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Rapport intérimaire - Rapport No. 292, Mars 1994

Cas no 1646 (Maroc) - Date de la plainte: 12-MAI -92 - Clos

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  1. 614. Le comité a examiné ce cas lors de sa réunion de février 1993 (voir 286e rapport du comité, paragr. 647 à 673, approuvé par le Conseil d'administration à sa 255e session (mars 1993)), au cours de laquelle il a formulé des conclusions intérimaires.
  2. 615. Dans une communication datée du 6 octobre 1993, le gouvernement a fait parvenir de nouvelles observations.
  3. 616. Le Maroc n'a pas ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948; en revanche, il a ratifié la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. Examen antérieur du cas

A. Examen antérieur du cas
  1. 617. A sa session de février 1993, le comité a examiné des allégations portant sur des mesures prises par la direction de la Régie autonome de transport urbain de Casablanca (RATC) et les autorités locales lors de la grève déclenchée par le personnel de la RATC, le 17 février 1992, dans le but d'obtenir de meilleures conditions d'emploi. Ces mesures comprenaient notamment l'embauche par la direction de la RATC de plus de 300 nouveaux salariés, la mutation arbitraire et le licenciement de grévistes, et l'emprisonnement et le jugement de MM. Nejmi Abdellatif, Kassih Abdelaziz, Touga Ahmed et Maâ Noureddine, militants syndicaux grévistes.
  2. 618. Lors de cette session, le comité a formulé les recommandations suivantes (voir 286e rapport du comité, paragr. 673):
    • a) Rappelant que le droit de grève est un des moyens essentiels dont disposent les organisations de travailleurs pour promouvoir et pour défendre les intérêts économiques et sociaux de leurs membres, le comité demande au gouvernement de s'abstenir à l'avenir d'avoir recours à des mesures non conformes aux principes de la liberté syndicale.
    • b) Rappelant que le recours à des mesures comme la mutation ou le licenciement de travailleurs du fait de leur participation à une grève constitue une violation de la liberté syndicale, le comité demande au gouvernement d'indiquer si des travailleurs grévistes ont fait l'objet d'une mutation et, dans l'affirmative, pour quelles raisons, ainsi que de confirmer si tous les travailleurs licenciés ont été effectivement réintégrés dans leur emploi.
    • c) En ce qui concerne l'emprisonnement et le jugement des militants syndicaux grévistes, MM. Nejmi Abdellatif, Kassih Abdelaziz, Touga Ahmed et Maâ Noureddine, le comité, afin de disposer de tous les éléments d'information nécessaires sur cet aspect du cas, demande au gouvernement de fournir dans les meilleurs délais des informations détaillées sur les chefs d'inculpation retenus contre ces personnes et de communiquer le texte des jugements prononcés avec leurs attendus.
    • d) Le comité demande au gouvernement de fournir des informations sur les poursuites judiciaires dont feraient encore l'objet deux agents grévistes.

B. Nouvelle réponse du gouvernement

B. Nouvelle réponse du gouvernement
  1. 619. Dans sa communication du 6 octobre 1993, le gouvernement déclare, en ce qui concerne le droit de grève, que celui-ci est garanti par la Constitution et exercé publiquement. Preuve en est, d'après le gouvernement, le nombre de grèves auxquelles recourent les travailleurs dans beaucoup de secteurs, que ce soit dans les établissements où sont représentées les organisations syndicales ou dans ceux qui ne sont pas soumis au contrôle des syndicats. L'exercice des droits syndicaux est respecté dans les limites des règles de principe adoptées par le Comité de la liberté syndicale.
  2. 620. En ce qui concerne les poursuites exercées contre plusieurs employés de la Régie autonome de transport urbain de Casablanca (RATC), le gouvernement estime nécessaire de fournir certaines informations et précisions au sujet des procédures d'enquête qui ont été réalisées à leur sujet, de la validité des poursuites engagées et des jugements rendus à leur encontre.
  3. 621. Selon le gouvernement, Lotfi Mostapha, employé à la RATC, a présenté une plainte devant la police judiciaire déclarant que, lorsqu'il descendait d'un car de la RATC, il a été intercepté par trois employés de la même régie qui lui ont adressé des injures et des menaces, l'ont incité à participer à la grève et auraient pu le blesser s'il n'avait pas pris la fuite.
  4. 622. Dans le cadre de l'enquête, la police judiciaire a entendu le chauffeur du car à bord duquel se trouvait Lotfi Mostapha, qui a déclaré que Touga Ahmed, Kassih Abdelaziz et Nejmi Abdellatif se sont approchés de lui et lui ont intimé l'ordre de s'arrêter; ils lui ont demandé pourquoi il continuait à travailler au lieu de faire la grève comme les autres travailleurs syndicalistes et l'ont incité à arrêter le travail et à se joindre à eux pour assurer le succès de la grève. Devant cette situation, Lotfi Mostapha est descendu du car et s'est interposé entre le conducteur et les grévistes. Mais il a été injurié et menacé à l'arme blanche.
  5. 623. Convoqués et entendus par la police, les accusés ont déclaré avoir remarqué la présence du car en question pendant qu'ils faisaient la grève. Ils ont essayé d'interdire au conducteur d'exercer son travail et l'ont incité à participer à la grève avec eux. Lorsque Lotfi Mostapha s'est interposé entre eux et le conducteur, ils l'ont insulté, menacé et incité à faire la grève.
  6. 624. Après un examen du procès-verbal relatif à cette affaire, établi par la police judiciaire en date du 2 avril 1992, les trois accusés ont été poursuivis pour perturbation de la liberté du travail, conformément aux dispositions de l'article 288 du Code pénal. Le gouvernement déclare qu'ils ont été soumis à la procédure du flagrant délit en application des articles 76 dans sa teneur modifiée et 395 du Code de procédure pénale. Ils ont été présentés devant le tribunal en état d'arrestation; lorsqu'ils ont été interrogés par le ministère public en présence de leurs avocats, ils ont nié l'accusation dont ils faisaient l'objet et ont rétracté les déclarations qu'ils avaient faites devant la police judiciaire. Ils ont ensuite été déférés devant le tribunal.
  7. 625. En ce qui concerne les jugements, le gouvernement déclare que le tribunal a convoqué les accusés pour plusieurs audiences, qu'ils ont bénéficié de toutes les garanties pour assurer leur défense, qu'ils ont été assistés par des avocats et que toute liberté leur a été accordée pour alléguer une exception, quelle que fût sa nature. Après discussion de l'affaire, conformément aux procédures légales et aux conditions de publicité exigées par la loi, et après que les avocats de la défense eurent plaidé, le ministère public a réclamé la condamnation sur la base des déclarations faites devant la police judiciaire. Le 12 octobre 1992, le tribunal de première instance de Casablanca a condamné Touga Ahmed, Kassih Abdelaziz et Nejmi Abdellatif à une peine d'un mois de prison avec sursis et à une amende de 200 dirhams pour perturbation à la liberté du travail. Le gouvernement indique qu'il faut souligner à ce propos que le tribunal, en les condamnant à un mois de prison avec sursis, leur a accordé des circonstances atténuantes vu leur situation sociale et l'absence de précédent, alors que la loi prévoit une peine minimum d'un mois de prison ferme pour de telles infractions. Le gouvernement ajoute que les personnes susmentionnées ont fait appel contre ce jugement.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 626. Le comité note que le gouvernement déclare une fois de plus que le droit de grève est garanti par la Constitution, que les travailleurs dans de nombreux secteurs recourent souvent à la grève et que l'exercice des droits syndicaux est respecté dans les limites des règles de principe adoptées par le Comité de la liberté syndicale.
  2. 627. Le comité observe toutefois que, lors de ces dernières années, il a examiné un nombre croissant d'allégations portant sur de graves restrictions au droit de grève au Maroc contrairement aux principes de la liberté syndicale, notamment des atteintes à l'intégrité physique, des arrestations, des condamnations, des licenciements ou autres mesures de discrimination antisyndicale en matière d'emploi, des répressions de manifestations et de mouvements de grève. (Voir, entre autres, 281e rapport, cas no 1574, paragr. 219; 286e rapport, cas no 1640, paragr. 644; 287e rapport, cas no 1589, paragr. 154 et 156; cas no 1643, paragr. 193, 195, 196 et 198.) Le comité ne peut qu'exprimer sa préoccupation devant cette constatation et se voit obligé de rappeler une fois de plus au gouvernement l'importance qu'il attache au droit de grève comme un des moyens essentiels dont disposent les organisations de travailleurs pour promouvoir et pour défendre les intérêts économiques et sociaux de leurs membres. (Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, troisième édition, paragr. 363.) Il demande à nouveau au gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires afin que le droit de recourir à la grève puisse être exercé, sans intervention des autorités publiques et dans le respect des principes de la liberté syndicale.
  3. 628. En ce qui concerne l'emprisonnement et le jugement des militants syndicaux grévistes MM. Nejmi Abdellatif, Kassih Abdelaziz et Touga Ahmed, le comité prend note des informations détaillées fournies par le gouvernement concernant les procédures d'enquêtes, les poursuites judiciaires et les jugements dont ces personnes ont fait l'objet. Il observe que le gouvernement déclare que ces personnes ont été condamnées par le Tribunal de première instance de Casablanca à une peine d'un mois de prison avec sursis et à une amende de 200 dirhams pour avoir perturbé la liberté du travail, et que le tribunal leur a accordé des circonstances atténuantes vu leur situation sociale et l'absence de précédent. Le comité rappelle que le seul fait de participer à un piquet de grève et d'inciter fermement, mais pacifiquement, les autres salariés à ne pas rejoindre leur poste de travail ne peut être considéré comme une action illégitime. Il en va toutefois autrement lorsque le piquet de grève s'accompagne de violences ou d'entraves à la liberté du travail par contrainte exercée sur les non-grévistes, actes qui, dans beaucoup de pays, sont punis par la loi pénale. (Voir Recueil, op. cit., paragr. 435.) Insistant sur le danger que représentent pour le libre exercice des droits syndicaux des mesures de détention et de condamnation prises à l'encontre de représentants de travailleurs dans le cadre d'activités liées à la défense des intérêts de leurs mandants, le comité demande instamment au gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires afin de garantir le respect de ce principe et, en tout état de cause, de le tenir informé du résultat de l'appel interjeté par MM. Nejmi Abdellatif, Kassih Abdelaziz et Touga Ahmed contre leur condamnation par le tribunal de première instance.
  4. 629. Le comité relève par ailleurs avec regret que le gouvernement n'a pas fourni d'informations relatives au militant syndical gréviste, M. Maâ Noureddine, qui, d'après les allégations, a également été emprisonné et jugé par les autorités suite à des accusations imaginaires. Il lui demande instamment de fournir sans tarder des informations détaillées sur les chefs d'inculpation retenus contre cette personne et de communiquer le texte du jugement prononcé avec ses attendus.
  5. 630. Pour ce qui est des allégations portant sur des mutations et licenciements arbitraires de travailleurs grévistes par la direction de la RATC, le comité note avec regret que le gouvernement n'a pas communiqué de réponse. Rappelant à nouveau que le recours à des mesures comme la mutation ou le licenciement de travailleurs du fait de leur participation à une grève constitue une violation de la liberté syndicale (voir Recueil, op. cit., paragr. 444), le comité demande instamment au gouvernement d'indiquer si des travailleurs grévistes ont fait l'objet d'une mutation et, dans l'affirmative, pour quelles raisons, ainsi que de confirmer si tous les travailleurs licenciés ont été effectivement réintégrés dans leur emploi.
  6. 631. De même, s'agissant des allégations relatives aux poursuites judiciaires dont ont fait l'objet deux agents grévistes de la RATC, le comité demande instamment au gouvernement de fournir ses observations.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 632. Vu les conclusions intérimaires qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) Le comité demande à nouveau au gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires afin que le droit de recourir à la grève puisse être exercé, sans intervention des autorités publiques et dans le respect des principes de la liberté syndicale.
    • b) Insistant sur le danger que représentent pour le libre exercice des droits syndicaux des mesures de détention et de condamnation prises à l'encontre de représentants de travailleurs dans le cadre d'activités liées à la défense des intérêts de leurs mandants, le comité demande instamment au gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir le respect de ce principe et de le tenir informé du résultat de l'appel interjeté par MM. Nejmi Abdellatif, Kassih Abdelaziz et Touga Ahmed contre leur condamnation par le tribunal de première instance.
    • c) S'agissant du militant syndical gréviste, M. Maâ Noureddine, qui aurait été emprisonné et jugé par les autorités suite à des accusations imaginaires, le comité regrette que le gouvernement n'ait pas communiqué de réponse. Il lui demande instamment de fournir sans tarder des informations détaillées sur les chefs d'inculpation retenus contre cette personne et de communiquer le texte du jugement prononcé avec ses attendus.
    • d) Rappelant à nouveau que le recours à des mesures comme la mutation ou le licenciement de travailleurs du fait de leur participation à une grève constitue une violation de la liberté syndicale, le comité demande instamment au gouvernement d'indiquer si des travailleurs grévistes ont fait l'objet d'une mutation et, dans l'affirmative, pour quelles raisons, ainsi que de confirmer si tous les travailleurs licenciés ont été effectivement réintégrés dans leur emploi.
    • e) De même, le comité demande au gouvernement de communiquer dans les meilleurs délais ses observations sur les allégations concernant les poursuites judiciaires dont ont fait l'objet deux agents grévistes de la RATC.
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