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Rapport intérimaire - Rapport No. 319, Novembre 1999

Cas no 2015 (Colombie) - Date de la plainte: 23-FÉVR.-99 - Clos

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  1. 180. La présente plainte figure dans une communication de l'Association des agents publics du système de santé des forces armées et de la police nationale (ASEMIL), datée du 23 février 1999. L'ASEMIL a envoyé des informations complémentaires par une communication datée du 16 avril 1999.
  2. 181. Le gouvernement a envoyé des observations partielles par une communication datée du 15 septembre 1999.
  3. 182. La Colombie a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégations de l'organisation plaignante

A. Allégations de l'organisation plaignante
  1. 183. Dans sa communication du 23 février 1999, l'Association des agents publics du système de santé des forces armées et de la police nationale (ASEMIL) précise qu'elle regroupe les travailleurs du système de santé des forces armées et de la police nationale. Elle ajoute que, le 7 mai 1997, le ministère de la Défense et les représentants de l'ASEMIL ont signé un accord contenant des dispositions sur la stabilité, l'absence de représailles, les salaires, le droit d'association et prévoyant la création d'une commission de suivi de cet accord. La plupart des dispositions de cet accord n'ont pas été respectées par les représentants du gouvernement: non-alignement des salaires, atteintes au droit d'association et refus de congés syndicaux.
  2. 184. L'organisation plaignante indique que, le 20 avril 1998, le vice-ministre de la Défense de l'époque a annoncé le licenciement de la direction du syndicat et, autre acte d'ingérence, a décidé de ne pas reconnaître les nouveaux statuts de l'association (le ministère du Travail a désapprouvé cette décision) et a cessé de retenir à la source les cotisations syndicales des membres, plaçant ainsi l'organisation dans une situation économique difficile. Selon l'ASEMIL, l'administration a recommencé à retenir les cotisations sur les salaires mais décline toute responsabilité quant aux sommes qui n'ont pas été retenues.
  3. 185. Par ailleurs, l'organisation plaignante affirme qu'en raison du non-respect de l'accord susmentionné et de la réduction des salaires elle a organisé, à partir du début du mois d'avril 1998, une série d'actions de protestation au niveau national et a notamment adressé des communications à diverses autorités, ce qui a entraîné un harcèlement incessant des syndicalistes et des dirigeants syndicaux: les lieux de travail ont été militarisés à partir du 1er avril; les personnes qui avaient participé aux manifestations ont été la cible d'agressions verbales; les syndicalistes ont été menacés de procédures disciplinaires pour leur activité syndicale légitime; on a distribué et affiché publiquement des écrits anonymes qui diffamaient les militants syndicaux et appelaient l'opinion publique à s'en prendre à eux, indiquant l'adresse de leur résidence et de leur cabinet de consultation, données auxquelles seules l'administration des hôpitaux et la police ont accès. Cette action a revêtu un caractère particulièrement grave à Cartagène.
  4. 186. Concrètement, l'ASEMIL affirme que les 20 et 21 mai une protestation nationale a été organisée, qui a revêtu une importance particulière à l'hôpital naval de Cartagène et à l'hôpital militaire central de Bogota. Le gouvernement a réagi immédiatement en envoyant des soldats en armes dans ces établissements (y compris dans les salles d'opérations), et les gaz lacrymogènes ont été utilisés de façon aveugle, ce dont ont souffert non seulement les manifestants mais aussi les patients hospitalisés. L'ASEMIL souligne que le mouvement n'a eu aucune incidence sur le fonctionnement des services essentiels et s'est limité aux activités strictement administratives et aux services de santé dans lesquels la vie ou l'intégrité physique des patients n'était aucunement en jeu.
  5. 187. D'après l'organisation plaignante, le Directeur de l'hôpital militaire central a demandé au ministère du Travail de déclarer illégale l'action du syndicat qu'il a qualifiée de "grève ou arrêt de travail", de l'autoriser à licencier les travailleurs ayant participé au mouvement et à retirer l'immunité syndicale aux personnes qui en bénéficiaient et de lui laisser toute latitude pour "déplacer toutes les personnes qui continueraient à faire grève pour quelque motif que ce soit". La direction de l'hôpital naval de Cartagène a formulé les mêmes demandes.
  6. 188. L'ASEMIL indique que le ministère du Travail et de la Sécurité sociale a, par ses décisions 1293 et 1320 de 1998, déclaré illégales les grèves organisées à l'hôpital militaire central et à l'hôpital naval de Cartagène mais n'a pas accédé aux autres demandes, c'est-à-dire n'a pas autorisé les licenciements. D'après l'organisation plaignante, le ministère n'a pas pris les décisions susmentionnées dans le respect des formes régulières et n'a pas tenu compte des procès-verbaux qu'avaient dressés ses propres inspecteurs et d'où il ressort que les services essentiels, notamment le service des urgences, et les services de cardiologie et d'oncologie ont fonctionné normalement. Il n'a pas non plus tenu compte du fait que l'armée a empêché les travailleurs d'accéder à certains services.
  7. 189. L'organisation plaignante ajoute que, durant les activités syndicales qui ont été menées les 20 et 21 mai et qui se sont poursuivies les jours et les semaines suivants, d'autres faits graves se sont produits, qui sont résumés ci-après: i) la militarisation des lieux de travail a été maintenue; les soldats en armes ont, par leur présence, perturbé la tranquillité des patients ainsi que le travail des personnes qui s'occupaient des services essentiels; ii) le 22 mai au matin, des soldats de l'infanterie de marine ont détruit des affiches faisant allusion au mouvement de protestation (mené dans les bâtiments de l'hôpital militaire central) et ont agressé verbalement et physiquement quelques syndicalistes; et iii) des syndicalistes qui se trouvaient sous une tente aux abords de l'hôpital militaire central ainsi que ceux qui ont organisé des défilés de protestation dans l'enceinte de l'hôpital ont été l'objet de harcèlement. La police militaire et les autres forces qui participaient à ces actions de harcèlement ont utilisé aveuglément des canons à eau, des matraques et des gaz lacrymogènes non seulement contre les syndicalistes mais aussi contre les visiteurs, et ce sans la moindre considération pour les patients, qui ont eu à souffrir de cette attitude. Au cours de ces actions, les syndicalistes suivants ont été blessés: Gloria Arias Arias, Angela Rocío Ramírez, José Noé Montenegro Sánchez, Ofelia González Pulido, Luz Mary Tusso Beltrán et Luz Casteñeda Orjuela. Au total, 42 syndicalistes ont été blessés avec pour conséquence un total de 100 jours d'arrêt pour incapacité de travail.
  8. 190. L'organisation plaignante affirme par ailleurs que tous les membres du comité directeur de l'ASEMIL ont été licenciés et se sont vu interdire l'accès aux bâtiments afin de les isoler des membres de base. (L'organisation plaignante donne les noms et les fonctions des dirigeants syndicaux.)
  9. 191. Enfin, l'organisation plaignante indique qu'en licenciant des dirigeants syndicaux et des syndicalistes le gouvernement a violé les conventions nos 87 et 98 de l'OIT et 1) que les décisions par lesquelles le ministère du Travail et de la Sécurité sociale a déclaré illégal le mouvement de protestation sont à l'origine du licenciement des membres de l'ASEMIL; 2) qu'à l'hôpital naval de Cartagène on a retiré un mois de salaire à plus de 60 syndicalistes bien que, comme l'indique le ministère du Travail dans sa décision, il n'y a eu que deux jours de grève; 3) qu'à l'hôpital militaire central on a procédé à des retenues sur salaire pour près de 200 syndicalistes, dont certains ont perdu jusqu'à une semaine de salaire, une telle mesure étant incompatible avec la décision du ministère; 4) que de nombreux syndicalistes touchés par ces mesures n'avaient pas pris part à la grève précisément parce qu'ils travaillaient dans des services essentiels; et 5) que les actes d'ingérence décrits plus haut, ainsi que les pressions et les menaces ont amené de nombreuses personnes à démissionner du syndicat.
  10. 192. Dans sa communication du 16 avril 1999, l'ASEMIL affirme que le ministre de la Défense nationale continue de refuser d'engager des négociations sur les revendications du personnel des 144 dispensaires du pays, qui comptent plus de 1 000 travailleurs représentés par l'ASEMIL, au motif qu'il n'y est pas tenu vu qu'il s'agit d'agents publics. Or la convention no 98 de l'OIT et la loi no 411 de 1997 portant approbation de la convention no 151 de l'OIT disposent expressément que cette catégorie de travailleurs est titulaire du droit à la négociation.
  11. 193. S'agissant du licenciement des 14 membres du comité directeur national et du sous-comité de Cartagène, l'ASEMIL indique que la Cour constitutionnelle a retenu trois des 14 recours qu'elle avait formés et, comme on pouvait s'y attendre, s'est prononcée en faveur des travailleurs et a ordonné leur réintégration immédiate. Or le ministre de la Défense nationale et le directeur de l'hôpital militaire central ont refusé d'envisager la réintégration des dirigeants syndicaux restants, ajoutant ainsi la violation du droit fondamental à l'égalité aux nombreux actes arbitraires déjà commis.
  12. 194. L'organisation plaignante affirme aussi qu'elle a été déclarée "objectif militaire" par des groupes armés et qu'à ce jour aucune mesure efficace n'a été prise pour protéger les personnes menacées. L'ASEMIL ajoute que, le 22 février 1999, Mme María Clara Baquero, présidente de ASODEFENSA, une organisation syndicale d'industrie au sein du ministère de la Défense, a été victime d'un attentat au cours duquel elle a été blessée. (Cette allégation est examinée dans le cadre d'une autre plainte contre le gouvernement de la Colombie -- cas no 1787.)

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 195. Dans une communication datée du 15 septembre 1999, le gouvernement déclare que le ministère du Travail et de la Sécurité sociale a, par sa décision no 000076 du 22 janvier 1999, décidé de ne pas se prononcer sur la prétendue violation de l'article 400 du Code du travail (concernant la retenue à la source des cotisations syndicales), et de laisser aux parties toute liberté pour saisir la justice ordinaire. Conformément à l'arrêté du 26 juillet 1999, la décision susmentionnée est devenue exécutoire. Par conséquent, les droits syndicaux en question relèvent exclusivement de la justice.
  2. 196. S'agissant des cotisations syndicales, la résolution no 000076 du 22 janvier 1999 dispose ce qui suit: a) s'abstenir de statuer sur les accusations formulées par l'ASEMIL à l'encontre du ministère de la Défense nationale, sous-système de santé des forces militaires et de l'hôpital militaire central, parce que, l'Institut national de la santé ayant disparu, il n'a pas été possible de déterminer si l'obligation incombait désormais au sous-système de santé des forces militaires, attendu que la réforme des statuts de l'ASEMIL a été notifiée en mars 1998; b) les entités citées n'ont pas porté atteinte au droit d'association en exigeant des dirigeants de l'ASEMIL qu'ils respectent leurs règlements pour accéder à leur installation. Le 25 février 1999, cette décision est devenue exécutoire; c) pour ce qui est du non-respect de l'obligation d'aligner les salaires, la plainte a été transmise à l'hôpital central qui déclare que cette obligation a bien été respectée, mais qu'il n'a pas été possible d'appliquer cette mesure aux personnes travaillant dans les services d'appui et les services généraux, dont on ne peut situer les fonctions conformément aux critères figurant dans le décret no 194 du 30 janvier 1997, et d) s'agissant du refus de négocier, au moyen de la décision no 2942 du 21 décembre 1998, il a été déclaré qu'il n'y a pas eu refus de négocier, décision qui a été confirmée par la décision no 001011 du 10 mai 1999.
  3. 197. En conclusion, le gouvernement affirme que tous les problèmes signalés par l'organisation syndicale ont été résolus conformément à la législation du travail colombienne, sauf le problème de l'alignement des salaires à propos duquel aucune décision n'a encore été prise. Le prochain rapport ne devrait donc traiter que de ce dernier problème.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 198. Le comité note que, dans le présent cas, l'organisation plaignante affirme qu'à partir du mois d'avril 1998 elle a lancé un mouvement de protestation au niveau national à cause du non-respect d'une convention collective et de la réduction des salaires, ce qui a entraîné un harcèlement continu de ses dirigeants et de ses membres. Concrètement, l'organisation plaignante affirme: 1) que le ministère de la Défense n'a pas respecté la convention qu'il a signée avec l'ASEMIL le 7 mai 1997 et qui contient des dispositions sur la stabilité de l'emploi, l'absence de représailles, les salaires, etc.; 2) que le ministère de la Défense a refusé de reconnaître les nouveaux statuts de l'ASEMIL (l'organisation plaignante précise que le ministère du Travail a désapprouvé cette décision); 3) que la retenue des cotisations syndicales sur le salaire a été temporairement suspendue; 4) que l'hôpital naval de Cartagène et l'hôpital militaire central de Bogota ont été occupés par des soldats en armes pendant les journées nationales de protestation des 20 et 21 mai 1998; 5) que des affiches se rapportant au mouvement de protestation à l'hôpital militaire central de Bogota ont été détruites, que des syndicalistes ont été molestés et que 42 d'entre eux ont été blessés à la suite de ces agressions (l'organisation plaignante communique les noms de six d'entre eux, donne le détail des blessures infligées et le degré d'incapacité qui en est résulté); 6) que les membres du comité directeur de l'organisation plaignante (celle-ci communique les noms et les fonctions de 14 dirigeants syndicaux) ont été licenciés après que les grèves organisées à l'hôpital militaire central et à l'hôpital naval de Cartagène eurent été déclarées illégales (la Cour constitutionnelle a ordonné la réintégration de trois dirigeants licenciés); 7) que l'employeur a retenu un mois de salaire à plus de 60 syndicalistes à l'hôpital naval de Cartagène et une semaine de salaire à près de 200 syndicalistes à l'hôpital militaire central, alors que le mouvement de grève n'avait duré que deux jours, et 8) que les autorités du ministère de la Défense refusent d'engager des négociations sur les revendications des personnes qui travaillent dans les dispensaires du pays et qui sont plus d'un millier.
  2. 199. En ce qui concerne l'allégation relative à la suspension de la retenue à la source des cotisations syndicales, le comité note que le gouvernement indique que le ministère du Travail et de la Sécurité sociale a décidé de ne pas se prononcer sur la prétendue violation des dispositions de l'article 400 du Code du travail relatif à la retenue des cotisations syndicales, étant donné que, l'Institut national de la santé ayant disparu, il n'a pas été possible de déterminer si l'obligation incombait désormais au sous-système de santé des forces armées et qu'il a été laissé aux parties toute latitude pour saisir la justice. A cet égard, le comité note que les cotisations syndicales des membres de l'organisation plaignante sont de nouveau retenues à la source et demande au gouvernement de prendre des mesures pour qu'à l'avenir l'employeur ne décide pas unilatéralement de suspendre la retenue des cotisations syndicales des personnes affiliées à l'ASEMIL.
  3. 200. Enfin, le comité note que le gouvernement mentionne une décision ministérielle dans laquelle il est affirmé qu'il n'y a pas eu refus de négocier. Dans ce contexte, le comité déplore que le gouvernement n'ait pas communiqué ses observations sur les autres allégations présentées et que, lorsqu'il l'a fait, les observations ne sont pas assez précises (par exemple, le gouvernement n'a pas joint à ses réponses le texte des décisions qu'il mentionne et ne précise pas à quelle allégation concrète se rapporte chacune de ses réponses). Dans ces conditions, le comité prie le gouvernement d'envoyer sans délai ses observations sur la totalité des allégations auxquelles il n'a pas répondu.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 201. Au vu des conclusions intérimaires qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) Le comité demande au gouvernement de prendre des mesures pour qu'à l'avenir l'employeur ne décide pas unilatéralement de suspendre la retenue à la source des cotisations syndicales des personnes affiliées à l'ASEMIL.
    • b) Déplorant que le gouvernement n'ait pas communiqué ses observations sur un certain nombre d'allégations, le comité prie le gouvernement d'envoyer sans délai ses observations sur la totalité des allégations qui ont été formulées.
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