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Rapport où le comité demande à être informé de l’évolution de la situation - Rapport No. 316, Juin 1999

Cas no 1985 (Canada) - Date de la plainte: 25-SEPT.-98 - Clos

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275. Dans une communication en date du 25 septembre 1998, le Congrès du travail du Canada (CTC) a présenté une plainte en violation de la liberté syndicale contre le gouvernement du Canada. L'Internationale des communications s'est associée à cette plainte dans une communication en date du 29 septembre 1998.

  1. 275. Dans une communication en date du 25 septembre 1998, le Congrès du travail du Canada (CTC) a présenté une plainte en violation de la liberté syndicale contre le gouvernement du Canada. L'Internationale des communications s'est associée à cette plainte dans une communication en date du 29 septembre 1998.
  2. 276. Le gouvernement a transmis ses observations sur le cas dans des communications des 22 janvier et 15 avril 1999.
  3. 277. Le Canada a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948. Toutefois, il n'a ratifié ni la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949, ni la convention (no 151) sur les relations de travail dans la fonction publique, 1978, ni la convention (no 154) sur la négociation collective, 1981.

A. Allégations de l'organisation plaignante

A. Allégations de l'organisation plaignante
  1. 278. L'organisation plaignante soutient que le gouvernement a contrevenu gravement aux principes de la liberté syndicale en adoptant, le 3 décembre 1997, le projet de loi C-24 -- la loi de 1997 sur le maintien des services postaux (ci-après "projet de loi C-24") mettant un terme à une grève légale des postiers canadiens. Les événements ayant abouti à l'adoption du projet de loi C-24 sont résumés dans les paragraphes qui suivent.
  2. 279. Le 31 janvier 1995, la Société canadienne des postes et le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes ont conclu une négociation collective venant à échéance le 31 juillet 1997. A la suite de la transmission d'un avis de négociation collective en vue du renouvellement de la convention collective, la Société canadienne des postes et le syndicat ont tenu diverses rencontres de négociation.
  3. 280. L'organisation plaignante soutient que, pendant toute la période d'avril à novembre 1997 et malgré la tenue de séances de négociation, l'existence d'un mandat de grève, l'intervention de conciliateurs et la constitution d'une commission de conciliation, la Société canadienne des postes n'a pas fait de véritables efforts afin de conclure une convention collective; pendant la même période, le ministre responsable aurait même déclaré à plusieurs reprises qu'une loi spéciale de retour au travail serait adoptée si les travailleurs des postes avaient recours à la grève.
  4. 281. L'organisation plaignante est d'opinion que, dès novembre 1997, la Société canadienne des postes n'avait plus aucune intention de négocier de bonne foi; elle allègue que les propositions soumises à cette époque aux travailleurs et travailleuses des postes constituaient un véritable recul par rapport aux demandes originales, voire aux premières offres de l'employeur. L'organisation plaignante soutient que l'employeur a volontairement créé l'impasse dans le processus de négociation afin d'obliger le syndicat à avoir recours à l'ultime moyen de pression: la grève. C'est dès lors dans ce contexte et sans autre issue possible que, le 19 novembre 1997, le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes a déclenché une grève. Très rapidement après, le gouvernement a adopté le projet de loi C-24 obligeant les travailleurs concernés à retourner au travail.
  5. 282. L'organisation plaignante allègue que le projet de loi C-24 non seulement prive le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes de son droit de faire grève, mais également lui dénie toute possibilité de négocier librement les conditions de travail de ses membres.
  6. 283. Plus précisément, l'organisation plaignante soutient que le projet de loi C-24 limite le droit des travailleurs de s'organiser en vue de promouvoir et de défendre leurs intérêts en dénuant de toute portée l'affiliation à une organisation syndicale dont les efforts sont systématiquement anéantis par l'action législative. La syndicalisation ne fournit dès lors plus d'avantages dans la mesure où toute convention collective conclue peut être modifiée unilatéralement par les autorités en vue de répondre aux souhaits de l'Etat ou de l'employeur.
  7. 284. En outre, le projet de loi C-24 viole la négociation collective volontaire: i) en prorogeant la convention collective expirée le 31 juillet 1997 pour une période additionnelle de trois ans; ii) en imposant par voie législative la majoration des salaires pour la même période; iii) en imposant au médiateur-arbitre l'obligation de prendre en considération dans sa décision des éléments qui sont intimement liés à la Société canadienne des postes, à savoir sa viabilité et sa stabilité financière; iv) en limitant de façon indue le champ de la négociation collective; v) en interdisant la grève; et vi) en fixant des amendes dix fois supérieures à celles prévues dans le Code canadien du travail pour des cas similaires.
  8. 285. Enfin, l'organisation plaignante soutient que le projet de loi C-24 viole le droit de grève en raison du fait que l'interdiction d'y avoir recours, combinée à la prorogation de la convention collective, à l'imposition unilatérale des conditions de travail et à l'absence de mécanismes d'arbitrage vraiment impartiaux et indépendants -- même si les services postaux ne sont pas un service essentiel au sens strict du terme --, prive les travailleurs concernés de moyens efficaces de défense de leurs intérêts économiques et sociaux.
  9. 286. L'organisation plaignante rappelle que le projet de loi C-24 s'inscrit dans une longue série de mesures législatives prises par le gouvernement qui font obstacle et entravent gravement le processus de négociation collective au pays; à cet égard, elle se réfère aux lois de 1987 et 1991 sur le maintien des services postaux. A plusieurs occasions, dans le passé, le gouvernement canadien a montré peu d'intérêt à vouloir respecter le droit des travailleurs de négocier collectivement et volontairement leurs conditions de travail. Pour ce qui est du projet de loi C-24 proprement dit, l'organisation plaignante soutient que le gouvernement canadien a volontairement et délibérément sacrifié la négociation collective volontaire au profit de la stabilité, de l'efficacité et de la productivité de la Société canadienne des postes. En fait, le gouvernement a manifesté, au cours des dernières années, une intention d'institutionnaliser le recours aux mesures législatives en vue de fixer unilatéralement les conditions d'emploi non seulement des fonctionnaires, mais également de tous les travailleurs employés au sein d'organisations relevant de la juridiction fédérale. Malgré de nombreuses plaintes et recommandations formulées par le Comité de la liberté syndicale et la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations, le gouvernement n'a toujours pas pris les mesures souhaitées. Compte tenu de ces violations répétées, l'organisation plaignante demande qu'une mission de contacts directs se rende dans le pays, y rencontre des représentants des syndicats, des employeurs et du gouvernement afin d'effectuer une évaluation en profondeur de la situation et de formuler les recommandations les plus appropriées.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  • Profil de la Société canadienne des postes
    1. 287 Le gouvernement explique que la Société canadienne des postes a été créée en 1981 par une loi du Parlement canadien (LR, 1985, ch. C-10) et qu'elle a notamment pour mission de créer et d'exploiter un service postal au bénéfice de tous les Canadiens.
    2. 288 Le gouvernement précise que la Société canadienne des postes achemine plus de 37 millions de lettres et colis quotidiennement; en fait, en 1997-98, 30 millions de Canadiens et au-delà de 900 000 entreprises commerciales et institutions publiques ont été desservis par cette société.
    3. 289 La Société canadienne des postes compte plus de 63 000 employés répartis au sein de 22 grands établissements d'exploitation et autres installations et représente de ce fait le cinquième employeur en importance au Canada.
    4. 290 Le gouvernement estime que le travail réalisé par la Société canadienne des postes touche tous les Canadiens. Une portion importante du volume total des lettres et colis acheminés par cette société concerne les individus; toute interruption du service est susceptible d'entraîner des conséquences graves pour les personnes dont la subsistance dépend de l'aide gouvernementale transmise généralement par courrier. Pour ce qui est des entreprises commerciales, le service postal est en règle générale une composante essentielle de leur système d'envoi de factures et de réception de paiements. En cas de grève ou d'interruption de services dans le domaine des postes au Canada, ces entreprises pourraient rencontrer d'importants problèmes de liquidités.
    5. 291 Ayant à l'esprit ces données, le gouvernement canadien précise que la grève qui a paralysé la Société canadienne des postes pendant près de deux semaines au cours des mois de novembre et décembre 1997 a entraîné des conséquences graves tant pour les entreprises canadiennes que pour les individus; selon une estimation, les entreprises canadiennes auraient perdu plus de 200 millions de dollars chaque jour de grève. Les organisations caritatives dont la majorité du financement dépend de contributions versées au cours des mois de novembre et décembre auraient perdu à ce titre plus de 10 millions de dollars quotidiennement. Cette grève aurait entraîné le licenciement de plus de 10 000 employés oeuvrant dans différentes entreprises directement affectées. En outre, certaines personnes qui dépendent de l'aide gouvernementale se sont vues dépourvues -- malgré les mesures d'urgence instituées -- des fonds nécessaires pour subvenir à leurs besoins minima et pour payer leurs loyers. Tout au long du différend, des conciliateurs et médiateurs ont été mis à la disposition des parties en vue de les aider à trouver un règlement acceptable. Le gouvernement n'est finalement intervenu que lorsque la situation ne laissait présager aucun règlement dans un proche avenir.
  • Cadre législatif des négociations collectives tenues au regard du Code canadien du travail
    1. 292 Seulement 10 pour cent de la main-d'oeuvre canadienne est régie par le Code canadien du travail et les lois afférentes; il s'agit des travailleurs oeuvrant au sein d'infrastructures et d'industries qui représentent une importance considérable pour l'économie canadienne et qui couvrent notamment les transports internationaux et interprovinciaux par terre ou par mer, le transport aérien et les aéroports, les télécommunications, les banques, les ports, les postes, incluant les ouvrages ou entreprises déclarés être à l'avantage général du Canada. En juin 1998, la partie I du Code canadien du travail a été modifiée afin notamment de remplacer le Conseil canadien des relations du travail par un conseil représentatif, le Conseil canadien des relations industrielles; ces modifications sont entrées en vigueur le 1er janvier 1999. Pour ce qui est plus précisément des droits des travailleurs visés de s'organiser et de négocier collectivement, le gouvernement rappelle son engagement à les respecter et se réfère à cet égard au préambule de la partie I du Code canadien du travail qui dispose que:
  • Attendu qu'il est depuis longtemps dans la tradition canadienne que la législation et la politique du travail soient conçues de façon à favoriser le bien-être de tous par l'encouragement de la pratique des libres négociations collectives et du règlement positif des différends;
  • Que les travailleurs, syndicats et employeurs du Canada reconnaissent et soutiennent que la liberté syndicale et la pratique des libres négociations collectives sont les fondements de relations du travail fructueuses permettant d'établir de bonnes conditions de travail et de saines relations entre travailleurs et employeurs;
  • Que le gouvernement du Canada a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, de l'Organisation internationale du Travail, et qu'il s'est engagé à cet égard à présenter des rapports à cette organisation;
  • Que le Parlement du Canada désire continuer et accentuer son appui aux efforts conjugués des travailleurs et du patronat pour établir de bonnes relations et des méthodes de règlement positif des différends et qu'il estime que l'établissement de bonnes relations du travail sert l'intérêt véritable du Canada en assurant à tous une juste part des fruits du progrès. (...)
    1. 293 Pour ce qui est de la négociation collective proprement dite, la partie I du Code canadien du travail réserve ce droit de façon exclusive aux agents négociateurs représentant les employés au sein d'une unité de négociation donnée. Le Conseil canadien des relations industrielles a compétence pour déterminer et octroyer les accréditations requises à cette fin.
    2. 294 Pour pouvoir être accrédité aux fins de la négociation collective, un syndicat doit établir qu'il est dûment constitué. Le Conseil canadien des relations industrielles exige à cet égard que le syndicat démontre qu'il est une organisation créée aux fins de la négociation collective et que statut et règlements pertinents ont été adoptés. L'organisation ne doit pas être l'objet d'ingérence de la part de l'employeur ou être dominée par lui. Le syndicat dûment accrédité doit par la suite démontrer qu'il représente la majorité des employés au sein de l'unité de négociation.
    3. 295 C'est le Conseil canadien des relations industrielles qui possède la compétence exclusive pour déterminer l'unité de négociation collective appropriée; pour ce faire, le Conseil canadien des relations industrielles se fonde notamment sur la nature de l'industrie visée, ainsi que sur l'organisation proprement dite de l'entreprise et les catégories de travailleurs concernés. En pratique, l'unité de négociation peut être plus ou moins étendue et couvrir un ou plusieurs établissements de l'employeur. Les unités peuvent aussi inclure tous les employés ou les répartir en fonction des différentes catégories auxquelles ils appartiennent. Bien que la nature de l'industrie visée influence la détermination de l'unité de négociation appropriée, le Conseil canadien des relations industrielles tend à éviter de plus en plus la fragmentation des unités de négociation. Une fois l'accréditation obtenue, l'agent de négociation et l'employeur ont l'obligation de se rencontrer et de négocier de bonne foi et de faire tout effort raisonnable pour conclure une convention collective. Les conventions collectives conclues doivent être pour une durée minimum d'un an; pendant cette période, les grèves et les lock-out sont interdits. Toutefois, les conventions collectives doivent obligatoirement contenir une disposition aux termes de laquelle tous différends sur leur interprétation et leur application doivent être réglés par arbitrage ou autrement. Lorsque les parties ne réussissent pas à s'entendre sur le choix de l'arbitre, le ministre du Travail peut, sur requête, le désigner.
    4. 296 L'avis, en vue de tenir des négociations collectives, peut être donné par toute partie trois mois avant la date d'expiration de la convention collective. Si les négociations n'ont pas permis aux parties de s'entendre, l'une de celles-ci peut le notifier au ministre du Travail afin de pouvoir bénéficier des dispositions du Code du travail relatives à la nomination d'un conciliateur, d'un commissaire-conciliateur (personnalité indépendante) ou en vue d'acquérir le droit de grève ou de lock-out. Le ministre peut alors mettre en oeuvre des procédures de conciliation; dans ce cas, les grèves et les lock-out sont interdits jusqu'à ce que les procédures de règlement soient épuisées.
    5. 297 Enfin, le Code canadien du travail prévoit également une obligation pour l'agent négociateur de représenter tous les membres de l'unité de négociation équitablement et sans discrimination et fixe les peines en cas de violation de ses dispositions.
    6. 298 Le gouvernement conclut la présentation du cadre législatif en insistant sur le fait que le Code canadien du travail vise à établir un environnement stable en vue de la négociation collective et à encourager les parties à y recourir pour régler leurs différends. En pratique, le gouvernement estime que la négociation collective au sein des entreprises privées soumise à la juridiction fédérale fonctionne de façon satisfaisante étant entendu que plus de 95 pour cent des ententes sont conclues sans arrêt de travail alors que 500 à 600 d'entre elles viennent à échéance chaque année.
  • Historique des négociations entre la Société canadienne des postes et le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes
    1. 299 Le gouvernement expose l'historique des négociations collectives depuis que le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes a conclu sa première convention collective. En fait, de 1975 à 1997, des négociations collectives ont été tenues au cours des périodes 1975, 1977-78, 1979-80, 1981-82, 1984-85, 1986-87, 1989-1991 et 1994-95. Des grèves ont été déclenchées en 1975, 1978, 1981, 1987 et 1991. Le gouvernement a mis fin aux grèves de 1978, 1987 et 1991 au moyen de lois de retour au travail. Dans les autres cas, les parties se sont finalement entendues sans que le gouvernement n'ait recours à des mesures législatives ou sans qu'il n'y ait arrêt de travail (négociations de 1979-80, 1984-85 et 1994-95).
    2. 300 Le gouvernement rappelle les raisons qui ont justifié la création de la Société canadienne des postes en 1981. Durant les années soixante-dix, la population canadienne a ressenti une frustration croissante à l'égard du système postal, des conflits de travail toujours plus nombreux l'affectant et des interruptions du service. Plusieurs études ont été entreprises afin de tenter de trouver une solution au problème des postes et c'est à la suite de ces dernières que la Société canadienne des postes a été établie par la loi, sa mission étant notamment "de créer et d'exploiter un service postal comportant le relevage, la transmission et la distribution des messages, renseignements, fonds ou marchandises, dans le régime intérieur et dans le régime international".
    3. 301 L'article 5 de la loi portant création de la Société canadienne des postes prévoit également qu'elle doit veiller "à l'autofinancement de son exploitation dans des conditions de normes de services adaptées aux besoins de la population du Canada et comparables pour des collectivités de même importance". Le conseil d'administration établi aux termes de la loi a interprété ces objectifs fondamentaux comme signifiant l'amélioration du service, la création d'un meilleur climat des relations humaines au sein de l'organisation et la réalisation de l'autonomie financière au terme de la cinquième année d'exploitation de la société.
    4. 302 En novembre 1995, le ministre responsable de la Société canadienne des postes a mandaté une personnalité indépendante en vue de procéder à la révision complète du mandat de cette société. Le rapport, qui a été rendu public en octobre 1996, conclut que la Société canadienne des postes doit opérer sous des contraintes qui ne reflètent plus les réalités contemporaines du travail notamment en termes de flexibilité, de sécurité d'emploi et d'absentéisme rémunéré. Les conséquences financières des problèmes identifiés sont d'une importance telle qu'elles menacent la viabilité de la société même. Le rapport recommande dès lors à la Société canadienne des postes de réduire les coûts relatifs à l'application des conventions collectives de manière à ce qu'ils soient en conformité avec les réalités contemporaines, et ce par des négociations de bonne foi. En cas d'impasse dans les négociations, le gouvernement doit prendre les mesures nécessaires pour protéger l'intérêt public et pour assurer la stabilité financière à long terme de la Société canadienne des postes.
    5. 303 En ce qui concerne plus précisément les négociations de 1997 dans le secteur des postes, le gouvernement explique que des négociations directes entre les parties ont commencé au cours de l'été 1997. Deux conciliateurs ont par la suite été nommés par les parties et des rencontres ont été tenues en juillet, août et septembre 1997. Toutefois, dès le début du mois de septembre, le syndicat, n'ayant plus l'intention de faire recours aux conciliateurs, leur a demandé de fournir leur rapport. Le syndicat a par la suite rejeté l'offre globale présentée par la Société canadienne des postes le 18 septembre. Quelques semaines plus tard, le ministre du Travail a désigné un commissaire-conciliateur qui, après avoir tenu nombre de rencontres avec les deux parties, a indiqué, le 30 octobre suivant, que les parties ne pouvaient s'entendre. Il était d'avis que les négociations avanceraient d'un pas rapide si les parties savaient qu'elles auraient "à subir (le) rapport de force ultime, soit le déclenchement d'une grève ou d'un lock-out". D'autre part, le commissaire-conciliateur a recommandé instamment au ministre du Travail "d'insister auprès des parties pour qu'elles négocient leur différend avec célérité, diligence et bonne foi, et de laisser le rapport de force s'exercer de façon responsable par les parties"; il a ajouté, en outre, que le ministre devrait offrir en tout temps, à la demande des parties, l'aide professionnelle que le Service fédéral de médiation et de conciliation pouvait fournir. Le rapport a été rendu public le 10 novembre suivant et les parties ont acquis le droit de faire grève ou lock-out, aux termes des dispositions pertinentes du Code canadien du travail, le 18 novembre.
    6. 304 Dans ce contexte, la grève du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes a commencé à 17 heures la journée suivante. Toutefois, le gouvernement indique que les parties ont continué à négocier au cours du mois de novembre. Après avoir discuté avec les parties et s'être assuré qu'elles désiraient toujours un règlement négocié, le ministre du Travail a désigné un haut fonctionnaire à titre de médiateur le 24 novembre. Bien qu'il ait rencontré les parties entre les 24 et 28 novembre, elles n'ont malheureusement pas réussi à régler leur différend. Dans ces circonstances, le ministre du Travail s'est vu obligé de présenter une loi de retour au travail au début du mois de décembre; le projet de loi C-24 -- la loi de 1997 sur le maintien des services postaux (ci-après "projet de loi C-24") a dès lors été adopté le 2 décembre 1997; les travailleurs et travailleuses des postes ont repris le travail le 4 décembre.
    7. 305 Le gouvernement insiste sur le fait qu'aux termes du projet de loi C-24 un médiateur-arbitre a été nommé en janvier 1998 afin de régler toutes les questions faisant l'objet de différends entre les parties. Il a tenu des rencontres régulières avec les parties par la suite; de son côté, le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes a institué parallèlement différentes procédures judiciaires; la Cour supérieure du Québec a rejeté, par une décision rendue le 24 mars 1999, la requête du syndicat en vue de faire déclarer invalide le projet de loi C-24 au regard de la Charte canadienne des droits et libertés.
    8. 306 Le gouvernement précise que le projet de loi C-24 proroge la convention collective jusqu'à la prise d'effet d'une nouvelle convention collective. La convention collective est également réputée modifiée par la majoration des salaires de 1,5 pour cent à compter du 1er février 1998, de 1,75 pour cent supplémentaire à compter du 1er février 1999 et de 1,9 pour cent supplémentaire à compter du 1er février 2000.
    9. 307 A titre de remarques conclusives, le gouvernement rappelle que le Code canadien du travail reconnaît les droits de grève et de lock-out. En outre, il insiste sur le fait qu'il privilégie la négociation collective et qu'il n'intervient qu'en dernier ressort. Depuis 1950, le gouvernement aurait eu recours aux lois spéciales de retour au travail à 25 occasions; il ne le fait que dans les cas où l'interruption de service est susceptible de causer des conséquences graves pour les Canadiens.
    10. 308 En 1997, le gouvernement a dû se résoudre à adopter une législation de retour au travail dans le domaine des postes afin de protéger l'intérêt public et de régler le différend qui opposait les parties, ces dernières n'ayant pas réussi à s'entendre malgré l'intervention de conciliateurs, de commissaires-conciliateurs et de médiateurs. Cette initiative gouvernementale a été dictée par le fait que l'interruption des services postaux portait de graves préjudices à des individus ou des entreprises totalement étrangers au différend. Plusieurs entreprises canadiennes qui dépendent du service postal ont subi d'importantes pertes susceptibles de fragiliser dans un contexte déjà difficile leur viabilité économique. Des individus se sont vus privés de montants essentiels pour subvenir à leurs besoins de base.
    11. 309 De plus, le gouvernement estime que le fait que le projet de loi C-24 contienne des dispositions sur le règlement des différends a créé une opportunité nouvelle pour les parties de les régler par médiation ou arbitrage. Dans ce contexte, la loi prévoit des principes directeurs dont le médiateur-arbitre doit s'inspirer dans l'exécution de sa tâche; ils visent à assurer que le médiateur-arbitre garde à l'esprit les contraintes financières de la Société canadienne des postes mais aussi l'obligation statutaire de cette institution d'offrir des services de qualité.
    12. 310 Enfin, le gouvernement observe que les augmentations salariales prévues au projet de loi C-24 sont nettement supérieures à celles négociées de façon générale au sein de la fonction publique; il explique en outre que les amendes prévues en cas de violation ont volontairement été fixées à un niveau élevé afin de créer un effet dissuasif certain.
    13. 311 En concluant, le gouvernement se dit convaincu que les parties n'étaient pas en mesure de régler leur différend, et ce même après l'épuisement de tous les mécanismes prévus. Les lois de retour au travail ne sont adoptées que dans les cas de services majeurs dont l'interruption a des répercussions graves sur l'ensemble des Canadiens. Enfin, le gouvernement réitère sa foi dans la négociation collective.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 312. Dans cette affaire, l'organisation plaignante allègue que le gouvernement a porté atteinte aux principes de la liberté syndicale en adoptant le projet de loi C-24 -- la loi de 1997 sur le maintien des services postaux (ci-après "projet de loi C-24") qui a obligé les employés des postes canadiennes à reprendre le travail après douze jours de grève légale. Le gouvernement soutient pour sa part que l'adoption du projet de loi C-24 a été dictée par l'intérêt public après qu'il eut mis à la disposition des parties oeuvrant dans un secteur d'intérêt public tous les mécanismes de règlement des différends prévus à la législation sans obtenir le moindre résultat.
  2. 313. Le comité prend note de la réponse très détaillée présentée par le gouvernement; le comité note par ailleurs que le gouvernement se fonde de façon générale sur les mêmes prétentions que celles qu'il avait déjà soulevées lors de l'examen d'une plainte qui avait été présentée à la suite de l'adoption en 1987 de la loi sur le maintien des services postaux, mesure qui avait obligé à l'époque les travailleurs des postes canadiennes à retourner au travail après sept jours de grève. (Voir cas no 1451, 268e rapport, paragr. 46 à 104.)
  3. 314. Le comité observe également que le plaignant et le gouvernement semblent s'accorder dans l'ensemble sur la description des événements qui ont abouti à l'adoption du projet de loi C-24 et qui peuvent être résumés ainsi.
  4. 315. D'un point de vue législatif et pour ce qui est des entreprises et institutions soumises à la juridiction fédérale, la négociation collective et les procédures de règlement des différends en vue d'aboutir à la conclusion d'une convention collective sont prévues aux sections IV et V de la partie I du Code du travail canadien. Dans les trois mois qui précèdent l'expiration d'une convention collective, l'une ou l'autre des parties peut faire savoir qu'elle souhaite entamer des négociations en vue du renouvellement ou de la révision de la convention (Code canadien du travail, art. 49). Après une période de négociation directe de bonne foi (ibid., art. 50), l'une ou l'autre des parties peut indiquer au ministre du Travail qu'elles n'ont pas réussi à s'entendre (ibid., art. 71). Au regard de la loi, le ministre a alors le choix entre différentes mesures, soit la nomination d'un conciliateur ou d'un conciliateur-arbitre, soit la constitution d'une commission de conciliation (ibid., art. 72 1) a), b) et c)). Le ministre peut aussi notifier aux parties son intention de ne procéder à aucune de ces mesures (ibid., art. 72 1) d)). Dans les cas où les parties ont épuisé ces mécanismes de règlement des différends ou que le ministre leur a indiqué ne pas avoir l'intention d'y recourir, les parties acquièrent les droits de grève ou de lock-out après qu'un certain délai s'est écoulé (sept jours); avant ce stade, "il est interdit à l'employeur de déclarer ou de provoquer un lock-out et au syndicat de déclarer ou d'autoriser une grève" (ibid., art. 89 1)). A tout moment, le ministre peut avoir recours à la conciliation s'il estime que cette mesure peut aider les parties à conclure une convention collective (ibid., art. 72 2)).
  5. 316. Dans la présente affaire, les parties ont commencé à négocier au début du mois de juin 1997. Dès cette époque, deux conciliateurs ont été nommés; des rencontres ont été tenues tout au cours de l'été 1997. Au début du mois de septembre, le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes a indiqué ne plus envisager avoir recours aux services des conciliateurs. Dans ce contexte, et conformément aux dispositions du Code canadien du travail, le ministre du Travail a nommé un commissaire-conciliateur -- personnalité indépendante -- qui a dû constater l'échec de son intervention en vue de rapprocher les parties dans le rapport qu'il a soumis le 30 octobre 1997. Les parties ont malgré tout continué à négocier; ayant acquis les droits de grève et de lock-out le 18 novembre, le syndicat a déclenché une grève légale le jour suivant. Le ministre du Travail a nommé un haut fonctionnaire à titre de médiateur le 24 novembre; des rencontres ont été tenues en sa présence jusqu'au 28 novembre sans que les parties ne puissent parvenir au règlement de leur différend. Le gouvernement, estimant que les négociations s'enlisaient dans une impasse et après douze jours de grève, a présenté, au début du mois de décembre 1997, le projet de loi C-24 au Parlement canadien qui l'a adopté, forçant ainsi les travailleurs des postes à reprendre le travail dès le 4 décembre.
  6. 317. Le comité note que le projet de loi C-24, non seulement met fin à la grève légale déclenchée par le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, mais en outre proroge la convention collective expirée en juin 1997 jusqu'à l'adoption d'une nouvelle convention (projet de loi C-24, art. 6) ou pour une durée maximale de trois ans; il fait obligation au ministre de nommer un médiateur-arbitre afin que lui soient soumises pour règlement final toutes les questions qui font encore l'objet d'un différend entre les parties (ibid., art. 8). Il appert que, au 1er janvier 1999, des rencontres avaient encore lieu entre le médiateur-arbitre et les parties au regard de ces dispositions. Le projet de loi C-24 prévoit expressément que, dans le cadre de l'exécution de ses fonctions, le médiateur-arbitre doit "s'inspirer de la nécessité d'avoir des conditions de travail compatibles avec la loi sur la Société canadienne des postes et la viabilité et la stabilité de la Société canadienne des postes, compte tenu de: a) la nécessité pour celle-ci, sans recours à des hausses indues de tarifs postaux: i) d'être efficace, ii) d'accroître sa productivité, iii) de respecter des normes de service acceptables; b) l'importance des relations patronales-syndicales entre la Société canadienne des postes et le syndicat" (ibid., art. 9).
  7. 318. Au regard des faits non contestés, le comité note que, lorsque le législateur canadien est intervenu en adoptant le projet de loi C-24 obligeant les employés des postes à retourner au travail, les parties avaient initié leurs négociations quelque six mois auparavant et que, après avoir eu recours à nombre de mécanismes de règlement des différends prévus à la loi, elles n'avaient pas réussi à s'entendre.
  8. 319. Par ailleurs, le comité observe que l'une des questions centrales de la présente plainte se réfère au fait que les travailleurs et travailleuses des postes étaient en grève légale et que le gouvernement, au moyen du projet de loi C-24, leur a ordonné de reprendre le travail après douze jours de grève.
  9. 320. Dans ce contexte, le comité ne peut que rappeler que le droit de grève constitue l'un des moyens légitimes et essentiels permettant aux travailleurs et à leurs organisations de défendre leurs intérêts économiques et sociaux. (Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale du Conseil d'administration du BIT, quatrième édition, 1996, paragr. 473-477.) Le comité doit attirer à nouveau l'attention du gouvernement sur le principe de la liberté syndicale selon lequel le droit de grève ne peut être limité ou restreint que dans un nombre limité de cas: fonctionnaires qui exercent des fonctions d'autorité au nom de l'Etat, services essentiels au sens strict du terme -- à savoir les services dont l'interruption pourrait mettre en péril la vie, la sécurité ou la santé de la personne dans une partie ou dans la totalité de la population. En outre, le comité rappelle que l'interdiction générale des grèves ne saurait être justifiée que dans une situation de crise nationale aiguë, et ce pour une durée limitée. (Voir Recueil, op. cit., paragr. 526-527.)
  10. 321. En outre, le comité a été saisi à quelques reprises de plaintes concernant le maintien obligatoire des services postaux au détriment du droit de grève dûment exercé; à ces occasions, le comité a conclu qu'il serait difficile d'admettre que l'arrêt de tels services soit susceptible d'engendrer des conséquences caractérisant les services essentiels au sens strict du terme et a dès lors conclu qu'ils ne pouvaient pas constituer de tels services. (Voir cas no 1692, 291e rapport, paragr. 224, et cas no 1451 (Canada), 268e rapport, paragr. 98.)
  11. 322. Toutefois, le comité observe que l'interruption prolongée des services postaux est susceptible d'affecter des tiers totalement étrangers aux différends opposant les parties. Le comité est conscient qu'une grève affectant les services postaux, d'autant qu'elle a lieu pendant une période cruciale de l'année, peut avoir des répercussions graves pour les entreprises commerciales du pays concerné, même si elles peuvent désormais avoir recours à des services de remplacement tels les services de courrier privé, de télécopie ou de courrier électronique; à cet égard, le comité a déjà noté que sont particulièrement touchées les entreprises de vente par correspondance, qui dépendent étroitement, voire exclusivement, du courrier. (Voir cas no 1451 (Canada), 268e rapport, paragr. 98.) En outre, le comité est particulièrement sensible au fait qu'une grève dans les services postaux affecte directement les individus; même s'ils peuvent eux aussi avoir recours à des services de remplacement, le comité ne peut ignorer le fait que ce sont souvent les personnes en position sociale précaire qui sont les victimes directes de l'interruption d'un tel service puisqu'elles se voient privées -- même si un service d'urgence a été mis en place -- de revenus minima nécessaires pour subvenir à leurs besoins et payer leur loyer; à cet égard, sont particulièrement visées les personnes qui reçoivent des allocations d'assurance chômage ou qui sont en fin de droit et bénéficient de l'aide sociale ainsi que les personnes du troisième âge qui dépendent du versement de leurs pensions de vieillesse.
  12. 323. Quoi qu'il en soit, pour aussi regrettables que soient ces conséquences, elles ne sauraient justifier une limitation des droits fondamentaux garantis par les conventions nos 87 et 98, à moins qu'elles n'atteignent une telle gravité qu'elles mettent en danger la vie, la sécurité ou la santé de la personne dans une partie ou dans la totalité de la population. De l'avis du comité, tel n'est pas le cas en l'espèce, surtout si l'on tient compte de l'allégation non contredite voulant que, selon les dires mêmes du gouvernement, des mesures d'urgence avaient été instituées. Le comité prie instamment le gouvernement de déployer tous les efforts en vue d'éviter le recours à l'avenir, dans le secteur des postes, à des lois de retour au travail.
  13. 324. Toutefois, le comité a déjà indiqué que le maintien d'un service minimum peut être prévu dans le service des postes. (Voir Recueil, op. cit., paragr. 568.) Le comité insiste cependant sur le fait que le maintien de services minima en cas de grève ne devrait être possible que: 1) dans les services dont l'interruption risquerait de mettre en danger la vie, la sécurité ou la santé de la personne dans une partie ou dans l'ensemble de la population (services essentiels au sens strict du terme); 2) dans les services qui ne sont pas essentiels au sens strict du terme mais où les grèves d'une certaine ampleur et durée pourraient provoquer une crise nationale aiguë menaçant les conditions normales d'existence de la population; 3) dans les services publics d'importance primordiale. (Voir Recueil, op. cit., paragr. 556.) Dans ces cas, les organisations syndicales devraient pouvoir participer à la définition du service minimum tout comme les employeurs et les autorités publiques. (Voir notamment Recueil, op. cit., paragr. 557.) La Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations partage le même avis. (Conférence internationale du Travail, étude d'ensemble sur la liberté syndicale et la négociation collective, 1994, paragr. 161.) Le comité suggère dès lors au gouvernement d'étudier la possibilité d'introduire, en accord avec le syndicat concerné, des mesures afin d'éviter le recours à des lois de retour au travail. Le comité prie le gouvernement de le tenir informé à cet égard.
  14. 325. Enfin, rappelant que le comité a déjà suggéré au gouvernement d'envisager d'avoir recours à l'assistance du Bureau et notant la requête de l'organisation plaignante pour qu'une mission de contacts directs se rende dans le pays, le comité prie le gouvernement de réexaminer ces propositions en vue de faciliter la recherche de solutions aux difficultés identifiées et de donner une réponse à cet égard.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 326. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) Rappelant que le service des postes n'est pas un service essentiel au sens strict du terme, le comité prie instamment le gouvernement de déployer tous les efforts en vue d'éviter à l'avenir le recours dans ce secteur à des lois de retour au travail.
    • b) Considérant que le service des postes peut être considéré comme un service public pour lequel un service minimum peut être prévu et insistant sur le fait que dans un tel cas les organisations syndicales devraient pouvoir participer à la définition de ce service comme les employeurs et les autorités publiques, le comité suggère au gouvernement d'étudier la possibilité d'introduire, en accord avec le syndicat concerné, des mesures afin d'éviter le recours à des lois de retour au travail. Le comité prie le gouvernement de le tenir informé à cet égard.
    • c) Rappelant que le comité a déjà suggéré au gouvernement d'envisager d'avoir recours à l'assistance du Bureau et notant la requête de l'organisation plaignante pour qu'une mission de contacts directs se rende dans le pays, le comité prie le gouvernement de réexaminer ces propositions en vue de faciliter la recherche de solutions aux difficultés identifiées et de donner une réponse à cet égard.
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