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Rapport intérimaire - Rapport No. 281, Mars 1992

Cas no 1598 (Pérou) - Date de la plainte: 20-AOÛT -91 - Clos

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  1. 463. La plainte de la Confédération mondiale des organisations de la profession enseignante (CMOPE) figure dans une communication du 20 août 1991. Le gouvernement a répondu par des communications du 30 octobre 1991 et du 20 janvier 1992.
  2. 464. Le Pérou a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégations du plaignant

A. Allégations du plaignant
  1. 465. Dans sa communication du 20 août 1991, la Confédération mondiale des organisations de la profession enseignante (CMOPE) allègue que, le 7 mars 1991, le Syndicat unifié des travailleurs de l'éducation du Pérou (SUTEP) a présenté un ensemble de revendications concernant les conditions de travail des enseignants au ministre de l'Education, mais que celui-ci a refusé de se saisir de la question et de s'asseoir à la table de négociations. La CMOPE indique que le salaire mensuel des enseignants n'atteint pas 70 dollars des Etats-Unis alors que la Constitution prévoit que 20 pour cent du budget de l'Etat doivent être alloués à l'éducation. Le 6 avril 1991, face à cette situation, le SUTEP a lancé un appel à la grève illimitée dans tout le secteur de l'éducation afin d'amener les autorités à négocier; cette grève a commencé le 8 mai et a été suivie par la majorité des enseignants.
  2. 466. La CMOPE ajoute que, le 13 juillet 1991, le gouvernement a accordé unilatéralement, par le décret suprême no 154-91-EF, une augmentation de salaire dérisoire; le 22 juillet, il a décrété une situation d'urgence au ministère de l'Education et dans ses services régionaux (décret suprême no 0015-91-ED) et a suspendu de ses fonctions tout le personnel n'ayant pas repris le travail avant le 20 juillet (décret suprême no 0016-91-ED); le 5 août 1991, il a déclaré illégale la grève illimitée décrétée par le SUTEP et a ordonné à tous les enseignants en grève de reprendre le travail dans un délai de cinq jours, faute de quoi ils seraient considérés comme démissionnaires et les autorités régionales prendraient toutes les mesures nécessaires pour pourvoir les postes vacants.
  3. 467. De même, la CMOPE fait état de toute une série d'assassinats, d'arrestations et d'actes de violence à l'encontre des enseignants membres du SUTEP à partir du déclenchement de la grève dont la répression s'est soldée par l'arrestation temporaire de 2.000 enseignants, 20 disparitions et 14 assassinats. Ainsi, le 17 mai 1991, sept enseignants ont été arrêtés par l'armée dans la province d'Ayacucho; on a découvert par la suite les cadavres de cinq d'entre eux dans une fosse commune. Trois enseignants - Marcelino Navarro Pezo, Leopoldo Navarro Díaz et Luis Torres Camilo - ont disparu dans la province d'Ucayali-Pucallpa et un autre - Ardon Pariona - dans la province d'Huancavelica. Trois enseignants - Betty Panaifo, Nicolás Lavajo et Moisés Teneiro - ont été jetés d'un hélicoptère (ce fait a été dénoncé par l'un des survivants, resté accroché à un arbre). Dans la province de Pucará Puno ont été assassinés Porfirio Suni (13 mai 1991), ainsi que Pablo Mamani Marchena et Germán Macedo (24 mai 1991). Le 30 mai, les dirigeants du SUTEP, accompagnés de trois parlementaires et d'autres membres du syndicat, traversaient la place d'armes de Lima en direction de la Présidence de la République où ils avaient l'intention de demander audience à l'épouse du Président Fujimori afin qu'elle prenne position à propos des revendications des enseignants quand la police est intervenue. Sans négociation ni sommation, la police a sauvagement agressé le cortège pacifique des délégués des enseignants. A cette occasion, José Ramos Bosmediano, secrétaire général du SUTEP, Soledad Lozano Costa, sous-secrétaire général, et Olmedo Auris Melgar, chargé des relations internationales, ont été victimes de brutalités et arrêtés (M. Auris Melgar a perdu connaissance à cause des coups reçus de la police et de l'utilisation de gaz lacrimogène).

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 468. Dans ses communications du 30 octobre 1991 et du 20 janvier 1992, le gouvernement déclare sans fondement l'affirmation des plaignants selon laquelle le ministère de l'Education aurait refusé de discuter et d'analyser le cahier de revendications de 1991 présenté par le Syndicat unifié des travailleurs de l'éducation du Pérou (SUTEP), attendu que les arrêtés ministériels nos 111-91, du 8 février 1991, et 533-91-ED, du 7 mai 1991, dont il joint copie, ont permis d'instituer des commissions pour négocier avec cette organisation syndicale. Comme preuve de la concrétisation des accords adoptés lors des négociations directes avec le SUTEP, le gouvernement communique le texte de deux arrêtés: l'arrêté ministériel no 840-91-ED, du 5 juillet 1991, qui vise à accélérer et à actualiser les procédures de règlement judiciaire des ex-coopératives d'enseignants; et l'arrêté ministériel no 761-91-ED, du 18 juin 1991, qui prévoit pour les enseignants des primes par zone différenciée, en accord avec le point 11 du cahier de revendications 1991-SUTEP.
  2. 469. Le gouvernement déclare par ailleurs que le droit de grève des enseignants a été respecté par le ministère de l'Education qui leur a versé intégralement leurs rémunérations pour les mois de mai et de juin, alors qu'ils se trouvaient tous en grève; il ajoute que la grève avait sans doute un caractère politique.
  3. 470. Le gouvernement ajoute que, dans les limites de ses possibilités, réduites par le manque de ressources dont souffre le Trésor public à cause de la crise économique et financière que traverse l'Etat péruvien, il a accordé l'augmentation de rémunération à laquelle se réfère le décret suprême no 154-91-EF du 13 juillet 1991; cette majoration a été rejetée d'emblée par les dirigeants syndicaux qui n'ont accepté aucune explication quant à l'impossibilité matérielle d'octroyer une augmentation supérieure.
  4. 471. Le gouvernement indique que la situation d'urgence mentionnée dans les décrets suprêmes nos 0015-91-ED et 0016-91-ED tient au fait que, au 20 juillet 1991, il n'y avait eu que 15 jours de classe effectifs pour les élèves de tout le pays sur l'ensemble de ce semestre de l'année scolaire 1991 et qu'il était impératif pour des raisons sociales de sauver l'année scolaire. Face au droit de grève de 200.000 professeurs de l'enseignement public, il faut tenir compte du droit à l'éducation de 8 millions d'élèves provenant des couches sociales les plus pauvres du pays, qui ne peuvent pas fréquenter les écoles privées; c'est un principe juridique universellement reconnu que "le droit des uns s'arrête là où commence le droit des autres".
  5. 472. Le gouvernement juge inadmissible et inacceptable que l'organisation plaignante et le SUTEP soutiennent que l'on ait porté gravement atteinte à l'exercice de la liberté syndicale. Il communique à ce sujet le texte des arrêtés qui accordent un congé syndical rémunéré aux dirigeants nationaux du SUTEP, conformément aux dispositions de l'article 80 du règlement portant application de la loi sur les enseignants.
  6. 473. Enfin, le gouvernement indique que le ministère de l'Education n'a pas eu pour politique d'ordonner la répression ou l'arrestation de fonctionnaires ou enseignants du seul fait qu'ils étaient "grévistes"; si certains enseignants ont été interpellés par la police ou par les autorités militaires du fait des actes de violence ou pour s'être trouvés mêlés à des troubles ou désordres contre des personnes et contre des institutions publiques et privées ou pour des faits qui se sont produits dans les zones dites d'urgence, cela relève de la responsabilité individuelle de chaque citoyen qui dispose d'un droit de recours.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 474. Le comité observe que les allégations présentées par l'organisation plaignante concernent: 1) le refus des autorités d'entamer des négociations sur la base du cahier de revendications du personnel enseignant présenté par le SUTEP; 2) la décision du gouvernement de déclarer illégale la grève des enseignants, déclenchée le 8 mai 1991, et la menace de licencier ceux qui ne reprendraient pas le travail; 3) plusieurs assassinats, disparitions, arrestations et atteintes à l'intégrité physique de syndicalistes enseignants durant la grève.
  2. 475. En ce qui concerne les allégations relatives au refus des autorités d'entamer des négociations sur la base du cahier de revendications du SUTEP, le comité prend note de la teneur des arrêtés du ministère de l'Education communiqués par le gouvernement qui prévoient la constitution d'une commission de haut niveau chargée d'examiner les conditions de travail (de composition gouvernementale) (février 1991) et d'une commission bilatérale de négociation directe entre le ministère de l'Education et le SUTEP (mai 1991). Le comité note par ailleurs que, s'il n'y a pas eu d'accord sur la totalité des revendications du SUTEP (l'organisation plaignante affirme par exemple que le gouvernement a octroyé par décret une augmentation de salaire dérisoire), les arrêtés ministériels no 761-91-ED, du 18 juin 1991, et no 840-91-ED, du 5 juillet 1991, sanctionnent les accords auxquels sont parvenus, lors de négociations directes, le ministère de l'Education et le SUTEP sur certains points ("primes par zone différenciée" et "accélération et actualisation des procédures de règlement judiciaire des ex-coopératives d'enseignants"). Dans ces conditions, le comité estime que, contrairement aux allégations du plaignant, le gouvernement a bien entamé des négociations avec le SUTEP.
  3. 476. En ce qui concerne la décision du gouvernement de déclarer la grève illégale (8 mai 1991) et l'ordre donné aux enseignants de reprendre le travail sous peine de licenciement, le comité observe que, effectivement, le décret no 017-91-ED, du 5 août 1991, déclare illégale la grève décrétée par le SUTEP et demande aux enseignants de reprendre le travail (au plus tard le 9 août 1991), faute de quoi ils seront révoqués pour abandon de poste (auparavant, les décrets suprêmes nos 0015-91-ED et 0016-91-ED avaient proclamé une "situation d'urgence" dans le secteur de l'éducation et prévu de suspendre de leurs fonctions les enseignants qui n'auraient pas réintégré leur lieu de travail le 20 juillet 1991). A ce propos, le comité observe que le gouvernement fait remarquer qu'il n'y a eu que quinze jours de classe durant le premier semestre de 1991 et que, face au droit de grève de 200.000 professeurs, il faut aussi tenir compte du droit à l'éducation de 8 millions d'élèves.
  4. 477. A cet égard, le comité est conscient de la gravité de la situation décrite par le gouvernement dans le secteur de l'éducation. Cependant, il tient à signaler que la décision de déclarer la grève illégale a été prise par le gouvernement, en vertu d'un décret signé, entre autres, par le ministre de l'Education, c'est-à-dire par l'une des parties au conflit du travail opposant le gouvernement et le SUTEP. Le comité estime à ce propos que la décision de déclarer la grève illégale ne devrait pas appartenir au gouvernement mais à un organe indépendant des parties et jouissant de leur confiance, par exemple l'autorité judiciaire. Le comité demande donc au gouvernement de prendre des mesures afin que la législation réserve à un organe indépendant, par exemple à l'autorité judiciaire, la faculté de se prononcer sur la légalité ou l'illégalité de la grève. Il appelle en outre l'attention du gouvernement sur le fait que l'enseignement ne constitue pas un service essentiel au sens strict du terme et qu'en conséquence les enseignants devraient pouvoir exercer le droit de grève, dans les conditions conformes aux principes de la liberté syndicale.
  5. 478. En ce qui concerne les autres allégations (assassinats, disparitions, détentions temporaires et atteintes à l'intégrité physique de syndicalistes enseignants durant la grève), le comité déplore que le gouvernement se limite à déclarer en termes généraux que le ministère de l'Education n'a pas eu pour politique d'ordonner la répression ou l'interpellation d'enseignants du seul fait qu'ils étaient grévistes et que, si certains enseignants ont été arrêtés pour s'être trouvés mêlés à des troubles ou à des désordres, ils disposent d'un droit de recours. Le comité exprime sa grave préoccupation face à la gravité de ces allégations et demande instamment au gouvernement de fournir des réponses détaillées en précisant notamment si des enquêtes judiciaires ont été ouvertes afin d'établir pleinement les faits, de déterminer les responsabilités et de punir les coupables, notamment au sujet des cinq enseignants décédés après leur arrestation.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 479. Au vu des conclusions intérimaires qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) Le comité exprime sa préoccupation face à la gravité des allégations faisant état d'assassinats, de disparitions et d'atteintes à l'intégrité physique de syndicalistes enseignants durant une grève. Le comité demande instamment au gouvernement de fournir des réponses détaillées en indiquant notamment si des enquêtes judiciaires ont été ouvertes pour déterminer les responsabilités et sanctionner les coupables, notamment au sujet des cinq enseignants décédés après leur arrestation.
    • b) Le comité demande au gouvernement de prendre des mesures afin que la législation réserve à un organe indépendant, par exemple à l'autorité judiciaire, la faculté de se prononcer sur la légalité ou l'illégalité de la grève.
    • c) Le comité signale à l'attention du gouvernement que l'enseignement ne constitue pas un service essentiel au sens strict du terme et qu'en conséquence les enseignants devraient pouvoir exercer le droit de grève dans les conditions conformes aux principes de la liberté syndicale.
    • d) Le comité estime que les allégations faisant état d'un refus des autorités d'entamer des négociations sur la base du cahier de revendications du personnel enseignant n'appellent pas d'examen plus approfondi.
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