de la menace d'invasion, mais elle a été levée lorsque le danger s'est éloigné. Le ministre a confirmé que les réunions syndicales peuvent maintenant se tenir librement, sans notification préalable et sans présence de militaires ou de membres de la police. Il a souligné qu'il n'y a pas de restrictions concernant l'affiliation internationale et qu'il n'est pas d'envisagées. Après le 8 décembre 1982, les organes d'information ont été placés sous le contrôle du gouvernement. Selon le ministre, la raison en était que le rôle des médias avait conduit aux événements du 8 décembre. Un comité spécial du gouvernement a été constitué pour examiner le fonctionnement de la presse, conformément aux directives de l'UNESCO. Le ministre a souligné qu'il n'y a pas de censure de l'information, mais il a admis que le nombre d'installations comme les stations de radio avait diminué. Il convient de noter à cet égard qu'une station de radio a aussi été détruite par les militaires le 8 décembre 1982. Le couvre-feu a été imposé après le 8 décembre, mais il se limite maintenant à cinq jours de la semaine (dimanche à jeudi, de minuit à 4 heures du matin). Le ministre a donné l'assurance qu'aucune législation antisyndicale ne serait adoptée.
      2. 34 Pendant l'entretien de la mission avec le Procureur général, il a été fait mention d'un décret (décret B-10 daté du 29 juin 1983) qui, selon les autorités, n'est pas directement lié au 8 décembre 1982. Aux termes de l'article 1 1) du décret (une copie de ce décret et du règlement correspondant a été donnée à la mission), il est interdit d'importer, d'avoir en transit, de distribuer, d'être en possession, de détenir en stock, de produire ou de reproduire toute information imprimée qui, de l'avis de l'autorité compétente, pourrait troubler sérieusement l'ordre public, la paix ou la sécurité nationale. L'article 1 2) désigne le Conseil des ministres comme autorité compétente. L'article 2 énumère les sanctions pour les infractions à l'article 1 - emprisonnement d'une année au maximum ou amende de 5.000 guilders au maximum. Dans le règlement d'application du décret, une publication intitulée "Les assassinats de décembre au Suriname - Rapport d'un témoin direct" a été interdite.
      3. 35 Selon le ministre du Travail, la négociation collective reste inchangée, et plusieurs grèves, peu importantes il est vrai, ont eu. lieu en 1983. Il a cité l'exemple d'une menace de grève dans l'entreprise "Kersten" au sujet du licenciement de 25 pour cent des salariés, en violation de la convention collective pertinente; le ministre lui-même est intervenu pour régler le conflit avant que les parties ne s'adressent au Conseil de médiation.
      4. 36 Le ministre du Travail et le Procureur général ont tous deux confirmé que les personnes, syndicalistes ou non, qui s'étaient enfuies du Suriname après le 8 décembre 1982 étaient totalement libres de revenir dans le pays. Aucun mandat d'arrêt n'était en instance, et il n'y avait pas de poursuites judiciaires en cours contre des syndicalistes. Il n'y avait pas non plus de syndicalistes connus en détention.
      5. 37 Les dirigeants de la Moederbond avec lesquels j'ai eu des entretiens ont expliqué qu'en raison de diverses absences du pays, c'est seulement le 13 janvier 1983 que les anciens dirigeants ont pu se réunir et prendre des mesures pour continuer le travail de la Moederbond, en particulier la reconstitution du bureau dont le président avait été tué le 8 décembre. Des responsables par intérim, ont-ils dit, ont alors été nommés, conformément aux dispositions des statuts. Le 13 mars, le bureau par intérim a pu convoquer un congrès au cours duquel le bureau actuel a été élu conformément, là aussi, aux statuts de la Moederbond. Les dirigeants ont exprimé leur inquiétude devant le fait que la constitutionnalité de ces élections faisait l'objet de contestations. Ils ont exposé en détail leur position à une mission CISL/CCL, venue au Suriname en mai 1983. Les dirigeants se sont déclarés fort déçus car, malgré les problèmes immenses qui se posent à la Moederbond et les tentatives faites par certaines tendances politiques du pays pour détruire cette organisation, elle ne reçoit pas l'appui essentiel à sa survie. Mis à part ces problèmes, les dirigeants ont confirmé que les activités syndicales pouvaient se dérouler normalement.
      6. 38 Les dirigeants de la C.47 avec lesquels j'ai parlé ont confirmé qu'il n'y avait pas de restrictions aux activités syndicales. Des négociations entre ses affiliés et un certain nombre d'entreprises ont été menées à bien sans problème. Au début d'août 1983, le syndicat affilié des travailleurs du textile a lancé une grève d'une journée, et une grève de deux jours a eu lieu récemment dans l'entreprise "Albetil". Mes interlocuteurs de la PWO ont déclaré qu'ils n'avaient pas de plainte à formuler non plus à cet égard, et ils ont fait état de la signature récente d'une convention collective pour les travailleurs du ciment et d'une grève des travailleurs de la peinture et du commerce cette année. Ils ont souligné toutefois qu'en raison de ce qui était arrivé le 8 décembre 1982, le bureau n'autoriserait pas d'action qui pourrait être considérée comme excessive. Les dirigeants de la CLO avec lesquels je me suis entretenu ont également confirmé qu'il n'y avait pas de restrictions aux activités syndicales, mais ils ont signalé que la négociation collective de 1984 dans le secteur public serait très difficile parce que les syndicats ne seraient pas en mesure de faire usage de tout leur pouvoir si les négociations étaient dans l'impasse. Selon mes interlocuteurs, les militaires ne pouvaient se permettre de laisser se reproduire des grèves et des actes de violence, et les syndicats, conscients de la chose, ne pouvaient qu'agir en conséquence.
      7. 39 Les représentants des employeurs de l'ASFA avec lesquels j'ai parlé ont dit que, certes, la négociation collective continuait comme avant décembre 1982 dans le secteur privé, mais que les syndicats ne pouvaient plus obliger le gouvernement à céder à leurs revendications comme ils pouvaient le faire par le passé. Selon mes interlocuteurs, tant les employeurs que les syndicats devaient maintenant prendre en considération la façon dont le gouvernement réagirait. Ils ont déclaré que les syndicats pouvaient faire grève dans le secteur privé, mais qu'ils ne pourraient le faire dans une entreprise d'Etat. Ils ont soulevé le problème particulier de l'absence de représentants des employeurs au Conseil consultatif (dont font partie les présidents de la PWO et de la CLO et un représentant du gouvernement) et au Conseil de médiation (le membre employeur a démissionné il y a quatre ans et le gouvernement n'a pas présenté de candidatures pour le remplacer). Les représentants des employeurs de la VSB avec lesquels j'ai parlé ont mentionné aussi le fait que les employeurs étaient exclus des organismes gouvernementaux s'occupant des relations professionnelles. Ils ont estimé que leurs droits étaient plus restreints qu'auparavant et que l'on ne faisait pas cas d'eux. Certes, il y a eu quelques réunions entre les employeurs et les autorités cette année, mais une réunion tripartite promise n'a pas eu lieu. Ces employeurs ont mentionné aussi le décret B-10 qui les empêche de garder des exemplaires de la lettre envoyée au lieutenant-colonel Bouterse, le 23 novembre 1982, par l'"Association pour la démocratie au Suriname", dont l'ASFA est signataire. Les représentants de la VSB ont fait état d'une récente déclaration télévisée du lieutenant-colonel Bouterse, dans laquelle il a dit que les événements du 8 décembre pouvaient se reproduire. Ils ont souligné que c'était dans cette perspective qu'il fallait évaluer la force des relations professionnelles actuelles au Suriname.
      8. 40 Parmi les documents remis par la commission nationale chargée de s'occuper de la mission figurait une brochure intitulée "Déclaration et plan d'action du gouvernement pour 1983-1986". Cette déclaration a été présentée au public le 1er mai 1983 par le Premier ministre. Elle fait mention de "formes adéquates d'organisation, comme les coopératives" pour le secteur agricole, mais passe sous silence les syndicats et le rôle des organisations de travailleurs dans le programme du gouvernement. J'ai demandé à chacun de mes interlocuteurs la signification de cette omission.
      9. 41 Le ministre du Travail a reconnu que la contribution de son ministère à la déclaration avait été préparée en hâte et présentée tardivement, d'où l'omission. Il a souligné que tant dans les textes qu'en pratique, le mouvement syndical était consulté et associé aux plans de développement du pays.
      10. 42 Les représentants de trois des quatre fédérations syndicales avec lesquels je me suis entretenu ont déclaré qu'ils n'avaient pas été consultés au sujet du plan d'action. Les dirigeants de la CLO, toutefois, ont affirmé avoir été consultés au sujet de ce plan. Les employeurs n'ont pas été consultés non plus. On m'a dit que les partenaires sociaux pouvaient faire des observations après la publication de la brochure, mais les employeurs ont déclaré qu'ils n'avaient pas été invités à le faire. Selon la C.47, l'absence de mention des syndicats était une omission compréhensible. La PWO, en revanche, a exprimé l'avis que les relations entre le gouvernement et le mouvement syndical n'étant pas bonnes au-moment de la publication du plan d'action, c'était à dessein que les syndicats n'avaient pas été consultés à ce sujet.
    • f) Perspectives d'avenir
      1. 43 Aux questions que j'ai posées concernant d'éventuels changements dans la structure syndicale depuis le 8 décembre 1982 et l'avenir du mouvement syndical, le ministre du Travail a répondu qu'il n'y avait pas eu de changements, et il a souligné qu'il n'y avait pas de restrictions au mouvement syndical et qu'aucune restriction n'était envisagée. Le gouvernement avait l'intention, a-t-il dit, de constituer dans l'avenir des tribunaux spéciaux du travail pour traiter les réclamations individuelles plus rapidement et il nommerait des comités d'inspection du travail pour les entreprises qui n'employaient qu'un petit nombre de travailleurs.
      2. 44 Les représentants de la C.47 avec lesquels j'ai parlé ont considéré qu'il n'y avait pas eu de changements dans la structure syndicale, mais ils se rendaient compte que si les travailleurs quittaient en masse un autre syndicat pour s'affilier à la C.47, le mouvement syndical dans son ensemble s'en trouverait affaibli. Le président de la C.47 a estimé que la Moederbond avait été considérablement affaiblie depuis les événements du 8 décembre 1982. Ces représentants étaient optimistes pour l'avenir, avec ou sans régime militaire à la tête du pays. Ils estimaient que le lieutenant-colonel Bouterse n'avait ni l'intention ni la capacité de réprimer le mouvement syndical.
      3. 45 Les représentants de la PWO n'ont pas observé non plus de changement dans la structure syndicale du Suriname depuis le 8 décembre, mais ils ont indiqué que depuis cinq ou six ans certains syndicats essayaient de lui enlever ses affiliés. Ils n'avaient pas d'inquiétude pour l'avenir sous un régime militaire.
      4. 46 Les représentants de la CLO, on l'a vu, avaient des appréhensions au sujet des négociations de 1984 concernant une convention collective pour les fonctionnaires, mais ils ne craignaient pas que les droits syndicaux soient limités d'une façon quelconque.
      5. 47 L'avenir est plus critique pour la Moederbond. Les nouveaux dirigeants avec lesquels j'ai parlé semblaient divisés, et il y a des divergences évidentes entre les dirigeants nouvellement élus et ceux qui restent fidèles à la politique suivie par Cyril Daal. Le président de la Moederbond a qualifié la situation de cette dernière de "vulnérable" pour trois raisons les travailleurs eux-mêmes ont perdu confiance dans le syndicat après les événements du 8 décembre; des doutes existent aux niveaux national et international quant à l'intégrité des dirigeants et au fonctionnement de la fédération; certaines personnes proches du gouvernement n'étaient pas convaincues que la Moederbond devait se reconstituer. Le bureau, a-t-il dit, cherchait encore sa voie. Il continuait de déplorer ouvertement les événements du 8 décembre 1982 et s'employait à empêcher qu'ils ne se reproduisent, sans renoncer à l'identité de la Moederbond en tant que syndicat libre et indépendant. Malgré l'infiltration de certains groupes politiques parmi ses affiliés, le bureau continuerait sa lutte pour renforcer l'organisation dans l'intérêt des travailleurs qu'elle représente.
      6. 48 Les représentants de l'ASFA avec lesquels je me suis entretenu étaient moins optimistes pour l'avenir. On faisait beaucoup en paroles, mais peu en réalité, selon eux, pour améliorer les relations professionnelles. Ils ont déclaré néanmoins qu'ils s'adaptaient à la situation. Ils étaient conscients de ce qu'ils qualifiaient d'infiltration par l'extrême-gauche de la Moederbond et estimaient que la position du président était délicate.
      7. 49 Les représentants de la VSB estimaient aussi que la Moederbond était beaucoup plus faible maintenant que la forte personnalité de M. Daal avait disparu. Ils ont souligné que l'influence de ce dernier ne serait pas oubliée facilement dans la fédération.
    • Remarques finales
      1. 50 Mon dernier entretien avant de quitter le pays a eu lieu avec les représentants du ministère du Travail auxquels j'ai exprimé ma gratitude pour la bonne organisation de la mission et pour l'accueil courtois qu'elle avait reçu. Tous mes entretiens avaient été francs et m'avaient permis d'obtenir toute l'information possible concernant les problèmes en cause. J'ai. souligné néanmoins que, sans une enquête approfondie et indépendante sur les événements du 8 décembre 1982, beaucoup de faits importants ne seraient jamais mis au jour. Etant donné que le Procureur général a renvoyé la question d'une enquête au ministre de la Justice lui-même, j'ai exprimé l'espoir que le ministre ferait usage de son pouvoir pour procéder à cette enquête. J'ai souligné que s'il est vrai que la liberté syndicale et les droits de l'homme peuvent être inscrits dans la Constitution et la législation des pays, la véritable liberté syndicale - aussi bien pour les travailleurs que pour les employeurs - ne peut exister que si elle s'exerce dans un climat tel que les travailleurs et les employeurs peuvent prévoir les conséquences de l'exercice de cette liberté. J'ai indiqué que, par suite des événements tragiques du 8 décembre dernier, il n'était pas surprenant qu'il y ait une certaine incertitude quant à l'exercice de cette liberté. J'ai exprimé l'avis que plus vite cette incertitude serait levée, mieux cela vaudrait. Eu égard aux griefs des employeurs, j'ai rappelé au ministre l'importance de la convention (no 144) sur les consultations tripartites relatives aux normes internationales du travail, 1976, que le Suriname a ratifiée. J'ai souligné que la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations avait fait, cette année, des observations sur la composition du Conseil consultatif qui n'est pas tripartite. Enfin, j'ai assuré le ministre d'un rapport objectif et impartial de la mission présenté au Comité de la liberté syndicale du Conseil d'administration, qui adoptera des conclusions dans ce cas. Le ministre m'a remercié de cette assurance et a exprimé l'espoir que la mission conduirait à une meilleure compréhension des problèmes soulevés en l'espèce et des problèmes qui se posent à l'heure actuelle au Suriname.
      2. 51 En résumé, la mission a été reçue de manière très correcte et le programme a été exécuté de façon efficace. J'ai eu la certitude que tous mes interlocuteurs parlaient ouvertement et franchement, et j'ai pu obtenir des informations concordantes sur tous les aspects importants du cas. Il y a naturellement beaucoup de détails concernant la façon dont M. Daal et les autres sont morts que mes interlocuteurs ne connaissaient pas et qui, sans une enquête indépendante et approfondie, ne seront peut-être jamais connus, mais le fait que les décès se sont produits pendant que les victimes étaient entre les mains des militaires - et cela n'a pas été nié par le gouvernement - enlève de leur importance à ces détails, du moins aux fins de l'OIT.
      3. 52 La mort tragique de M. Daal - et des 14 autres personnes - s'est produite dans un climat politique où le régime militaire se considérait sérieusement menacé non seulement par un fort mouvement national en faveur du rétablissement de la démocratie, qui comprenait M. Daal, les intellectuels, les avocats, les industriels et les Eglises, mais aussi par des forces extérieures. A tort ou à raison, le gouvernement a interprété les activités de M. Daal (grèves ayant un effet déstabilisateur, déclarations et manifestations politiques, et divers contacts à Paramaribo) comme faisant partie d'un complot subversif visant à renverser le régime par la force, et il a décidé en conséquence de l'écarter. Malgré les nombreux avertissements qui lui ont été donnés par ses collègues syndicaux et même par certains employeurs, M. Daal a continué la grève des contrôleurs du trafic aérien et a organisé un vaste rassemblement qui coïncidait avec l'arrivée du Premier ministre de Grenade. Il n'y a pas de doute que cela a suscité un grand embarras et l'hostilité des dirigeants du régime militaire et, en fin de compte, c'est là probablement le facteur décisif qui a conduit à sa mort.
      4. 53 En ce qui concerne la situation syndicale en général, il n'y a pas de restrictions apparentes à l'exercice des droits syndicaux. Le Suriname a une législation modèle sur les droits syndicaux et, comme on peut le voir d'après les informations obtenues pendant la mission, il n'y a pas de limites dans la pratique à l'action syndicale. Cependant, si les événements du 8 décembre 1982 n'ont pas mis fin à l'exercice des droits syndicaux, ils ont sans aucun doute créé un climat dans lequel les conséquences de l'exercice de ces droits sont loin d'être certaines. Les grèves et la négociation collective continuent, mais les syndicats, en particulier, doivent manifestement y regarder à deux fois avant d'entreprendre une action qui pourrait être interprétée par le gouvernement comme étant un acte politique d'opposition.
      5. 54 Après le décès de M. Daal, la Moederbond, affiliée à la CISL, est grandement affaiblie. Les nouveaux dirigeants - élus conformément aux statuts - sont moins charismatiques, moins agressifs et peut-être moins motivés politiquement que M. Daal. Ils sont indignés par le reproche qui leur est fait de "collaborer" avec les militaires, et considèrent que la situation exige une approche pragmatique tenant compte des circonstances actuelles. Si cette organisation ne réussit pas à surmonter les divergences qui existent entre les dirigeants, elle risque de se morceler en petites factions plus faibles, ce qui serait peu souhaitable pour le mouvement syndical dans son ensemble.
      6. 55 Il ne me reste qu'à exprimer mes sincères remerciements au gouvernement et en particulier aux membres de la commission nationale pour la précieuses aide qu'ils ont apportée dans l'organisation du programme de la mission. Je désire aussi remercier les représentants de toutes les organisations de travailleurs et d'employeurs dont la collaboration a été fort appréciée.
    • W.R. Simpson.
  • Genève, septembre 1983.
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