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Rapport intérimaire - Rapport No. 234, Juin 1984

Cas no 1190 (Pérou) - Date de la plainte: 23-MARS -83 - Clos

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  1. 500. Les plaintes figurent dans des communications de la Confédération internationale des syndicats libres (CISL), de la Fédération syndicale mondiale (FSM), de la Confédération générale des travailleurs du Pérou (CGTP) et de la Fédération des travailleurs municipaux du Pérou, en date respectivement du 23 mars et des 3, 4 et 6 juin 1983. La CISL a envoyé des informations complémentaires dans une communication du 26 mai 1983. Le gouvernement a répondu par des communications du 19 juillet, du 5 octobre et du 17 novembre 1983, et du 30 janvier 1984.
  2. 501. Le Pérou a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégations des organisations plaignantes

A. Allégations des organisations plaignantes
  1. 502. Dans sa communication du 23 mars 1983, la CISL allègue que, le 10 mars 1983, les quatre centrales syndicales qui forment le Front syndical démocratique ont décrété une grève nationale pour obtenir une augmentation générale des salaires correspondant au renchérissement du coût de la vie, l'arrêt de la hausse des prix des produits de première nécessité, un moratoire sélectif et un rééchelonnement de la dette extérieure moyennant des accords passés avec le Fonds monétaire international, et la révision des contrats pétroliers.
  2. 503. Selon la CISL, au cours du déroulement de la grève, la Garde républicaine a exercé une répression violente à l'encontre des travailleurs dans les différents départements du pays. Dans le district de Comas (Lima), cette répression a coûté la vie aux travailleurs Sixto Pérez Sánchez, José Antonio Monayco, Liborio Alfonso Aguilar et Hermenegildo Julián Huatuco. D'autre part, un nombre indéterminé de travailleurs ont été blessés et quelque 200 sont détenus dans les diverses prisons de la Sécurité de l'Etat. Ainsi, selon la CGTP, ses dirigeants, Jorge Rabines Bartra, Hernán Espinoza Segovia et Juan Calle Mendoza, ont été emprisonnés.
  3. 504. La CISL signale que, avant le début de la grève nationale, le gouvernement avait décrété l'état d'urgence, qui est resté en vigueur pendant cinq jours, avec suspension des droits constitutionnels en matière de libre circulation, de manifestations publiques et d'habeas corpus.
  4. 505. Dans sa communication du 26 mai 1983, la CISL allègue que, entre le 10 et le 14 avril 1983, quatre enseignants membres du Syndicat unique des enseignants du Pérou (MM. Patrocinio Quicha Espinoza, Milton Hernán Gutiérrez Araújo, Virgilio Hauranca et Estilo Ayala) ont été assassinés par la Garde civile, après avoir été accusés de collaborer avec le mouvement guérillero. La CISL indique que ces enseignants des provinces de Cangallo et Huamanga (département de Ayacucho) ont été arrêtés et exécutés sans procès par la Garde civile de ce département - lequel se trouve en état d'urgence, ce qui entraîne la suspension des libertés civiles - en réponse à l'augmentation des assassinats et autres actes commis par le groupe guérillero "Sendero Luminoso". Selon la CISL, la Garde civile soutient que les personnes assassinées étaient des collaborateurs du "Sendero Luminoso".
  5. 506. La CISL allègue aussi que les enseignants Oswaldo Castafieda Filón et Heraclio Palomino Ayala ont été assassinés. M. Castañeda (directeur de l'école secondaire de Paras) a été arrêté par la Garde civile dans une salle de classe et abattu par la suite, après avoir été placé contre un angle de murs de sa maison. M. Palomino, selon de nombreux témoins, a été arrêté par la Garde civile et conduit chez lui par des membres de ce corps de police qui l'ont interrogé en présence de sa famille pour lui faire révéler l'identité de membres de la communauté appuyant la guérilla et l'endroit où ils se trouvaient, et qui l'ont menacé de brûler sa maison s'il ne coopérait pas avec eux. Vu l'échec de ces menaces et la résistance des membres de sa famille, M. Palomino a été abattu.
  6. 507. Par ailleurs, les organisations plaignantes formulent des allégations en ce qui concerne le droit de grève. La Fédération des travailleurs municipaux du Pérou cite le décret suprême no 0010-83-PCM, du 25 février 1983, dont l'article 1er dispose que "la qualification des arrêts collectifs de travail réalisés en violation des dispositions des décrets suprêmes nos 03-82-PCM et 026-82-JUS (applicables aux services publics) sera déterminée par le Titulaire du portefeuille ou par les chefs des institutions publiques pour le personnel relevant du régime de la loi no 11377". La Fédération des travailleurs municipaux considère que le fait que l'employeur joue ainsi le rôle de "juge et partie", puisqu'il a la faculté de déclarer une grève illégale, constitue un abus de pouvoir.
  7. 508. Les plaignants s'opposent en outre à un projet de loi que le gouvernement a soumis d'urgence au Parlement le 30 mai 1983 et qui prévoit des sanctions contre quiconque inciterait à la grève, à un arrêt de travail ou à des actes débouchant sur des désordres. Selon la CGTP, ce projet prévoit que les organisations syndicales et leurs membres accusés d'avoir causé "des dommages à la propriété privée", "un arrêt de la circulation", etc., pourront être condamnés à une peine d'emprisonnement d'un an ou plus et au paiement d'indemnités. Selon la FSM, la peine d'un an d'emprisonnement pourra être prononcée contre quiconque prendra un fonctionnaire en otage en raison d'une grève et la peine de trois ans, contre quiconque entamera une grève de la faim. En outre, le projet prévoit un alourdissement des peines si les actes incriminés sont commis en cours d'état d'urgence ou d'état de siège.
  8. 509. Dans sa communication du 4 juin 1983, la CGTP allègue que, sur simple demande des employeurs, le ministère du Travail peut annuler l'enregistrement des organisations syndicales, comme cela a été le cas pour les organisations affiliées à la Fédération nationale des travailleurs du cinéma, le Syndicat des travailleurs de FINISTERRE S.A et le Syndicat des travailleurs de TTX.
  9. 510. La CGTP allègue aussi que Jesús Ramfrez Alejo (secrétaire général de la CGTP, région de Callao) a été arrêté le 7 juin 1983, et que le local de la Fédération des hommes d'équipage du Pérou (qui a son siège à Callao) a été attaqué. Elle allègue également que Gregorio Bazán Tello (vice-président de la CGTP) a été arrêté et signale que M. Augusto Huasasquiche (secrétaire à l'organisation de la CGTP) est victime de brimades. Enfin, les plaignants formulent des allégations au sujet de la politique économique du gouvernement et de son incidence sur la négociation collective (des allégations semblables ont été présentées dans le cadre du cas no 1206).

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 511. Le gouvernement déclare que, au cours de la grève que la CGTP avait organisée pour le 10 mars 1983 et que les autres centrales syndicales et les organisations politiques de gauche ont suivie, le gouvernement a suspendu les garanties constitutionnelles et a pris les mesures de sécurité requises par la situation afin de maintenir l'ordre et la sécurité publique. Selon le gouvernement, les principales avenues du Cône Sud ont été bloquées par des piquets de grève qui essayaient d'empêcher la libre circulation des véhicules, occasionnant des troubles et portant atteinte à la sécurité et à l'ordre public ainsi qu'à l'intégrité physique des membres de la Garde républicaine. A la hauteur des kilomètres 4,5 et 6,5 de l'avenue Túpac Amaru, les grévistes ont lapidé deux unités de transports de "ENATRU-PERU". Dans ces conditions, pour repousser l'agression, les membres de la Garde républicaine qui avaient la garde de ces véhicules ont fait usage de leurs armes à feu, ce qui a causé des morts et des blessés.
  2. 512. Le gouvernement ajoute que, la Direction des délits contre la vie ayant enquêté sur les faits, deux attestations ont été établies et remises au bureau du 4e Procureur provincial et au 19e Tribunal d'instruction, tandis que 84 personnes ont été arrêtées pour délits contre la vie, le corps et la santé, contre le patrimoine et contre la sécurité et la tranquillité publique. Le gouvernement précise que les morts et les blessés ainsi que les arrestations ont été la conséquence directe des actes d'agression et des désordres commis ou provoqués par les "piquets de grève", qui n'ont pas hésité à attaquer violemment des unités de transports en commun dans le but d'empêcher la libre circulation des véhicules. La manifestation a ainsi perdu son caractère de manifestation de travailleurs, avec la connotation pacifique que cela implique, pour se convertir en actes de vandalisme.
  3. 513. En ce qui concerne les allégations relatives à l'assassinat de cinq enseignants entre le 10 et le 14 avril 1983, le gouvernement nie que des exécutions sans procès soient pratiquées au Pérou, de sorte que la version des faits présentée par la CISL est inexacte. Selon le gouvernement, les enseignants Patrocinio Quicha Espinoza, Virgilio Fortunato Huaranca Araújo ainsi que Estilo Ayala Huaranca (lequel n'était pas enseignant) assistaient à une fête sur la colline Calahuma, où étaient diffusées des consignes et des harangues du camarade "Gonzalo" et du mouvement "Sendero Luminoso". A l'arrivée d'une patrouille de la Garde civile qui exécutait l'opération "Cóndor I", les intéressés n'ont pas tenu compte des sommations qui leur ont été faites, et c'est ainsi que les personnes susmentionnées ont été tuées. Le gouvernement ajoute que les enseignants Palomino Ayala Heraclio et Pablo Oswaldo Castañeda ont été assassinés par des éléments subversifs, selon une plainte présentée par Mme Angélica Reynaga Portal dans le premier cas et, dans le second, selon une enquête ouverte par le Procureur provincial. Quant à l'enseignant Milton Hernán Gutiérrez Araújo, il se trouve en vie et exerce son activité d'enseignant dans la localité de Paras-Cangallo.
  4. 514. Le gouvernement précise que les événements en question ne se rattachent pas à des problèmes concernant le travail, et moins encore à une violation des droits syndicaux, mais à des faits de caractère délictueux provoqués par un mouvement subversif bien connu sous le nom de "Sendero Luminoso", qui se livre à des actes de terrorisme, surtout dans la zone d'Ayacucho.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 515. En ce qui concerne la mort de quatre travailleurs, les personnes qui ont été blessées et les arrestations qui ont eu lieu à cause de la grève nationale du 10 mars 1983, le comité note que, selon le gouvernement, ces faits ont été la conséquence directe des actes d'agression commis par les "piquets de grève" et des désordres qu'ils ont provoqués (blocage de grandes artères empêchant la libre circulation des véhicules, troubles, atteintes à la sécurité et à l'ordre public ainsi qu'à l'intégrité physique de membres de la Garde républicaine).
  2. 516. Le comité note également les informations que le gouvernement a fournies au sujet des morts et des blessés et, en particulier, que les grévistes ont lapidé deux unités de transports de "ENATRU PERU" et que, dans ces conditions, le personnel de la Garde républicaine (qui avait la garde de ces véhicules) a fait usage de ses armes à feu pour repousser l'agression. A cet égard, le comité déplore vivement les morts et les atteintes à l'intégrité physique qui se sont produites. Il observe en outre, que la version des faits donnée par le gouvernement ne permet pas d'écarter l'hypothèse que l'usage d'armes à feu par la Garde républicaine aurait pu être remplacé par le recours à des moyens mieux proportionnés à la situation. Le comité prie le gouvernement de lui communiquer le résultat des enquêtes menées par la justice ordinaire au sujet des morts et des atteintes à l'intégrité physique qui se sont produites.
  3. 517. D'autre part, le comité prend note de ce que 84 personnes ont été mises en détention sous contrôle judiciaire pour délits contre la vie, le corps et la santé, contre le patrimoine et contre la sécurité et la tranquillité publique. Le comité prie le gouvernement de l'informer des résultats des enquêtes judiciaires menées à ce sujet et de lui envoyer des renseignements détaillés sur l'arrestation de MM. Jorge Rabines Bartra, Hernán Espinoza Segovia et Juan Calle Mendoza, dirigeants de la CGTP.
  4. 518. En ce qui concerne l'allégation relative à l'assassinat de six enseignants membres du Syndicat unique des enseignants du Pérou entre le 10 et le 14 avril 1983, le comité note que, selon le gouvernement, un des intéressés, M. Estilo Ayala Huaranca, n'était pas enseignant et qu'un autre, M. Milton Hernán Gutiérrez Araújo, est en vie et exerce son activité d'enseignant. Le comité note aussi que, selon le gouvernement, les enseignants Patrocinio Quicha Espinoza, Virgilio Huaranca ainsi que M. Estilo Ayala assistaient à une fête sur la colline Calahuma où étaient diffusées des consignes et des harangues du mouvement subversif "Sendero Luminoso", que les intéressés n'ont pas tenu compte des sommations faites par une patrouille de la Garde civile et que c'est ainsi que les personnes susmentionnées ont été tuées. Le comité note en outre que, au dire du gouvernement, les enseignants Palomino Ayala et Pablo Oswaldo Castañeda auraient été assassinés par des éléments subversifs, selon une plainte présentée par un particulier dans le premier cas et selon une enquête ouverte par le Procureur provincial dans le second. Le comité observe donc que la version de la CISL et celle du gouvernement au sujet de la mort de ces enseignants divergent. Dans ces conditions, il déplore profondément la mort des enseignants Patrocinio Quicha Espinoza, Virgilio Huaranca, Palomino Ayala et Pedro Pablo Castañeda et celle de M. Estilo Ayala. Il constate toutefois que les informations fournies par les organisations plaignantes et par le gouvernement ne contiennent pas d'éléments qui permettent d'affirmer que ces morts sont liées à la qualité de syndicalistes des intéressés ou à leurs activités syndicales.
  5. 519. Enfin, le comité observe que le gouvernement n'a pas répondu au reste des allégations: limitations au droit de grève énoncées dans le décret suprême no 0010-83-PCM du 25 février 1983 et dans le projet de loi sur le droit de grève que le gouvernement a soumis au Parlement le 30 mai 1983; annulation de l'enregistrement des organisations affiliées à la Fédération nationale des travailleurs du cinéma, du Syndicat des travailleurs de FINISTERRE S.A. et du Syndicat des travailleurs de TTX; arrestation de MM. Jesús Ramírez Alejo et Gregorio Bazán Tello, dirigeants de la CGTP, et brimades dont serait victime M. Augusto Huasasquiche, dirigeant syndical; et agression contre le local de la Fédération des hommes d'équipage du Pérou. Le comité prie le gouvernement de lui envoyer ses observations au sujet de ces allégations.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 520. Dans ces conditions, le comité recommande au Conseil d'administration d'approuver le présent rapport intérimaire, et en particulier les conclusions suivantes:
    • a) Le comité déplore profondément la mort de quatre travailleurs et les atteintes à l'intégrité physique qui se sont produites à cause de la grève nationale du 10 mars 1983. Il observe que la version des faits donnée par le gouvernement ne permet pas d'écarter l'hypothèse que l'usage d'armes à feu par la Garde républicaine aurait pu être remplacé par le recours à des moyens mieux proportionnés à la situation. Le comité prie le gouvernement de lui communiquer le résultat des enquêtes menées par la justice ordinaire au sujet des morts et des atteintes à l'intégrité physique susmentionnées.
    • b) En ce qui concerne aussi la grève nationale, le comité note que 84 personnes ont été mises en détention sous contrôle judiciaire pour des délits de droit commun. Le comité prie le gouvernement de l'informer des résultats des enquêtes judiciaires menées à ce sujet et de lui envoyer des renseignements détaillés au sujet de l'arrestation de MM. Jorge Rabines Bartra, Hernán Espinoza Segovia et Juan Calle Mendoza, dirigeants de la CGTP.
    • c) Le comité déplore profondément la mort des enseignants Patrocinio Quicha, Virgilio Huaranca, Palomino Ayala et Pedro Pablo Castañeda ainsi que celle de M. Estilo Ayala. Il constate toutefois que les informations fournies par les plaignants et par le gouvernement ne permettent pas d'affirmer que ces morts sont liées à la qualité de syndicalistes des intéressés ou à leurs, activités syndicales.
    • d) Enfin, le comité observe que le gouvernement n'a pas répondu au reste des allégations: limitations au droit de grève énoncées dans le décret suprême no 0010-83-PCM du 25 février 1983 et dans le projet de loi sur le droit de grève que le gouvernement a soumis au Parlement le 30 mai 1983; annulation de l'enregistrement des organisations affiliées à la Fédération nationale des travailleurs du cinéma, du Syndicat des travailleurs de FINISTERRE S.A. et du Syndicat des travailleurs de TTX; arrestation de MM. Jesús Ramirez Alejo et Gregorio Bazán Tello, dirigeants syndicaux de la CGTP, et brimades dont serait victime M. Augusto Huasasquiche, dirigeant syndical; et agression contre le local de la Fédération des hommes d'équipage du Pérou. Le comité prie le gouvernement d'envoyer ses observations au sujet de ces allégations.
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