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Rapport intérimaire - Rapport No. 286, Mars 1993

Cas no 1646 (Maroc) - Date de la plainte: 12-MAI -92 - Clos

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  1. 647. Le 12 mai 1992, la Confédération démocratique du travail (CDT) et l'Union générale des travailleurs du Maroc (UGTM) ont déposé une plainte conjointe en violation des droits syndicaux au Maroc. Elles ont communiqué des informations complémentaires en date du 25 mai 1992. Dans une communication du 2 juin 1992, la Confédération mondiale du travail (CMT) a déclaré appuyer la plainte présentée par la CDT et l'UGTM.
  2. 648. Le gouvernement a fourni ses observations dans une communication datée du 27 novembre 1992.
  3. 649. Le Maroc n'a pas ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948; en revanche, il a ratifié la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégations des organisations plaignantes

A. Allégations des organisations plaignantes
  1. 650. Dans leur plainte, la CDT et l'UGTM allèguent des violations de la liberté syndicale dirigées contre le personnel gréviste de la Régie autonome de transport urbain (RATC) de Casablanca afin de briser la grève qui a été déclenchée le 17 février 1992.
  2. 651. Elles expliquent que la RATC est une régie autonome de transport urbain à Casablanca, créée en 1964 sous la tutelle du ministère de l'Intérieur et employant près de 3.300 salariés (chauffeurs, receveurs, mécaniciens, etc.) pour assurer le transport des 5 millions d'habitants de la ville.
  3. 652. Elles indiquent également que, depuis 1979, le personnel de la RATC ne bénéficie que d'un statut provisoire qui n'a jamais été révisé ni respecté dans sa totalité. Conscient de sa situation précaire, le personnel a lutté avec acharnement. Malgré les sacrifices des travailleurs, la situation matérielle et morale n'a cessé de se dégrader. La CDT et l'UGTM citent les faits suivants:
    • - presque la moitié des ouvriers est toujours temporaire, malgré une ancienneté qui atteint parfois dix ans, et est rémunérée en dessous du salaire minimum;
    • - paiement d'indemnités dérisoires (par exemple: indemnité de logement: 0,25 dinar par enfant et par jour; indemnité de panier: 2 dinars);
    • - le retard d'avancement de deux à trois ans;
    • - les oeuvres sociales sont insuffisantes (un petit projet de logement traîne depuis 1985), et la direction les utilise à des fins illégales pour briser les grèves.
  4. 653. Les organisations plaignantes relatent que cette situation alarmante a poussé le personnel de la RATC à déclencher une grève d'avertissement de 24 heures, le 11 décembre 1991, ainsi qu'une deuxième grève de 48 heures, le 15 janvier 1992. A l'occasion d'une troisième grève, déclenchée le 17 février 1992, la direction, au lieu de chercher des solutions pour satisfaire les revendications du personnel, aurait licencié le même jour plus de 80 ouvriers temporaires grévistes, ce qui a poussé le personnel à renouveler cette grève toutes les 48 heures.
  5. 654. Face à cette situation, la RATC et les autorités de tutelle (le Wali de Casablanca) auraient tenté de briser la grève par divers moyens. Les organisations plaignantes font état des mesures suivantes:
    • - pendant la grève, la direction de la RATC aurait embauché plus de 300 nouveaux salariés sans aucune expérience, ce qui constituait un danger pour la sécurité du réseau et des citoyens (les accidents se seraient multipliés);
    • - la direction aurait employé des milices composées par des personnes à sa solde pour organiser des expéditions punitives contre les grévistes et leurs familles dans le but de les intimider et les forcer à reprendre le travail;
    • - le Wali de Casablanca aurait employé plus de 400 cars non assurés à la place des autobus pour le transport rural et le transport entre les villes;
    • - les militants syndicaux grévistes suivants auraient été emprisonnés et jugés par les autorités suite à des accusations imaginaires: MM. Nejmi Abdellatif, Kassih Abdelaziz, Touga Ahmed et Maâ Noureddine;
    • - la police aurait interpellé les chauffeurs grévistes et confisqué de force leurs permis de conduire;
    • - la direction aurait licencié plus de 30 salariés qui ont rejoint la grève, sous prétexte qu'ils avaient abandonné leurs postes; et
    • - pour inciter certains grévistes à reprendre le travail, la direction aurait fait des promesses (prêt de 1.000 dinars de la caisse des oeuvres sociales, promesse de titularisation, d'avancement, etc.).
  6. 655. Dans une communication du 25 mai 1992, les organisations plaignantes indiquent que le conflit de la RATC, après une grève qui a duré presque trois mois, s'est soldé par la signature d'un protocole d'accord de reprise de travail, le 17 mai 1922, et que les principales revendications du personnel ont été satisfaites. Elles estiment néanmoins qu'il reste important de soulever les moyens illégaux utilisés par les autorités et la direction pour briser la grève, et indiquent que deux agents grévistes sont encore poursuivis en justice pour entraves à la liberté du travail. La direction aurait pris des mesures de mutation arbitraire à l'encontre de plusieurs agents, et n'aurait pas encore réglé la réintégration de 55 agents licenciés en raison de leur participation à la grève.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 656. Dans sa communication du 27 novembre 1992, le gouvernement indique tout d'abord que la grève déclenchée le 17 février 1992 a été suivie par les seuls agents appartenant à la CDT et à l'UGTM, qui ne représentent que 25 pour cent de l'effectif de la régie. Il déclare également que la grève a pris fin, le 16 mai 1992, suite aux négociations entre la direction de la RATC et les responsables syndicaux.
  2. 657. Le gouvernement rappelle ensuite que la RATC est un établissement public communal, dirigé par un conseil d'administration, qui en est l'organe souverain et dont les deux tiers des membres sont des élus communaux. Le cahier des charges élaboré par les communes concernées prévoit dans son article 29 que tout déficit d'exploitation sera résorbé par la municipalité. Il indique qu'un des signataires de la plainte présentée par la CDT et l'UGTM, M. Abderrazak Afilal, est le président de l'une des communes les plus riches du grand Casablanca et vice-président du Conseil de la communauté urbaine, et qu'à ce titre il dispose des moyens adéquats pour contribuer au niveau local à l'amélioration tant financière qu'administrative de la situation des agents de la RATC.
  3. 658. Le gouvernement déclare également que le personnel de la RATC bénéficie d'un règlement provisoire dûment approuvé par les autorités compétentes à l'instar des autres régies du même secteur et que, suite à une délibération du conseil d'administration, une commission paritaire élabore actuellement un nouveau projet de règlement.
  4. 659. S'agissant du personnel temporaire, ce dernier ne représente selon le gouvernement qu'un sixième de l'effectif total de la régie. La titularisation de cette catégorie d'agents est soumise aux dispositions statutaires en la matière (âge et ancienneté), et aucun agent de la régie n'est rémunéré en dessous du salaire minimum.
  5. 660. Pour ce qui est du régime indemnitaire, le gouvernement déclare qu'il a fait l'objet de plusieurs réaménagements, notamment en 1989, 1990 et 1991, et qu'il sera sans doute amélioré dans le projet de règlement en cours d'élaboration.
  6. 661. Les oeuvres sociales ont, d'après le gouvernement, pour priorité immédiate la réalisation d'un complexe de 432 logements à caractère social et à des prix modérés pour permettre aux agents de la régie d'accéder à la propriété.
  7. 662. Les avancements des agents de la RATC se feraient régulièrement par une commission paritaire dans le cadre de la réglementation en vigueur.
  8. 663. Pour ce qui est des allégations concernant les mesures que les autorités auraient prises pour briser la grève déclenchée le 17 février 1992, le gouvernement déclare que les licenciements effectués ont touché des agents occasionnels et ont été motivés par des abandons de poste. La direction de la RATC a résolu le problème: les agents intéressés ont repris régulièrement leur travail. Par ailleurs, les recrutements effectués par la régie l'ont été conformément aux dispositions statutaires et à ses besoins. Il indique également qu'aucune milice n'a été constituée, et que cette allégation est dénuée de tout fondement.
  9. 664. Pour ce qui est des mesures prises par les autorités locales, le gouvernement estime qu'il est tout à fait légitime qu'elles prennent toutes les dispositions nécessaires pour assurer la continuité du service public, et que le recours aux cars était une mesure conjoncturelle pour pallier les insuffisances du moment.
  10. 665. Le gouvernement déclare également qu'aucune confiscation de permis de conduire n'a été enregistrée, et que les seuls qui ont été retirés sont des permis de taxi qui étaient détenus par des agents de la RATC qui ont été pris en flagrant délit de cumul d'emplois.
  11. 666. Enfin, quant aux quatre militants syndicaux grévistes jugés et emprisonnés, le gouvernement indique que leurs cas relèvent des tribunaux de droit commun auxquels ils ont été présentés.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 667. Le comité constate que le présent cas concerne des mesures prises par la direction de la Régie autonome de transport urbain de Casablanca (RATC) et les autorités locales lors de la grève déclenchée par le personnel de la RATC, le 17 février 1992, dans le but d'obtenir de meilleures conditions d'emploi. Ces mesures comprenaient notamment l'embauche par la direction de la RATC de plus de 300 nouveaux salariés, la mutation arbitraire et le licenciement de grévistes, et l'emprisonnement et le jugement de MM. Nejmi Abdellatif, Kassih Abdelaziz, Touga Ahmed et Maâ Noureddine, militants syndicaux grévistes.
  2. 668. Le comité prend bonne note de la signature, le 17 mai 1992, d'un protocole d'accord de reprise de travail qui a mis fin à la grève déclenchée au mois de février, et par laquelle, selon les dires mêmes des plaignants, les principales revendications du personnel de la RATC ont été satisfaites. Toutefois, après la conclusion de cet accord, selon les plaignants, 55 salariés licenciés n'auraient toujours pas été réintégrés, et deux grévistes seraient encore poursuivis pour entraves à la liberté du travail.
  3. 669. Le comité doit rappeler à cet égard qu'il a toujours souligné que le droit de grève est un des moyens essentiels dont disposent les organisations de travailleurs pour promouvoir et pour défendre les intérêts économiques et sociaux de leurs membres. (Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, troisième édition, 1985, paragr. 363.) Le comité estime également que l'utilisation d'un groupe de personnes pour remplir des fonctions abandonnées à l'occasion d'un conflit du travail ne saurait, si la grève est par ailleurs légale, être justifiée que par la nécessité d'assurer le fonctionnement de services ou d'industries dont l'arrêt créerait une situation de crise aiguë. L'utilisation par le gouvernement d'une main-d'oeuvre étrangère à l'entreprise destinée à remplacer les travailleurs en grève comporte un risque d'atteinte au droit de grève qui peut affecter le libre exercice des droits syndicaux. (Voir Recueil, op. cit., paragr. 429.) Le comité constate que, dans le cas présent, la grève n'a affecté, selon les déclarations du gouvernement, que 25 pour cent de l'effectif, et que la situation entraînée par cet arrêt de travail, malgré sa durée, ne peut donc être qualifiée de crise aiguë. Le comité demande en conséquence au gouvernement de s'abstenir à l'avenir d'avoir recours à de telles mesures non conformes aux principes de la liberté syndicale.
  4. 670. Pour ce qui est des travailleurs qui auraient été mutés et licenciés de façon arbitraire, et dont 55 n'auraient pas encore été réintégrés, le comité rappelle que le recours à des mesures comme la mutation ou le licenciement de travailleurs du fait de leur participation à une grève constitue une violation de la liberté syndicale. (Voir Recueil, paragr. 444.) Il demande au gouvernement d'indiquer si des travailleurs grévistes ont fait l'objet d'une mutation, et dans l'affirmative pour quelles raisons, et si tous les travailleurs licenciés ont été effectivement réintégrés dans leur emploi.
  5. 671. Enfin, en ce qui concerne l'emprisonnement et le jugement des militants syndicaux grévistes, MM. Nejmi Abdellatif, Kassih Abdelaziz, Touga Ahmed et Maâ Noureddine, le comité insiste sur le danger que représentent pour le libre exercice des droits syndicaux des mesures de détention et de condamnation prises à l'encontre de représentants de travailleurs dans le cadre d'activités liées à la défense des intérêts de leurs mandants. Il rappelle que les autorités ne devraient pas avoir recours à de telles mesures en cas d'organisation ou de participation à une grève pacifique. Le comité regrette que le gouvernement se borne à indiquer que le cas des personnes mentionnées relève des tribunaux de droit commun. Afin de disposer de tous les éléments d'information nécessaires sur cet aspect du cas, le comité demande au gouvernement de fournir dans les meilleurs délais des informations détaillées sur les chefs d'inculpation retenus contre ces personnes, et de communiquer le texte des jugements prononcés avec leurs attendus.
  6. 672. Le comité demande en outre au gouvernement de fournir des informations sur les poursuites judiciaires dont feraient encore l'objet deux agents grévistes.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 673. Au vu des conclusions intérimaires qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) Rappelant que le droit de grève est un des moyens essentiels dont disposent les organisations de travailleurs pour promouvoir et pour défendre les intérêts économiques et sociaux de leurs membres, le comité demande au gouvernement de s'abstenir à l'avenir d'avoir recours à des mesures non conformes aux principes de la liberté syndicale.
    • b) Rappelant que le recours à des mesures comme la mutation ou le licenciement de travailleurs du fait de leur participation à une grève constitue une violation de la liberté syndicale, le comité demande au gouvernement d'indiquer si des travailleurs grévistes ont fait l'objet d'une mutation, et dans l'affirmative pour quelles raisons, et si tous les travailleurs licenciés ont été effectivement réintégrés dans leur emploi.
    • c) En ce qui concerne l'emprisonnement et le jugement des militants syndicaux grévistes, MM. Nejmi Abdellatif, Kassih Abdelaziz, Touga Ahmed et Maâ Noureddine, le comité, afin de disposer de tous les éléments d'informations nécessaires sur cet aspect du cas, demande au gouvernement de fournir dans les meilleurs délais des informations détaillées sur les chefs d'inculpation retenus contre ces personnes et de communiquer le texte des jugements prononcés avec leurs attendus.
    • d) Le comité demande au gouvernement de fournir des informations sur les poursuites judiciaires dont feraient encore l'objet deux agents grévistes.
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