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- 25. La Confédération mondiale des organisations de la profession enseignante (CMOPE) a présenté, au nom de son syndicat affilié, le Syndicat des enseignants de Sainte-Lucie (SLTU), des allégations de violations des droits syndicaux contre le gouvernement de Sainte-Lucie dans une lettre datée du 15 avril 1988. Le gouvernement a présenté ses observations sur ce cas dans une communication datée du 31 octobre 1989.
- 26. Sainte-Lucie a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations de la confédération plaignante
A. Allégations de la confédération plaignante
- 27. Dans sa lettre du 15 avril 1988, la CMOPE allègue que le SLTU continue d'avoir des problèmes avec le gouvernement au sujet d'un article du règlement de la fonction enseignante (règlement no 41 de 1977). L'une des clauses est particulièrement choquante et a été critiquée dès la promulgation du règlement, à savoir celle qui figure à l'article 23.3 qui dispose: "Une enseignante célibataire qui a déjà été enceinte une première fois sera licenciée si elle est enceinte à nouveau et reste célibataire." La confédération plaignante a fourni copie de ce règlement.
- 28. Selon la CMOPE, alors que la convention collective pour la période 1983-1986 conclue entre l'employeur et le SLTU contenait une clause visant à mettre fin à la pratique du licenciement des enseignantes célibataires pour cause de grossesse, deux enseignantes syndiquées ont été licenciées en 1985. Le procureur général actuel, M. Parry Husbands, avait dirigé l'équipe de négociation du gouvernement qui était pleinement habilitée à négocier en son nom. L'article 14.1 de la convention dispose: "L'employeur accepte d'octroyer un congé de maternité de trois mois avec rémunération intégrale à toutes les salariées faisant partie du personnel permanent, indépendamment de l'état matrimonial." (Non souligné dans le texte).
- 29. Dans ces conditions, les deux enseignantes licenciées en 1985 et le SLTU ont intenté un procès au gouvernement devant la Haute cour en 1986 pour licenciement abusif. Le juge a donné raison aux enseignantes et au SLTU et ordonné au gouvernement de verser au total près de 50.000 dollars aux enseignantes ou de les réintégrer. Le gouvernement a fait appel de cette décision. En octobre 1987, la Cour d'appel a examiné la cause et elle a prononcé une sentence favorable au gouvernement au début de 1988.
- 30. La position du SLTU est que le règlement est fondamentalement discriminatoire et injuste; en outre, il est inadmissible que le gouvernement fasse fi de dispositions d'une convention collective qu'il avait négociée lui-même. La confédération plaignante demande la modification du règlement de la Commission de la fonction enseignante.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement
- 31. Dans sa communication du 31 octobre 1989, le gouvernement affirme tout d'abord que la plainte n'a pas été présentée convenablement. Il déclare que d'une manière générale un plaignant ne devrait pas être autorisé à présenter une plainte à l'aveuglette. Il est indispensable de se conformer au critère de la mention expresse d'une convention ou d'une législation interne pertinentes pour pouvoir identifier correctement les questions en litige. Le gouvernement demande quelles sont les questions en litige dans le présent cas: s'agit-il d'une rupture de contrat ou d'une violation des droits syndicaux? Bien qu'il soit difficile d'identifier le problème principal, le gouvernement s'efforce de répondre aux questions soulevées dans la plainte dans le contexte qui semble être le leur.
- 32. S'agissant de la première question, le gouvernement affirme qu'il n'est pas correct de dire que le procureur général a négocié la convention collective au nom du gouvernement avec le Syndicat des enseignants de Sainte-Lucie (SLTU). A ce moment-là, en 1984, il n'était pas membre du gouvernement: il était avocat, exerçant dans le privé, et avait dirigé une équipe de négociation du gouvernement mais n'était pas délégué par le Cabinet des ministres. En tout état de cause, cela serait inconstitutionnel. Le Cabinet ne peut pas, sauf par un instrument formel, déléguer ses pouvoirs et responsabilités à un organe officieux et non électif tel que l'équipe de négociation du gouvernement. L'accord portait sur de simples propositions à soumettre à l'approbation du Cabinet. En outre, déclare le gouvernement, ledit accord avec le SLTU contenait des dispositions financières qui ne pouvaient être approuvées que par le Parlement, seul organe habilité à engager des fonds publics.
- 33. Le gouvernement déclare que les questions de discipline, selon la Constitution de Sainte-Lucie, relèvent de la Commission de la fonction enseignante, organe indépendant qui n'est aucunement placé sous le contrôle ou la direction du gouvernement. C'est cet organe qui, dans l'exercice des fonctions que lui confère la Constitution, a décidé le licenciement des enseignantes dans le présent cas. L'accord avec le SLTU reconnaissait expressément l'autorité de la commission pour les questions de discipline. Le gouvernement souligne que la question de la réintégration des enseignantes licenciées dans ces conditions n'a jamais été soulevée au cours des négociations avec le SLTU.
- 34. Selon le gouvernement, la possibilité de faire appel était ouverte aux enseignantes en question, mais elles ne s'en sont pas prévalues. La question a été tranchée par les tribunaux locaux compétents et doit être considérée comme réglée de manière définitive.
- 35. Enfin, le gouvernement ajoute que la question de la moralité des personnes occupées dans la profession enseignante relève du droit interne. Il convient de noter que le fonctionnement de la plupart des écoles de Sainte-Lucie est assuré par des confessions chrétiennes qui insistent sur la moralité des personnes qui enseignent dans leurs écoles. L'idéal de la famille dans le mariage doit être défendu, et les enseignants sont censés donner l'exemple dans la collectivité. Cette disposition particulière est observée depuis des temps immémoriaux et elle est devenue la règle de conduite des enseignants de Sainte-Lucie.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité
- 36. Avant d'entrer en matière dans le présent cas, le comité estime important de répondre à certaines observations du gouvernement concernant les aspects de procédure et de recevabilité des plaintes présentées contre des Etats Membres de l'OIT. Ces observations portent sur deux points: 1) la plainte manque de précision en ce sens qu'elle ne se réfère pas à des dispositions précises d'une convention ou d'une législation interne pertinentes; 2) l'aspect de la plainte concernant la moralité du corps enseignant est une question qui relève du droit interne.
- 37. L'une des premières règles édictées par le comité en matière de recevabilité concernait la forme des plaintes. (Voir premier rapport, paragr. 30.) Le comité a expliqué, dès 1952, qu'il est dans ses attributions de juger la valeur des allégations spécifiques formulées et qu'il doit rejeter comme n'étant pas fondée toute allégation qui n'est pas suffisamment motivée pour justifier une enquête. Le comité a souligné qu'il appartient aux plaignants de formuler leurs allégations de façon satisfaisante et bien détaillée et avec preuves ou témoignages à l'appui. Dans le présent cas, la lettre contenant la plainte de la CMOPE est, de l'avis du comité, suffisamment détaillée pour justifier un examen. Etant donné que la ratification des diverses conventions relatives à la liberté syndicale n'est pas une condition préalable à la procédure spéciale du Conseil d'administration concernant les allégations de violation des droits syndicaux, il importe peu que la confédération plaignante n'énumère pas les articles particuliers des conventions spécifiques sur lesquelles il fonde sa plainte.
- 38. En ce qui concerne l'affirmation du gouvernement selon laquelle un aspect de la plainte "relève du droit interne", le comité convient qu'il ne lui appartient pas de faire des observations sur la moralité requise des enseignants, mais il est compétent en ce qui concerne les principes de la liberté syndicale et aussi les conditions de travail, dans la mesure où il doit s'assurer que celles-ci sont conformes aux principes de la liberté syndicale. A cet égard, le comité observe que les allégations de la confédération plaignante ne portent pas sur la moralité requise des travailleurs occupés dans l'enseignement; à aucun moment la CMOPE ne demande un avis sur la grossesse hors mariage: ce qu'elle critique, c'est le règlement de 1977 régissant les conditions de travail des enseignants (en particulier l'article 23.3) et le fait que ce règlement a été invoqué pour licencier deux enseignantes syndiquées en 1985 alors qu'une convention collective était en vigueur dont une clause (clause 14) visait expressément à entacher de nullité cet article du règlement de la fonction enseignante.
- 39. S'agissant du fond de la plainte, le comité note que la plainte ne comporte pas d'allégation selon laquelle les enseignantes auraient été licenciées pour des raisons syndicales. La question en litige est le non-respect d'une convention librement négociée avec le SLTU le 27 novembre 1984 pour la période 1983-1986. Le résultat concret du non-respect de cette convention a été le licenciement de deux enseignantes. Le principal argument du gouvernement, appuyé par une décision d'un tribunal local, est que la convention ne modifiait pas le règlement de la fonction enseignante sur la base duquel les licenciements ont été justifiés.
- 40. Le comité note que les deux enseignantes licenciées, Petra Girard et Florentina Pierre, ont obtenu gain de cause dans l'action qu'elles avaient intentée pour licenciement abusif auprès de la Haute cour de justice, mais que la décision ordonnant leur réintégration ou leur indemnisation a été renversée par la Cour d'appel le 25 janvier 1988. Le gouvernement souligne qu'elles n'ont pas fait usage de la possibilité de recours qu'elles avaient encore (vraisemblablement le renvoi de l'affaire devant le Conseil privé).
- 41. Il ressort du texte de l'arrêt de la Cour d'appel que la Cour n'a pas accepté l'argument avancé par les défenseurs de Mme Pierre, de Mme Girard et du SLTU, à savoir que la convention collective rendait inopérant l'article 23.3 du règlement. Au contraire, la Cour a soutenu que, s'il est vrai que la convention était destinée à conduire à un amendement ultérieur du règlement, la convention elle-même n'avait jamais été approuvée et "n'était donc rien d'autre qu'un accord n'ayant pas de base légale, et elle ne pouvait donc l'emporter sur les dispositions manifestes du règlement ni les modifier en aucune façon".
- 42. Le comité respecte certainement l'arrêt du Tribunal suprême de Sainte-Lucie, mais il souligne qu'il s'agit ici d'une instance différente. Le comité doit se conformer à son mandat, énoncé ci-dessus, en faisant des recommandations au Conseil d'administration. Sur ce point particulier, il rappelle son approche de ces questions à des occasions précédentes. Par exemple, dans un cas antérieur (voir 66e rapport, cas no 179 (Japon), paragr. 353 à 367 en particulier), le comité a examiné une situation analogue où un gouvernement faisait valoir que la négociation collective portait sur certaines questions qui devaient être réglées par les règlements d'entreprise (règlements similaires au règlement de la fonction enseignante dans le présent cas), de sorte que quelquefois une convention était en contradiction avec les règlements. Pour régler ces cas, une procédure avait été envisagée permettant au chef de l'autorité publique locale de soumettre un projet de loi modifiant ou abrogeant le règlement dont il s'agit à l'assemblée de l'organisme local de manière que la convention - qui reflète les désirs et libres négociations des parties en cause - cesse d'être en conflit avec le règlement. Selon cette procédure, la convention n'était pas appliquée sur les points où elle était en conflit avec le règlement, à moins qu'il n'y ait eu révision ou abrogation du règlement en question. Le comité, dans ce cas-là, avait déclaré que le principe du règlement des questions en jeu par accord collectif serait privé de toute efficacité si l'on ne reconnaissait pas la nécessité de modifier la réglementation locale de manière à garantir le respect des conventions collectives.
- 43. S'agissant du SLTU, le comité ne partage pas l'opinion du gouvernement sur le caractère non contraignant de la convention collective. Le gouvernement a affirmé que la convention collective "portait sur de simples propositions aux fins d'approbation par le Cabinet" et avait des incidences financières qui exigeaient l'approbation du Parlement. L'arrêt de la Cour d'appel a également mis l'accent sur le fait que la convention, soumise pourtant au Cabinet, n'avait jamais été ratifiée ni approuvée et n'avait pas force de loi; néanmoins, le juge qui a entendu la cause dans le tribunal inférieur avait déclaré clairement que les accords de ce genre n'avaient pas besoin d'être ratifiés pour entrer en vigueur. En outre, les parties qui ont signé la convention collective n'ont pas laissé de doute quant à l'intention de la clause 14 (visant à accroître la protection contre le licenciement); ainsi, le fait qu'aucun texte de loi modifiant formellement le règlement de la fonction enseignante (art. 23.3) n'a été adopté pour donner suite à cette convention est à déplorer. Le fait que deux licenciements ont eu lieu en 1985 alors que cette convention librement conclue était en vigueur, et que pour les justifier on a invoqué la disposition qui devait précisément être modifiée, est encore plus regrettable.
- 44. En ce qui concerne précisément cette question, soit l'approbation des autorités nécessaire à l'entrée en vigueur des conventions collectives, le comité a toujours considéré que ce type d'ingérence - sauf pour des motifs de pure forme - n'est pas conforme aux principes de la négociation volontaire établis par la convention no 98. Bien que cette dernière ne traite pas de la situation des fonctionnaires "engagés dans l'administration de l'Etat", le comité a toujours reconnu que les enseignants ne sont pas des "fonctionnaires" de cette catégorie, et qu'ils devraient donc avoir le droit de négocier collectivement leurs conditions d'emploi sans que le gouvernement intervienne. (Voir, par exemple, le cas no 1391 (Royaume-Uni), 256e rapport du comité, paragr. 39 à 89.)
- 45. Etant donné les circonstances du présent cas, notamment le désir des parties à la convention collective d'entacher de nullité certains articles du règlement de la fonction enseignante, le comité demande au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour donner effet à la volonté des parties dans cette affaire. Le comité estime également que, dans l'intérêt de relations professionelles harmonieuses, le gouvernement devrait envisager de prendre toutes les mesures appropriées pour que, par l'entremise de la Commission de la fonction enseignante, une offre de réintégration soit faite aux enseignantes en cause.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 46. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Dans la mesure où la convention collective est en vigueur, le comité invite le gouvernement à prendre les mesures nécessaires pour refléter les désirs des parties à la convention collective en cause dans le présent cas.
- b) Le comité estime que, dans l'intérêt de relations professionnelles harmonieuses, le gouvernement devrait envisager de prendre toutes les mesures appropriées pour que les deux enseignantes qui ont été licenciées en vertu de l'article 23.3 du règlement malgré les dispositions de la convention collective librement conclue qui les protégeaient reçoivent une offre de réintégration dans la fonction enseignante.