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- 399. Cette plainte fait l'objet d'une communication d'Egitim Iskolu Kamu Görevlileri Sendikasi (EGITIM-IS) en date du 15 mai 1991; l'organisation plaignante a fourni des informations supplémentaires dans une communication du 12 décembre 1991. Le Secrétariat professionnel international de l'enseignement a apporté son soutien à cette plainte dans une communication du 20 juin 1991. Le gouvernement a répondu dans une communication en date du 24 janvier 1992.
- 400. La Turquie n'a pas ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948; toutefois, elle a ratifié la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations de l'organisation plaignante
A. Allégations de l'organisation plaignante
- 401. Dans sa communication du 15 mai 1991, l'organisation plaignante expliquait qu'elle s'était constituée conformément à la législation de la Turquie, et qu'elle regroupait alors quelque 13.000 membres dans le secteur de l'éducation (enseignants, inspecteurs, techniciens, ainsi que concierges et autres personnels ayant le statut de fonctionnaires). Bien que la législation turque ne contienne, de fait, aucune disposition interdisant aux fonctionnaires de se syndiquer, les autorités en font une interprétation restrictive et ont engagé des procédures judiciaires pour empêcher la constitution d'EGITIM-IS. Dans sa communication du 12 décembre 1991, EGITIM-IS annonçait que le nouveau ministre du Travail avait abandonné ces procédures avant que la dernière audience sur ce cas ait eu lieu. L'organisation plaignante signale également que ses effectifs s'élèvent désormais à 20.000 personnes et qu'elle a considérablement étendu ses activités dans toutes les villes du pays.
- 402. Dans sa première communication, l'organisation plaignante alléguait également que les autorités l'avaient empêchée de tenir son premier congrès général en novembre 1990. Dans sa communication du 12 décembre 1991, EGITIM-IS indique que, à la suite de l'élection du nouveau gouvernement, son premier congrès général se tiendrait probablement en février 1992.
- 403. L'organisation plaignante déclare en outre que le syndicat et ses membres ont subi divers actes de discrimination antisyndicale et pressions, que les autorités ont adopté une attitude ouvertement opposée aux activités d'EGITIM-IS et se sont livrées à des ingérences directes dans ses activités, par exemple en empêchant l'ouverture de bureaux locaux à Izmir, Balikesir, Istanbul, Salihli et Emirdag.
- 404. Elle donne les exemples suivants de harcèlement antisyndical:
- - M. Mijazi Altunya, président d'EGITIM-IS, a été licencié le 13 juillet 1990 pour avoir déclaré à un journal qu'on ne devrait pas trahir les étudiants; il lui a été interdit de se rendre à l'étranger en décembre 1990;
- - M. Aydin Nefesoglu, membre du bureau exécutif, a été exilé d'Ankara à Kastamonu-Tasköprü, en mars 1990;
- - onze membres d'EGITIM-IS à Bolu-Düzce se sont vu infliger une "suspension de toute promotion pour une durée d'un an" à cause de leurs activités syndicales;
- - huit membres d'EGITIM-IS à Erzurum-Horasan ont été mutés dans d'autres écoles de la même ville en raison de leurs activités syndicales;
- - à Balikesir, la police a perquisitionné le bureau local d'EGIT-DER (Association d'éducateurs) et confisqué certains documents syndicaux; les autorités de la police locale ont ensuite déclaré que le syndicat était une organisation illégale; six représentants d'EGITIM-IS ont été arrêtés puis relâchés; 96 autres font encore l'objet d'enquêtes;
- - M. Abdullah Nergiz, représentant d'EGITIM-IS et enseignant au Lycée de formation pédagogique Hasanoglan Atatürk en Anatolie a été démis de ses fonctions en janvier 1991 et menacé de mutation dans une autre ville; et
- - M. Jalip Gökce, représentant d'EGITIM-IS à Edirne-Uzunköprü, a été licencié, puis réintégré dans ses fonctions par le nouveau gouverneur de la ville; dans la même ville, cinq représentants d'EGITIM-IS ont été exilés.
- 405. L'organisation plaignante fournit également des informations sur le droit de se syndiquer dans le secteur public en Turquie, secteur qui emploie environ 2,2 millions de personnes, soit 12 pour cent de la population active. Les salariés du secteur public peuvent appartenir à l'une des trois catégories suivantes: travailleur ordinaire, contractuel ou fonctionnaire. En bref, les travailleurs ordinaires ont les mêmes droits syndicaux que ceux du secteur privé; les contractuels ne peuvent s'affilier à des syndicats; aux termes de l'article 4 de la loi no 2908 de 1983, tous les enseignants et administratifs du secteur de l'éducation, entre autres, n'ont pas le droit de se syndiquer.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement
- 406. Dans sa communication en date du 24 janvier 1992, le gouvernement confirme que les enseignants sont considérés par la législation actuelle comme des fonctionnaires du fait de la nature de leur travail et que, suivant cette législation, ils n'ont pas le droit de constituer des syndicats ou de s'y affilier. Cependant, le nouveau gouvernement formé à la suite des récentes élections générales, qui recherche une approche moderne des problèmes socio-économiques et politiques, a l'intention d'octroyer aux fonctionnaires le droit de constituer des syndicats et de s'y affilier ainsi que le droit de négociation collective. A cet effet, le programme de gouvernement présenté devant la Grande Assemblée nationale fait spécialement référence à l'harmonisation des droits syndicaux actuels avec les normes et principes de l'OIT.
- 407. Les passages pertinents du programme de gouvernement du 25 novembre 1991 prévoient ce qui suit:
- (La Constitution de la Turquie ...) instaurera toutes les conditions d'une démocratie fondée sur la participation ..., et assurera le respect des droits de l'homme, des droits et libertés individuels et des droits syndicaux tels qu'ils sont reconnus dans les pays les plus avancés ...
- Nous proposons que la Constitution soit élaborée de telle sorte qu'elle se fonde sur un large consensus entre les organisations intéressées de notre pays, notre peuple et, par dessus tout, les partis politiques. Nous croyons fermement qu'"un large consensus" est une condition indispensable d'une Constitution durable ...
- Les droits syndicaux seront institutionnalisés conformément aux normes de l'OIT. Les relations entre employeurs et travailleurs seront portées à un niveau qui permettra d'améliorer la sécurité sociale et de renforcer la paix sociale en Turquie ...
- Une importance particulière sera accordée à la protection de la main-d'oeuvre et au maintien de la paix dans les relations entre employeurs et travailleurs ...
- Les réformes législatives nécessaires seront réalisées pour garantir les libertés et les droits syndicaux des fonctionnaires. A cet effet, les initiatives requises seront prises dans le domaine constitutionnel.
- La Constitution sera amendée afin de permettre aux enseignants de constituer des syndicats.
- (Souligné par le comité.)
- 408. Le gouvernement ajoute qu'il a d'ores et déjà engagé les démarches voulues en vue de ratifier la convention no 87 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, et la convention no 151 sur les relations de travail dans la fonction publique. Une fois ces instruments ratifiés et la législation correspondante amendée, ces questions ne seront plus un objet de contentieux.
- 409. Le gouvernement déclare en outre que le ministère de l'Education nationale a décidé, le 25 mai 1991, de n'appliquer aucune mesure administrative contre les membres d'EGITIM-IS tant que le tribunal compétent n'aura pas rendu sa décision finale.
- 410. A propos des personnes citées dans la plainte:
- - le tribunal a prononcé un verdict d'acquittement en faveur des 123 membres d'EGITIM-IS qui étaient jugés à Manisa (Manisa est le siège de la préfecture dont dépend Salihli, localité mentionnée dans la plainte d'EGITIM-IS);
- - M. Abdullah Nergiz a été réintégré dans ses fonctions;
- - M. Aydin Nefesoglu a retrouvé son poste antérieur à Ankara;
- - la réintégration de M. Niyazi Altunya, membre fondateur et président d'EGITIM-IS, est en délibération et la décision lui sera notifiée dans quelques jours.
- 411. Le gouvernement tiendra le comité informé de toute nouvelle évolution de la situation en ce qui concerne les questions soulevées dans la plainte.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité
- 412. Le comité note que, dans le présent cas, les allégations portent sur: 1) le déni du droit d'association et de négociation collective aux travailleurs du secteur de l'éducation; 2) le refus du gouvernement de reconnaître EGITIM-IS; 3) le refus opposé à EGITIM-IS de tenir son premier congrès général; et 4) divers actes de discrimination antisyndicale.
- 413. Le comité note avec intérêt la communication du gouvernement et les déclarations d'intention de ce dernier à propos des changements prévus dans la législation en général et dans le droit du travail en particulier. Il observe que le gouvernement, dans le programme qu'il a présenté à la Grande Assemblée nationale, s'engage fermement à prendre des mesures pour garantir les libertés et droits syndicaux aux salariés du secteur public, en particulier ceux qui sont employés dans le secteur de l'éducation, et que ce programme de gouvernement fait particulièrement référence à l'harmonisation des droits syndicaux avec les normes et principes de l'OIT.
- 414. Le comité note que les problèmes mentionnés ci-dessus, ou des questions du même ordre, lui ont été récemment soumis (cas no 1577, 279e rapport, paragr. 423-440, approuvé par le Conseil d'administration à sa 251e session). Toutefois, étant donné la déclaration de principe sans équivoque contenue dans le programme de gouvernement, considérant que le ministre de l'Education a décidé de n'appliquer aucune sanction administrative contre les membres d'EGITIM-IS tant qu'une décision judiciaire finale ne serait pas prise, et compte tenu du fait que EGITIM-IS semble désormais pouvoir fonctionner normalement, le comité se limitera à rappeler l'importance qu'il attache aux principes de base de la liberté syndicale: tous les travailleurs, sans distinction aucune, et sans considération de leur statut juridique, y compris les fonctionnaires, ont le droit de constituer des organisations de leur choix et de s'y affilier; les organisations de travailleurs et d'employeurs doivent être libres d'organiser leur gestion et leurs activités, de formuler leurs programmes, de tenir leurs congrès sans autorisation préalable et d'en choisir l'ordre du jour en toute liberté. Le comité rappelle en outre que les enseignants n'entrent pas dans la définition des services essentiels (Recueil de décisions et principes du Comité de la liberté syndicale, 3e édition, 1985, paragr. 144-146, 402, 404). Le comité demande donc au gouvernement de prendre rapidement les mesures qu'il a annoncées pour amender les dispositions de la législation actuelle qui contreviennent à ces principes, en vue de garantir à tous les enseignants le droit de constituer des organisations de leur choix et de s'y affilier, d'organiser leur gestion et leurs activités et de formuler leurs programmes.
- 415. Le comité souhaite vivement que les intentions exprimées par le gouvernement devant la Grande Assemblée nationale soient rapidement suivies de mesures concrètes, et il veut croire que le gouvernement sera à même d'annoncer leur adoption et leur mise en application dans un proche avenir. Le comité rappelle aussi au gouvernement que les services consultatifs du Bureau international du Travail sont à sa disposition, s'il le souhaite. Il invite le gouvernement à le tenir informé de l'évolution de la situation à cet égard.
- 416. Quant aux divers actes antisyndicaux des autorités sous le gouvernement précédent, le comité note que MM. Abdullah Nergiz et Jalip Gökce sont désormais réintégrés dans leurs fonctions, que M. Aydin Nefesoglu a retrouvé son poste précédent à Ankara, et que 123 membres d'EGITIM-IS ont été acquittés par le tribunal de Manisa. Tout en notant qu'il s'agissait là de sérieuses violations des principes de la liberté syndicale, le comité exprime l'espoir que de tels actes ne se reproduiront pas et il considère que cet aspect du cas présent n'appelle pas, de sa part, d'examen plus approfondi.
- 417. Le comité note toutefois que la décision finale n'est pas encore intervenue en ce qui concerne le président d'EGITIM-IS, M. Niyazi Altunya. Le comité espère qu'une décision interviendra rapidement, et il invite le gouvernement à le tenir informé à ce sujet.
- 418. Le comité observe en outre qu'aucune information n'a été fournie par le gouvernement sur:
- - la situation actuelle des onze membres d'EGITIM-IS à Bolu-Düzce, qui auraient été privés de promotion pour un an à cause de leurs activités syndicales;
- - la situation actuelle des huit membres d'EGITIM-IS à Ezurum-Horasan, qui auraient été mutés dans d'autres écoles à cause de leurs activités syndicales;
- - les incidents survenus à Balikesir (perquisition du bureau local d'Egit-Der, saisie de documents); et
- - la situation actuelle des cinq représentants d'EGITIM-IS à Edirne-Uzunköprü qui auraient été exilés.
- Le comité invite le gouvernement à lui fournir des informations sur ces incidents ou sur la situation actuelle des personnes en question.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 419. Au vu des conclusions intérimaires qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Prenant note avec intérêt des déclarations d'intention du gouvernement, en particulier de son engagement d'institutionnaliser les droits syndicaux conformément aux normes de l'OIT, et de prendre les mesures nécessaires pour garantir les libertés et droits syndicaux aux fonctionnaires, y compris les enseignants, le comité souhaite vivement que ces intentions seront rapidement suivies de mesures concrètes et que le gouvernement sera à même d'annoncer dans un proche avenir leur adoption et leur mise en application. Il invite le gouvernement à le tenir informé de l'évolution de la situation à cet égard.
- b) Le comité attire l'attention du gouvernement sur le fait que les services consultatifs du Bureau international du Travail sont à sa disposition s'il souhaite y recourir.
- c) Le comité demande au gouvernement de lui fournir des informations sur:
- - la décision finale sur le cas de M. Altunya, président d'EGITIM-IS;
- - la situation actuelle des onze membres d'EGITIM-IS à Erzurum-Horasan, qui auraient été privés de promotion pendant un an à cause de leurs activités syndicales;
- - la situation actuelle des huit membres d'EGITIM-IS à Erzurum-Horasan, qui auraient été mutés dans d'autres écoles à cause de leurs activités syndicales;
- - la perquisition et la saisie de documents opérées dans le bureau local de l'Egit-Der à Balikesu; et
- - la situation actuelle des cinq représentants d'EGITIM-IS à Edirne-Uzunköprü qui auraient été exilés.
- d) Le comité appelle l'attention de la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations sur les aspects législatifs de ce cas.