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Rapport définitif - Rapport No. 268, Novembre 1989

Cas no 1486 (Portugal) - Date de la plainte: 16-JANV.-89 - Clos

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  1. 152. Par des communications respectivement en date des 16 et 25 janvier 1989, la CGTP-IN et le SITRA ont présenté des plaintes en violation des droits syndicaux au Portugal. Le SITRA a envoyé des informations complémentaires par lettre du 9 février 1989. Le gouvernement a fourni ses observations dans une communication du 1er juin 1989.
  2. 153. Le Portugal a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégations des plaignants

A. Allégations des plaignants
  1. 154. Les deux plaintes concernent des mesures prises par les autorités à l'occasion d'une grève organisée dans des entreprises publiques de transport, la "Compagnie des chemins de fer" de Lisbonne et le "Métropolitain de Lisbonne".
  2. 155. Dans sa plainte du 16 janvier 1989, la CGTP-IN explique que la Fédération des syndicats des transports ferroviaires et urbains (FESTRU), qui lui est affiliée, ainsi que d'autres organisations syndicales représentatives de ces entreprises avaient commencé la révision des conventions collectives en vigueur dans ces entreprises les 23 septembre et 4 décembre 1987, respectivement.
  3. 156. Selon la CGTP-IN, les entreprises concernées firent des contre-propositions d'augmentations de salaires absolument inacceptables et maintinrent tout au long de la négociation des positions rigides qui empêchaient d'accorder de nouvelles conditions de travail aux travailleurs concernés.
  4. 157. La FESTRU et les autres organisations se virent donc contraintes d'avoir recours à la grève, en vue de défendre leur droit à de meilleurs salaires et conditions de travail. La grève au sein de la Compagnie des chemins de fer de Lisbonne commença le 18 janvier 1988 et se prolongea au cours des mois de janvier et février pour des périodes de deux à quatre heures par jour, ainsi que les 17 et 28 mars pour une durée de vingt-quatre heures. Celles organisées au sein du "Métropolitain de Lisbonne" commencèrent le 11 février et se prolongèrent pendant les mois de février et mars pour une durée de quatre à cinq heures par jour, sauf les 29 février, 4, 17 et 28 mars où elles durèrent vingt-quatre heures. La grève du 28 mars fut une grève générale couvrant tous les secteurs d'activité et organisée par les deux confédérations syndicales existantes.
  5. 158. Par une résolution du Conseil des ministres no 5/88 du 8 février 1988, le gouvernement reconnut la nécessité de procéder à la réquisition civile des travailleurs de la Compagnie des chemins de fer de Lisbonne. Par décret no 84-A/88 du même jour, le gouvernement décida, dans le cadre des dispositions de l'article 3,1c) du décret-loi no 637/74, la réquisition des travailleurs "participant aux arrêts de travail de l'entreprise et nécessaires pour veiller à la sécurité et au maintien de l'équipement et des installations ainsi que pour fournir les services minima indispensables à la satisfaction des besoins sociaux impératifs que l'entreprise doit satisfaire ...". Aux termes de ce décret, la réquisition civile devait durer un mois renouvelable automatiquement et les travailleurs devaient être couverts par le Statut disciplinaire des fonctionnaires et agents de l'administration centrale, régionale et locale. Le conseil d'administration des chemins de fer décida alors de donner effet au décret gouvernemental et que tous les travailleurs des chemins de fer concernés par la grève seraient réquisitionnés.
  6. 159. Des mesures identiques furent adoptées par le gouvernement pour l'entreprise "Métropolitain de Lisbonne" (décret no 165-A/88) sur la base desquelles le Conseil de gérance de l'entreprise ordonna la réquisition des travailleurs pour effectuer les services minima nécessaires, fixés à plus de 50 pour cent des services normalement prêtés.
  7. 160. Les deux confédérations (CGTP-IN et UGT) convoquèrent une grève générale pour le 28 mars 1988 pour protester contre le pacte social que le gouvernement prétendait imposer contre la volonté des travailleurs. Les syndicats de la Compagnie des chemins de fer de Lisbonne et de l'entreprise "Métropolitain de Lisbonne" déposèrent un préavis de grève. Le Conseil de gérance de cette dernière entreprise décida alors de procéder aux réquisitions des travailleurs par convocations individuelles pour assurer les services minima et veiller à la sécurité et au maintien de l'équipement et des installations. Les travailleurs qui n'assurèrent pas leur service le jour de grève firent l'objet de procédures disciplinaires.
  8. 161. La CGTP-IN indique à cet égard que les organisations représentatives de travailleurs de ces entreprises assurent toujours les services minima indispensables pour la sécurité et le maintien de l'équipement et des installations. Elle précise aussi que pendant les grèves les entreprises ont fait des annonces publiques pour informer la population qu'elles mettaient à sa disposition des transports de remplacement, ce qui a été effectivement réalisé par la location d'autocars d'entreprises privées.
  9. 162. Après avoir analysé les divers textes institutionnels et législatifs en vigueur, la CGTP-IN estime que le transport public urbain de passagers, assuré par les entreprises mentionnées dans la plainte, ne peut être considéré comme une nécessité sociale impérative, dont la satisfaction s'impose aux organisations syndicales et aux travailleurs en grève, aux termes de l'article 8,1 de la loi no 65/77. Pour la CGTP-IN, la Compagnie des chemins de fer de Lisbonne et l'entreprise publique "Métropolitain de Lisbonne" ne constituent pas un service essentiel au sens strict du terme. Or l'article 8,1 de la loi no 65/77 ne permet la limitation du droit de grève que lorsque les services minima sont indispensables à la satisfaction des nécessités sociales impératives et que dans la mesure strictement nécessaire. Ces services ne correspondent pas non plus aux principes du Comité de la liberté syndicale puisque la vie, la sécurité ou la santé des personnes n'ont pas été mises en cause, d'autant que des transports de remplacement avaient été mis à la disposition du public.
  10. 163. Selon la CGTP-IN, le gouvernement a également violé le droit à la négociation collective. En effet, les grèves avaient pour but de tenter d'assouplir l'attitude intransigeante des entreprises, dont les contre-propositions étaient inférieures au niveau de l'inflation officiellement reconnu.
  11. 164. La CGTP-IN relève à cet égard que dans les attendus de la résolution du Conseil des ministres no 5/88 sur la réquisition civile des travailleurs de la Compagnie des chemins de fer de Lisbonne il est indiqué que "le maximum de ressources financières justifié par la situation économique et financière de l'entreprise et permis par l'indispensable aide de l'Etat a déjà été mobilisé". Pour la CGTP-IN, la preuve de ce que la réquisition civile avait pour objet, non pas la satisfaction de nécessités sociales, mais l'entrave au processus de négociation collective est que la durée prévue de la réquisition était de trente jours reconductibles, alors que les grèves avaient des durées maxima de vingt-quatre heures.
  12. 165. Enfin, pour la CGTP-IN, ces mesures constituent une violation de la liberté syndicale, car le gouvernement a présenté la réquisition civile comme une sanction à l'encontre de quelques-unes des organisations quand il affirme dans les attendus de la résolution no 5/88 du Conseil des ministres que "quelques organisations maintiennent une paralysie de longue durée". En outre, déclare la CGTP-IN, le droit syndical a été également gravement violé par l'instauration de procédures disciplinaires à l'encontre des travailleurs du "Métropolitain de Lisbonne", sous prétexte qu'ils n'avaient pas assuré les services minima lors de la grève générale du 28 mars.
  13. 166. Dans sa communication du 25 janvier 1989, le SITRA, affilié à l'Union générale des travailleurs (UGT), explique qu'il regroupe des travailleurs de l'entreprise publique "Métropolitain de Lisbonne". C'est le gouvernement qui nomme les administrateurs de cette entreprise. Le plaignant rappelle également que, pour être validée, une convention collective conclue dans une entreprise publique doit être autorisée et approuvée par le ministère de tutelle.
  14. 167. Le plaignant explique qu'il a entamé à la fin de 1988 un processus normal de négociation collective avec le conseil d'administration de l'entreprise "Métropolitain de Lisbonne". Devant l'attitude intransigeante de cette dernière, qui proposait des augmentations de salaires inférieures au taux d'inflation, le syndicat a présenté un préavis de grève, conformément à la loi, pour trois jours (les 24, 29 décembre 1988 et 16 janvier 1989). L'entreprise a alors décidé unilatéralement d'établir un niveau de service minimum équivalant à 60 pour cent des activités normales de l'entreprise. Selon le plaignant, l'objectif du gouvernement était d'empêcher le libre exercice du droit de grève et de faire pression sur les syndicats pour accepter les propositions de l'entreprise. En outre, le plaignant indique que le conseil d'administration de l'entreprise "Métropolitain de Lisbonne" a publié le 5 janvier 1989 un ordre de service dans lequel il déclarait ne pas reconnaître le mouvement de grève des travailleurs affiliés à des syndicats qui n'avaient pas présenté de préavis de grève. L'entreprise déclarait également qu'elle désignerait nominalement les travailleurs requis pour la prestation des services minima et qu'elle considérerait comme absence injustifiée tout manquement aux ordres de service, ce qui, selon l'arrêté no 372A/75, peut entraîner des procédures disciplinaires de licenciement.
  15. 168. Pour compléter sa plainte, le SITRA fournit dans sa communication du 9 février 1989 copie d'une correspondance qu'il a échangée avec le conseil d'administration de l'entreprise "Métropolitain de Lisbonne".

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 169. Dans sa réponse, le gouvernement indique que des grèves ont affecté la société CARRIS (Chemins de fer) du 18 au 22 janvier 1988, du 25 au 29 janvier 1988, du 1er au 5 février 1988, du 8 au 12 février 1988 ainsi que les 17 et 28 mars 1988. Pour ce qui est du Métropolitain, des grèves ont été organisées dans ce secteur les 11, 15, 17, 19, 22, 24, 26 et 29 février 1988 ainsi que les 4, 8, 17 et 28 mars 1988. En outre, selon le gouvernement, des grèves ont été déclenchées dans d'autres transports publics de l'agglomération: à la CP (transport ferroviaire de passagers extrêmement important pour la banlieue) les 17, 22 et 29 février, ainsi que les 3 et 4 mars, et à la TRANS TEJO (bacs reliant les deux rives du Tage) les 29 février, 4 et 8 mars.
  2. 170. Le gouvernement ajoute que le METRO et la CARRIS sont les deux seules compagnies de transport de passagers dans la ville de Lisbonne et qu'elles transportent en moyenne 372.500 et 1.362.700 personnes par jour, respectivement. Il indique que le METRO est une entreprise publique et la CARRIS une société anonyme à capital public. La gestion courante de ces entreprises échappe à l'Etat que l'on ne peut donc tenir de bonne foi pour responsable des actes de leurs dirigeants.
  3. 171. En ce qui concerne le régime juridique en matière de droit de grève, le gouvernement souligne que la Constitution portugaise consacre le droit de grève comme un droit fondamental des travailleurs. Son exercice est régi par la loi no 65/77 qui énonce en particulier: l'obligation de préavis (article 5); la durée normale du préavis, soit de quarante-huit heures (article 5,1); l'extension de ce préavis à cinq jours dans le cas des services destinés à répondre aux besoins sociaux absolument indispensables (article 5,2 et article 8); l'obligation pour les grévistes et les syndicats d'"assurer pendant la grève la prestation des services minima indispensables pour satisfaire ces besoins" (article 8,1); l'obligation pour ces mêmes travailleurs et syndicats de "prêter, pendant la grève, les services nécessaires à la sécurité et à l'entretien de l'équipement et des installations" (article 8,3); le droit pour le gouvernement "en cas d'inobservation des dispositions du présent article" de "décider la réquisition ou la mobilisation, aux termes de la loi applicable" (article 8,4); l'indication non exhaustive des services sociaux absolument nécessaires (article 8,2).
  4. 172. La réquisition civile des travailleurs en grève, régie par le décret-loi no 637/74 du 20 novembre 1974, dispose notamment que: la réquisition civile se compose des mesures "nécessaires pour, en situation particulièrement grave, assurer ou régler le fonctionnement des services essentiels d'intérêt public" (article 1,1); la réquisition civile est un recours exceptionnel (article 1,2); les services essentiels d'intérêt public sont désignés dans les divers alinéas de l'article 3,1 et comprennent "l'exploitation des transports terrestres, maritimes, fluviaux ou aériens" (article 3,1c); la réquisition civile n'intervient qu'après reconnaissance de sa nécessité par le Conseil des ministres et sa mise en vigueur par décret des ministères concernés (articles 4,1 et 4,2).
  5. 173. Dans les circonstances particulières du présent cas, le gouvernement constate que le service des transports en commun est tenu pour service essentiel d'intérêt public, ou destiné à satisfaire des besoins sociaux absolument indispensables. Il observe que l'état de grève à la CARRIS durait depuis le 18 janvier 1988, c'est-à-dire qu'il s'est passé vingt et un jours de grève avant que soit décidée la réquisition civile, dont quinze jours effectifs de grève si l'on exclut les fins de semaine. En outre, au moment où a été décidée la réquisition civile, un nouvel ordre de grève avait déjà été lancé pour les jours ouvrables de la semaine suivante, c'est-à-dire les journées du 8 au 12. Pour ce qui est de la grève du METRO, elle s'est tenue à partir du 11 février 1988 à raison d'un jour sur deux, non compris les deux derniers jours de la semaine, et a duré trente-six jours jusqu'à ce que le gouvernement proclame la réquisition civile. Au cours de cette période, il y a eu onze jours effectifs de grève.
  6. 174. Le gouvernement ajoute que, bien que les travailleurs de la CARRIS n'aient fait grève que quatre heures par jour, ces arrêts coïncidaient avec les heures de plus forte fréquentation des transports en commun. Ils ont donc eu, selon le gouvernement, le même effet que des grèves de vingt-quatre heures, puisqu'ils empêchaient la population laborieuse de gagner ses lieux de travail ou de les quitter pour rentrer chez elle, l'obligeant par conséquent à ne pas aller travailler du tout. La situation était identique pour la grève du METRO.
  7. 175. Pour le gouvernement, il est donc évident que cet état de grève était propre à troubler gravement et pour longtemps la vie des populations de la zone métropolitaine de Lisbonne, et à porter gravement tort aux travailleurs usagers des transports en commun du fait que, obligés de s'absenter de leur travail, ils s'exposaient à perdre la rémunération des journées manquées. Les organisations plaignantes ont elles-mêmes reconnu que les transports en commun sont un service essentiel par le fait qu'elles ont donné un préavis de cinq jours et non de quarante-huit heures.
  8. 176. Le gouvernement poursuit en déclarant que, dans les deux campagnes de grève considérées, les grévistes et les organisations syndicales promotrices de la grève n'ont pas assuré les services minima auxquels ils sont tenus par la loi, obligation qui avait pourtant fait l'objet de rappels dans les deux entreprises. C'est en raison de cette abstention d'assurer les services minima que le gouvernement a décidé la réquisition civile des travailleurs en grève. Cette réquisition n'a été déclarée qu'à l'endroit des travailleurs qui "concourent aux activités nécessaires pour garantir la sécurité et l'entretien de l'équipement et des installations et pour prêter les services minima absolument nécessaires à la satisfaction des besoins sociaux tout à fait indispensables auxquels l'entreprise est chargée de répondre". Elle n'avait pas pour but de mettre fin aux grèves ou d'en empêcher la tenue, mais bien d'obtenir que les travailleurs et les syndicats assurent les services minima.
  9. 177. De plus, indique le gouvernement, étant donné que, même mis en état de réquisition civile, tant les syndicats que les travailleurs ont persisté à ne pas assurer les services minima, les entreprises et non le gouvernement ont adressé des convocations individuelles aux travailleurs auxquels il incombait par roulement de prêter lesdits services. Enfin, comme malgré toutes ces mesures les convocations pour maintien des services minima sont restées sans réponse ni effet, les entreprises concernées, et non pas le gouvernement, ont tenu pour faute justifiée la non-exécution desdits services et ont procédé à des mesures disciplinaires pour non-accomplissement desdits services minima. Ce faisant, les entreprises ont correctement réagi, comme les y autorise l'article 11 de la loi no 65/77.
  10. 178. En ce qui concerne l'ampleur des services minima, le gouvernement signale que, dans les cas de grève du METRO (plainte du SITRA), où circulent en temps normal 129 convois par jour, le service minimum prévu exige 30 convois, soit 23,25 pour cent du service normal. L'effectif nécessaire pour faire circuler ces 30 convois n'est que de 300 travailleurs sur un effectif total de 1.700, soit à peine 17,6 pour cent de l'effectif normal. Dans les grèves visées par la plainte de la CGTP-IN, le nombre de convois jugés indispensables pour assurer le service minimum est de 27 par jour, soit 22,9 pour cent des 118 convois circulant en temps normal. Dans le cas de la CARRIS, et en raison de la nature même du service assuré par les transports de surface, le pourcentage des moyens affectés au service minimum (que les grévistes et les syndicats n'ont pas assuré) n'a pas dépassé 50 pour cent du service normal, quoique la CGTP-IN prétende que ces moyens auraient été fixés au même niveau que le service normal.
  11. 179. En ce qui concerne les transports de remplacement mis à la disposition des usagers, le gouvernement déclare que c'est parce que les grévistes n'ont pas respecté leur obligation légale de garantir, pendant la grève, l'exécution des services minima essentiels que les entreprises atteintes par cette grève se sont vues obligées de passer contrat avec des tiers pour assurer, par des transports de fortune, les services minima qu'auraient dû assurer les grévistes; ces transports de fortune ont été engagés aux frais des entreprises CARRIS et METRO. Il s'agissait donc d'une solution exceptionnelle et temporaire.
  12. 180. Le gouvernement déclare qu'il est faux qu'il ait voulu, par la réquisition civile, empêcher les travailleurs de la CARRIS et du METRO de suivre l'ordre de grève générale que les centrales syndicales avaient lancé pour le 28 mars 1988. La grève prévue pour cette date à la CARRIS et au METRO avait pour mot d'ordre: "pour une rapide négociation de l'accord d'entreprise; pour un salaire juste compensant réellement le pouvoir d'achat perdu par les travailleurs; pour l'amélioration des conditions de travail et de vie"; ce ne sont pas là les objectifs que visait la grève générale, proclamée pour la même date.
  13. 181. En ce qui concerne la négociation collective dans les entreprises publiques, le gouvernement indique que la législation a été modifiée par le décret-loi no 87/89 du 23 mars 1989. En vertu des articles 13 et 24, dans cette teneur nouvelle, l'effet des conventions collectives applicables aux entreprises publiques n'est pas subordonné à la preuve d'une approbation formelle du ministère de tutelle. L'approbation est exigée pour la publication officielle de la convention, mais non pour sa mise en application.
  14. 182. En examinant la situation par rapport aux normes internationales du travail et aux principes du comité, le gouvernement observe que, même en admettant que le service public de transports en commun ne soit un service essentiel qu'au sens large, et non strict, la longue durée des grèves - vingt et un jours à la CARRIS, trente-six jours au METRO - constitue, de l'avis général et compte tenu des conditions de vie particulières aux grandes agglomérations, une source de graves préjudices pour la collectivité et met donc le gouvernement en droit d'adopter légitimement des mesures propres à limiter les effets desdites grèves.
  15. 183. En conclusion, le gouvernement estime donc qu'il n'a commis aucun acte qui ait entraîné la violation des obligations souscrites en ratifiant les conventions nos 87 et 98, pas plus que les entreprises concernées.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 184. Le comité note que le présent cas concerne des mesures de réquisition prises dans le cadre de grèves organisées dans les transports publics de Lisbonne. Des allégations ont été également formulées en ce qui concerne la nécessité d'autorisation du ministère de tutelle pour l'entrée en vigueur des conventions collectives conclues dans les entreprises publiques.
  2. 185. En premier lieu, le comité doit rappeler l'importance qu'il attache à ce que les travailleurs et leurs organisations puissent avoir recours à la grève en tant que moyen légitime de défense de leurs intérêts professionnels. Dans le présent cas, le comité observe que la législation portugaise reconnaît le droit de grève (loi no 65/77), moyennant certaines conditions de préavis.
  3. 186. Le comité a cependant admis que le droit de grève pourrait faire l'objet de restrictions, voire d'interdiction, dans les services essentiels, c'est-à-dire les services dont l'interruption mettrait en danger, dans l'ensemble ou dans une partie de la population, la vie, la sécurité ou la santé de la personne. (Voir par exemple 234e rapport, cas no 1255 (Norvège), paragr. 190; 236e rapport, cas no 1140 (Colombie), paragr. 144.) Le comité a néanmoins signalé à plusieurs reprises, et notamment en se référant au secteur des transports (voir par exemple 197e rapport, cas no 823 (Chili), paragr. 411; 204e rapport, cas no 952 (Espagne), paragr. 159), que le principe relatif à l'interdiction des grèves dans les services essentiels risquerait de perdre tout son sens s'il s'agissait de déclarer illégale une grève dans une entreprise qui ne fournirait pas un service essentiel au sens strict du terme.
  4. 187. Dans le cas d'espèce, le comité note que la législation n'interdit pas toutes les grèves dans le secteur des transports. La loi exige cependant que la prestation des services minima indispensables pour satisfaire les besoins sociaux absolument nécessaires ainsi que des services nécessaires à la sécurité et à l'entretien de l'équipement et des installations doit être assurée par les organisations syndicales et les travailleurs (article 8 de la loi no 65/77). En cas d'inobservation de ces dispositions, le gouvernement peut décider la réquisition ou la mobilisation (article 9 de la même loi).
  5. 188. A cet égard, le comité attire l'attention, comme il l'a fait dans d'autres cas (voir notamment 214e rapport, cas no 1021 (Grèce), paragr. 123; 234e rapport, cas no 1201 (Maroc), paragr. 550), sur la possibilité d'abus qu'impliquent les réquisitions de travailleurs comme moyen de régler les différends du travail. Dans de tels cas, le comité a souligné qu'un recours à ce genre de mesures n'est pas souhaitable, sauf s'il s'agit de maintenir des services essentiels dans des circonstances de crise aiguë.
  6. 189. Le comité est toutefois conscient qu'un arrêt total et prolongé des transports publics dans une grande agglomération urbaine, comme dans le cas présent où les arrêts de travail ont été nombreux, même s'ils furent de durée limitée, peut aboutir à des circonstances telles qu'un service minimum soit rendu nécessaire pour éviter une situation de crise aiguë. Pour être acceptable, un tel service minimum devrait, d'une part, se limiter aux opérations strictement nécessaires pour garantir la vie, la sécurité ou la santé des personnes, et, d'autre part, les organisations de travailleurs devraient pouvoir participer à sa définition tout comme les employeurs et les autorités publiques.
  7. 190. Dans le cas présent, le gouvernement a déclaré que les organisations syndicales et les travailleurs n'ont pas assuré les services minima auxquels ils sont tenus par la loi. Le comité observe cependant que la loi no 65/77 ne précise pas à qui appartient la décision de fixer le niveau des services minima à assurer. Il n'apparaît pas non plus que ce niveau ait fait l'objet de négociations entre les entreprises concernées et les syndicats.
  8. 191. Le comité remarque d'ailleurs sur ce point que les versions des plaignants et du gouvernement sont contradictoires puisque, pour le Métropolitain, les plaignants mentionnent un service minimum de 60 pour cent des activités normales, alors que le gouvernement donne un pourcentage de l'ordre de 17 pour cent, et pour les chemins de fer le pourcentage est de 100 pour cent pour les plaignants et de 50 pour cent pour le gouvernement. Le comité ne dispose pas d'éléments suffisants pour se prononcer sur ces pourcentages. Dans ces conditions, il se limite à rappeler les principes exposés ci-dessus sur les services minima à assurer en cas de grève.
  9. 192. Les plaignants ont également fait état de procédures disciplinaires engagées contre les grévistes qui n'avaient pas obtempéré aux ordres de réquisitions. Ils ne précisaient pas toutefois quels ont été les résultats de ces procédures, pas plus que le gouvernement. Le comité ne peut donc, dans ces circonstances, que rappeler que le développement des relations professionnelles peut être compromis par une attitude inflexible dans l'application aux travailleurs de sanctions trop sévères pour faits de grève. (Voir par exemple 218e rapport, cas no 1100 (Inde), paragr. 687.)
  10. 193. En ce qui concerne les allégations relatives à la nécessité de l'approbation du ministère de tutelle pour la mise en vigueur des conventions collectives conclues dans les entreprises publiques, le comité note que la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations, tout comme le comité dans un cas antérieur concernant le Portugal (voir 248e rapport, cas no 1370), a invité le gouvernement à modifier sa législation de manière à assurer que le refus d'autorisation préalable ne puisse être opposé que pour vice de forme. Le comité note que le gouvernement fait maintenant état d'une modification de la législation aux termes de laquelle l'effet des conventions collectives conclues dans les entreprises publiques n'est pas subordonné à la preuve d'une approbation formelle du ministère de tutelle qui n'est exigée que pour la publication officielle de la convention. Le comité signale cet aspect du cas à l'attention de la commission d'experts afin que celle-ci examine les nouvelles dispositions dans le cadre de l'application de la convention no 98.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 194. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) Le comité attire l'attention sur les possibilités d'abus qu'impliquent les réquisitions de travailleurs comme moyen de régler les différends de travail et il signale qu'il ne devrait être fait de recours à de telles mesures que pour maintenir des services essentiels dans des circonstances de crise aiguë.
    • b) La limitation de l'exercice du droit de grève dans les secteurs dont un arrêt total et prolongé pourrait aboutir à une situation de crise aiguë devrait se borner aux opérations strictement nécessaires pour garantir la vie, la sécurité ou la santé des personnes.
    • c) Les organisations de travailleurs devraient pouvoir participer à la définition des services minima à assurer tout comme les employeurs et les autorités publiques.
    • d) Le comité rappelle que le développement des relations professionnelles pourrait être compromis par une attitude inflexible dans l'application aux travailleurs de sanctions trop sévères pour faits de grève.
    • e) Le comité signale l'aspect du cas relatif à l'approbation par le ministère de tutelle des conventions collectives conclues dans les entreprises publiques à l'attention de la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations.
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