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- 444. Le 26 janvier 1993, la Fédération internationale des mineurs (FIM) a déposé devant le Comité de la liberté syndicale une plainte en violation des droits syndicaux dirigée contre le gouvernement de la Turquie. Elle a communiqué des informations complémentaires en date du 19 février 1993.
- 445. Le gouvernement a fourni ses observations dans des communications datées des 19 avril et 8 octobre 1993.
- 446. La Turquie a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations de l'organisation plaignante
A. Allégations de l'organisation plaignante
- 447. Dans sa communication du 26 janvier 1993, la Fédération internationale des mineurs (FIM) allègue qu'il a été interdit aux mineurs turcs de se mettre en grève lors du différend qui les opposait à l'Entreprise turque du charbon et que ce différend a été soumis à l'arbitrage obligatoire.
- 448. L'organisation plaignante relate que, suite à l'interruption en décembre 1992 des négociations entre le Syndicat des mineurs de la Turquie et l'Entreprise turque du charbon, le différend opposant les parties a été soumis à l'arbitrage obligatoire en vertu des articles 29 et 30 de la loi no 2822 du 5 mai 1983 sur les conventions collectives de travail, la grève et le lock-out, qui contiennent une longue liste de services dans lesquels le recours à la grève est interdit.
- 449. L'organisation plaignante rappelle que, depuis 1983, les organes de contrôle de l'OIT ont à plusieurs reprises demandé au gouvernement turc de limiter le recours à l'arbitrage obligatoire imposé par la loi aux services dont l'interruption mettrait en danger, dans l'ensemble ou dans une partie de la population, la vie, la sécurité ou la santé de la personne. Elle indique que, jusqu'à présent, des mesures pour donner suite à ces demandes n'ont pas été prises. Il s'ensuit que les organisations syndicales sont confrontées à de graves obstacles dans leur lutte pour l'amélioriation des conditions de travail étant donné qu'elles n'ont pas le droit de recourir à la grève et sont obligées d'accepter l'arbitrage obligatoire des différends.
- 450. L'organisation plaignante explique que l'article 32 de la loi no 2822 dispose qu'"en cas de différend concernant les établissements ou les activités et services où une grève ou un lock-out sont interdits, toute partie pourra saisir la Cour supérieure d'arbitrage dans les six jours ouvrables suivant la réception du procès-verbal visé à l'article 23 (...)", ce qui signifie dans la pratique que le différend est renvoyé à un organe dont seulement deux des huit membres sont des représentants du mouvement syndical et qui est donc contrôlé par une majorité formée par les employeurs et le gouvernement.
- 451. L'organisation plaignante se réfère également aux conclusions du comité dans les cas nos 997, 999 et 1029 relatifs à la Turquie et considère que les dispositions de la législation actuelle, telles qu'elles sont appliquées à l'industrie du charbon, constituent une violation de l'article 4 de la convention no 98.
- 452. La FIM conclut en indiquant que, malgré une législation insatisfaisante qui restreint leurs activités syndicales, les mineurs sont très déterminés à garantir leurs droits et à obtenir une augmentation sensible de leurs salaires. Elle déclare appuyer la demande du Syndicat des mineurs de la Turquie pour que soit abrogée la législation interdisant le recours à la grève dans l'industrie minière.
- 453. Dans sa communication du 19 février 1993, l'organisation plaignante précise que l'Entreprise turque du charbon emploie 21.126 mineurs dans les unités de production qui alimentent les centrales thermiques. Cette catégorie de travailleurs est soumise à l'interdiction de recourir à la grève. Le nombre d'autres travailleurs employés par l'Entreprise turque du charbon qui ne sont pas visés par l'interdiction s'élève à 4.161. Elle précise que les négociations collectives auxquelles elle s'est référée ont commencé le 2 septembre 1992 et concernaient la totalité des mineurs, soit 25.287 travailleurs. Le 12 novembre 1992, un procès-verbal de différend a été dressé et une période de médiation, allant du 23 novembre au 13 décembre, a suivi. Le 30 décembre 1992, le conflit a été renvoyé à la Cour supérieure d'arbitrage.
- 454. L'organisation plaignante indique également que des manifestations de protestations ont eu lieu le 6 janvier 1993 dans différentes régions minières et que, le 7 janvier, les 4.161 travailleurs non visés par l'interdiction de recourir à la grève ont décidé de se mettre en grève. Une nouvelle convention collective a été signée en date du 25 janvier 1993.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement
- 455. Dans sa communication du 19 avril 1993, le gouvernement déclare avoir pris note des allégations présentées par la FIM et signale qu'il a ratifié la convention no 87.
- 456. Dans sa réponse communiquée en date du 8 octobre 1993, le gouvernement explique que la pratique nationale de l'arbitrage obligatoire se fonde sur l'article 54 de la Constitution, qu'il s'agit d'une procédure impartiale à laquelle les parties peuvent participer à tout moment et que les sentences rendues lient les parties. L'arbitrage obligatoire intervient lorsque le recours à la grève est restreint ou interdit afin de protéger les travailleurs ainsi privés d'un moyen essentiel de défense de leurs intérêts professionnels.
- 457. Le gouvernement déclare également qu'il s'agit d'une procédure qui n'est utilisée que dans des situations exceptionnelles. Par ailleurs, avant le renvoi d'un conflit à l'arbitrage obligatoire, il existe une possibilité de résoudre le différend par la médiation de la part du ministère du Travail et de la Sécurité sociale ou par un médiateur privé désigné par accord commun entre les parties. Dans le cas présent, continue le gouvernement, les parties ont décidé de suivre cette dernière option et une solution satisfaisante a pu être ainsi trouvée.
- 458. Le gouvernement signale que l'article 29 de la loi no 2882 a été modifié par la loi no 3451 du 27 mai 1988 en vue de limiter les services et activités dans lesquels la grève est interdite. Ainsi, la phrase "production, raffinement et distribution (...) du charbon" (paragr. 3) a été remplacée par "production de lignite pour l'alimentation des installations des centrales thermiques". En outre, une commission récemment établie par le ministère et chargée de formuler des propositions relatives à des questions ayant trait aux relations professionnelles, y compris la limitation de l'interdiction de la grève, poursuit actuellement ses travaux. Une éventuelle exclusion des unités minières de production de lignite pour l'alimentation des installations des centrales thermiques de l'interdiction de la grève dépendra de l'évaluation qui sera faite une fois que ladite commission aura terminé ses travaux et après consultation des partenaires sociaux.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité
- 459. Le comité observe que les allégations formulées dans le cas présent concernent l'interdiction de recourir à la grève imposée par la loi aux mineurs employés dans les services de la production de lignite pour l'alimentation des centrales thermiques ainsi que le renvoi à l'arbitrage obligatoire des conflits de travail survenant dans ces services.
- 460. Le comité relève que l'organisation plaignante déclare que, suite à l'interruption en décembre 1992 des négociations collectives entre le Syndicat des mineurs de la Turquie et l'Entreprise turque du charbon, le différend opposant les parties a été soumis à l'arbitrage obligatoire en vertu de l'article 32 de la loi no 2822 du 5 mai 1983 sur les conventions collectives de travail, la grève et le lock-out. Le comité note également que, en revanche, le gouvernement indique que les parties au différend ont décidé de soumettre celui-ci à la médiation et qu'une solution satisfaisante a pu être ainsi trouvée.
- 461. Tout en constatant le caractère contradictoire de ces déclarations, le comité observe que les articles 22 et 23 de la loi no 2822 de 1983 prévoient en effet que les parties peuvent avoir recours à un médiateur aux fins du règlement du différend. Cependant, en vertu de l'article 32, dernier paragraphe, de la loi, en cas de différend concernant les établissements ou les activités et services où une grève est interdite, toute partie pourra saisir la Cour supérieure d'arbitrage dans les six jours ouvrables suivant la réception du procès-verbal dans lequel le médiateur a constaté que les parties ne sont pas parvenues à un accord pour régler le différend.
- 462. Le comité observe que le gouvernement explique que l'arbitrage obligatoire est une procédure impartiale qui n'est utilisée que dans des situations exceptionnelles et à laquelle les parties peuvent participer à tout moment.
- 463. Le comité rappelle tout d'abord qu'il avait déjà estimé que les dispositions de la législation turque relatives à l'arbitrage obligatoire pour faire cesser une grève au-delà des interruptions du travail dues à une grève qui risquerait de mettre en danger dans tout ou partie de la population la vie, la santé ou la sécurité des personnes et des cas de crise nationale aiguë restreignent les droits syndicaux et contreviennent aux principes de la liberté syndicale (voir 282e rapport du comité, cas nos 997, 999 et 1029, paragr. 16).
- 464. A la lumière de la ratification récente de la convention no 87 par la Turquie, dont il se félicite, le comité signale à nouveau au gouvernement qu'il a toujours reconnu aux travailleurs et à leurs organisations le droit de grève comme un moyen légitime de défense de leurs intérêts économiques et sociaux. (Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, troisième édition, 1985, paragr. 362.) Le comité attire également l'attention du gouvernement sur le principe selon lequel le droit de grève peut être restreint, voire interdit, dans la fonction publique, les fonctionnaires publics étant ceux qui agissent en tant qu'organes de la puissance publique ou les services essentiels au sens strict du terme, c'est-à-dire les services dont l'interruption mettrait en danger, dans l'ensemble ou dans une partie de la population, la vie, la sécurité ou la santé de la personne. (Voir Recueil, op. cit., paragr. 394.) Cependant, le principe relatif à l'interdiction des grèves dans les services essentiels risquerait de perdre tout son sens s'il s'agissait de déclarer illégale une grève dans une ou plusieurs entreprises qui ne fournissent pas un service essentiel au sens strict du terme. (Voir Recueil, op. cit., paragr. 394.) Le comité estime en outre que l'imposition par voie législative de l'arbitrage obligatoire à la place du droit de grève pour résoudre les conflits du travail ne peut se justifier que dans les services essentiels au sens strict du terme. (Voir Recueil, op. cit., paragr. 387.)
- 465. Pour ce qui est du cas présent, le comité a déjà indiqué qu'il est d'avis que l'ensemble du secteur minier ne constitue pas un service essentiel où le droit des travailleurs de promouvoir et défendre leurs intérêts par la grève pourrait être interdit. (Voir Recueil, op. cit., paragr. 406.) Le comité, tout en étant conscient que l'arrêt du fonctionnement des services assurant l'approvisionnement en lignite des centrales thermiques pourrait être de nature à perturber la vie normale de la communauté, estime qu'il serait difficile d'admettre que l'arrêt de tels services soit par définition propre à engendrer une crise nationale aiguë.
- 466. Le comité est toutefois conscient des difficultés que pourrait entraîner pour les centrales thermiques l'interruption de l'approvisionnement en lignite. Il est par conséquent d'avis que, dans un secteur tel que celui des mines, il serait admissible que les parties en cause, au besoin avec la participation du gouvernement, s'entendent sur l'instauration d'un service minimum à maintenir en cas de grève.
- 467. Compte tenu de tous ces éléments, le comité demande au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour modifier la loi no 2822 du 5 mai 1983 afin de garantir aux travailleurs employés dans des services non essentiels au sens strict du terme, y compris les mineurs, ainsi qu'à leurs organisations, le droit d'organiser leurs activités et de formuler leur programme d'action pour la défense de leurs intérêts économiques, sociaux et professionnels, y compris par le recours à la grève. A cet égard, le comité prend bonne note des informations fournies par le gouvernement d'après lesquelles l'éventuelle exclusion des unités minières de production de lignite pour l'alimentation des installations des centrales thermiques de l'interdiction de la grève est actuellement examinée par une commission récemment établie et chargée de formuler des propositions relatives à des questions ayant trait aux relations professionnelles. Il exprime le ferme espoir que, lors de l'examen de cette question, la commission tiendra compte des principes de la liberté syndicale énoncés ci-dessus. Le comité demande au gouvernement de le tenir informé de toute mesure prise pour mettre la législation nationale en conformité avec les principes de la liberté syndicale.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 468. Vu les conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Soulignant le principe selon lequel le droit de grève ne devrait être interdit que dans la fonction publique, les fonctionnaires publics étant ceux qui agissent en tant qu'organes de la puissance publique ou les services essentiels au sens strict du terme, c'est-à-dire les services dont l'interruption mettrait en danger, dans l'ensemble ou dans une partie de la population, la vie, la sécurité ou la santé de la personne, le comité demande au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour modifier la loi no 2822 du 5 mai 1983 afin de garantir aux travailleurs employés dans des services non essentiels au sens strict du terme, y compris les mineurs, ainsi qu'à leurs organisations, le droit d'organiser leurs activités et de formuler leur programme d'action pour la défense de leurs intérêts économiques, sociaux et professionnels, y compris par le recours à la grève. Le comité prie le gouvernement de le tenir informé de toute mesure prise à cet égard.
- b) Le comité appelle l'attention de la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations sur ce cas.