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Rapport définitif - Rapport No. 277, Mars 1991

Cas no 1547 (Canada) - Date de la plainte: 11-SEPT.-90 - Clos

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  1. 99. Dans des communications datées des 11 septembre et 16 octobre 1990, l'Association canadienne des professeurs d'université (ACPU) a présenté une plainte contre le gouvernement du Canada/Colombie britannique, alléguant que ce dernier avait commis des violations des normes de l'OIT sur la liberté syndicale. Le gouvernement fédéral a transmis, dans une lettre datée du 11 janvier 1991, les observations du gouvernement provincial de la Colombie britannique.
  2. 100. Le Canada a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, en revanche il n'a ratifié ni la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949, ni la convention (no 151) sur les relations de travail dans la fonction publique, 1978.

A. Allégations du plaignant

A. Allégations du plaignant
  1. 101. L'ACPU soutient que les dispositions de la loi sur les universités de Colombie britannique, et notamment son article 80, constituent une violation flagrante de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, puisque cet article soustrait les membres de cette association du champ d'application de la loi sur les relations professionnelles de la Colombie britannique.
  2. 102. L'article 80 de la loi sur les universités se lit comme suit:
    • La loi sur les relations professionnelles ne s'applique pas aux relations du travail entre une université et ses professeurs.
    • Le plaignant soutient que cette disposition contrevient directement à l'article 2 de la convention no 87, puisqu'elle empêche les professeurs d'université d'exercer leur droit d'association, s'ils le souhaitent, aux termes de la loi sur les relations professionnelles. Il y a également violation de l'article 3 de la convention dans la mesure où les associations font face à des restrictions en ce qui concerne l'organisation de leur gestion et la formulation de leurs programmes d'action, et puisque les autorités s'ingèrent dans leurs activités légitimes. Enfin, il y a également violation de l'article 8 2), qui dispose que "la législation nationale ne devra porter atteinte ni être appliquée de manière à porter atteinte aux garanties prévues par la présente convention". Des dix provinces du Canada, seule la Colombie britannique a adopté ce type de législation rétrograde.
  3. 103. Dans sa communication du 16 octobre 1990, l'ACPU souligne que sa plainte est basée sur le fait que la législation constitue une violation des normes internationales du travail, et non sur le fait que des mesures particulières prises par le gouvernement constitueraient pareille violation. Le plaignant ajoute que la législation a des répercussions considérables. Lorsque cette loi a été adoptée en 1977, la négociation collective était relativement peu utilisée par les professeurs d'université au Canada; dans les treize années qui ont suivi l'adoption de cette loi, la situation a changé radicalement dans toutes les provinces, sauf la Colombie britannique. Dans les neuf autres provinces du Canada, les professeurs d'université ont le droit de négocier collectivement leurs conditions de travail aux termes de la législation provinciale du travail. Les professeurs de la plupart des universités canadiennes ont exercé ce droit, de telle sorte qu'il s'agit clairement à présent du mécanisme prédominant régissant la relation d'emploi des professeurs d'université au Canada. La seule exception notable est la Colombie britannique où la législation leur interdit de s'associer et de participer à des négociations collectives dans un cadre législatif. Ainsi, les professeurs des quatre universités d'Alberta, des deux universités de Saskatchewan et des quatre universités du Manitoba participent à des négociations collectives en vertu des législations provinciales respectives. En Ontario, les professeurs de la majorité des quinze universités de cette province négocient collectivement leurs conditions de travail aux termes de la législation provinciale; la situation est semblable au Québec et dans les quatre provinces de l'Atlantique.
  4. 104. Le plaignant souligne également que la législation de la Colombie britannique opère une distinction entre les professeurs d'université et les enseignants du niveau collégial; la législation provinciale autorise ces derniers à participer à des négociations collectives, ce qu'ils font d'ailleurs. Enfin, le plaignant déclare que l'organisation provinciale des associations de professeurs des universités de Colombie britannique, la Confederation of University Faculty Associations of British Columbia (CUFA, qui est membre de l'ACPU) a demandé à maintes reprises au gouvernement d'abroger cette disposition, mais sans succès. Le plaignant estime que, en raison de cette restriction énoncée dans la législation, quelque 3.000 professeurs d'université se voient refuser le droit à la liberté syndicale et celui de négocier collectivement leurs conditions de travail.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 105. Le gouvernement provincial soutient en substance que l'article 80 est une disposition appropriée et nécessaire dans la loi sur les universités, compte tenu de la relation fonctionnelle unique qui existe entre les universités et leurs professeurs; il affirme que cet article ne constitue pas une violation des importants principes concernant la liberté syndicale prévus dans la convention no 87 de l'OIT. L'article 80 n'interdit pas aux professeurs d'université de s'associer ni de négocier collectivement leurs conditions de travail.
  2. 106. En ce qui concerne la relation entre l'université et ses professeurs, le gouvernement déclare que la raison fondamentale expliquant l'exclusion de l'article 80 vient des relations uniques, passées et présentes, qui existent entre les parties. Le régime des relations existant en Colombie britannique entre les universités et leurs professeurs est fondé sur quatre prémisses fondamentales:
    • a) collégialité/gestion mixte, qui suppose une responsabilité conjointe dans la gestion quotidienne de l'université;
    • b) le concept de sécurité, qui assure aux professeurs d'université la sécurité d'emploi nécessaire leur permettant d'apporter une contribution indépendante à l'université et à leur profession;
    • c) liberté universitaire, ou droit à l'indépendance de pensée et d'action, qui donne aux professeurs la liberté dont ils ont besoin pour apporter une contribution à l'université, au milieu universitaire dans son ensemble et à la société; et
    • d) la volonté d'excellence, qui a toujours constitué un objectif sous-jacent tant de l'université que de ses professeurs.
      • La conjonction de ces quatre prémisses confère son caractère unique à la structure universitaire et explique les différences principales existant dans ces institutions en ce qui concerne la relation entre l'université et ses professeurs et les relations du travail plus traditionnelles qui existent ailleurs.
    • 107. Les professeurs d'université contribuent de façon importante aux décisions essentielles devant être prises de façon continue quant à la gestion quotidienne et à long terme de l'université. Ce style de gestion collégiale est prévu dans la législation puisque les dispositions de la loi sur les universités, qui définissent la structure et le mandat du Bureau des gouverneurs et du Sénat de l'université, prévoient une participation majeure des professeurs. Ces derniers contrôlent le Sénat, en raison de sa composition, puisque les professeurs qui y siègent sont deux fois plus nombreux que les administrateurs. Par ailleurs, le principe de la révision par les confrères constitue un élément essentiel dans l'évaluation du rendement des professeurs; c'est le jugement des confrères qui constitue le critère prédominant dans toutes les questions où le mérite a une incidence. Le gouvernement estime que ce type de coopération universitaire se prêterait difficilement au régime de type contradictoire instauré par la loi sur les relations professionnelles, et qu'il pourrait même en fait être incompatible avec celui-ci. De la même façon, le gouvernement considère que la liberté et l'indépendance de pensée et d'action, qui ont toujours marqué le milieu universitaire, pourraient être sérieusement compromises si l'on y appliquait les principes de la loi sur les relations professionnelles fondés sur la règle de la majorité. Les professeurs d'université jouissent d'une très large indépendance pour mener leurs recherches et gérer leurs propres ressources. Les structures actuelles permettent de mieux préserver cet attribut important des universités.
  3. 108. Deuxièmement, le gouvernement souligne que la loi sur les universités n'empêche aucunement les professeurs d'université d'exercer leur droit ou leur liberté d'association, ou de participer réellement à des négociations collectives. Il en veut pour preuve le fait que, dans chacune des trois universités de Colombie britannique, il existe des associations bien établies de professeurs (inscrites en tant que telles dans le répertoire des organisations professionnelles du ministère du Travail), qui négocient réellement avec leurs universités respectives les salaires et conditions de travail. Tout en admettant que, du fait de leur exclusion de la loi sur les relations professionnelles, ces groupes ne peuvent obtenir officiellement leur accréditation, le gouvernement souligne que cette absence de procédure officielle d'accréditation n'interdit pas aux professeurs d'université l'exercice des libertés syndicales fondamentales, énoncées dans les articles 2 et 3 de la convention no 87. Autrement dit, les professeurs ont toute liberté pour établir les organisations de leur choix, et le gouvernement n'intervient aucunement dans la constitution, les règles ou le fonctionnement de ces organisations.
  4. 109. En ce qui concerne le processus de négociation collective proprement dit, le gouvernement estime que l'article 80 de la loi sur les universités n'a pas un caractère restrictif et permet effectivement aux parties de négocier librement les sujets qu'elles désirent, de la façon qu'elles jugent appropriée, ce que confirme l'expérience présente et passée.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 110. Le plaignant soutient dans la présente affaire que l'exclusion établie par l'article 80 de la loi sur les universités constitue une violation des articles 2, 3 et 8 2) de la convention no 87, puisque les professeurs d'université ne peuvent exercer leur droit d'association aux termes de la loi sur les relations professionnelles, que leurs associations font face à des restrictions en ce qui concerne leur gestion et la formulation de leurs programmes d'action, et que les autorités s'ingèrent dans leurs activités légitimes. Le gouvernement provincial répond que cette exclusion se justifie par le caractère unique de la relation existant entre les universités et leurs professeurs; il ajoute que, en pratique, ces derniers ont le droit de constituer librement des organisations de leur choix, sans intervention des autorités, et que leurs associations participent effectivement à de réelles négociations collectives.
  2. 111. Même s'il est vrai, comme le gouvernement provincial le soutient, que les associations de professeurs d'université ont existé et existent toujours, et peuvent négocier librement, le comité observe que l'ACPU insiste, dans sa communication du 16 octobre 1990, sur le fait que "... la législation (article 80 de la loi sur les universités) constitue une violation des normes internationales du travail, et non que des mesures particulières qu'aurait prises le gouvernement de la Colombie britannique en vertu de sa législation constituent pareille violation".
  3. 112. Le comité ne peut que constater que l'article 80 de la loi sur les universités (S.R.C.-B., c. 419) soustrait clairement les professeurs d'université à l'application de la loi sur les relations professionnelles (Code du travail; 1979, S.R.C.-B., c. 212; modifié par la loi portant réforme des relations professionnelles; 1987, L.C.-B., c. 24). Le gouvernement provincial reconnaît volontiers que les associations de professeurs d'université ne peuvent être considérées comme des "syndicats" ou accréditées comme "agents négociateurs" au sens de l'article 1 de la loi sur les relations professionnelles, même si elles sont inscrites comme associations de professeurs d'université dans le répertoire des organisations professionnelles. Par conséquent, ces travailleurs et leurs associations ne bénéficient pas aux termes de la loi des divers droits syndicaux traditionnels et protections découlant de cette loi, reconnus à tous les autres travailleurs et organisations, par exemple: reconnaissance syndicale, article 1; accréditation comme agent négociateur, articles 39-60; procédures de négociation collective, articles 61-78; droit de grève, piquetage, etc., articles 79-92; procédures d'arbitrage, articles 93-113; etc.
  4. 113. En ce qui concerne la justification de l'exclusion prévue à l'article 80, le gouvernement provincial soutient essentiellement que la relation unique entre les parties explique et justifie une dérogation au régime de type contradictoire prévu par la loi sur les relations professionnelles. L'ACPU, la CUFA et les associations concernées ne partagent manifestement pas cette opinion, pas plus qu'elles n'estiment avoir le droit de participer librement à des négociations collectives, comme l'affirme le gouvernement. Quelle que soit la situation en pratique (les déclarations contradictoires des parties ne sont pas étayées par des preuves à ce sujet), il reste que l'exclusion prévue par l'article 80 de la loi sur les universités, outre le fait qu'elle crée un vide juridique (absence de loi particulière régissant les relations du travail des professeurs d'universités), crée une distinction, fondée sur l'occupation professionnelle, entre les professeurs d'université et les autres travailleurs, distinction qui est incompatible avec la formulation non ambiguë de l'article 2 de la convention no 87: "Les travailleurs ... sans distinction d'aucune sorte ... ont le droit ... de constituer des organisations de leur choix ...". Par conséquent, le comité estime que l'article 80 de la loi sur les universités n'est pas conforme aux principes de la liberté syndicale et devrait être abrogé.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 114. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) Le comité considère que l'article 80 de la loi sur les universités de Colombie britannique, qui soustrait les professeurs d'université à l'application de la loi sur les relations professionnelles, est incompatible avec les principes de la liberté syndicale et estime qu'il devrait être abrogé, et à cette fin, il invite le gouvernement fédéral à transmettre cette recommandation au gouvernement de la Colombie britannique.
    • b) Le comité porte ce cas à l'attention de la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations.
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