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Rapport intérimaire - Rapport No. 284, Novembre 1992

Cas no 1591 (Inde) - Date de la plainte: 05-JUIN -91 - Clos

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  1. 943. La Confédération nationale des associations de cadres des entreprises du secteur public central (NCOA) a présenté une plainte en violation de la liberté syndicale contre le gouvernement de l'Inde dans une communication en date du 5 juin 1991.
  2. 944. Le gouvernement a envoyé des observations sur ces allégations dans une communication datée du 12 août 1992.
  3. 945. L'Inde n'a ratifié ni la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ni la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégations de la confédération plaignante

A. Allégations de la confédération plaignante
  1. 946. Dans sa lettre du 5 juin 1991, la NCOA se définit comme une confédération qui coiffe 125 associations affiliées de cadres représentant plus de 150.000 membres du personnel d'encadrement et de direction exerçant dans des entreprises industrielles et commerciales appartenant à l'Etat. Les associations affiliées et la confédération plaignante elle-même sont des entités légales enregistrées en vertu de la loi de 1926 sur les syndicats ou de la loi de 1860 sur l'enregistrement des sociétés.
  2. 947. La NCOA fait valoir tout d'abord que les cadres exerçant dans des entreprises du secteur public ne jouissent pas réellement de la liberté syndicale, en dépit de l'article 19 de la Constitution indienne qui consacre le droit d'association comme un droit fondamental de tous les citoyens. D'après la NCOA, le problème réside dans le fait que ces agents sont exclus du champ d'application de la loi de 1947 sur les conflits du travail, parce que la définition du "travailleur" contenue dans cette loi exclut expressément le personnel d'encadrement et de direction (art. 2). Il en résulte que leurs organisations enregistrées ne parviennent pas à se faire reconnaître officiellement à des fins de négociation collective. En outre, toutes les négociations qui peuvent être menées de façon non officielle avec les entreprises du secteur public sont illusoires du fait que le gouvernement exerce un contrôle absolu sur toutes les politiques et décisions touchant ces agents (politique de recrutement, conditions d'emploi, salaires et révisions des salaires, politique financière).
  3. 948. La confédération plaignante cite, pour illustrer le refus de reconnaître ses affiliés, l'exemple de la Bharat Heavy Electricals Ltd. (BHEL). La fédération des cadres de cette entreprise ayant fait des démarches pour se faire reconnaître dans les années quatre-vingt, la direction de la BHEL a fini par accepter, en janvier 1989, de rencontrer ses représentants; les cadres se sont mis en grève en mai et en octobre 1990, à la suite de quoi la direction a accepté de rencontrer pour la deuxième fois, le 21 novembre 1990, les représentants de la fédération; chaque fois que cette dernière a présenté une revendication, la direction a refusé tout dialogue sérieux (en ce qui concerne, par exemple, la mise à la disposition de l'association d'un local, la direction a répondu qu'aucun bureau ne pouvait lui être attribué; s'agissant de la possibilité de prélever les cotisations syndicales à la source, elle a répondu que ce n'était pas alors envisageable; à propos de la mise en place d'un système de réparation des torts, elle a répondu que c'était à la fédération et non à la direction de l'entreprise qu'il revenait de prendre en charge l'organisation d'un tel mécanisme; quant à la question de la modification des règles régissant les promotions, elle a répondu que la fédération ne pouvait être considérée que comme un "organe formulant des suggestions").
  4. 949. En deuxième lieu, la NCOA affirme que, dans presque toutes les entreprises du secteur public, les membres des comités directeurs des associations de cadres sont victimes de mesures telles que refus de promotion, mutations, refus d'affectation et harcèlements. Comme il n'existe pas de véritable mécanisme de doléances pour ces agents, les victimes supportent ces mesures en silence: les associations essuient un revers puis se ressaisissent.
  5. 950. En troisième lieu, la NCOA déclare que, depuis 1986, elle n'a cessé de demander une révision des salaires en envoyant des lettres, des pétitions, des notes de service, et en organisant des rassemblements de protestation et des mouvements d'occupation de locaux et des grèves, mais que le gouvernement et les directions des entreprises refusent d'ouvrir le dialogue, d'annoncer une révision des salaires ou de verser des intérêts pour la période durant laquelle la révision a été différée par les employeurs. La NCOA et plusieurs autres associations (non affiliées) de cadres d'entreprises publiques ont constitué un comité de coordination officieux. Ce comité a lancé un ordre de grève nationale de 48 heures en juillet 1990, ce qui a amené le gouvernement, par le truchement des ministres des Finances et de l'exécution du programme, à lui assurer que la question de la révision des salaires serait réglée d'ici le 31 août. Cette promesse n'ayant pas été tenue et les ministres ayant refusé d'accorder une audience au comité de coordination, ce dernier a lancé un ordre de grève pour le 11 octobre 1990. Le 9 octobre, le ministre de l'Application des programmes a demandé l'annulation de l'ordre de grève, la révision des salaires devant être réglée avant la fin de l'année. Le comité a malgré tout décidé de maintenir l'ordre de grève, et les 200.000 cadres impliqués ont été prévenus qu'ils feraient l'objet de mesures disciplinaires. De plus, le gouvernement a annoncé une révision du barème des rémunérations dans une seule entreprise, où la grève n'avait été que partiellement suivie, et il a déclaré qu'il réglerait promptement la question des réajustements de salaire dans les entreprises où les cadres n'avaient pas pris part à la grève.
  6. 951. En quatrième lieu, la NCOA fait valoir que, puisque ses membres sont exclus du champ d'application de la loi sur les conflits du travail, ils ne peuvent avoir recours aux tribunaux du travail et que, puisqu'ils n'occupent pas des "postes de la fonction publique", ils ne bénéficient pas de la protection constitutionnelle prévue pour les fonctionnaires du gouvernement à l'article 311 de la Constitution indienne. A la suite d'une récente modification constitutionnelle, des tribunaux spéciaux ont été créés en application de la loi de 1985 sur les tribunaux administratifs; toutefois, même ces tribunaux ne peuvent être saisis par les membres de la NCOA, puisque le gouvernement n'a pas étendu la portée de ces dispositions à ces agents comme en dispose la loi en cause. Par conséquent, les seuls recours accessibles à cette catégorie de personnel sont la révision judiciaire (en vertu du droit d'assignation prévu par la Constitution indienne) ou l'introduction d'une plainte au civil. Or, là encore, la possibilité de se prévaloir du droit d'assignation est limitée par le fait que c'est le tribunal qui détermine sa propre compétence et que ce recours débouche uniquement sur un réexamen des questions de compétence; quant à la procédure civile, elle a le désavangage d'occasionner des frais de justice élevés et ne permet d'obtenir - souvent des années plus tard - que des dommages-intérêts. S'agissant de contrats de service, un comportement particulier n'est généralement pas ordonné à titre de réparation.
  7. 952. La confédération plaignante explique que les efforts déployés en 1978 pour introduire des textes de loi propres à combler cette lacune dans les mécanismes de règlement des conflits extérieurs ont échoué. Un autre projet de loi, intitulé projet de loi sur la participation des travailleurs à la gestion, est en instance devant le Parlement depuis 1990 et n'a pas encore fait l'objet d'un débat. La NCOA cite, pour illustrer l'absence de protection contre les pratiques arbitraires en matière d'emploi, le cas de M. A. Gopalakrishnan, ancien directeur à la société BHEL. Cet agent a été renvoyé sans préavis du poste important qu'il occupait au service de recherche-développement, au motif qu'il était "peu coopératif" et qu'il n'était "pas la personne qu'il fallait" à ce poste, parce qu'il avait critiqué la manière dont son projet était exécuté, et il n'avait aucun moyen de recours pour obtenir réparation à la suite de son renvoi.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 953. Dans une lettre datée du 12 août 1992, le gouvernement déclare tout d'abord que tous les citoyens indiens jouissent, en vertu de la Constitution, du droit fondamental de constituer des associations, et qu'en cas de violation de ce droit par l'Etat un recours est prévu aux articles 32 et 226 de la Constitution. Les entreprises du secteur public sont réputées, aux termes de la Constitution, être des organismes d'Etat aux fins du chapitre relatif aux droits fondamentaux, de sorte que leurs agents ont le droit de recourir à la Cour suprême ou à une Haute Cour pour faire assurer le respect de leur droit fondamental d'association s'il est restreint par les dirigeants d'une entreprise du secteur public. Il n'y a pas, au niveau fédéral, de texte législatif relatif à la reconnaissance des syndicats par l'administration de ces entreprises. Le gouvernement a toutefois publié des directives générales concernant les critères de reconnaissance des associations de cadres des entreprises du secteur public. Ces entreprises, qui sont autonomes, ont pleine compétence pour trancher elles-mêmes la question de la reconnaissance conformément aux règlements qu'elles ont pu établir à cet égard. Il est vrai que la direction de certaines entreprises du secteur public n'a pas reconnu les associations de cadres. Il existe cependant, dans presque toutes ces entreprises, des mécanismes de consultations périodiques officieuses au niveau de l'établissement. En outre, un grand nombre d'entreprises du secteur public ont mis au point des systèmes appropriés de réparation des dommages causés au personnel non protégé par la loi sur les conflits du travail.
  2. 954. Le gouvernement réfute l'allégation selon laquelle les pouvoirs de l'employeur, dans le cas des entreprises du secteur public, sont exercés par le gouvernement. Les conseils d'administration de ces entreprises exercent leurs pouvoirs conformément aux statuts de l'établissement considéré. Le gouvernement a toutefois recommandé des barèmes de rémunérations types pour assurer une certaine uniformité entre les barèmes appliqués dans les entreprises du secteur public. C'est néanmoins l'administration des entreprises qui arrête le montant des rémunérations de leur personnel et qui prend d'autres décisions, dans le cadre des paramètres généraux prescrits par le gouvernement. Le gouvernement ne juge donc ni nécessaire ni opportun de mener des négociations avec une fédération ou une confédération d'associations de cadres des entreprises du secteur public central.
  3. 955. D'après le gouvernement, la loi de 1947 sur les conflits du travail vise à assurer une protection spéciale à cette fraction vulnérable du personnel définie comme constituant les "travailleurs". Cette catégorie comprend d'ailleurs le personnel d'encadrement dont le salaire ne dépasse pas une certaine limite. Comme le personnel de direction n'est pas inclus dans la définition des "travailleurs", il ne relève pas de la loi sur les conflits du travail. Cette absence de dispositions juridiques pour le règlement des conflits du travail ne signifie cependant pas que des conventions collectives ne puissent pas être conclues ou appliquées. Le gouvernement souligne que la révision des salaires des cadres a lieu tous les quatre ou cinq ans. Le gouvernement, tout en fixant les paramètres généraux à respecter pour la révision des barèmes des salaires des cadres exerçant dans les entreprises du secteur public, tient compte des vues exprimées par les diverses associations de cadres, par la Confédération des associations de cadres et par le conseil de direction de la Conférence permanente des entreprises publiques. Des propositions précises sont formulées par chaque entreprise du secteur public en consultation avec son association de cadres. Le gouvernement fait valoir que les barèmes des rémunérations des cadres de 152 établissements du secteur public ont déjà fait l'objet d'une révision au 1er janvier 1987. Comme la révision des salaires avait pris du retard, deux avances ponctuelles ont été accordées à partir du dernier jour de la période de règlement précédente. Certaines entreprises du secteur public ont elles-mêmes accordé des avances plus libérales, sous réserve d'ajustements ultérieurs au moment de la révision des salaires.
  4. 956. Au sujet de l'allégation de non-reconnaissance par l'entreprise Bharat Heavy Electricals Limited et du licenciement arbitraire de M. A. Gopalakrishnan par la même entreprise, le gouvernement joint les commentaires reçus de la direction de l'établissement. La Fédération des associations de cadres de BHEL a lancé une grève les 16 et 17 février 1990 sur la base des revendications suivantes: i) révision immédiate des barèmes de salaires conformément aux recommandations de la quatrième Commission des rémunérations du personnel gouvernemental; ii) versement d'un montant équivalant à 30 pour cent du salaire en tant que compensation pour les conditions de travail extraordinaires et dangereuses; iii) alignement de l'indemnité de cherté de la vie sur celle offerte par le gouvernement central; iv) application des barèmes des salaires à compter du 1er janvier 1986; et v) harmonisation du régime des pensions avec celui dont bénéficie le personnel au service du gouvernement central. La fédération a de nouveau lancé une grève le 29 mai 1990, ainsi que les 11 et 12 octobre 1990. La direction a rencontré ses représentants, et la question a été résolue à l'amiable. Le gouvernement joint une copie d'une lettre dans laquelle la fédération remercie le président de BHEL de ses efforts pour veiller aux intérêts du personnel de direction.
  5. 957. Quant au cas de M. Gopalakrishnan, le gouvernement déclare qu'il occupait un poste à la haute direction de BHEL. Ses prestations et son attitude ont été jugées contraires aux intérêts de l'entreprise par le conseil d'administration, qui a mis fin à ses fonctions par une lettre datée du 2 décembre 1986, expliquant en détail les motifs de ce renvoi. L'action de la direction a été conforme aux conditions de nomination de cet agent, et M. Gopalakrishnan aurait pu faire appel de cette décision auprès d'une Haute Cour conformément à la Constitution, ce qu'il n'a pas fait.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 958. Le comité note que ce cas concerne des allégations selon lesquelles le fait que le personnel de direction et d'encadrement des entreprises du secteur public n'est pas couvert par la loi sur les conflits du travail implique qu'on lui refuse i) la reconnaissance aux fins des négociations collectives; et ii) une protection contre les pratiques arbitraires en matière d'emploi. Etant donné que la confédération plaignante ne fournit pas de renseignements détaillés sur les allégations de pratiques déloyales, le comité demande aux plaignants de fournir des renseignements à cet égard pour leur permettre d'examiner cet aspect du cas en pleine connaissance de cause.
  2. 959. En ce qui concerne le déni du droit d'association et de négocier collectivement des cadres dirigeants, le comité, de même que la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations, estime que de telles dispositions sont en général présentées comme étant destinées à prévenir toute ingérence des employeurs dans les activités syndicales et à éviter tout conflit d'intérêts où des cadres dirigeants seraient impliqués. Interdire à ces personnes de s'affilier à des syndicats représentant le reste des travailleurs n'est pas nécessairement incompatible avec la liberté syndicale, mais seulement à deux conditions: tout d'abord, qu'elles aient le droit de créer leurs propres organisations pour la défense de leurs intérêts et, ensuite, que la catégorie des cadres et du personnel de direction et de confiance ne soit pas définie en termes si larges que les organisations des autres travailleurs de l'entreprise ou de la branche d'activité risquent de s'en trouver affaiblies, en les privant d'une proportion substantielle de leurs membres effectifs ou éventuels. (Etude d'ensemble sur la liberté syndicale et la négociation collective, 1983, paragr. 131).
  3. 960. En conséquence, le comité exprime l'espoir que le projet de loi qui vise à rectifier la situation au regard de la loi de ce personnel de direction et d'encadrement (dont le Parlement est saisi depuis 1990) répondra aux préoccupations exposées ci-dessus. Le comité demande au gouvernement de le tenir informé de la situation relative à l'adoption du projet de loi, et de lui fournir une copie du texte dès qu'il aura été promulgué.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 961. Au vu des conclusions intérimaires qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) Le comité demande aux plaignants de fournir des renseignements détaillés sur les allégations de pratiques déloyales qui auraient frappé le personnel de direction et d'encadrement pour lui permettre d'examiner cet aspect du cas.
    • b) Le comité exprime l'espoir que le projet de loi qui vise à rectifier la situation du personnel de direction et d'encadrement tiendra compte des principes exprimés dans les conclusions ci-dessus concernant les droits de cette catégorie de salariés.
    • c) Le comité demande au gouvernement de le tenir informé de la situation relative à l'adoption du projet de loi, et de lui fournir une copie du texte dès qu'il aura été promulgué.
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