ILO-en-strap
NORMLEX
Information System on International Labour Standards

Rapport intérimaire - Rapport No. 254, Mars 1988

Cas no 1396 (Haïti) - Date de la plainte: 05-NOV. -86 - Clos

Afficher en : Anglais - Espagnol

  1. 370. Des plaintes en violation de la liberté syndicale ont été présentées par les organisations syndicales suivantes aux dates indiquées ci-après: Centrale latino-américaine de travailleurs: 5 novembre 1986; Fédération syndicale mondiale: 29 juin 1987; Confédération internationale des syndicats libres: 3 juillet 1987; Centrale autonome des travailleurs haïtiens: 20 juillet 1985. La CLAT, la FSM et la CATH ont fourni des informations complémentaires à l'appui de leurs plaintes dans des communications datées respectivement des 25 février, 6 juillet et 14 août 1987.
  2. 371. A sa réunion de novembre 1987, le comité avait noté que les observations demandées à plusieurs reprises au gouvernement n'avaient pas été reçues. Dans ces conditions, le comité avait adressé un appel pressant pour qu'il transmette d'urgence ses observations et avait attiré son attention sur le fait que, conformément à la règle de procédure établie au paragraphe 17 de son 127e rapport, il pourrait présenter un rapport sur le fond des affaires en instance à sa prochaine réunion, même si les observations du gouvernement n'étaient pas reçues à temps. Depuis lors, aucune réponse du gouvernement n'est parvenue au BIT.
  3. 372. Haïti a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégations des plaignants

A. Allégations des plaignants
  1. 373. Dans sa communication du 5 novembre 1986, la CLAT déclare que d'innombrables entreprises ont choisi de pratiquer des représailles à l'encontre des nouvelles organisations syndicales. Selon la CLAT, elles ont licencié les dirigeants de chaque syndicat, dès qu'ils ont été élus démocratiquement par les travailleurs. L'organisation plaignante déclare que la centrale haïtienne qui lui est affiliée, la CATH-CLAT, compte près de 200 dirigeants licenciés par leurs entreprises pour le seul motif d'avoir accepté un mandat syndical. Chacun de ces cas a fait l'objet d'une plainte au ministère du Travail qui, jusqu'à maintenant, n'a accepté de servir de médiateur que dans les cas des entreprises qui sont disposées à payer les indemnités correspondantes.
  2. 374. La CLAT précise que beaucoup d'entreprises, dont la "Mariette Industries", ont licencié des centaines de travailleurs sans verser les indemnités légales de licenciement. Des missions de la CLAT ont visité plusieurs fois Haïti depuis le changement de régime et ont demandé de dialoguer avec les représentants du gouvernement, ce qui pour ce qui concerne le ministre du Travail ne s'est jamais produit.
  3. 375. Dans sa communication du 25 février 1987, la CLAT indique que le ministre du Travail a refusé le dialogue en annulant une réunion avec les représentants de la CLAT fixée d'un commun accord pour le 24 février 1987. La CLAT allègue que le ministère du Travail n'a toujours pas approuvé la reconnaissance légale de la Fédération nationale des travailleurs agricoles de Haïti (FENATAPA) en cours depuis l'année passée et promise par le ministre au mois de novembre 1986. L'organisation plaignante mentionne également le licenciement de la quasi-totalité de leur personnel et, en particulier, des dirigeants et membres des syndicats par les entreprises Jebsa et Performance Footwear. Dans le cas de l'entreprise Jebsa, de flagrantes inégalités juridiques ont pu, selon la CLAT, être constatées et les travailleurs demandent la réouverture de l'entreprise en lock-out et le respect des conditions de travail et des salaires établis par les lois haïtiennes. Pour sa part, l'entreprise Performance Footwear a annoncé la fermeture du local qu'elle occupe, a changé son nom et a commencé des activités dans un autre local, sous le nom d'un autre représentant. Outre qu'elle viole la législation, cette mesure a, de l'avis de la CLAT, pour objet de détruire le syndicat qui représente 80 pour cent du personnel. Toute forme de dialogue avait été rejetée par l'entreprise, et le ministère du Travail n'aurait pas pris les mesures appropriées pour rechercher les solutions. Ces deux situations ne sont, selon la CLAT, qu'un exemple de ce qui s'est converti en une pratique habituelle des employeurs haïtiens, en contradiction flagrante avec les efforts déployés pour construire et consolider un régime effectivement démocratique.
  4. 376. Dans sa communication du 29 juin 1987, la FSM allègue que le 23 juin le gouvernement a dissous la Centrale autonome des travailleurs haïtiens (CATH) et emprisonné trois dirigeants de cette organisation, dont son secrétaire général, Jean-Auguste Mesyeux. La FSM précise que ces mesures répressives ont fait suite à la protestation générale de deux jours organisée par la CATH pour faire pression sur le gouvernement afin qu'il améliore les conditions de travail et de vie des travailleurs du pays.
  5. 377. Se référant à la même affaire, la CISL explique, dans sa communication du 3 juillet 1987, que les 22 et 23 juin la CATH a convoqué une grève générale de quarante-huit heures en présentant des revendications économiques et sociales et en demandant le respect de la Constitution et des droits civiques. Selon la CISL, l'armée a investi le siège de la CATH à l'aube du 22 juin et a procédé à une minutieuse perquisition. Les locaux ont été fermés et restent occupés par l'armée. Quatre dirigeants syndicaux ont été arrêtés et frappés sauvagement, alors que la CATH était dissoute par la junte du gouvernement provisoire.
  6. 378. La FSM indique dans sa communication du 6 juillet 1987 que les trois dirigeants de la CATH arrêtés sont Jean-Auguste Mesyeux, Armand Pierre et Edouard Pierre.
  7. 379. La CATH apporte des précisions sur cette affaire dans sa communication du 20 juillet 1987. Elle explique qu'à la suite de l'ordre de grève générale qu'elle a lancé pour les 22 et 23 juin 1987 les autorités militaires ont fait envahir le 22 juin les locaux de la centrale qu'ils ont complètement mise à sac en emportant une voiture, du matériel de bureau ainsi qu'une somme de 1.800 dollars E.-U.
  8. 380. La CATH ajoute que les militaires ont frappé violemment les responsables qui se trouvaient dans les locaux syndicaux puis les ont emmenés sans mandat aux casernes Dessalines où pendant quinze jours ils ont été, selon la CATH, battus, torturés et humiliés. En outre, le 23 juin, la CATH a été dissoute.
  9. 381. Le 4 juillet, les avocats de la CATH sont intervenus auprès du tribunal car, contrairement aux dispositions en vigueur, les syndicalistes détenus n'avaient pas été déférés devant le juge. Le 6 juillet, les intéressés ont été mis en liberté provisoire.
  10. 382. Dans sa communication du 14 août 1987, la CATH précise que huit personnes avaient été arrêtées le 22 juin. Il s'agissait de Jean-Auguste Mesyeux, Armand Pierre, Edouard Pierre, Jean-Baptiste Hatman, Jean-Claude Pierre-Louis, Idly Cameau, Patrice Dacius et Edmer Saint-Eloi. Depuis leur libération, ces res- ponsables syndicaux ainsi que cinq autres dirigeants font l'objet de diverses menaces et sont inscrits sur une liste noire du gouvernement.
  11. 383. La CATH ajoute que son local a été l'objet d'un début d'incendie criminel dans la nuit du 29 au 30 juillet. Elle précise enfin que le matériel, le véhicule et l'argent emportés lors de l'assaut donné par les militaires n'ont toujours pas été restitués.

B. Evolution ultérieure du cas

B. Evolution ultérieure du cas
  1. 384. Depuis lors, le BIT a demandé à plusieurs reprises dans des communications télégraphiques adressées au gouvernement de transmettre ses observations et commentaires sur les allégations en instance dans le présent cas. Jusqu'ici le gouvernement n'a pas répondu. Néanmoins, le Bureau a été informé oralement par un dirigeant syndical haïtien de passage à Genève de la levée de la dissolution administrative de la CATH. Il a également été informé de la libération de plusieurs syndicalistes dont l'arrestation avait été dénoncée par les plaignants.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 385. Avant d'examiner ce cas quant au fond, le comité regrette de devoir appeler l'attention du gouvernement sur les considérations qu'il a exposées dans son premier rapport (paragr. 31), à savoir que le but de l'ensemble de la procédure instituée est d'assurer le respect des libertés syndicales en droit comme en fait, et qu'il est convaincu que, si la procédure protège les gouvernements contre des accusations déraisonnables, ceux-ci voudront bien reconnaître à leur tour l'importance qu'il y a à ce qu'ils présentent, en vue d'un examen objectif, des réponses détaillées sur le fond des allégations.
  2. 386. Dans ces circonstances, le comité déplore que le gouvernement n'ait pas répondu aux graves allégations formulées par les plaignants, dont certaines depuis plus d'un an, et d'être contraint, en raison du temps qui s'est écoulé, d'examiner le cas sans pouvoir tenir compte des observations ou des commentaires du gouvernement.
  3. 387. Le comité relève que les allégations formulées dans la présente affaire ont trait essentiellement à des mesures de représailles antisyndicales exercées par les employeurs à l'encontre de travailleurs qui cherchaient à exercer des activités syndicales légitimes, à des arrestations à la suite d'une grève de deux jours en juin 1987 de militants et de dirigeants syndicaux nommément désignés par les plaignants, à la dissolution par voie administrative de la Centrale autonome des travailleurs haïtiens (CATH), à l'occupation violente des locaux de cette dernière et à la confiscation de matériel syndical lui appartenant.
  4. 388. En l'absence de réponse de la part du gouvernement sur ces allégations, le comité ne peut que conclure à la violation grave des principes de la liberté syndicale.
  5. 389. Au sujet des mesures de représailles antisyndicales, y compris des licenciements et de l'établissement par les employeurs de listes noires qui auraient frappé des centaines de travailleurs pour le simple fait d'avoir voulu constituer des organisations syndicales ou d'avoir voulu exercer des activités syndicales légitimes au sein de plusieurs entreprises en Haïti, le comité rappelle qu'un des principes fondamentaux de la liberté syndicale est que les travailleurs doivent bénéficier d'une protection adéquate contre tous actes de discrimination tendant à porter atteinte à la liberté syndicale en matière d'emploi. Il rappelle également que cette protection est particulièrement souhaitable en ce qui concerne les fondateurs d'organisations syndicales, étant donné que, pour pouvoir remplir leurs fonctions, ceux-ci doivent avoir la garantie qu'ils ne subiront pas de préjudice en raison du mandat syndical qu'ils briguent ou qu'ils détiennent. (Voir 211e rapport, nos 1033, paragr. 303 (Jamaïque), et 1063, paragr. 616 (Costa Rica)).
  6. 390. En conséquence, le comité exprime sa grave préoccupation à propos de cette violation des principes de la liberté syndicale et, comme il l'a fait à maintes reprises dans des cas semblables, attire l'attention du gouvernement sur le fait qu'il lui incombe de prendre des mesures pour que ces principes soient pleinement respectés.
  7. 391. En ce qui concerne la dissolution par voie administrative de la CATH, le comité souligne l'importance qu'il attache à l'article 4 de la convention no 87 ratifiée par Haïti, selon lequel les organisations de travailleurs ne doivent pas être suspendues ou dissoutes par voie administrative. De l'avis du comité, la dissolution administrative ne permet pas d'assurer les droits de la défense qui ne peuvent être garantis que par une procédure judiciaire normale, procédure que le comité considère comme essentielle.
  8. 392. En conséquence, le comité estime que toute dissolution administrative constitue une grave limitation des droits des organisations de travailleurs contraire à la convention no 87.
  9. 393. Le comité a été informé que la dissolution de la CATH a été levée. Il lance néanmoins un appel au gouvernement pour qu'à l'avenir de telles pratiques ne se renouvellent pas.
  10. 394. Au sujet des arrestations de dirigeants et de militants de la CATH emprisonnés à la suite de la grève générale de deux jours des 22 et 23 juin 1987, grève lancée à l'appel de la CATH qui, selon les plaignants, avait pour objet de faire pression sur le gouvernement afin qu'il améliore les conditions de travail et de vie des travailleurs dans le pays, le comité rappelle que le droit de recourir à la grève est un des moyens essentiels dont doivent pouvoir disposer les travailleurs et leurs organisations pour faire valoir leurs revendications économiques et sociales. De l'avis du comité, les autorités ne devraient pas avoir recours aux mesures d'emprisonnement en cas d'organisation ou de participation à une grève pacifique. (Voir 233e rapport, cas no 1213 paragr. 46 (Grèce)).
  11. 395. En conséquence, le comité demande au gouvernement de prendre les dispositions nécessaires afin que les autorités intéressées reçoivent des instructions appropriées en vue de prévenir le risque que comportent pour les activités syndicales les mesures d'arrestation. (Voir cas no 777, paragr. (Inde)).
  12. 396. En ce qui concerne les allégations relatives aux mauvais traitements et autres mesures punitives qui auraient été infligés aux militants et aux dirigeants syndicaux haïtiens détenus à la suite de la grève générale mentionnée ci-dessus, le comité a signalé par le passé dans des cas analogues l'importance qu'il attache à ce que les syndicalistes, à l'instar des autres personnes, bénéficient du droit à une bonne administration de la justice, conformément aux principes contenus dans la Déclaration universelle des droits de l'homme et dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
  13. 397. En conséquence, le comité considère que les gouvernements devraient donner les instructions nécessaires pour faire en sorte qu'aucun détenu ne fasse l'objet de mauvais traitements et infliger des sanctions efficaces dans les cas où l'administration de mauvais traitements aurait été prouvée.
  14. 398. A propos de l'occupation par la violence des locaux de la CATH et de la confiscation de matériel syndical, y compris d'une somme d'argent, le comité rappelle que l'inviolabilité des locaux syndicaux implique que les autorités publiques ne doivent pouvoir y pénétrer que si elles sont munies d'un mandat judiciaire qui les y autorise. En effet, la résolution concernant les droits syndicaux et leurs relations avec les libertés civiles, adoptée par la Conférence internationale du Travail à sa 54e session en juin 1970, a énoncé le principe selon lequel le droit à une protection adéquate des biens syndicaux constitue l'une des libertés civiles essentielles à l'exercice normal des droits syndicaux.
  15. 399. En conséquence, le comité estime là aussi que de telles mesures relatives à l'occupation des locaux syndicaux et à la mise sous séquestre des biens des syndicats impliquent une grave ingérence du gouvernement dans les activités syndicales qui peuvent donner lieu à des critiques, à moins qu'elles ne soient accompagnées de garanties judiciaires appropriées mises en oeuvre dans des délais raisonnables. Le comité demande donc instamment au gouvernement de prendre des dispositions afin que les autorités intéressées reçoivent des instructions pour assurer le respect de la légalité à cet égard et pour que soit restitué à la CATH l'argent qui aurait été emporté lors de l'assaut donné par les militaires.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 400. Au vu des conclusions intérimaires qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) Le comité déplore vivement que le gouvernement n'ait pas répondu aux graves allégations présentées par les plaignants dans le présent cas et qui portent sur la répression qui frappe le mouvement syndical en Haïti, notamment sur des centaines de licenciements pour activités syndicales, l'établissement de listes noires, la dissolution par voie administrative de la Centrale autonome des travailleurs haïtiens (CATH), même si depuis lors elle a été rétablie dans ses activités, l'arrestation et la détention de dirigeants et de militants syndicaux, les mauvais traitements qui leur auraient été infligés pendant leur détention et l'occupation violente des locaux syndicaux avec confiscation de matériel appartenant à la CATH.
    • b) Le comité demande au gouvernement d'assurer que les biens et fonds de la CATH confisqués lors de l'assaut donné au siège de la centrale soient restitués à cette confédération.
    • c) Le comité attire l'attention du gouvernement sur le fait qu'un mouvement syndical libre et indépendant ne peut se développer dans un climat de violence et d'incertitude.
    • d) Le comité demande instamment au gouvernement de prendre des mesures sévères pour prévenir les risques que comportent pour les activités syndicales des pratiques antisyndicales aussi répréhensibles.
    • e) Le comité prie instamment le gouvernement d'adopter les mesures nécessaires pour garantir la liberté syndicale et les libertés publiques en Haïti, conformément aux obligations qu'il a contractées en ratifiant les conventions nos 87 et 98. Il lui demande en particulier de s'efforcer d'obtenir la réintégration des nombreux travailleurs licenciés pour avoir voulu exercer des activités syndicales légitimes et d'indiquer si des enquêtes judiciaires ont été engagées à propos des mauvais traitements infligés aux syndicalistes emprisonnés, de l'occupation des locaux de la CATH et des confiscations opérées dans les locaux en question. Le comité demande au gouvernement de lui fournir des informations à cet égard.
© Copyright and permissions 1996-2024 International Labour Organization (ILO) | Privacy policy | Disclaimer