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Rapport où le comité demande à être informé de l’évolution de la situation - Rapport No. 287, Juin 1993

Cas no 1643 (Maroc) - Date de la plainte: 15-AVR. -92 - Clos

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  1. 159. Par des communications respectivement datées des 15 avril et 17 juin 1992, la Confédération internationale des syndicats libres (CISL) et l'Union marocaine du travail (UMT) ont présenté des plaintes en violation des droits syndicaux au Maroc. La CISL a présenté de nouvelles allégations les 4 mai et 25 juin 1992 et l'UMT le 19 juin 1992.
  2. 160. Le gouvernement a envoyé ses observations sur ce cas dans une communication datée du 9 février 1993.
  3. 161. Le Maroc n'a pas ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948; en revanche, il a ratifié la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégations des organisations plaignantes

A. Allégations des organisations plaignantes
  1. 162. Selon la plainte de la CISL du 15 avril 1992, des membres de l'UMT ont fait l'objet d'une campagne de discrimination antisyndicale. La CISL explique que des travailleurs ont été persécutés pour leurs activités liées à des tâches purement syndicales dans les entreprises Nemtav, Cabelec et Youssoufia de l'Office chérifien des phosphates.
  2. 163. Le conflit au sein de l'entreprise Nemtav s'est déclaré, selon la CISL, à la suite de la création d'un syndicat de base de l'UMT le 31 octobre 1990. Les neuf membres du bureau exécutif du syndicat en question ont été licenciés cinq jours après sa création. Pour la CISL, cet acte constitue une tentative délibérée de la part de la direction d'intimider les membres du syndicat et d'étouffer les revendications syndicales. L'employeur a été, par la suite, obligé de reconnaître le syndicat, de réintégrer les neuf dirigeants licenciés et d'accorder une amélioration des conditions de travail. Il a cependant continué à agir de mauvaise foi puisqu'il a, jusqu'à maintenant, refusé de mettre en oeuvre la majorité des dispositions de l'accord auquel il avait consenti. Le syndicat s'est vu contraint de recourir à plusieurs actions de grève afin d'obliger la direction à exécuter ce qui avait été négocié. Le 12 octobre 1991, par une autre tentative d'intimidation des travailleurs, la direction a licencié M. Mohammed Abalagh, secrétaire général adjoint du syndicat, pour avoir activement poursuivi les revendications syndicales. A la suite des pressions exercées sur la direction, celle-ci a réintégré M. Abalagh le 21 octobre, mais l'a de nouveau licencié en date du 30 octobre 1991.
  3. 164. La CISL ajoute que, pour exprimer leur solidarité avec M. Abalagh, les travailleurs se sont mis en grève le 11 décembre 1991. La direction, par mesure de représailles, a convoqué un certain nombre de briseurs de grève et de provocateurs qui ont brutalisé des grévistes. La police, appelée par la direction, a également chassé des grévistes en utilisant des moyens de force disproportionnés. Quatre grévistes ont été arrêtés: MM. Ali Menana Mustapha; Gounine Mohammed; Haddou Ait Ahmed et Mukhliss Redouane. Le 20 décembre 1991, M. El Hani Abdelhafid, secrétaire général du syndicat, a été à son tour arrêté. La police a également tenté d'arrêter dix autres grévistes afin de les faire juger pour la seule raison de leur participation légale à une grève.
  4. 165. A ce jour, selon la CISL, 58 travailleurs licenciés pour faits de grève n'ont pas été réintégrés. Trois des cinq travailleurs arrêtés (MM. Ali Menana Mustapha, Gounine Mohammed et El Hani Abdelhafid) ont été condamnés à des peines d'emprisonnement allant de cinq à dix mois. La direction de l'entreprise Nemtav continue à faire appel à des hommes de main et à des provocateurs pour harceler, menacer et brutaliser les travailleurs syndiqués. Une des récentes victimes, M. Hitla Abderrazak, a été frappé d'incapacité de travail pendant vingt jours à la suite d'une attaque survenue le 22 décembre 1991. L'UTM a présenté des réclamations auprès des autorités et de la direction, mais elles n'ont produit aucun effet.
  5. 166. Le 4 février 1992, la direction de l'entreprise a refusé catégoriquement de réintégrer les 58 travailleurs concernés ainsi que de mettre en oeuvre l'accord conclu antérieurement. Nonobstant les violations des pratiques de travail fondamentales de la part de la direction de Nemtav, les autorités gouvernementales ont continué d'accorder des contrats publics à la société.
  6. 167. Dans sa communication du 19 juin 1992, l'UMT indique que M. Zaghouri Mohamed, syndicaliste UMT de la société Nemtav, a été arrêté le 16 juin 1992 par la police de Hay Mohamadi-Ain Sebaa de Casablanca pour sa participation à la grève du 11 décembre 1991. Huit syndicalistes de cette entreprise demeurent recherchés par la police sur la base du délit d'entrave à la liberté du travail en rapport avec la grève des travailleurs de Nemtav.
  7. 168. S'agissant de l'entreprise Cabelec, la CISL indique que le "Grand wilaya" de Casablanca a conclu, lors de sa réunion du 31 décembre 1991, que la décision de la direction de licencier Mme Hajji Mahjouba au mois de novembre 1991 était illégale, et a par la suite informé la direction que la personne en question devait être réintégrée dans ses fonctions. Après le refus de la direction de donner suite à cette décision, les 260 travailleurs de Cabelec ont déclenché une grève. Mme Hajji Mahjouba a été, selon la CISL, harcelée par son chef de section, le 23 octobre 1991, pour des activités syndicales. A l'époque, cette personne était enceinte de six mois. Elle a été transportée d'urgence, dans le coma, à l'hôpital, et des certificats médicaux justifiant d'un congé de maladie de cinquante jours lui ont été délivrés. Cependant, quinze jours après la reprise de ses fonctions, elle a été licenciée tandis que son agresseur a été libéré après avoir été arrêté pendant trois jours et que la direction n'a pas pris de mesures disciplinaires à l'encontre de ce dernier.
  8. 169. La société paraétatique Office chérifien des phosphates (OCP) a, quant à elle, jusqu'à présent refusé de respecter le jugement du 28 mai 1987 qui l'avait condamnée: i) à la réintégration dans leurs postes de travail de 23 travailleurs licenciés illégalement, et, ii) en cas de non-respect de cette décision, au paiement des indemnités prévues par la législation du travail. La direction occupe également, de façon illégale et en violation de la législation nationale, les locaux syndicaux au sein de l'entreprise. Les autorités soutiendraient l'attitude antisyndicale adoptée de longue date par cette société paraétatique.
  9. 170. Dans sa communication du 4 mai 1992, la CISL se réfère à la situation au sein de l'entreprise Lassif de Tanger. Elle explique que, le 21 avril 1992, la police marocaine a eu recours à la force pour réprimer une grève des 290 travailleurs de cette société qui demandaient la réintégration de sept travailleurs licenciés pour faits de grève. De plus, le 28 avril 1992, les travailleurs de cette société ont été encerclés devant le siège de leur union à Tanger par la police et matraqués. Plusieurs d'entre eux ont eu des membres fracturés et d'autres ont été gravement blessés au point, pour certains d'entre eux, d'être dans un état comateux. Les autorités de la ville de Tanger ont ensuite ordonné l'arrestation et le jugement de quatre syndicalistes (Mechaouri Mohamed, Salah Zmalmir, Abdellatif Taimoussi, Allami Ambouri).
  10. 171. Dans sa plainte du 17 juin 1992, l'UMT déclare que le 4 juin 1992 la police de la préfecture de Ain Sebaa de Casablanca a procédé à l'arrestation arbitraire de deux dirigeants syndicaux de l'Union marocaine du travail appartenant à la minoterie Fassia de Casablanca. Le lendemain, 5 juin 1992, ces deux syndicalistes, MM. Ghasali Mohamed et Batte Mohamed, ont été présentés au tribunal de première instance de Casablanca qui, en l'absence de la défense et sans aucune garantie de procédure, a prononcé une peine de cinq mois de prison ferme à leur encontre au motif d'entrave à la liberté du travail. L'Union marocaine du travail précise qu'il s'agit là d'une escalade dans la répression antisyndicale et d'une nouvelle violation caractérisée de la liberté syndicale. Dans le cas d'espèce, le bureau syndical UMT de la minoterie Fassia avait, le 8 janvier 1992, présenté ses revendications par écrit à la direction, qui s'était alors refusée à toute discussion et même à tout contact avec les représentants syndicaux.
  11. 172. L'UMT explique qu'après avoir épuisé tous les recours les travailleurs de la minoterie ont entrepris, à partir du 21 avril 1992, des arrêts de travail pour faire valoir leurs légitimes revendications matérielles et professionnelles. L'action des travailleurs de cette minoterie a suscité la solidarité de tous les travailleurs des minoteries de Casablanca qui ont observé à ce titre une grève générale le 21 mai 1992. Au lieu d'ouvrir une négociation de bonne foi sur les revendications des travailleurs, la direction de cet établissement et les autorités publiques ont, dans une collusion caractérisée, eu recours à la répression et à des motifs fallacieux pour arrêter et condamner, dans un jugement expéditif, ces deux militants. Une fois de plus, selon l'UMT, le prétexte de l'entrave à la liberté du travail vient frapper des syndicalistes dont toute initiative peut ainsi être qualifiée de contraire à la liberté du travail.
  12. 173. Dans sa communication du 19 juin 1992, l'UMT cite d'autres exemples d'entreprises où des campagnes de répression et de discrimination auraient été exercées contre ses militants. Ainsi, au sein de l'entreprise Super Rifle, filiale au Maroc d'une multinationale du textile, la direction de l'usine a répondu au premier cahier revendicatif déposé par le syndicat UMT par le licenciement de 12 travailleurs dont quatre délégués syndicaux. Ceci a contraint les travailleurs de cet établissement à recourir à la grève à partir du 13 février et jusqu'au 14 avril 1992, date à laquelle la direction a accepté la signature d'un protocole d'accord prévoyant la réintégration des licenciés et la satisfaction partielle des revendications du syndicat.
  13. 174. Cependant, la direction n'a absolument pas appliqué le protocole. Au contraire, Super Rifle a recruté une brigade de 30 individus affectés à l'intimidation avec voies de faits sur les travailleurs, et le bureau syndical en particulier. Le secrétaire général du syndicat UMT de l'usine, M. Andam Ahmed, qui a personnellement et à plusieurs reprises été victime des provocations et des violences de cette brigade, a saisi, par écrit, les autorités publiques, et en particulier le gouverneur de la préfecture de Ain Sebaa, Hay Moahamadi (21 avril 1992) et le procureur du Roi (13 mai 1992). Le 17 mai 1992, le syndicat unique UMT des textiles a organisé un meeting de protestation à Casablanca et dépêché une délégation à ce sujet auprès du gouverneur.
  14. 175. Malgré ces protestations, le secrétaire général du syndicat UMT de l'usine Super Rifle Maroc, M. Andam Ahmed, a été arrêté le 25 mai 1992 et condamné le 16 juin à une peine de trois mois de prison ferme. Le motif invoqué contre lui est, comme dans les cas précédents cités dans la plainte, l'entrave à la liberté du travail, assorti d'une fausse accusation de coups et blessures construite à partir de certificats médicaux de complaisance établis en faveur de l'un des membres du groupe de répression recruté par l'entreprise.
  15. 176. Dans le cas de Fertima, société d'engrais, filiale de l'Office chérifien des phosphates (OCP) (organisme public situé à Kénitra), les travailleurs ont entrepris une action revendicative pour le simple respect de la législation du travail. Ils demandaient en particulier le respect du salaire minimum légal, l'établissement de conditions d'hygiène et de sécurité convenables ou, à tout le moins en conformité avec la législation, un régime indemnitaire, le versement des allocations familiales non perçues depuis trois ans et un terme à l'abus du travail temporaire. Toutes les démarches, par écrit, du syndicat de l'entreprise sont restées sans suite du fait du mutisme de la direction comme des autorités de la ville qui ont été à plusieurs reprises saisies de cette question par l'Union locale UMT de Kénitra. Le 15 juin 1992, alors que les travailleurs de Fertima se trouvaient à l'entrée de l'usine, les forces de l'ordre sont brutalement intervenues et ont procédé à l'arrestation de dix syndicalistes qui demeurent incarcérés et contre lesquels des poursuites pénales sont engagées sous le motif, là encore, d'entrave à la liberté du travail.
  16. 177. En conclusion, l'organisation plaignante, citant des exemples d'entreprises publiques où elle ne serait pas tolérée, déclare que l'absence de protection contre les actes de discrimination antisyndicale ne semble en aucune manière constituer une préoccupation pour les pouvoirs publics. Leur seule réponse sur ce point est de se référer à un projet de Code du travail qui, selon l'UMT, ne comporte aucune garantie et qui n'a pas fait l'objet de consultations des partenaires sociaux. C'est pourquoi, l'UMT a marqué sa surprise et sa totale réprobation lorsque, en mai 1992, le gouvernement a entrepris de faire adopter, dans sa première partie, ledit projet en commission parlementaire alors que ni les employeurs ni les travailleurs n'avaient auparavant été invités à en connaître.
  17. 178. Dans sa communication du 15 juin 1992, la CISL déclare que les événements survenus dans les entreprises Super Rifle, Fertima, Nemtav et El Fassia, mentionnés dans les communications de l'UMT, constituent de sérieuses atteintes aux droits syndicaux au Maroc.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 179. Dans sa communication du 9 février 1993, le gouvernement explique, en ce qui concerne les événements survenus dans l'entreprise Nemtav, que le conflit social dans cette entreprise trouve son origine dans le licenciement de M. Mohammed Abalagh qui a commis, selon les déclarations de son employeur, des fautes graves sous forme d'absences répétées du travail et de coups et d'insultes contre la direction. Après l'intervention du Service d'inspection du travail, l'intéressé a été réintégré dans son poste de travail; toutefois, s'étant à nouveau disputé avec son chef direct, il a été renvoyé définitivement.
  2. 180. Certains travailleurs ont alors décidé de mener une grève de solidarité avec M. Abalagh, grève qui, d'après le gouvernement, n'a pas été suivie par tous les travailleurs de la compagnie et qui a donné lieu à des incidents ayant causé des dégâts aux équipements de travail et aux voitures de l'entreprise ainsi qu'à des accrochages entre les travailleurs à la suite desquels les forces de l'ordre ont été appelées pour empêcher l'escalade des accrochages et imposer le respect de la liberté du travail. Après un accord portant sur la reprise du travail et la satisfaction de certaines revendications des travailleurs, y compris la titularisation d'un grand nombre de travailleurs temporaires, cette grève a pris fin au début de janvier 1992. Le gouvernement ajoute que, par la suite, 50 travailleurs temporaires ont quitté leur travail après avoir touché les indemnités prévues par la loi en vigueur et que l'affaire de M. Abalagh, qui travaille actuellement dans une autre entreprise du même secteur, est toujours en suspens après qu'il eut refusé les indemnités que la direction de l'entreprise a accepté de lui payer.
  3. 181. S'agissant de l'entreprise Cabelec, le gouvernement indique qu'en réponse à la décision de l'employeur de licencier Mme Hajji Mahjouba à cause d'une dispute qu'elle avait eue avec son chef direct, les travailleurs de cette entreprise ont mené une grève de solidarité avec la personne concernée. Suite aux interventions du Service d'inspection du travail, la direction a été convaincue de la nécessité de payer une indemnité forfaitaire à Mme Hajji Mahjouba. Les représentants des travailleurs ont toutefois décidé de poursuivre la grève à moins que l'entreprise ne prenne des mesures disciplinaires contre le chef direct de cette travailleuse. En date du 7 février 1992, la direction, les représentants des travailleurs et un représentant du syndicat de l'UMT ont signé un protocole d'accord qui, selon la déclaration du gouvernement, n'abordait pas l'origine du conflit, c'est-à-dire le licenciement de Mme Hajji Mahjouba. Cette dernière a demandé plus tard au Service d'inspection du travail de soumettre son affaire au tribunal. Ce service lui a remis l'avis de soumission au tribunal exposant toutes ses demandes ainsi qu'une copie du protocole en question.
  4. 182. En ce qui concerne l'entreprise Lassif à Tanger, le gouvernement explique que, suite au licenciement de trois ouvriers accusés par leur employeur d'avoir commis des fautes graves, les travailleurs de cette compagnie ont mené une grève de protestation contre cette décision. Le gouvernement déclare que les raisons de cette grève, qui a été suivie par 219 des 328 travailleurs au total, tous affiliés au syndicat affilié à l'UMT, n'ont aucun lien avec l'exercice des droits syndicaux à l'intérieur de l'entreprise. Il indique également qu'après vingt-quatre heures de grève le travail a repris.
  5. 183. Le gouvernement relate que, suite à cet événement, un groupe de travailleurs a élu un bureau syndical dépendant de l'UMT, ce qui a déclenché une querelle entre les membres de ce bureau et les représentants des travailleurs, élus selon le décret de 1962 et affiliés au même syndicat. Le nouveau bureau syndical a alors appelé à une deuxième grève. Les quelques travailleurs qui ont suivi cette grève ayant bloqué le portail de l'entreprise pour empêcher les non-grévistes de travailler et ayant causé ainsi un accrochage entre grévistes et non-grévistes, les forces de l'ordre sont intervenues pour assurer la liberté du travail. Trois travailleurs ont été déférés au tribunal compétent pour avoir entravé la liberté du travail et commis des actes de violence contre les gardiens de l'ordre. Le gouvernement ajoute que le conflit a été réglé par la réintégration de trois travailleurs, le paiement des indemnités légales à un travailleur et le maintien de la décision de renvoi de trois autres travailleurs.
  6. 184. Pour ce qui est de la minoterie Fassia de Casablanca, le gouvernement indique que, selon les déclarations de l'employeur, le conflit social dans cette entreprise est dû à l'origine à l'entrave de la liberté du travail par les travailleurs en grève. Il explique que, dans le cadre du dialogue entre la direction et les travailleurs, ces derniers ont présenté un cahier de revendications concernant l'augmentation des salaires et l'amélioration de certaines prestations sociales. La direction a accepté de satisfaire certaines de ces demandes, mais l'UMT, qui a jugé que l'augmentation prévue était insuffisante, a déclaré une grève illimitée qui a été suivie par 48 des 67 travailleurs. Pour assurer la réussite de cette grève, les travailleurs grévistes ont barré la route aux camions de marchandises entrant ou sortant de l'entreprise, ce qui a déclenché des accrochages entre travailleurs. Les forces publiques ont donc été appelées pour maintenir l'ordre et imposer le respect de la liberté du travail.
  7. 185. Pour ce qui est de l'entreprise Super Rifle, le gouvernement indique que la décision de l'employeur de renvoyer 12 travailleurs qui avaient commis des fautes graves a déclenché une grève de protestation qui a été suivie par 200 des 280 travailleurs de la compagnie. Après l'intervention du Service d'inspection du travail, un accord a été conclu pour la reprise du travail sous condition de la réintégration du secrétaire général du bureau syndical, M. Andam Ahmed, et de la satisfaction de certaines demandes. La direction a cependant été obligée de renvoyer à nouveau M. Andam qui avait provoqué des troubles et incité les travailleurs à diminuer la production. Il a été condamné par le tribunal compétent à trois mois de prison pour coups et blessures et utilisation d'arme blanche. Malgré les efforts de conciliation du service de l'emploi pour mettre fin à ce conflit, les positions contradictoires des parties concernées ont empêché toute solution. Pour cette raison, un groupe de travailleurs a préféré quitter l'entreprise au lieu de recevoir les indemnités prévues par la loi.
  8. 186. Enfin, pour ce qui est de la société Fertima, le gouvernement déclare que les revendications des travailleurs n'ont aucun caractère syndical et ont trait principalement à l'amélioration des conditions et de l'environnement de travail dans l'entreprise. Dans ce contexte, explique le gouvernement, le Service d'inspection du travail intervient en cas de nécessité pour garantir le respect d'une protection sociale minimum pour les travailleurs prévue par la législation du travail. Ainsi, les travailleurs concernés reçoivent au moins le salaire minimum et les indemnités, telles que la prime pour ancienneté, prévus par la loi. En ce qui concerne la protection de la santé et de la sécurité au travail, la société fournit à ses travailleurs les équipements et les dispositifs de sécurité nécessaires pour les protéger des dangers liés à leur travail et pour un service de médecine du travail. Quant aux revendications concernant l'abolition du travail saisonnier dans cette société, le gouvernement explique qu'elles ne peuvent être satisfaites car l'activité de l'entreprise est liée à l'agriculture. Cependant, des mesures ont été prises pour protéger les travailleurs concernés, dont la plus importante est de leur donner la priorité à l'embauche à chaque saison et garantir tous les droits des travailleurs saisonniers prévus par la loi.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 187. De l'avis du comité, les allégations formulées dans le cas présent revêtent un caractère de gravité. Elles concernent des licenciements de travailleurs et de dirigeants syndicaux intervenus à la suite de grèves dans les entreprises (souvent elles-mêmes déclenchées pour protester contre des congédiements antisyndicaux), la non-réintégration, en violation de décisions administratives ou judiciaires, de travailleurs licenciés, la répression de manifestations et de mouvements de grève, l'arrestation et la condamnation de dirigeants syndicaux.
  2. 188. Le comité ne peut qu'observer avec préoccupation que les allégations qui se réfèrent à plusieurs entreprises ne constituent pas des cas isolés mais font suite à de nombreuses plaintes qui traitaient de questions similaires. Le comité ne peut qu'en déduire que la protection contre les actes de discrimination antisyndicale n'est pas assurée de manière satisfaisante. Il rappelle au gouvernement qu'il est nécessaire que la législation protège de manière efficace les travailleurs contre de tels actes, conformément à l'article 1 de la convention no 98, ratifiée par le Maroc. Observant qu'à plusieurs occasions déjà il a rappelé ce principe au gouvernement (voir entre autres 279e rapport, cas no 1499, paragr. 203; 281e rapport, cas no 1574, paragr. 222; 283e rapport, cas no 1589, paragr. 316; 286e rapport, cas no 1646, paragr. 673), le comité prie instamment à nouveau le gouvernement d'adopter, dans un proche avenir, des mesures législatives ou autres pour assurer l'application de la convention.
  3. 189. Le comité note à cet égard que le gouvernement avait fourni à la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations, en 1988, un projet de Code du travail qui prévoyait des dispositions conformes à l'article 1 de la convention no 98. Le comité exprime donc le ferme espoir que ces dispositions pourront être adoptées dans un très proche avenir pour que les travailleurs puissent exercer les droits syndicaux sans crainte de représailles antisyndicales.
  4. 190. Tout en soulignant l'importance de l'adoption de telles dispositions, le comité doit cependant rappeler que l'existence de normes législatives fondamentales interdisant les actes de discrimination antisyndicale est insuffisante si celles-ci ne s'accompagnent pas de procédures efficaces qui assurent leur application dans la pratique. C'est ainsi que, par exemple, il peut être souvent difficile, sinon impossible, à un travailleur d'apporter la preuve qu'il a été victime d'une mesure de discrimination antisyndicale. C'est dans ce sens que prend toute son importance l'article 3 de la convention no 98 qui prévoit que des organismes appropriés aux conditions nationales doivent, si nécessaire, être institués pour assurer le respect du droit d'organisation. (Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, troisième édition, 1985, paragr. 567.)
  5. 191. Le comité demande donc au gouvernement, parallèlement à l'adoption de mesures protectrices contre les actes de discrimination antisyndicale, d'étudier, en consultation avec les organisations d'employeurs et de travailleurs, la mise sur pied de procédures rapides, impartiales et considérées comme telles par les parties intéressées afin que les travailleurs victimes de tels actes puissent voir leur situation redressée dans les plus brefs délais.
  6. 192. En ce qui concerne les allégations concrètes de discrimination antisyndicale formulées dans le présent cas, le comité constate que le gouvernement ne fournit pas de réponse à celles selon lesquelles les directions des entreprises Cabelec et de l'Office chérifien des phosphates (OCP) n'ont pas obtempéré à des décisions administratives ou judiciaires considérant les licenciements de travailleurs comme illégaux et demandant la réintégration des personnes licenciées, pas plus qu'à celles selon lesquelles l'entreprise Super Rifle n'applique pas le protocole d'accord de réintégration signé par elle. Le comité demande donc au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour que soient mises en oeuvre les décisions ou les accords en question, et de le tenir informé de l'évolution de la situation à cet égard.
  7. 193. Pour ce qui est des allégations relatives au licenciement de nombreux travailleurs, dont la majorité pour faits de grève, le comité note qu'elles portent sur les cas suivants: i) dans l'entreprise Nemtav: neuf membres du bureau exécutif du syndicat d'entreprise, réintégrés par la suite; M. Mohammed Abalagh, secrétaire général adjoint du syndicat d'entreprise; 58 travailleurs; ii) dans l'entreprise Cabelec: Mme Hajji Mahjouba; iii) dans la société para-étatique OCP: 23 travailleurs; iv) dans l'entreprise Lassif de Tanger: 7 travailleurs; et v) dans l'entreprise Super Rifle: 12 travailleurs dont quatre dirigeants syndicaux. Le comité note également que le gouvernement fournit les renseignements suivants: i) dans l'entreprise Nemtav: M. Mohammed Abalagh - qui travaille actuellement dans une autre entreprise et dont l'affaire est toujours en suspens après le refus de l'intéressé des indemnités que la direction de l'entreprise a accepté de lui verser - a été licencié pour avoir commis des fautes graves, puis réintégré dans son poste de travail, puis à nouveau licencié pour s'être disputé avec son chef direct; 50 travailleurs temporaires ont quitté leur travail après avoir touché les indemnités prévues par la loi; ii) à l'entreprise Cabelec: suite à la demande de Mme Hajji Mahjouba de soumettre son affaire au tribunal, le Service d'inspection du travail lui a remis l'avis de soumission; iii) dans l'entreprise Lassif: trois travailleurs licenciés pour avoir commis des fautes graves ont été réintégrés par la suite et trois autres ont été licenciés pour avoir entravé la liberté du travail et commis des actes de violence; des indemnités légales ont été payées à un travailleur; iv) dans l'entreprise Super Rifle: 12 travailleurs ont été licenciés pour fautes graves; M. Andam Ahmed, secrétaire général du bureau syndical, a été licencié pour fautes graves, puis réintégré, puis à nouveau licencié pour avoir semé le trouble et incité les travailleurs à diminuer la production; un groupe de travailleurs a préféré quitter l'entreprise au lieu de recevoir les indemnités prévues par la loi.
  8. 194. Devant l'abondance de preuves de discrimination antisyndicale et le caractère insuffisant des informations fournies par le gouvernement ainsi que les contradictions entre les versions des organisations plaignantes et du gouvernement, le comité se voit contraint de rappeler que le recours à des mesures très graves, comme le licenciement des travailleurs du fait de leur participation à une grève, implique de graves risques d'abus et constitue une violation de la liberté syndicale. (Voir Recueil, op. cit., paragr. 444.) Compte tenu de ces faits préoccupants, le comité demande instamment au gouvernement de faire procéder à des enquêtes sur les motifs réels des licenciements et de prendre les mesures nécessaires pour que toute mesure de discrimination antisyndicale qui serait révélée par ces enquêtes soit immédiatement redressée par la réintégration dans leur emploi des personnes concernées. Il demande au gouvernement de le tenir informé des mesures prises à cet égard.
  9. 195. Le comité note que les plaignants ont fait état de violences exercées contre des dirigeants syndicaux ou des grévistes ayant entraîné des incapacités de travail, voire des hospitalisations. Tel est le cas, notamment au sein des entreprises Nemtav, Cabelec, Lassif, Super Rifle et Fertima. Ces violences auraient été exercées soit par des services d'ordre propres à l'entreprise, soit par la police. Le comité observe que le gouvernement ne nie pas les interventions des forces de l'ordre lors des grèves dans les usines Nemtav, Lassif et Fassia mais qu'il indique qu'elles ont été nécessaires suite à des accrochages entre grévistes et non-grévistes et dans le but de maintenir l'ordre et faire respecter la liberté du travail. Le comité note également que le gouvernement ne répond pas aux autres allégations relatives à des violences. Dans ces conditions et compte tenu de la gravité de ces questions, le comité, rappelant qu'un mouvement syndical réellement libre et indépendant ne peut se développer dans un climat de violence et d'incertitude (voir Recueil, op. cit., paragr. 75), demande au gouvernement d'ouvrir des enquêtes pour que les circonstances de tous ces incidents soient élucidées, que les coupables puissent être sanctionnés de sorte que la répétition de tels actes soit évitée.
  10. 196. Enfin, le comité note avec préoccupation que les plaintes se réfèrent à l'arrestation et, dans certains cas, à la condamnation de dirigeants syndicaux et de grévistes. Il s'agit de MM. Ali Menana Mustapha, Gounine Mohamed, El Hani Abdelhafid, condamnés tous trois de cinq à dix mois de prison; Haddou Ait Ahmed, Mukliss Redouane, Zaghouni Mohamed (de l'entreprise Nemtav); Mechaouri Mohamed, Salah Zmalmir, Abdellatif Taimoussi, Allani Ambouri (de l'entreprise Lassif); Ghazali Mohamed et Batte Mohamed (de la minoterie Fassia), condamnés tous deux à cinq mois de prison; M. Andam Ahmed (de l'entreprise Super Rifle (condamné à trois mois de prison) et de dix syndicalistes de l'entreprise Fertima. En outre, huit travailleurs de l'entreprise Nemtav seraient encore recherchés par la police. Il apparaît, aux termes des allégations, que la plupart de ces personnes ont été arrêtées pour entrave à la liberté du travail.
  11. 197. Le comité note que le gouvernement se borne à indiquer que M. Andam Ahmed (de l'entreprise Super Rifle) a été condamné par le tribunal compétent pour coups et blessures et utilisation d'arme blanche, et que trois travailleurs de l'entreprise Lassif ont été déférés au tribunal compétent pour avoir entravé la liberté du travail et commis des actes de violence contre les gardiens de l'ordre.
  12. 198. Le comité ne peut que regretter de ne pas disposer des observations plus précises du gouvernement sur les motifs de ces arrestations. Le comité doit cependant rappeler au gouvernement que le droit de grève est un des moyens essentiels dont disposent les travailleurs et leurs organisations pour promouvoir et défendre leurs intérêts économiques et sociaux. (Voir Recueil, op. cit., paragr. 363.) En outre, de l'avis du comité, les autorités ne devraient pas avoir recours aux mesures d'emprisonnement en cas d'organisation ou de participation à une grève pacifique. (Voir Recueil, op. cit., paragr. 447.) Compte tenu de ces principes auxquels il attache une grande importance, le comité exprime le ferme espoir que les dirigeants syndicaux et les travailleurs arrêtés seront remis en liberté et réintégrés dans leur poste de travail, et que les procès des personnes condamnées pour faits de grève seront révisés. Il demande au gouvernement de le tenir informé de l'évolution de la situation des syndicalistes et grévistes mentionnés aux paragraphes précédents et de transmettre le texte de tous jugements prononcés.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 199. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) Le comité prie instamment à nouveau le gouvernement d'adopter, dans un proche avenir, des mesures législatives ou autres pour assurer une protection efficace contre les actes de discrimination antisyndicale.
    • b) Le comité demande au gouvernement d'étudier, en consultation avec les organisations d'employeurs et de travailleurs, la mise sur pied de procédures rapides, impartiales et considérées comme telles par les parties intéressées afin que les travailleurs victimes d'actes de discrimination antisyndicale puissent voir leur situation redressée dans les plus brefs délais.
    • c) Le comité demande au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour que soient mis en oeuvre les décisions ou les accords de réintégration de travailleurs licenciés dans les entreprises Cabelec, OCP et Super Rifle. Il le prie de le tenir informé de l'évolution de la situation à cet égard.
    • d) Le comité demande au gouvernement de faire procéder à des enquêtes sur les motifs réels des licenciements survenus dans les entreprises Nemtav, OCP, Super Rifle et Lassif et de prendre les mesures nécessaires pour que toute mesure de discrimination antisyndicale qui serait révélée par ces enquêtes soit immédiatement redressée par la réintégration dans leur emploi des personnes concernées. Il demande instamment au gouvernement de le tenir informé des mesures prises à cet égard.
    • e) Le comité demande au gouvernement d'ouvrir des enquêtes sur les incidents survenus dans les entreprises Nemtav, Cabelec, Lassif, Super Rifle et Fertima pour que les circonstances en soient élucidées, que les coupables puissent être sanctionnés de sorte que la répétition de tels actes soit évitée.
    • f) Le comité exprime le ferme espoir que les dirigeants syndicaux et les travailleurs mentionnés comme arrêtés dans les plaintes seront remis en liberté et réintégrés dans leurs postes de travail et que les procès des personnes condamnées pour faits de grève seront révisés. Il demande au gouvernement de le tenir informé de l'évolution de la situation des syndicalistes et grévistes en question et de transmettre le texte de tous jugements prononcés.
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