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Rapport intérimaire - Rapport No. 233, Mars 1984

Cas no 1199 (Pérou) - Date de la plainte: 26-AVR. -83 - Clos

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  1. 565. La plainte figure dans des communications de la Fédération internationale des mineurs (FIM) et de la Fédération nationale des mineurs et métallurgistes, datées respectivement des 26 avril et 7 juin 1983. Le gouvernement a répondu par une communication du 13 octobre 1983.
  2. 566. Le Pérou a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégations des plaignants

A. Allégations des plaignants
  1. 567. Les plaignants allèguent que, le 23 mars 1983, les gardes civils Augusto Gariboto Nolasco et Luis Rivas Plata se sont présentés, en état d'ivresse manifeste, au réfectoire de la mine de Huanzalá, propriété de la Société minière Santa Luisa, et ont tenté, sans donner aucun motif, d'arrêter le travailleur Alfredo Huamantuma Calcina, dirigeant syndical à la Fédération nationale des mineurs. Devant les protestations des travailleurs présents, les deux gardes attaquèrent en paroles et en actes M. Stig Blomquist, dirigeant de la Fédération internationale des mineurs (Service de la diffusion), et Mme Gunilda Berglund (interprète), qui se trouvaient là à l'occasion d'un échange d'expériences entre les deux fédérations, ainsi que M. Mario Astete Santa, secrétaire général du syndicat de la mine d'Huanzalá. Selon la FIM quelques travailleurs, alertés par un mineur témoin des faits, demandèrent des explications aux policiers et essayèrent de les empêcher d'emmener M. Blomquist et M. Huamantuma au commissariat, où ils craignaient qu'on les maltraite. Après une bousculade, M. Blomquist réussit à gagner les locaux syndicaux et à envoyer à la compagnie minière un message lui demandant de dépêcher un représentant pour discuter de la situation. Le chef du personnel vint et accepta que les deux policiers quittent la mine. Les intéressés se rendirent alors au commissariat où le chef de la police leur présenta ses excuses et leur déclara qu'il ne voyait pas d'inconvénients à ce que les policiers aient été expulsés.
  2. 568. La Fédération nationale des mineurs et métallurgistes (ci-après Fédération nationale) ajoute que, pour protester contre l'agression policière du 23 mars 1983, qui constituait un manquement à la Constitution, les travailleurs ont manifesté publiquement le lendemain, demandant des sanctions contre les policiers responsables. C'est alors que, malgré la nature pacifique et ordonnée de la manifestation, un détachement de police déclencha une brutale répression contre les travailleurs, les ménagères et les enfants qui se trouvaient rassemblés sur la voie publique, causant ainsi la mort de Gelacio Bernardo Mendoza et blessant par balles les travailleurs Edson Garay Flores, Eduardo Morán Silvestre, Esaú Ciriaco Tello, Flavio Huamán Quiroz, Julio Carbajal Pardavé et Eladio Alvarado Valenzuela. Selon la Fédération nationale, on a usé du vieux stratagème de travestir les faits et d'inverser les responsabilités pour attaquer en justice 37 mineurs, accusés de violences contre la police. Pour comble, la Société minière Santa Luisa a licencié deux travailleurs (Exaltacíon Raymúndez Valverde et Ceferino Santos Blas) et a pris en même temps un ensemble de mesures répressives contre tout le personnel à son service. La Fédération nationale indique qu'elle a porté plainte pénale devant le Procureur de la République contre les gardes civils Augusto Gariboto Nolasco et Luis Rivas Plata et contre toutes autres personnes responsables de l'homicide sur la personne de Gelacio Bernardo Mendoza et pour coups et blessures sur les personnes des autres travailleurs nommés plus haut. Elle a aussi demandé au ministre de l'Intérieur, duquel relève la garde civile, de punir les responsables des faits et de prendre les mesures voulues pour que de tels faits ne se répètent pas.
  3. 569. La FIM donne la version suivante des faits survenus le 24 mars 1983: les mineurs se dirigeaient vers les bureaux de la compagnie pour protester contre ce qui était arrivé la veille à M. Blomquist et pour demander des explications à la compagnie. M. Turin, directeur de cette dernière, déclara aux mineurs qu'il allait inviter le chef de la police à venir expliquer les faits. Le chef de la police vint mais, loin de s'expliquer, il fit un signal auquel apparurent huit policiers armés de pistolets et de grenades lacrymogènes, qui entourèrent le directeur, le sous-directeur également présent et le chef de la police. Il y eut des désordres et la police se mit à tirer en l'air et à lancer des grenades lacrymogènes. Le chef de la police et quelques policiers pointèrent directement leurs armes sur les gens, qui se dispersèrent alors en courant, pour chercher un refuge. La police les poursuivit en tirant droit sur eux. Deux mineurs furent blessés aux jambes et leurs camarades essayèrent de les transporter en lieu sûr, mais la police, continuait à tirer. Un homme qui portait sur le dos un mineur blessé venait d'atteindre la sortie de l'esplanade où se trouvent le bureau de la compagnie et le commissariat quand il reçut un coup de feu au côté; c'était à 75 ou 100 mètres du commissariat; un mineur, Gelacio Bernardo Mendoza, fut tué de plusieurs balles aux poumons et aux reins. Il y eut en tout six blessés, dont deux à la poitrine et quatre aux jambes.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 570. Le gouvernement déclare que, le 23 mars 1983, une patrouille de deux gardes civils du poste d'Huanzalá constatèrent qu'il y avait, au réfectoire de la compagnie minière Santa Luisa, des éléments étrangers auxquels ils demandèrent leurs papiers; les interpelés refusèrent, répondant de façon évasive et grossière; les deux gardes civils décidèrent de les conduire au poste, ce dont profita un dirigeant syndical pour réunir une vingtaine de personnes et empêcher l'action de la police; les deux policiers décidèrent de se retirer et d'aller rendre compte au chef de poste. Les personnes étrangères furent ensuite identifiées comme Stig Blomquist, dirigeant de la Fédération internationale des mineurs, et Gunilda Berglund de Blanco, tous deux de nationalité suédoise.
  2. 571. Le 24 mars, à 16 heures, poursuit le gouvernement, un groupe d'environ 500 personnes, sous la conduite des deux étrangers précités et de dirigeants syndicaux de la compagnie Santa Luisa, tinrent un meeting; ayant réclamé la présence du chef de poste et du directeur de la mine, M. Juan Turín Soto, ils leur demandèrent des explications sur les sanctions prises contre les gardes civils à la suite des incidents de la veille; c'est alors que la foule saisit et frappa le directeur de la mine et que la garde civile dût intervenir pour le dégager, usant de gaz lacrymogènes sans faire de victimes; puis le poste de la garde civile fut attaqué à coups de pierres et de bâtons de dynamite qui endommagèrent le toit et la façade; se voyant en danger de mort, les gardes civils retranchés à l'intérieur furent obligés d'user de leurs armes à feu contre les attaquants, parmi lesquels il y eut six blessés et un mort, l'ouvrier mineur Gelacio Bernardo Mendoza, atteint au moment où il lançait un bâton de dynamite et qui mourut pendant que ses camarades le transportaient à l'hôpital, selon le diagnostic du médecin de service.
  3. 572. Pendant ces derniers incidents, les mineurs prirent en otage l'ingénieur Serafín Valer González et le chef du personnel, M. José Hinostroza Murga, qu'ils retinrent tous deux pendant 12 heures, avec mauvais traitements, exigeant le retrait de la garde civile.
  4. 573. Cet exposé des faits met en évidence non seulement l'inexactitude de la version du plaignant, mais aussi la disproportion entre les brimades prétendument infligées aux responsables syndicaux et les violences commises le 24 mars par les mineurs; en effet, ces derniers, en prenant et maltraitant des otages, ont justifié l'opération de secours de la police, puis l'ont mise en état de légitime défense en attaquant ses locaux à coups de pierres et de dynamite; encore les attaquants n'ont-ils subi que des blessures légères aux jambes, à l'unique exception de l'ouvrier mineur Gelacio Bernardo Mendoza, mort de ses blessures.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 574. Les plaignants allèguent que, le 24 mars 1983, un détachement de la police a réprimé une manifestation paisible de travailleurs de la Société minière Santa Lucia, qui réclamaient des sanctions contre deux gardes civils qui avaient essayé la veille, en état d'ivresse, d'arrêter sans motif un dirigeant syndical et avaient attaqué deux autres dirigeants syndicaux et une autre personne. Selon les plaignants, la répression aurait fait chez les travailleurs un mort et six blessés par balles.
  2. 575. En ce qui concerne les faits à l'origine de la manifestation des mineurs, le comité observe que les allégations et la réponse du gouvernement se contredisent. D'après les plaignants, deux gardes civils en état d'ivresse auraient essayé, le 23 mars 1983, d'arrêter sans motif un dirigeant syndical et auraient attaqué deux autres dirigeants syndicaux et une autre personne. Le gouvernement soutient par contre, sans nier expressément l'état d'ivresse ou les agressions reprochées aux gardes civils, que ces derniers cherchaient à appréhender deux personnes qui avaient refusé de façon évasive et grossière de présenter leurs papiers d'identité.
  3. 576. Le comité note aussi la contradiction entre les allégations des plaignants et la réponse du gouvernement en ce qui concerne les circonstances dans lesquelles l'ouvrier mineur Gelacio Bernardo Mendoza a été tué et plusieurs autres blessés lors de la manifestation du 24 mars 1983. Selon les plaignants, les faits se seraient produits pendant une manifestation pacifique que la garde civile aurait réprimée en tirant droit sur la foule qui courait se mettre à l'abri après une volée de grenades lacrymogènes. Or, selon le. gouvernement, ce sont les mineurs qui, en attaquant le poste de police avec des pierres et des bâtons de dynamite, auraient mis en danger la vie des gardes civils qui s'y trouvaient, au point que ceux-ci, usant de leurs armes à feu par légitime défense, ont blessé six personnes et en ont tué une qui, atteinte alors qu'elle lançait une charge de dynamite, est morte peu après. Le gouvernement évoque aussi la prise d'otages et autres violences commises par les mineurs. Le comité rappelle, d'une manière générale, que le recours à la force publique dans les manifestations syndicales devrait être limité aux cas réellement nécessaires. Le comité exprime l'espoir que le gouvernement adoptera des mesures appropriées pour empêcher la répétition de tels événements.
  4. 577. Le comité déplore profondément la mort du mineur Gelacio Bernardo Mendoza et les blessures des autres travailleurs. Compte tenu de la contradiction qui existe entre les versions du gouvernement et des plaignants concernant ces allégations, le comité exprime l'espoir que les procédures judiciaires en cours permettront de déterminer les responsabilités et de punir les coupables. Le comité demande au gouvernement de l'informer des suites des procédures pénales engagées à propos des faits allégués.
  5. 578. Le comité demande au gouvernement de lui envoyer ses observations sur le licenciement d'Exaltación Raymúndez Valverde et de Ceferino Santos Blas.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 579. Dans ces conditions, le comité recommande au Conseil d'administration d'approuver le présent rapport intérimaire et notamment les conclusions suivantes:
    • a) Le comité déplore profondément la mort du mineur Gelacio Bernardo Mendoza et les blessures de plusieurs autres travailleurs. Compte tenu de la contradiction entre les versions respectives du gouvernement et des plaignants sur les faits allégués, le comité exprime l'espoir que les procédures judiciaires en cours permettront de déterminer les responsabilités et de punir les coupables. Le comité demande au gouvernement de l'informer des suites des procédures pénales engagées à propos des faits allégués.
    • b) Le comité rappelle que le recours à la force publique dans les manifestations syndicales devrait être limité aux cas réellement nécessaires. Il exprime l'espoir que le gouvernement adoptera des mesures appropriées pour empêcher la répétition d'incidents comme ceux du présent cas.
    • c) Le comité demande au gouvernement de lui envoyer ses observations sur le licenciement d'Exaltación Raymúndez Valverde et de Ceferino Santos Blas.
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