Afficher en : Anglais - Espagnol
- 972. La plainte figure dans une communication jointe en date du 10 avril 1992, présentée par la Confédération générale des travailleurs du Pérou (CGTP), la Confédération des travailleurs du Pérou (CTP), la Confédération des travailleurs de la révolution péruvienne (CTRP), la Confédération nationale des travailleurs du Pérou (CNT), la Confédération autonome des travailleurs du Pérou (CATP), la Confédération intersectorielle des agents publics du Pérou (CITE), la Confédération des travailleurs de l'électricité et de l'énergie, la Fédération nationale des travailleurs du pétrole et des secteurs connexes du Pérou (FENPETROL), la Fédération nationale des travailleurs de l'eau potable et des égouts du Pérou (FENTAP), la Fédération nationale des travailleurs de l'Office national des ports (FENTENAPU), la Fédération nationale des travailleurs des mines, de la métallurgie et de la sidérurgie du Pérou (FNTMMSP), la Fédération nationale des travailleurs du textile du Pérou (FNTTP), la Fédération des travailleurs des drogueries et des laboratoires du Pérou, la Coalition nationale des syndicats des entreprises d'Etat du Pérou (CONSIDEP), le Syndicat unique des travailleurs de l'enseignement du Pérou (SUTEP), le Syndicat des travailleurs de la Compagnie péruvienne des téléphones (STCTP), le Syndicat national des travailleurs de la Société nationale des aéroports (SITRACOR), le Syndicat national des travailleurs de la Banque de la nation (SINATBAN), le Syndicat de Sedapal, le Syndicat des travailleurs de Bata, l'Association médicale de l'Institut péruvien de sécurité sociale, le Front national de défense de la sécurité sociale, le Centre culturel des travailleurs d'el Callao, la Centrale nationale des retraités et pensionnés du Pérou et la Fédération des industries graphiques du Pérou. Ultérieurement, les organisations plaignantes ont envoyé des informations complémentaires dans des communications datées des 6 juin et 6 juillet 1992.
- 973. Le gouvernement a envoyé ses observations dans des communications en date des 11 mai et 24 juin 1992.
- 974. Le Pérou a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations des organisations plaignantes
A. Allégations des organisations plaignantes
- 975. Dans leur communication du 10 avril 1992, les organisations plaignantes allèguent que, le 5 avril 1992, le pouvoir exécutif a décrété unilatéralement et inconstitutionnellement la dissolution du Parlement national, la mise sous contrôle du pouvoir judiciaire, du Tribunal des garanties constitutionnelles, du Conseil national de la magistrature, de la Contrôlerie générale de la République et du Tribunal national des questions électorales et, d'une manière générale, la restructuration de tout l'appareil d'Etat. Le pouvoir exécutif a ordonné la concentration de tout le pouvoir législatif entre les mains du gouvernement, ainsi que la suspension de la Constitution politique du Pérou pour tout ce qui s'oppose aux projets du nouveau gouvernement d'urgence et de reconstruction nationale, formé le 5 avril 1992. Les organisations plaignantes ajoutent que le jour même le président du commandement unifié des forces armées du Pérou, les commandants en chef de l'armée de terre, de la marine et des forces aériennes et le directeur général de la police nationale ont publié le communiqué no 001, dans lequel ils déclarent appuyer sans réserve la décision du pouvoir exécutif et instituent un contrôle militaire sur toutes les institutions nationales, les sièges des partis politiques, les organisations syndicales et les moyens d'information. Dans la soirée du même jour, la chasse aux représentants des pouvoirs publics, aux parlementaires, aux journalistes et aux dirigeants politiques et syndicaux a commencé, et certains ont été confinés dans des enceintes de sécurité militaire; on a également appris l'arrestation et la disparition ultérieure de certaines de ces personnes. Les organisations plaignantes signalent que les dirigeants syndicaux suivants ont été arrêtés: le député Luis Negreiros Criado (membre du comité exécutif national de la Fédération nationale des travailleurs de l'Office national des ports), le député César Barrera Bazán et Mme Soledad Lozano (dirigeants du Syndicat unique des travailleurs de l'enseignement du Pérou); M. Olmedo Auris (dirigeant syndical du Syndicat unique des travailleurs de l'enseignement). Ce dernier a été arrêté et a disparu par la suite. D'après les organisations plaignantes, le sénateur Hugo Blanco Galdós (secrétaire de la Confédération paysanne du Pérou) a trouvé asile à l'ambassade du Mexique; par ailleurs, les sièges de la Confédération générale des travailleurs du Pérou (CGTP) et de la Confédération des travailleurs du Pérou (CTP) ainsi que leurs bureaux départementaux et provinciaux ont été investis militairement.
- 976. Les organisations plaignantes ajoutent qu'en vertu de l'"état d'urgence" décrété par le gouvernement et renouvelé tous les soixante jours depuis plusieurs années déjà, les garanties constitutionnelles touchant l'inviolabilité de la personne et du domicile, la liberté de mouvement, le droit de réunion, et d'autres droits sont suspendus sur le territoire national.
- 977. Les organisations plaignantes indiquent que la rupture de l'ordre constitutionnel vient couronner une situation de crise politique, économique et institutionnelle grave, dont il faut rechercher l'une des causes essentielles dans les retombées des politiques de réforme structurelle appliquées de manière unilatérale et autoritaire sur la base des normes établies par les organismes financiers internationaux. Le gouvernement actuel a introduit un programme de stabilisation et d'ajustement structurel extrêmement dur, tel que le pays n'en avait jamais connu, violant systématiquement la liberté de négociation collective et le droit de grève. Les organisations plaignantes indiquent également que le gouvernement a promulgué le décret législatif no 757, récemment confirmé par le décret suprême no 040-92-PCM, concernant le remplacement du système de réajustement automatique des rémunérations en fonction de l'indice du coût de la vie par celui de la fixation des rémunérations en fonction de l'augmentation de la production. Le gouvernement a également promulgué le décret-loi no 25.593, qui limite les droits d'organisation, de négociation collective et de grève. (Toutes ces questions sont traitées plus en détail par les plaignants dans les cas nos 1648 et 1650, et le comité les examinera dans le cadre de ces cas lorsqu'il aura reçu la réponse du gouvernement.)
- 978. Enfin, étant donné la gravité des questions exposées, les organisations plaignantes sollicitent l'envoi d'une mission de contacts directs.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement
- 979. Dans une première communication du 11 mai 1992, le gouvernement avait déclaré que le local du SUTEP n'avait à aucun moment été investi, la force publique n'ayant fait qu'y pénétrer momentanément pour arrêter provisoirement M. Olmedo Auris Melgar, secrétaire général de cette organisation, afin de prévenir des atteintes à l'ordre public et la détérioration de biens appartenant à l'Etat; ce responsable avait par la suite été remis en liberté et une surveillance avait été établie à titre temporaire à l'extérieur du local en question.
- 980. Dans sa communication du 2 juin 1992, le gouvernement déclare que, le 5 avril 1992, le Président de la République a décrété la dissolution du Parlement et la réorganisation complète du pouvoir judiciaire, en raison de la corruption régnant dans l'administration de la justice et du comportement paralysant du Parlement; ce dernier entravait l'action de l'exécutif et avait pratiquement renoncé à sa fonction législative pour critiquer à l'excès, dans de nombreux cas sans fondement, les actes du pouvoir exécutif (les facultés constitutionnelles conférées à ce dernier pour légiférer au moyen de décrets ayant force de loi ont été mises en application dans le respect des prescriptions légales.)
- 981. En ce qui concerne les allégations relatives à l'arrestation de certains dirigeants syndicaux, le gouvernement déclare que MM. Luis Negreiros, César Barrera et d'autres dirigeants nommés par les organisations plaignantes se trouvent en liberté. Quant à M. Hugo Blanco, aucun mandat d'arrêt émanant de la justice ou de la police n'a jamais été délivré contre lui, de sorte que, s'il a cherché asile dans une ambassade, c'est à titre volontaire. Le gouvernement indique par ailleurs (sous réserve de ce qu'il a déclaré au sujet du local du SUTEP) qu'il n'est pas exact que les locaux des syndicats aient été ou soient actuellement investis militairement, et il explique que, pour garantir l'intégrité des personnes, des locaux et des institutions publiques et privées, des patrouilles ont été organisées dans la ville pour éviter les débordements sociaux, en raison essentiellement du phénomène du terrorisme et de la subversion que le pays endure. Le gouvernement déclare que l'élaboration d'un programme démocratique assorti d'un calendrier d'exécution précis a commencé en vue de l'établissement de l'état de droit, dans le cadre duquel l'Etat exercera tous les pouvoirs dont il est investi conformément aux normes constitutionnelles et démocratiques.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité
- 982. Le comité note que les allégations des organisations plaignantes ont trait à diverses mesures adoptées par le gouvernement dans le cadre de la restructuration de tout l'appareil d'Etat. En ce qui concerne les aspects spécifiquement syndicaux, les plaignants mentionnent l'intervention de la force armée au siège des organisations syndicales, l'état d'urgence décrété par le gouvernement et renouvelé tous les soixante jours qui suspend les garanties constitutionnelles, et l'arrestation et la disparition de dirigeants syndicaux lors des événements du 5 avril 1992.
- 983. Le comité prend note, d'une manière générale, des déclarations du gouvernement selon lesquelles les mesures adoptées le 5 avril 1992 (dissolution du Parlement, réorganisation du pouvoir judiciaire) ont été suscitées par la corruption régnant dans l'administration de la justice et le comportement paralysant du Parlement, lequel entravait l'action du pouvoir exécutif, en renonçant pratiquement à sa fonction législative. Le comité note également que, d'après le gouvernement, les dirigeants syndicaux arrêtés ont été relâchés, et il observe par ailleurs que le gouvernement nie que les sièges des syndicats aient été investis militairement et affirme qu'afin de garantir l'intégrité des personnes, des locaux et des institutions publiques et privées, des patrouilles ont été organisées dans la ville pour éviter les débordements sociaux, en raison essentiellement du phénomène du terrorisme et de la subversion que le pays endure.
- 984. Le comité rappelle qu'il n'a pas compétence pour traiter d'allégations de nature purement politique, mais qu'il lui appartient d'examiner les dispositions de nature politique prises par un gouvernement dans la mesure où elles peuvent avoir des répercussions sur l'exercice des droits syndicaux. (Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, troisième édition, 1985, paragr. 199.) Le comité renvoie à cet égard aux conclusions qu'il a adoptées à sa session de mai 1992 au sujet des cas nos 1478 et 1484 concernant le Pérou, dans lesquelles il a déploré "la situation tragique qui prévaut dans le pays et qui se caractérise par une crise institutionnelle, économique et sociale". (Voir 283e rapport du comité, paragr. 72.) Bien qu'il soit conscient du fléau du terrorisme qui sévit dans le pays, le comité ne peut que déplorer les graves répercussions que les mesures politiques adoptées par le pouvoir exécutif ont eues sur l'exercice des droits syndicaux, et concrètement les restrictions des droits fondamentaux en vertu de l'état d'urgence déclaré à plusieurs reprises, l'arrestation de quatre dirigeants syndicaux et la descente effectuée en tout cas au siège du SUTEP.
- 985. En ce qui concerne le renouvellement de la déclaration de l'état d'urgence tous les soixante jours et la suspension des garanties constitutionnelles qui en résulte, le comité, compte tenu du fait que le gouvernement ne formule pas d'observations particulières à cet égard et que l'état d'urgence a été déclaré à maintes reprises, signale à l'attention du gouvernement, comme indiqué dans la résolution concernant les droits syndicaux et leurs relations avec les libertés civiles, adoptée par le Conférence internationale du travail en 1970, que "les droits conférés aux organisations de travailleurs et d'employeurs doivent se fonder sur le respect des libertés civiles et que l'absence de ces libertés civiles enlève toute signification au concept des droits syndicaux". Le comité émet donc l'espoir que les droits fondamentaux reconnus par la Constitution nationale, qui sont essentiels pour l'exercice des droits syndicaux, pourront être restaurés durablement dès que possible.
- 986. En ce qui concerne l'arrestation de dirigeants syndicaux, le comité note que ces dirigeants se trouvent actuellement en liberté et observe que le gouvernement n'a pas expliqué cas par cas les motifs de ces arrestations. Il ne peut dans ces conditions que déplorer ces arrestations et appeler l'attention du gouvernement sur le fait que l'arrestation et la détention de syndicalistes, sans que leur soit imputé un délit, ou sans qu'il existe un mandat judiciaire, ou sans qu'il soit constaté qu'ils ont participé à des actes de terrorisme, constituent une grave violation des droits syndicaux. Dans le cas du dirigeant syndical Olmedo Auris (qui, selon le gouvernement, a été arrêté provisoirement par les forces armées et que les organisations plaignantes tiennent pour disparu), le comité demande au gouvernement d'indiquer clairement si l'intéressé a disparu ou s'il se trouve en liberté et, dans la première hypothèse, d'ouvrir une enquête judiciaire en le tenant informé à cet égard.
- 987. Quant aux perquisitions que les autorités publiques auraient effectuées dans des locaux syndicaux, le comité constate que le gouvernement reconnaît simplement que la force publique a pénétré dans l'un des locaux pour y procéder à une arrestation. A cet égard, le comité doit signaler au gouvernement qu'en dehors des perquisitions effectuées sur mandat judiciaire l'intrusion de la force publique dans les locaux syndicaux constitue une grave et injustifiable ingérence dans les activités syndicales.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 988. Au vu des conclusions intérimaires qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Bien qu'il soit conscient du fléau du terrorisme qui sévit dans le pays, le comité déplore une fois de plus la situation tragique qui y prévaut et qui se caractérise par une crise institutionnelle, économique et sociale qui a de graves répercussions négatives sur la vie syndicale.
- b) Par ailleurs, étant donné que l'état d'urgence a été déclaré et prorogé à plusieurs reprises, le comité exprime l'espoir que les droits fondamentaux reconnus par la Constitution nationale pourront être exercés normalement et durablement le plus rapidement possible.
- c) Tout en notant que les dirigeants syndicaux arrêtés sont en liberté, le comité ne peut que déplorer les arrestations effectuées et signaler à l'attention du gouvernement que l'arrestation et la détention de syndicalistes, sans que leur soit imputé un délit, ou sans qu'un mandat judiciaire existe, ou sans qu'il soit prouvé qu'ils ont participé à des actes de terrorisme, constituent une grave violation des droits syndicaux.
- d) En ce qui concerne le dirigeant syndical Olmedo Auris (qui, d'après le gouvernement, a été arrêté provisoirement par les forces armées et que les organisations plaignantes tiennent pour disparu), le comité demande au gouvernement d'indiquer clairement si l'intéressé a disparu ou s'il se trouve en liberté et, dans la première hypothèse, d'ouvrir une enquête judiciaire et de fournir des informations à cet égard.