623. Dans des communications en date des 13 juillet, 2 septembre et 27 novembre 1998, l'Association luxembourgeoise des employés de banque et d'assurances (ALEBA) a présenté une plainte en violation de la liberté syndicale contre le gouvernement du Luxembourg. Dans des communications en date du 6 janvier et du 25 octobre 2000, l'ALEBA a fait parvenir des informations supplémentaires.
- 623. Dans des communications en date des 13 juillet, 2 septembre et 27 novembre 1998, l'Association luxembourgeoise des employés de banque et d'assurances (ALEBA) a présenté une plainte en violation de la liberté syndicale contre le gouvernement du Luxembourg. Dans des communications en date du 6 janvier et du 25 octobre 2000, l'ALEBA a fait parvenir des informations supplémentaires.
- 624. Le gouvernement a envoyé ses observations dans des communications en date des 21 septembre 1999, 4 février, 17 et 22 mars, 16 mai et 27 octobre 2000.
- 625. Le Luxembourg a ratifié la convention (nº 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (nº 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949. Toutefois, il n'a pas ratifié la convention (nº 154) sur la négociation collective, 1981.
A. Allégations de l'organisation plaignante
A. Allégations de l'organisation plaignante
- 626. L'Association luxembourgeoise des employés de banque et d'assurances (ALEBA) allègue que tant la législation luxembourgeoise que l'application qui en est faite entravent la liberté syndicale et se plaint en particulier du fait que le statut de syndicat représentatif ne lui est pas reconnu.
- Présentation succincte de l'ALEBA et du syndicalisme luxembourgeois
- 627. L'ALEBA explique que le droit du travail au Luxembourg est caractérisé par une distinction marquée entre travailleurs-ouvriers et travailleurs-employés, cette dernière catégorie regroupant des travailleurs exerçant une activité à prépondérance intellectuelle. La loi distingue également les employés privés de ceux dont l'employeur est une personne morale de droit public et qui ont un statut différent des autres.
- 628. Pour sa part, l'ALEBA est un syndicat de travailleurs et plus particulièrement d'employés privés. L'ALEBA compte 9 200 membres qui sont recrutés essentiellement parmi les 19 195 employés de banques et de compagnies d'assurances établies au Luxembourg (relevé en date de 1998 de la Chambre des employés privés). En novembre 1998, lors des dernières élections tenues au sein de la Chambre des employés privés, l'ALEBA a remporté dans le groupe "banques et assurances" (groupe III) 68 pour cent des voix, constituant dès lors le syndicat fortement majoritaire de ce groupe. Outre les employés de banques et d'assurances, l'ALEBA compte environ 1 200 travailleurs d'autres secteurs, notamment du groupe "commerce et services" (groupe IV).
- 629. L'ALEBA rappelle que le syndicalisme luxembourgeois compte trois centrales syndicales: la Fédération des employés privés-Fédération indépendante des travailleurs (FEP-FIT) regroupant des employés privés, la Confédération luxembourgeoise des syndicats chrétiens (LCGB) et la Confédération syndicale indépendante du Luxembourg (OGB-L), ces deux dernières centrales étant essentiellement et historiquement des organisations regroupant des travailleurs-ouvriers, bien qu'elles aient petit à petit fondé des représentations sectorielles pour les employés privés dans les diverses branches de l'activité économique.
- 630. Jusqu'en 1976, l'ALEBA a été affiliée à la centrale FEP-FIT. Or, en raison de querelles intestines au sein de cette organisation, querelles qui, au dire de l'organisation plaignante, n'ont pas cessé et ont ruiné cette organisation, l'ALEBA a quitté la FEP-FIT, démarche qui a été suivie par les employés de la sidérurgie et par bon nombre d'employés de petites et moyennes entreprises.
- 631. L'ALEBA insiste sur le fait qu'elle est de loin le plus grand et le plus important syndicat qui ne soit pas une centrale syndicale. A cet égard, l'organisation plaignante rappelle que toutes les conventions collectives signées dans le groupe "banques et assurances" ont été négociées avec l'ALEBA comme chef de file et ont été déclarées d'obligation générale sauf une, celle de 1993 qui a été négociée et signée par une minorité sectorielle. La dernière convention collective est celle qui a été signée pour la période de 1996 à 1998 déclarée aussi d'obligation générale. Le président de l'ALEBA a été désigné comme porte-parole de l'intersyndicale lors de ces négociations, ce qui prouve bien, selon l'organisation plaignante, qu'elle et son président sont reconnus par leurs pairs et par leurs partenaires sociaux comme des interlocuteurs valables à tous les points de vue.
- 632. De surcroît, l'organisation plaignante souligne que la non-reconnaissance de son caractère représentatif a une incidence directe sur les plans sociaux qu'elle peut négocier. Elle rappelle que, par une lettre du 14 mai 1998, le ministre du Travail a rejeté un plan social négocié à l'occasion d'une fusion entre deux banques allemandes, sous prétexte que l'ALEBA n'était pas une organisation syndicale représentative au niveau national et n'était donc pas susceptible de négocier et de signer un plan social.
- Examen de la législation luxembourgeoise critiquée
- 633. La loi qui fait l'objet de la plainte a été adoptée le 12 juin 1965 et concerne les conventions collectives de travail (ci-après loi de 1965). Après avoir défini en l'article 1 ce qu'il faut entendre par convention collective du travail, la loi de 1965, en l'article 2, alinéas 1, 2 et 3, dispose que:
- Ne peuvent être parties à une convention collective de travail, en dehors des employeurs pris individuellement et des groupements d'employeurs, que les organisations syndicales les plus représentatives sur le plan national.
- Sont considérés comme organisations syndicales tous groupements professionnels pourvus d'une organisation interne et ayant pour but la défense des intérêts professionnels et la représentation de leurs membres ainsi que l'amélioration de leurs conditions d'existence.
- Sont considérées comme organisations syndicales les plus représentatives celles qui se signalent par le nombre important de leurs affiliés, par leurs activités et par leur indépendance.
- 634. L'ALEBA se réfère par la suite aux travaux préparatoires qui ont précédé l'adoption de cette loi afin de mettre en exergue le fait que la référence au "plan national", dans le premier alinéa de l'article 2, a été ajoutée sans qu'il n'y ait eu de véritable discussion à cet égard. Lors de la session ordinaire de la Chambre des députés de 1961-62, le gouvernement a déposé un projet de loi selon lequel des conventions collectives pouvaient être signées par "les organisations professionnelles suffisamment représentatives des intérêts professionnels qu'elles engagent en contractant" (doc. parl. no 919, session ordinaire 1962-63, p. 2). Cette formulation n'a pas trouvé d'objection spécifique de la part du Conseil d'Etat, ni de la part de la commission compétente de la Chambre des députés. En privilégiant le fait de ne pas donner de définition précise de l'expression "organisations représentatives", le Conseil d'Etat laissait "au ministre compétent une liberté suffisante pour apprécier de cas en cas le caractère représentatif des différents syndicats" (doc. parl. no 919, session ordinaire 1963-64, p. 2). Toutefois, si la Chambre des députés jugeait opportun de définir ces notions, le Conseil d'Etat suggérait "de s'en tenir à des éléments d'appréciation concrets et de donner [aux termes "organisations représentatives"] la teneur suivante: "Sont considérées comme organisations syndicales les plus représentatives celles qui se signalent par le nombre important de leurs affiliés, par leur activité et par leur indépendance" (ibid.). L'organisation plaignante rappelle que la Chambre des députés a fait siennes les observations du Conseil d'Etat. Toutefois, une année plus tard, en 1964-65, le gouvernement est intervenu lors de la session ordinaire de la Chambre des députés pour modifier le texte convenu en vue d'adjoindre à la notion "organisations syndicales les plus représentatives" les termes "sur le plan national" alléguant qu'il était "essentiel qu'un syndicat étende ses activités au-delà du cadre restreint d'une seule entreprise ou d'un seul secteur économique". Le Conseil d'Etat ne s'est pas opposé à cette modification. Le texte modifié a dès lors été adopté et est devenu le texte de l'article 2, alinéa 1, de la loi de 1965 tel qu'on le connaît aujourd'hui.
- 635. L'ALEBA note que la loi de 1965 a connu trois applications jurisprudentielles, dont la première est une décision arbitrale, remontant au 10 novembre 1979 (Pasicrisie 24, pp. 386 et seq.). Conformément à cette décision, pour signer une convention collective, un syndicat, en application de la loi de 1965, doit prouver une représentation nationale et une représentation plurisectorielle, les deux critères devant être respectés simultanément. Par représentation nationale, la décision en question entend une représentation sectorielle implantée géographiquement sur toute l'étendue du pays par opposition à une représentation régionale ou locale. En conséquence, il ne suffit pas, pour un syndicat, d'avoir une forte représentation sectorielle pour être représentatif et signer seul une convention collective: il faut que le syndicat soit présent sur toute l'étendue du pays et dans différents secteurs d'activités.
- 636. Cette jurisprudence a été confirmée par deux arrêts ultérieurs du Conseil d'Etat de juin 1980 et juillet 1988 dans lesquels il est notamment précisé que, pour prétendre à la représentativité, il faut justifier d'un nombre d'adhérents et par là même d'une audience certaine dans différents secteurs de la vie économique (recueils des arrêts en matière administrative - Conseil d'Etat, vol. du 29.1.80 au 18.12.80 (no VIII). Voir également ibid., vol. du 26.03.87 au 22.07.88 (no XII).)
- 637. Selon l'organisation plaignante, une telle interprétation a pour résultat, en droit, de la priver du statut de syndicat représentatif puisqu'elle n'a pas de représentation nationale entendue comme représentation plurisectorielle dans le sens de la jurisprudence luxembourgeoise, bien qu'elle représente près des deux tiers des employés votants du groupe III "banques et assurances".
- Identification des violations de la liberté syndicale
- 638. L'organisation plaignante insiste sur le fait que la liberté syndicale fait partie de ces libertés dites "Abwehrrechte gegen den Staat", libertés qui constituent essentiellement des défenses faites à l'autorité étatique d'intervenir par des normes générales dans l'exercice des libertés garanties autrement que pour favoriser leur exercice ou pour limiter l'exercice des libertés des uns par rapport à celles des autres. En aucun cas, la puissance étatique ne peut faire dépendre la liberté de l'un du bon vouloir de l'autre.
- 639. L'ALEBA se réfère par la suite aux conventions internationales du travail alléguant que le droit positif luxembourgeois viole les principes élémentaires qui y sont développés. L'ALEBA soutient notamment que la convention no 87, dans son préambule, met sur un pied d'égalité la liberté syndicale et la protection du droit syndical. Il est expressément prévu à l'article 3, alinéa 2, que "[l]es autorités publiques doivent s'abstenir de toute intervention de nature à limiter ce droit [syndical] ou à en entraver l'exercice légal". En outre, l'organisation plaignante note que la convention no 87 prévoit le droit de constituer des fédérations et confédérations mais qu'aucune obligation n'est imposée à cet égard. Se référant à la convention no 98, l'ALEBA fait remarquer que l'article 4 dispose que "[d]es mesures appropriées aux conditions nationales doivent, si nécessaire, être prises pour encourager et promouvoir le développement et l'utilisation les plus larges de procédures de négociation volontaire de conventions collectives...". L'ALEBA mentionne par la suite les recommandations no 91 sur les conventions collectives, 1951, et no 163 sur la négociation collective, 1981, dans lesquelles il est fait référence à la détermination des organisations représentatives. En outre, l'ALEBA note que la recommandation no 163 prévoit que "des mesures adaptées aux circonstances nationales devraient, si nécessaire, être prises pour que la négociation collective soit possible à quelque niveau que ce soit, notamment ceux de l'établissement, de l'entreprise, de la branche d'activité, de l'industrie, ou au niveau régional ou national" (sub II, 4(1)). L'organisation plaignante conclut dès lors que la double représentation exigée pour signer une convention collective au regard de la loi luxembourgeoise, représentation nationale et plurisectorielle, ne respecte pas les principes de la liberté syndicale.
- 640. L'organisation plaignante soutient que s'il est vrai que seuls des syndicats représentatifs peuvent signer des conventions collectives, il suffit que cette représentation soit évaluée selon le secteur concerné.
- 641. Subsidiairement, l'ALEBA soutient que la notion de représentation nationale doit être interprétée par opposition à une représentation purement locale ou régionale. Une représentation sectorielle est dès lors amplement suffisante à condition qu'elle soit nationale, c'est-à-dire représentative sur le plan national pour un secteur donné. L'ALEBA ajoute qu'elle est de toute manière parfaitement plurisectorielle dans la mesure où elle est représentée dans au moins deux secteurs bien distincts.
- 642. L'ALEBA estime par ailleurs que le Luxembourg viole son propre droit en contestant sa représentation nationale sous prétexte de représentation plurisectorielle dans la mesure où l'on confond "groupe" au sens de la législation sur la Chambre des employés privés et "secteur économique". Pour garantir une représentation tant soit peu proportionnelle au sein de cet organisme de droit public, la loi a réglementé le nombre des membres de la chambre par groupes d'activités. Or la notion de groupe n'est pas synonyme de celle de secteur. Le groupe est un moule quelque peu arbitraire, constitué en vue d'une finalité spécifique, alors que le secteur a une acception socio-économique beaucoup plus vaste et plus générale.
- 643. Dans une communication ultérieure du 6 janvier 2000, l'ALEBA fournit des informations concernant l'évolution du problème depuis le dépôt de la plainte. Elle précise, entre autres, que le 16 juillet 1998 le syndicat "Union des employés privés" (UEP) a été constitué afin de défendre les intérêts de tous les employés privés du Luxembourg. L'ALEBA et l'UEP ont constitué une fédération syndicale le 27 avril 1999. L'UEP a participé aux élections sociales de novembre 1998 et a totalisé 6,95 pour cent des voix des employés votant l'organe statutaire de la caisse de maladie des employés privés. Aux mêmes élections, l'ALEBA a totalisé 17,063 pour cent de tous les votants, ce qui représente 23,99 pour cent pour l'ALEBA et l'UEP réunies. Par ailleurs, l'ALEBA et la Fédération syndicale ALEBA-UEP ont signé, en date du 29 avril 1999, une convention collective négociée avec l'Association des banques et banquiers luxembourgeois (ABBL). L'ALEBA précise que le ministre du Travail et de l'Emploi a refusé par arrêté, sur avis conforme du directeur de l'inspection du travail et des mines, le dépôt de cette convention collective sous prétexte que l'ALEBA ne possède pas le degré de représentativité exigé au niveau national lui permettant de signer seule des conventions collectives. Le 22 décembre 1999, l'organisation plaignante a déposé une requête en sursis d'exécution et en ordonnance de sauvegarde à l'encontre de la décision du ministre devant le tribunal administratif. Ce dernier, dans une décision du 14 janvier 2000, a rejeté la requête en sursis mais a accordé la demande en sauvegarde visant à appliquer provisoirement les mesures prévues à la convention collective entre l'ALEBA et l'ABBL en attendant la décision sur le fond de l'affaire.
- 644. Enfin, dans une communication du 25 octobre 2000, l'organisation plaignante envoie une copie du jugement rendu par le tribunal administratif du Luxembourg dans lequel ce dernier reconnaît la représentativité nationale de l'ALEBA afin de signer des conventions collectives.
B. Réponses du gouvernement
B. Réponses du gouvernement
- Description de l'ALEBA
- 645 Le gouvernement reconnaît que l'ALEBA a un taux d'écoute réel, mais non exclusif, dans le secteur des banques et assurances. Ce secteur fait partie de la catégorie socioprofessionnelle des employés privés qui, selon les recensements ayant servi à la base des élections sociales de 1998, comprend 94 412 employés dont 19 543 travaillent dans le secteur des banques et assurances. Le gouvernement relève que l'ALEBA prétend représenter 9 200 employés, soit 9,7 pour cent de l'ensemble des employés privés du pays.
- 646 Le gouvernement se réfère à trois instruments électoraux permettant de jauger le taux d'influence d'un syndicat, soit:
- - les élections pour les chambres professionnelles;
- - les élections pour les organes de gestion des institutions de sécurité sociale; et
- - les élections pour les délégations du personnel dans les entreprises.
- Pour ce qui est des chambres professionnelles, représentations générales, quasiment parlementaires d'une profession, elles sont au nombre de deux. C'est la Chambre des employés privés qui regroupe les représentants élus des 94 412 employés privés travaillant au Luxembourg. Ces employés privés sont regroupés, selon l'importance numérique et économique du secteur, en six groupes, représentant respectivement les employés privés occupés dans l'industrie (4 sièges), dans la sidérurgie (3 sièges), dans les banques et assurances (8 sièges), dans le commerce (13 sièges), dans le secteur de la santé (4 sièges) et dans les chemins de fer (6 sièges). L'ALEBA est présente dans le seul groupe "banques et assurances" au sein duquel elle a recueilli 68,19 pour cent, soit six sièges en tout. Bien que le gouvernement reconnaisse qu'il ne faut pas nier l'importance de l'ALEBA dans le secteur "banques et assurances", il souligne que seulement 37,89 pour cent des électeurs potentiels ont participé aux élections et que l'ALEBA est loin de l'exclusivité ou du monopole de représentation auxquels elle prétend. En outre, il faut mettre le nombre des six sièges recueillis en relation avec le nombre total des sièges de la Chambre professionnelle (38) puisqu'il n'existe pas au Luxembourg de catégories distinctes couvrant les employés de banques et assurances. Pour le gouvernement, les six sièges de l'ALEBA représentent donc tout juste 15 pour cent de l'ensemble des sièges de l'institution représentant la catégorie socioprofessionnelle des employés privés au Luxembourg.
- 647 La situation des organes de gestion des institutions de sécurité sociale est similaire. Les membres des instances dirigeantes sont élus au sein des organes suivants, à savoir:
- - organes directeurs des caisses de maladie ou de pensions;
- - organes directeurs de l'association d'assurance contre les accidents du travail ou du centre d'affiliation et de perception des cotisations sociales;
- - organes directeurs de l'assurance-dépendance et de l'assistance sociale publique; et
- - juridictions sociales.
- Dans l'ensemble des organes directeurs des caisses de maladie représentant les différentes catégories socioprofessionnelles (ouvriers, employés privés, fonctionnaires) siègent 145 délégués des salariés. Le gouvernement relève que quatre d'entre eux proviennent de l'ALEBA, soit 2,75 pour cent. Si on se rapporte aux seules caisses de maladie des employés privés, 42 délégués des salariés y siègent. Parmi eux quatre délégués sont de l'ALEBA, soit 9,52 pour cent. Par conséquent, selon le gouvernement, l'ALEBA représente tout juste 9,52 pour cent des délégués des employés privés dans les organes directeurs des caisses de maladies des employés privés. Au niveau de l'assemblée générale de la caisse de pensions des employés privés, deux représentants de l'ALEBA figurent parmi les 15 membres de cette assemblée générale, soit 13 pour cent. L'ALEBA n'est pas représentée au sein du comité directeur de cette caisse.
- 648 Quant à la présence de l'ALEBA dans les délégations du personnel des entreprises du seul secteur où elle est implantée, le gouvernement reconnaît que, bien qu'elle soit réelle, elle est loin de l'importance affirmée dans la plainte. Selon les derniers chiffres recensés officiellement par l'inspection du travail et des mines, administration officiellement chargée de l'évaluation des résultats des élections sociales de novembre 1998, l'ALEBA a obtenu 182 sièges sur les 570 sièges parvenus à ce jour à l'inspection du travail et des mines, soit 31,93 pour cent.
- La liberté syndicale au Luxembourg
- 649 Le gouvernement souligne que le Luxembourg a clairement admis et respecté la liberté syndicale en ratifiant les textes internationaux ayant pour but la défense des droits de l'homme et de leur libre exercice. En outre, l'article 11, paragraphe 5, de la Constitution luxembourgeoise garantit les libertés syndicales. Le gouvernement insiste sur le fait que dès qu'un groupement professionnel répond aux critères structurels et fonctionnels contenus dans la loi de 1965, à savoir être un groupement professionnel doté d'une organisation interne et ayant pour but la défense des intérêts professionnels et la représentation de leurs membres ainsi que l'amélioration de leurs conditions d'existence, il peut prétendre à la reconnaissance de la qualité d'organisation syndicale, et ceci en pleine conformité avec la convention (nº 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948. Les syndicats, y compris l'ALEBA, bénéficient de l'ensemble des prérogatives découlant de la convention no 87, à savoir le droit de se constituer sans autorisation préalable, le droit d'élaborer leurs statuts et règlements internes et administratifs, d'élire librement leurs représentants, de désigner librement leurs représentants dans des organismes superposés, d'organiser leur gestion et activité et le droit de formuler programmes d'action et revendications. Tous les syndicats, dont l'ALEBA, peuvent exister, admettre des adhérents, défendre leurs intérêts, faire pression et manifester. Le gouvernement souligne qu'au Luxembourg la constitution et le fonctionnement des syndicats se fondent, en vertu des principes résultant de la Constitution luxembourgeoise et des conventions internationales du travail, sur un libéralisme absolu, qui constitue d'ailleurs un puissant facteur d'incitation à l'épanouissement du pluralisme syndical. Coexistent ainsi au Luxembourg au moins une dizaine d'organisations syndicales, plus ou moins importantes, chiffre remarquable eu égard à la taille réduite du pays et le chiffre - peu important dans l'absolu - des personnes actives au Luxembourg (+/- 200 000, frontaliers compris).
- La représentativité et la négociation collective
- 650 Le législateur luxembourgeois, tout en maintenant intégralement la liberté de constitution et de fonctionnement des syndicats, a jugé approprié d'apporter un tempérament à la règle de la stricte égalité des syndicats, en fonction de leur représentativité, dans le seul domaine du droit de la signature d'une convention collective du travail. A cet égard, le gouvernement présente les dispositions pertinentes de la loi de 1965. L'article 2, alinéa 1, de la loi de 1965 confie le monopole de la signature d'une convention collective du travail aux organisations syndicales les plus représentatives au niveau national. L'alinéa 3 de cette même disposition détermine les critères selon lesquels est appréciée la représentativité d'un syndicat au niveau national. Les critères énumérés par ce texte sont: le nombre important des affiliés au syndicat, les activités du syndicat et l'indépendance du syndicat par rapport à l'employeur. Il s'agit de critères objectifs, fixes et préalablement connus des syndicats. Plusieurs décisions du Conseil d'Etat, qui était, avant la création des juridictions administratives, la juridiction administrative suprême du pays, ont précisé ces critères. Les idées-forces développées en la matière par les juges sont les suivantes: les organisations syndicales représentatives sur le plan national doivent en premier lieu défendre les intérêts professionnels et représenter les travailleurs qui ont la qualité de membres adhérents, l'importance de leur nombre étant l'une des conditions susceptibles d'assurer aux syndicats la qualité de parties signataires d'une convention collective de travail (critère général/national); les syndicats représentatifs sur le plan national doivent établir que, par leur intervention dans la négociation et la signature d'une convention collective de travail, ils assument la défense des intérêts professionnels et la représentation de ceux de leurs membres auxquels doit s'appliquer la convention collective dont il s'agit (critère de la présence dans (chacun des) les secteurs auxquels la convention collective s'appliquera); l'emploi du pluriel pour la désignation des organisations les plus représentatives au niveau national fait apparaître que le législateur, tout en renforçant le rôle du syndicalisme représentatif sur le niveau national, n'a pas pour autant voulu rompre avec la tradition pluraliste pour déterminer le seuil au-dessous duquel l'on ne saurait descendre pour reconnaître la représentativité nationale à une organisation syndicale, il y a lieu de procéder de façon pragmatique. Par exemple, dans un cas précis, le Conseil d'Etat avait jugé qu'une audience de 20 pour cent des employés syndiqués constituait le "nombre important" requis par la loi. En outre, le Conseil d'Etat a considéré que la représentativité nationale d'un syndicat ne découle pas ipso facto d'une implantation purement sectorielle. Le syndicat doit au contraire justifier d'un nombre important d'adhérents, et par là même, d'une audience certaine dans différents secteurs de la vie économique.
- 651 Le gouvernement explique que le système luxembourgeois des relations collectives du travail tend à ne pas favoriser les structures syndicales organisées sur le plan de la branche professionnelle, du secteur ou de l'entreprise, en vue de la seule signature des conventions collectives du travail. Toutefois, les syndicats sont placés sur un pied d'égalité durant les négociations. Les syndicats unisectoriels, les syndicats d'entreprise, voire les syndicats "maison", ne sont donc pas écartés des négociations collectives ni par la loi ni par les autorités compétentes. Mais en les écartant de la signature des conventions collectives au profit des syndicats qui bénéficient d'une représentativité sur le plan national, le législateur luxembourgeois n'a pas voulu encourager la formation de syndicats spécialisés et a voulu réduire les inconvénients d'une trop grande dispersion des efforts syndicaux. En refusant aux syndicats, dont les activités se restreignent au cadre d'une seule entreprise, d'un seul secteur économique ou d'une seule branche professionnelle, la possibilité de signer seuls des conventions collectives, la loi cherche à endiguer la progression néfaste du pluralisme syndical dans un pays caractérisé, entre autres, par l'exiguïté du territoire et un nombre total faible, dans l'absolu, des salariés, voire des salariés syndiqués (+/- 40 pour cent des salariés selon les données des syndicats).
- 652 Dans ce contexte, le gouvernement rappelle que le droit luxembourgeois ne reconnaît que deux catégories socioprofessionnelles, soit les ouvriers et les employés privés. Ainsi la loi de 1965 n'autorise-t-elle, pour une même entreprise ou division d'entreprise, qu'une seule convention collective pour l'ensemble du personnel employé privé et une seule convention collective pour l'ensemble du personnel ouvrier, étant entendu que la capacité juridique de signer lesdites conventions collectives appartient aux syndicats les plus représentatifs sur le plan national pour chacune de ces deux (seules) catégories socioprofessionnelles de travailleurs salariés. A cet égard, le gouvernement rappelle que tout syndicat peut contester devant les autorités compétentes le refus du dépôt d'une convention collective par le ministre, pour motif de non-représentativité du ou des syndicat(s) signataire(s). Ce n'est en effet qu'à l'occasion du dépôt d'une convention collective que le droit luxembourgeois prévoit le contrôle de la capacité juridique des syndicats signataires.
- 653 A la lumière de ces précisions, le gouvernement insiste sur le fait qu'il n'a jamais contesté que l'ALEBA soit une organisation syndicale qui bénéficie des prérogatives prévues au regard des conventions internationales du travail. Le gouvernement relève qu'elle est non seulement admise à participer aux négociations collectives dans le secteur des banques et assurances, mais qu'elle y est le chef de file (federführend) en dépit de la présence de syndicats nationaux représentatifs. A une exception près, toutes les conventions collectives du secteur n'ont été signées que si l'ALEBA était d'accord. Selon le gouvernement, l'ALEBA est ainsi de fait, depuis des décennies, et à une exception près, non seulement associée aux négociations, mais même cosignataire de la convention collective en découlant.
- 654 En d'autres termes, la loi et la jurisprudence luxembourgeoises n'empêchent nullement l'ALEBA de participer aux négociations collectives dans le secteur où elle bénéficie d'une large représentativité, ni même de "cosigner" une convention collective sur laquelle figure la signature d'un syndicat représentatif au niveau national. Les syndicats nationalement représentatifs n'ont du reste jamais refusé la présence de l'ALEBA lors de négociations collectives dans le secteur banques et assurances. En outre, le gouvernement n'a jamais refusé le dépôt d'une convention collective qui portait la cosignature de l'ALEBA. Plutôt, la loi et la jurisprudence prévoient que l'ALEBA ne peut signer seule des conventions collectives puisqu'elle ne répond pas aux critères de représentativité qui ont été édictés. L'ALEBA est unisectorielle et les travailleurs qu'elle représente font partie, au regard de la loi luxembourgeoise, de la catégorie socioprofessionnelle des employés privés, et ne constituent pas une catégorie à part pour laquelle elle pourrait revendiquer une représentativité fût-elle nationale ou sectorielle. Or il apparaît, selon le gouvernement, que l'organisation plaignante entend créer de sa propre initiative une nouvelle catégorie socioprofessionnelle (employés privés du secteur bancaire) ignorée par la loi et contraire à la sauvegarde de la paix sociale. En outre, selon le gouvernement, le BIT n'est pas compétent pour admettre ou non l'existence d'une telle catégorie socioprofessionnelle, seul moyen pour l'ALEBA de conclure à une représentativité de quelque nature qu'elle soit.
- 655 Enfin, le gouvernement estime que l'ALEBA s'est écartée de la solidarité nationale entre salariés et a mis directement en péril la paix sociale au Luxembourg en voulant signer seule la dernière convention collective. Ce texte omet du reste de répondre aux lignes directrices sur l'emploi de l'Union européenne telles que reprises dans le plan d'action national en faveur de l'emploi au Luxembourg (plan tripartite aux niveaux national et plurisectoriel) et dans la loi du 12 février 1999 qui transpose ce plan d'action national sur l'emploi et modifie du reste la loi de 1965 en imposant désormais aux parties une obligation de négocier à l'égard des quatre sujets précis liés à l'emploi et à la lutte contre le chômage.
- Fédération ALEBA-UEP
- 656 S'agissant de la Fédération ALEBA-UEP, le gouvernement déclare qu'il résulte de l'article 2 de la loi de 1965 que ne peuvent être parties à une convention collective que les organisations syndicales les plus représentatives sur le plan national. Il faut par conséquent que non seulement elle poursuive un but d'ordre syndical, mais encore qu'elle soit une organisation, qu'elle constitue un syndicat et non pas une simple confédération de deux ou plusieurs syndicats. Le législateur exige que les syndicats signataires d'une convention collective remplissent eux-mêmes les critères de représentativité sans devoir faire appel, à cette fin, à une confédération avec d'autres syndicats. Le gouvernement souligne que la signature de la convention collective litigieuse dont fait état l'ALEBA dans sa plainte est intervenue le 29 avril 1999, soit deux jours après la création de la Fédération syndicale (en réalité une confédération) ALEBA-UEP. Il est clair dès lors que la convention collective a été entièrement négociée par l'ALEBA avant même que la Confédération ALEBA-UEP ne commence à exister, celle-ci étant créée à la seule fin de donner l'apparence de l'intervention d'une fédération syndicale qui réponde aux critères de l'article 2 de la loi de 1965. Le gouvernement précise que l'intervention ALEBA-UEP dans la signature de la convention collective est dès lors intervenue en fraude à la loi, la fraude étant caractérisée par la constitution d'une fédération syndicale à la seule fin de pouvoir signer une convention collective déjà entièrement négociée par l'un des syndicats constitutifs.
- Indépendance de l'ALEBA
- 657 S'agissant de l'indépendance de l'ALEBA, le gouvernement rappelle que l'indépendance des organisations syndicales est nécessaire afin de garantir une sauvegarde irréprochable des intérêts des adhérents sans pressions extérieures. Le terme légal de l'indépendance signifie indépendance économique par rapport aux employeurs. Les membres dirigeants d'un syndicat devraient être rémunérés exclusivement par les cotisations des membres et ne devraient avoir aucun compte à rendre à un employeur. Le gouvernement souligne que, dans le cas de l'ALEBA, cette indépendance ne semble pas exister puisque la totalité des membres dirigeants de cette organisation est toujours au service d'une banque ou d'une compagnie d'assurances. En outre, le gouvernement constate que l'ABBL et l'ALEBA ont entamé ensemble une action contre un arrêté ministériel qui avait refusé le dépôt d'une convention collective signée uniquement par l'ALEBA, ce qui peut tendre à prouver la connexité des intérêts des deux organisations en question.
- 658 Le gouvernement joint à sa communication des mémoires présentés par la Confédération syndicale indépendante du Luxembourg (OGB-L) et la Confédération luxembourgeoise des syndicats chrétiens (LCGB) qui estiment que la plainte de l'ALEBA est sans fondement et contestent formellement tous les chiffres avancés par l'ALEBA.
- 659 Dans une communication du 16 mai 2000, le gouvernement fait parvenir une lettre conjointe des présidents de l'OGB-L et de la LCGB dans laquelle ces derniers réitèrent leur opposition aux allégations présentées par l'ALEBA et contestent de nouveau les chiffres avancés par l'ALEBA concernant le nombre de ses adhérents. En outre, l'OGB-L et la LCGB soulèvent la question de la non-indépendance de l'ALEBA vis-à-vis des employeurs du secteur bancaire.
- 660 Enfin, dans une communication du 27 octobre 2000, le gouvernement envoie une copie du jugement rendu par le tribunal administratif du Luxembourg dans lequel ce dernier reconnaît la représentativité nationale de l'ALEBA. Le gouvernement déclare qu'il a la possibilité de faire appel mais qu'il n'a pas encore arrêté sa position sur cette question.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité
- 661. La présente plainte a trait aux difficultés que rencontre l'organisation plaignante, l'Association luxembourgeoise des employés de banque et d'assurances (ALEBA), à se faire reconnaître en qualité de syndicat représentatif au regard de la loi luxembourgeoise de 1965 sur les conventions collectives (ci-après la loi de 1965).
- 662. Tel que le souligne le gouvernement, jamais la qualité d'organisation syndicale de l'ALEBA n'a-t-elle été contestée dans la mesure où elle répond aux critères structurels et fonctionnels contenus dans la loi de 1965 à cet égard, c'est-à-dire qu'elle représente un groupement professionnel doté d'une organisation interne et "ayant pour but la défense des intérêts professionnels et la représentation de [ses] membres ainsi que l'amélioration de leurs conditions d'existence". Seule la question de la représentativité de l'organisation plaignante, représentativité nécessaire pour signer les conventions collectives, fait l'objet de la plainte.
- 663. Le comité relève que la loi de 1965 ainsi que la question de la représentativité des organisations de travailleurs au Luxembourg ont déjà fait l'objet d'un examen. [Voir cas no 590, 119e rapport, paragr. 33-63.] Avant de rappeler les conclusions auxquelles le comité était alors parvenu et de se prononcer par la suite sur le cas d'espèce, le comité souhaite mentionner les principes pertinents développés en ce qui concerne la représentativité syndicale.
- 664. Pour ce qui est de la représentativité et de la négociation collective, le comité observe que différents instruments adoptés par la Conférence de l'OIT se réfèrent expressément aux notions de représentativité ou d'organisations représentatives; à cet égard, le comité relève au passage les travaux préparatoires de la convention (nº 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949 , ainsi que les recommandations (nº 91) sur les conventions collectives, 1951, et (no 163) sur la négociation collective, 1981. En outre, le comité prend note qu'en vertu de l'article 4 de la convention no 98 les gouvernements doivent prendre des mesures appropriées aux conditions nationales pour encourager et promouvoir les procédures de négociation volontaire de conventions collectives. A cet égard, le comité a toujours insisté sur l'importance qu'il attache à ce que les travailleurs puissent choisir l'organisation qui les représente, les autorités publiques devant s'abstenir de toutes interventions qui seraient susceptibles d'influencer ou de vicier ce libre choix. Toutefois, la diversité des tendances syndicales ayant conduit des législateurs à réserver certains droits aux organisations qui avaient le plus d'audience auprès des travailleurs, le comité a admis qu'une distinction soit opérée selon un système ou un autre entre les syndicats d'après leur degré de représentativité. [Voir notamment cas no 918, 197e rapport, paragr. 157.] Ainsi le comité a accepté, en vue de la négociation collective, qu'une distinction soit opérée entre les organisations syndicales en se fondant sur leur représentativité et en reconnaissant aux syndicats les plus représentatifs des droits préférentiels de négociation, y compris pour les conventions collectives. Toutefois, en prenant cette position, le comité a mis l'accent sur la nécessité de fonder sur des critères objectifs la détermination de la représentativité des organisations. [Voir cas no 590, 119e rapport, paragr. 59.]
- 665. Le comité estime approprié à ce stade de rappeler les conclusions auxquelles il est parvenu dans le cas mentionné ci-avant et qui se référait aussi à la loi de 1965. Dans cette affaire, le comité avait été saisi d'une plainte présentée par un syndicat luxembourgeois qui s'estimait le plus représentatif d'une catégorie de travailleurs qui n'était pas reconnue comme une catégorie spéciale aux fins de la négociation collective. Le syndicat bénéficiait dès lors d'une existence légale sur le plan national mais n'avait pas la capacité pour conclure des conventions collectives séparées au nom de ses membres. Le comité, prenant en considération les conditions nationales, et notamment les petites dimensions du pays qui justifiaient que le droit de négocier ne fût octroyé qu'aux seules organisations les plus représentatives sur le plan national, avait considéré que ni la loi ni la pratique ne devrait empêcher le syndicat qui représente la majorité des travailleurs d'une certaine catégorie de s'occuper de la sauvegarde des intérêts de ses membres. Le comité avait alors recommandé au Conseil d'administration d'inviter le gouvernement à étudier les mesures qui pourraient intervenir en vue de permettre au syndicat concerné d'être associé à la procédure de négociation collective de telle sorte qu'il puisse y représenter de façon adéquate et y défendre les intérêts collectifs de ses membres. [Ibid., paragr. 63.]
- 666. Dans le cas d'espèce, selon l'information portée à la connaissance du comité par l'organisation plaignante, l'ALEBA est un syndicat de travailleurs qui compte environ 9 200 membres qui sont recrutés essentiellement parmi les 19 195 employés de banques et de compagnies d'assurances établies au Luxembourg (relevé en date de 1998 de la Chambre des employés privés). En novembre 1998, lors des dernières élections tenues au sein de la Chambre des employés privés, l'ALEBA aurait remporté dans le groupe "banques et assurances" (groupe III) 68 pour cent des voix, ce qui en ferait le syndicat fortement majoritaire au sein de cet organe. Le comité note cependant que le gouvernement ainsi que les confédérations syndicales OGB-L et LCGB contestent certains des chiffres avancés par l'ALEBA qui tendraient à prouver son caractère majoritaire dans le secteur concerné.
- 667. Le comité relève toutefois que le gouvernement ne conteste aucunement le rôle clé que joue l'organisation plaignante dans le secteur des banques et assurances. Bien au contraire, le comité prend note de la déclaration du gouvernement selon laquelle ni la loi ni la jurisprudence luxembourgeoises n'empêchent l'ALEBA de participer aux négociations collectives dans le secteur où elle bénéficie d'une large représentativité. En outre, le comité note que l'organisation plaignante a non seulement participé depuis de nombreuses années à la négociation d'à peu près toutes les conventions collectives signées concernant le groupe III "banques et assurances" mais a aussi agi, par l'intermédiaire de son président, comme porte-parole intersyndical. Tel que le souligne le gouvernement, toutes les conventions collectives du secteur banques et assurances, à l'exception d'une, n'ont été signées que si l'ALEBA était d'accord; de plus, toutes ont été déclarées d'obligation générale sauf l'une d'entre elles.
- 668. Nul ne conteste dès lors que l'ALEBA ait participé aux négociations collectives dans son secteur et ait même signé à de nombreuses occasions, avec d'autres syndicats reconnus comme représentatifs, les conventions collectives afférentes. Ce qui est en jeu c'est la qualité représentative de l'organisation plaignante - qui lui permettrait de signer seule des conventions collectives - au regard de la loi de 1965 et de la jurisprudence.
- 669. Pour ce qui est de la législation, le comité estime opportun, à ce stade, de rappeler les dispositions pertinentes de la loi de 1965, c'est-à-dire les alinéas 1, 2 et 3 de l'article 2 qui se lisent comme suit:
- Ne peuvent être parties à une convention collective de travail, en dehors des employeurs pris individuellement et des groupements d'employeurs, que les organisations syndicales les plus représentatives sur le plan national.
- Sont considérés comme organisations syndicales, tous groupements professionnels pourvus d'une organisation interne et ayant pour but la défense des intérêts professionnels et la représentation de leurs membres ainsi que l'amélioration de leurs conditions d'existence.
- Sont considérées comme organisations syndicales les plus représentatives, celles qui se signalent par le nombre important de leurs affiliés, par leurs activités et par leur indépendance.
- Au regard de la loi de 1965, les organisations syndicales les plus représentatives sont celles qui se signalent par le nombre important de leurs affiliés, par leurs activités et par leur indépendance. Ces critères sont suffisamment objectifs, précis et concluants pour permettre, de l'avis du comité, l'identification des organisations représentatives. Toutefois, la loi de 1965 prévoit en outre que les organisations doivent être représentatives sur le plan national; la loi ne donne aucune autre précision à cet égard. Le comité relève que cette loi a fait l'objet d'au moins trois applications jurisprudentielles qui ont précisé l'intention du législateur pour ce qui est de la référence au "plan national". Il appert de ces décisions, dont le comité a reçu copie, et de l'information portée à sa connaissance que, pour être représentative au niveau national, une organisation de travailleurs doit prouver tant une représentation nationale qu'une représentation plurisectorielle pour l'un ou l'autre des groupes socioprofessionnels reconnus par la loi, c'est-à-dire les employés privés ou les ouvriers. Pour prétendre à la représentativité et avoir la capacité de signer seule des conventions collectives, l'organisation concernée doit justifier d'un nombre d'adhérents et par là même d'une audience certaine dans différents secteurs de la vie économique dans l'un ou l'autre de ces groupes. Le comité estime que le cumul de ces deux exigences aux fins de la signature des conventions collectives - représentativité nationale et plurisectorielle - pose problème au regard des principes de la liberté syndicale pour ce qui est de la représentativité. Son application pourrait avoir pour conséquence d'empêcher un syndicat représentatif dans un secteur déterminé de signer seul les conventions collectives qui font suite aux négociations collectives auxquelles il a participé.
- 670. Dans le cas d'espèce, le comité note que, bien que l'organisation plaignante prétende représenter un nombre important d'employés dans le secteur des banques et assurances au niveau national, elle ne peut signer seule les conventions collectives couvrant des travailleurs de ce secteur et qu'elle a négociées, étant entendu que le gouvernement estime qu'elle n'est pas représentative puisqu'elle ne peut faire la preuve d'une audience dans différents secteurs de la vie économique. Le comité estime que l'interprétation que font les autorités compétentes luxembourgeoises de la loi de 1965 en imposant une représentation nationale et plurisectorielle est contraire aux principes de la liberté syndicale puisqu'elle pourrait empêcher le syndicat le plus représentatif dans un secteur déterminé de signer seul les conventions collectives et par là même de défendre au mieux les intérêts de ceux qu'il représente. Les syndicats jouissant du droit de négocier des conventions collectives, en vue, selon les termes de la convention no 98, de régler par ce moyen les conditions d'emploi doivent être désignés, selon des critères objectifs et fixés d'avance. De toute évidence, le nombre d'adhérents ou le résultat obtenu lors d'élections professionnelles répond à cette notion de critères objectifs et fixés d'avance. Le comité se voit dès lors dans l'obligation de réitérer les conclusions auxquelles il était parvenu dans son examen précédent du cas du Luxembourg (cas no 590), à savoir que l'ALEBA doit être associée à la procédure de négociation collective dans son secteur. De l'avis du comité, cette association à la négociation, pour être pleinement effective et réelle, impliquerait que l'ALEBA soit en mesure de signer, au besoin seule, les conventions en découlant lorsqu'elle le souhaite, pour autant que son caractère représentatif dans le secteur soit objectivement démontré.
- 671. Par ailleurs, le comité considère que la participation à la négociation collective et la signature des conventions qui en découlent impliquent nécessairement l'indépendance des organisations signataires vis-à-vis de l'employeur ou des organisations d'employeurs ainsi que des autorités publiques. Ce n'est que lorsque ce caractère d'indépendance est avéré que la négociation peut être ouverte aux organisations syndicales.
- 672. La détermination des organisations susceptibles de signer seules des conventions collectives devrait donc être établie sur la base d'un double critère: celui de la représentativité et celui de l'indépendance. De l'avis du comité, les organisations répondant à ces critères devraient être déterminées par un organe présentant toutes garanties d'indépendance et d'objectivité.
- 673. Enfin, le comité prend note du récent jugement rendu en date du 24 octobre 2000 par le tribunal administratif du Luxembourg dans lequel ce dernier reconnaît la représentativité nationale de l'ALEBA afin de signer des conventions collectives.
- 674. Dans ce contexte, le comité prie le gouvernement de réexaminer la situation à la lumière de ses conclusions et lui demande de prendre les mesures nécessaires pour qu'une organisation dont le caractère représentatif dans un secteur serait objectivement démontré et qui présenterait un caractère avéré d'indépendance puisse signer, au besoin seule, des conventions collectives, et ce en vue de rendre la pratique luxembourgeoise pleinement conforme à la liberté syndicale. Le comité prie le gouvernement de le tenir informé à cet égard.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 675. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Le comité demande au gouvernement de réexaminer la situation à la lumière de ses conclusions et lui demande de prendre les mesures nécessaires pour qu'une organisation dont le caractère représentatif, constaté conformément aux principes de l'OIT, dans un secteur serait objectivement démontré et qui présenterait un caractère avéré d'indépendance puisse signer, au besoin seule, des conventions collectives, et ce en vue de rendre la pratique luxembourgeoise pleinement conforme à la liberté syndicale. Le comité prie le gouvernement de le tenir informé à cet égard.
- b) Le comité attire l'attention de la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations sur les aspects législatifs de ce cas.