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Rapport intérimaire - Rapport No. 283, Juin 1992

Cas no 1615 (Philippines) - Date de la plainte: 18-DÉC. -91 - Clos

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  1. 401. Par une communication du 18 décembre 1991, la Fédération internationale des travailleurs du bâtiment et du bois (FITBB) a présenté une plainte en violation de la liberté syndicale contre le gouvernement des Philippines au nom d'un certain nombre de ses affiliés: les Syndicats de travailleurs associés, l'Association des syndicats, la Fédération du travail du sud des Philippines, l'Union des travailleurs du bois et des industries diverses des Philippines et la Fédération générale du travail.
  2. 402. Le gouvernement a présenté ses observations dans une communication du 17 janvier 1992.
  3. 403. Les Philippines ont ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégations de la fédération plaignante

A. Allégations de la fédération plaignante
  1. 404. La fédération plaignante soutient que la directive générale no 20, qui vise à "stabiliser les relations entre employeurs et travailleurs dans l'industrie du bâtiment", contrevient aux conventions nos 87 et 98 en ce qu'elle impose la création d'une unité de négociation au niveau de la branche d'activité et qu'elle a été utilisée pour obtenir le licenciement discriminatoire de certains travailleurs qui se sont livrés à des activités syndicales légitimes et ont exercé les droits fondamentaux que leur accorde la liberté syndicale.
  2. 405. Cette directive distingue "deux grandes catégories de travailleurs dans l'industrie du bâtiment, les travailleurs affectés à certains projets déterminés et les autres travailleurs. Les premiers sont ceux dont les tâches sont liées à un projet de construction précis, tandis que les seconds sont ceux qui travaillent pour une entreprise du bâtiment sans être affectés à un projet particulier. Les premiers n'ont pas droit à une indemnité de licenciement s'il est mis fin à leur emploi par suite de l'achèvement du projet ou de la phase du projet à laquelle ils sont employés, quel que soit le nombre de projets auxquels ils ont travaillé pour le compte d'une même entreprise. En outre, l'entreprise n'est pas tenue d'obtenir l'autorisation du Secrétariat au travail pour procéder au licenciement."
  3. 406. La directive prévoit également que: "... pour les travailleurs affectés à certains projets, l'unité de négociation collective est la branche d'activité, et non un projet particulier ... Les travailleurs d'un projet donné ne peuvent donc valablement constituer une unité de négociation collective. Ils peuvent toutefois adhérer au syndicat agréé de l'industrie du bâtiment." Cette imposition d'une unité de négociation au niveau de la branche d'activité, qui interdit aux travailleurs de constituer des unités de négociation au niveau de l'établissement ou de la société, viole manifestement le droit d'organisation et de négociation collective garanti par les conventions internationales du travail.
  4. 407. Les organisations affiliées à la FITBB ont demandé au gouvernement des Philippines d'abroger la directive générale no 20 au motif qu'elle est contraire aux dispositions de la Constitution du pays applicables au droit de négociation collective et à la promotion du syndicalisme, et que les employeurs de l'industrie du bâtiment l'invoquent pour exploiter les travailleurs de manière arbitraire en les classant tous dans la catégorie des travailleurs affectés à certains projets et en les privant ainsi de la sécurité de l'emploi et du droit de négocier collectivement. Le 13 février 1990, le ministère du Travail et de l'Emploi a répondu "qu'il n'y avait pas lieu d'abroger la directive no 20 car elle était devenue inopérante ... les travailleurs affectés à certains projets sont maintenant autorisés, comme les autres travailleurs, à s'organiser en syndicats et à constituer valablement des unités de négociation au niveau de l'entreprise". Le gouvernement soutient que l'arrêté ministériel no 111 a abrogé les dispositions contestées du Code du travail et que son article 243 garantit à tous les travailleurs le droit d'organisation et de négociation collective.
  5. 408. La fédération plaignante affirme que, malgré les assurances fournies par le gouvernement et exposées ci-dessus, les tribunaux du travail et certaines entreprises continuent à se fonder sur la directive générale no 20 pour justifier les mesures discriminatoires à l'encontre des travailleurs. A l'appui de cette assertion, elle donne l'exemple de travailleurs, affectés à certains projets, qui ont été licenciés pour avoir cherché à constituer des unités de négociation peu après avoir adhéré au syndicat de la société Algon Engineering Construction Corporation (ci-après appelée "Algon").
  6. 409. En février 1989, un groupe de travailleurs d'Algon a adhéré au syndicat de l'entreprise pour constituer une unité de négociation. Aussitôt, l'entreprise s'est livrée à des brimades et à des licenciements arbitraires à leur encontre; le syndicat a demandé l'intervention du Conseil national de conciliation et de médiation, mais les licenciements se sont poursuivis. Algon continuant à licencier les syndicalistes en s'appuyant sur les dispositions de la directive générale no 20, le syndicat a déposé un préavis de grève le 4 mars 1989. Au moins cinq des travailleurs licenciés étaient d'importants responsables syndicaux et certains avaient plus de vingt ans d'ancienneté. Ainsi donc, soutient le syndicat, même si la directive no 20 avait encore été applicable (ce que nie le gouvernement), les travailleurs visés ne pouvaient pas être légalement qualifiés de "travailleurs temporaires affectés à certains projets". Les syndicalistes se sont mis en grève pour répondre aux attaques antisyndicales et aux pratiques déloyales en matière de travail de l'entreprise. Algon a poursuivi en justice le syndicat, ses cadres et ses dirigeants pour dommages et intérêts pour pertes de gains durant la grève.
  7. 410. Le 4 octobre 1989, la Commission nationale des relations professionnelles (CNRP) a estimé que la grève était illégale au motif que le syndicat n'avait pas déposé le préavis de sept jours requis et qu'elle-même était en train d'enquêter sur les accusations de pratiques déloyales en matière de travail au moment de ladite grève. Le syndicat a contesté les licenciements illégaux devant la CNRP qui a estimé, le 31 octobre 1989, que cinq des travailleurs licenciés n'étaient pas des travailleurs affectés à certains projets et que leur licenciement était donc illégal; la commission a ordonné qu'ils soient réintégrés et qu'on leur verse le salaire échu depuis la date de leur licenciement.
  8. 411. Le syndicat a fait appel devant la Cour suprême en se fondant notamment sur les arguments suivants: a) la grève était légale puisque la tactique appliquée par l'employeur constituait une pratique déloyale en matière de travail; b) la décision prise le 31 octobre par la CNRP doit s'appliquer à l'ensemble des travailleurs ayant participé à la grève, puisque le ministère du Travail a déclaré que la directive générale no 20 était devenue inopérante et que tous les travailleurs doivent avoir le même droit de participer à des activités syndicales.
  9. 412. Les syndicats attendent toujours que le tribunal rende une décision qui leur soit favorable et qui interdise véritablement aux entreprises de classer leurs salariés dans la catégorie des travailleurs temporaires affectés à certains projets déterminés et protège leur droit d'organisation et de négociation collective. La fédération plaignante conclut en disant que le gouvernement contrevient aux conventions nos 87 et 98 du fait que les tribunaux du travail et les entreprises qui appliquent la directive générale no 20 continuent à agir de manière discriminatoire, alors que l'ensemble des travailleurs de la construction devraient bénéficier maintenant du droit d'organisation et de négociation collective et qu'ils devraient être protégés contre les pratiques déloyales en matière de travail.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 413. Dans sa communication du 17 janvier 1992, le gouvernement déclare que la directive générale no 20 a été émise en 1977 à l'époque où le gouvernement précédent des Philippines avait choisi la formule du syndicat unique par branche d'activité. Cette directive, promulguée par le ministre du Travail de l'époque, avait simple valeur de lignes directrices, et non de loi, de décret présidentiel ou d'arrêté ministériel. Elle a été abrogée en 1987 par l'arrêté ministériel no 111 qui a supprimé le système du syndicat unique par branche d'activité, alors en vigueur. L'arrêté, qui accorde à tous les travailleurs le droit d'organisation et de négociation collective, autorise les travailleurs affectés à certains projets déterminés, comme les autres travailleurs, à se syndiquer. La directive générale no 20 n'est plus en vigueur et n'est plus applicable.
  2. 414. En ce qui concerne le cas Algon, qui est examiné actuellement par la Cour suprême, les seuls points soulevés sont:
    • - la légalité de la grève, qui a été jugée contraire non pas à la directive générale no 20 mais à d'autres textes juridiques;
    • - la réintégration de tous les autres travailleurs, ce qui soulève la question de savoir si ces travailleurs font véritablement partie de l'équipe permanente dont les membres sont affectés à différents projets de l'entreprise défenderesse (le gouvernement rappelle à ce sujet que le ministère du Travail a déclaré catégoriquement que la directive générale no 20 était devenue inopérante);
    • - les dommages causés qui n'ont aucun rapport avec la directive générale no 20.
  3. 415. Le gouvernement conclut qu'il n'existe aucun élément établissant que la directive générale no 20, sous sa forme actuelle, puisse encore porter atteinte aux droits syndicaux des travailleurs du bâtiment et il espère que la plainte sera classée.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 416. Le comité note que le présent cas porte sur deux questions: le droit des travailleurs temporaires de s'affilier au syndicat de leur choix; le cas particulier des travailleurs licenciés par une entreprise privée, l'entreprise Algon, qui se serait fondée sur ladite directive pour justifier des licenciements.
  2. 417. Le comité rappelle que les travailleurs sans distinction d'aucune sorte doivent avoir le droit de constituer les organisations de leur choix et de s'y affilier, qu'il s'agisse de travailleurs permanents ou de travailleurs affectés à un projet pour une période temporaire.
  3. 418. Le comité observe qu'une certaine incertitude demeure quant au statut juridique de la directive générale no 20 qui est à l'origine de la plainte. Bien que le gouvernement indique qu'elle n'est ni applicable ni en vigueur, il apparaît qu'elle n'a jamais été abrogée formellement, comme le montre clairement la lettre du 2 février 1990 du secrétaire d'Etat à l'Association des syndicats (ACTU-TUPE)
  4. 419. Le comité note en outre que, cinq ans après sa prétendue abrogation, la directive générale no 20 sert toujours de justification aux entreprises comme Algon pour licencier des travailleurs du bâtiment. Il apparaît également que les tribunaux du travail utilisent encore la distinction établie par ladite directive puisque, aussi récemment que le 31 octobre 1989, la Commission nationale des relations professionnelles a ordonné à Algon de réintégrer cinq des salariés lienciés en s'appuyant sur le fait qu'ils n'étaient pas des travailleurs affectés à certains projets déterminés. Ces faits renforcent l'allégation de la fédération plaignante selon laquelle, malgré les intentions déclarées du gouvernement et son assurance que la directive générale no 20 était inopérante, cette directive sert encore de justification à certains employeurs pour licencier des travailleurs et qu'elle est invoquée par les tribunaux du travail dans leurs décisions. Afin de résoudre toute ambiguïté et de prévenir de tels problèmes, le comité demande au gouvernement d'abroger formellement la directive no 20 et de communiquer le texte d'abrogation.
  5. 420. En ce qui concerne le cas particulier des travailleurs licenciés par Algon, le comité note qu'un certain nombre d'entre eux ont été licenciés peu après avoir adhéré au syndicat et avoir tenté de constituer une unité de négociation. Cette concomitance suggère que des motifs de discrimination antisyndicale étaient à l'origine de ces licenciements. Le comité ne dispose toutefois pas d'éléments suffisamment probants pour trancher dans un sens ou dans un autre. L'arrêt que doit rendre la Cour suprême l'aidera certainement à apprécier pleinement les faits de la cause, et c'est pourquoi il demande au gouvernement de lui communiquer le texte de cet arrêt de la Cour suprême avec ses attendus dès qu'il sera rendu.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 421. Au vu des conclusions intérimaires qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) Le comité rappelle que les travailleurs sans distinction d'aucune sorte, qu'ils aient un statut permanent ou temporaire doivent avoir le droit de constituer les syndicats de leur choix et de s'y affilier.
    • b) Le comité invite le gouvernement à prendre des mesures pour abroger expressément la directive générale no 20 dans son intégralité et à lui communiquer le texte d'abrogation.
    • c) Le comité demande au gouvernement de lui communiquer l'arrêt de la Cour suprême dans l'affaire Algon avec ses attendus dès qu'il sera rendu.
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