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Rapport intérimaire - Rapport No. 329, Novembre 2002

Cas no 2154 (Venezuela (République bolivarienne du)) - Date de la plainte: 14-SEPT.-01 - Clos

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  1. 799. La plainte figure dans une communication conjointe du 14 septembre 2001, signée par la Confédération des travailleurs du Venezuela (CTV), la Fédération des travailleurs de l’industrie de la construction et du bois du Venezuela (FETRACONSTRUCCION), affiliée à cette dernière, et le Syndicat des travailleurs de la voie publique de l’Etat de Trujillo.
  2. 800. Etant donné l’absence de réponse du gouvernement, le comité a dû reporter deux fois l’examen du présent cas. Aussi, au cours de sa réunion de mai-juin 2002 [voir 328e rapport, paragr. 8], le comité a adressé un appel pressant au gouvernement et a signalé à son attention que, conformément à la procédure établie au paragraphe 17 de son 127e rapport, approuvé par le Conseil d’administration, il présenterait à sa prochaine réunion un rapport sur le fond de cette affaire, même si les informations ou les observations du gouvernement n’étaient pas reçues à temps.
  3. 801. Le Venezuela a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégations des organisations plaignantes

A. Allégations des organisations plaignantes
  1. 802. Dans une communication datée du 14 septembre 2001, la Confédération des travailleurs du Venezuela (CTV), la Fédération des travailleurs de l’industrie de la construction et du bois du Venezuela (FETRACONSTRUCCION) et le Syndicat des travailleurs de la voie publique de l’Etat de Trujillo allèguent que, par décret, le gouvernement régional de l’Etat de Trujillo a procédé au licenciement de 3 500 travailleurs, médecins, sportifs et éducateurs, ainsi que de femmes enceintes, tous employés à son service. Il ressort des annexes envoyées par les plaignants que ces licenciements ont été motivés par la réorganisation de cet exécutif, entreprise en vertu du décret no 60 du gouvernorat de l’Etat de Trujillo, qui a entraîné, entre autres suppressions, celle de l’Institut des sports de Trujillo, de l’Institut du tourisme de Trujillo, du Centre de développement de l’artisanat, de la microentreprise et de la petite industrie de l’Etat de Trujillo, de l’Office de développement agricole, du Fonds spécial pour le développement de l’enfance, de l’Institut de la culture de l’Etat de Trujillo, de l’Office de développement de Trujillo, de l’Institut du logement de Trujillo, et de l’Institut de la voie publique de l’Etat de Trujillo, tous instituts dont la personnalité juridique s’est ainsi éteinte. Les organisations plaignantes indiquent que les biens appartenant à ces organismes sont restés dans le patrimoine de l’Etat de Trujillo et ont été assignés aux nouveaux organismes issus de la restructuration administrative, restant sous la tutelle des directions respectives de l’exécutif régional.
  2. 803. Les plaignants signalent que ce licenciement massif était abusif, car contraire à l’article 93 de la Constitution politique (qui consacre la stabilité du travail et proscrit les licenciements injustifiés), à l’interdiction légale de congédier des femmes enceintes, à la convention collective du travail, et à la loi organique du travail (art. 449, 451 et 453) qui prévoit l’inamovibilité des employés licenciés pendant la discussion du projet de convention collective prévue dans cette même loi (garantie du droit syndical). L’exécutif de l’Etat de Trujillo a en effet licencié de manière arbitraire ces travailleurs, sans respecter la procédure prévue à l’article 453, par renvoi exprès de l’article 449. D’après les articles 449 à 459:
    • Les travailleurs jouissent de la garantie du droit syndical pendant la négociation collective et ne peuvent dans ce cas être licenciés sans motif juste et préalablement validé par l’inspecteur du travail.
    • Le licenciement d’un travailleur protégé par le droit syndical est considéré comme nul et non avenu si les formalités prévues à l’article 453 de la présente loi n’ont pas été accomplies. En vertu de cet article, lorsqu’un patron entend licencier pour un motif justifié (dans le cas présent, une restructuration qui, selon les plaignants, n’est qu’un prétexte) un travailleur protégé par le droit syndical, il doit solliciter à cet effet l’autorisation de l’inspecteur du travail de la juridiction où est domicilié le syndicat. Dans le cas contraire, le travailleur ainsi licencié sans que les formalités établies aient été accomplies peut solliciter auprès de l’inspecteur du travail son réengagement ou sa réintégration à son poste antérieur.
    • L’inspecteur vérifie si, dans son cas, l’inamovibilité s’applique et, si tel est le cas, il ordonne sa réintégration à son poste antérieur et le versement des salaires échus. La décision ordonnant le réengagement est sans appel, la voie judiciaire restant ouverte.
  3. 804. Les organisations plaignantes indiquent que, ayant suivi ces voies légales, l’inspection du travail de la juridiction compétente a ordonné en mars 2001 la réintégration des personnes licenciées de cette manière dans l’un des secteurs mentionnés (celui de la construction et de la médecine), ainsi que le paiement des salaires échus depuis la date du licenciement (la teneur de cet ordre est reproduite dans une annexe à la plainte). Cependant, selon ce qu’indique l’organisation plaignante dans l’une des pièces jointes à la plainte, malgré la sentence ferme du premier tribunal de première instance de l’Etat de Trujillo (qui connaît des affaires civiles, commerciales, agraires, relatives au transit, au travail et à la stabilité du travail) condamnant l’entité étatique suite au procès intenté au motif de la stabilité du travail par plusieurs employés licenciés de la sorte, l’entité défenderesse n’a pas respecté la décision judiciaire. Elle est aussi passée outre aux injonctions d’exécution émises à son encontre par les autorités compétentes face à son infraction et à sa désobéissance éclatante aux décisions de la justice.
  4. 805. Les organisations plaignantes signalent enfin qu’il y a eu déni de justice poussé à l’extrême, étant donné que le tribunal du contentieux administratif compétent n’a pas fait droit au recours en amparo (garantie des droits constitutionnels) exercé par les demandeurs, malgré l’injonction du tribunal suprême de faire droit à toutes les demandes d’amparo et le soutien manifesté par la Commission des droits de l’homme et les députés de l’Assemblée nationale, ainsi que la Commission des droits de l’homme de l’Etat de Trujillo (comme indiqué dans une annexe jointe à la plainte).

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 806. Par une communication datée du 5 septembre 2002, le gouvernement rappelle que ce sont les plaignants eux-mêmes qui ont demandé au comité d’ajouter les allégations formulées dans le présent cas à celles qui ont motivé le cas no 2067; c’est pourquoi il considère qu’il aurait fallu que le comité se borne à lui demander des observations additionnelles à ce propos, au lieu d’«outrepasser son mandat» et de porter atteinte au droit de la défense, inhérent au principe de la symétrie de procédure. Le gouvernement indique en outre qu’il n’arrive pas à comprendre le contenu des allégations, quels sont les faits concrets dénoncés, ni quelles sont les normes internationales qui ont prétendument été violées. Dans cette perspective, il juge important de présenter des observations sur la communication du plaignant, car exiger de lui quelque type de réponse que ce soit sur une communication aussi imprécise serait porter atteinte au droit à un procès équitable.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 807. Le comité prend note de la requête du gouvernement par laquelle celui-ci lui demande de joindre les allégations présentées dans le présent cas à celles formulées dans le cas no 2067, car, dans le cas contraire, cela équivaudrait à lui dénier le droit à un procès équitable. Cependant, bien que le comité reconnaisse que certains aspects de ces deux cas peuvent donner l’impression qu’ils se recoupent, il est clair que les allégations du présent cas sont différentes de celles du cas no 2067. Le comité rappelle, en effet, que ce dernier concernait une législation antisyndicale, la suspension de la négociation collective par décision des autorités, la convocation à un référendum national sur des questions syndicales, et l’hostilité des autorités à l’égard d’une centrale syndicale (la CTV), tandis que dans le cas présent, où le seul plaignant commun avec le cas antérieur est la CTV, il s’agit de licenciements abusifs et d’un déni de justice qui peuvent aussi viser à faire obstacle à l’exercice effectif du droit d’association. En outre, s’il est vrai que le gouvernement national est, par définition, responsable de l’application des normes internationales sur tout le territoire national, il convient de souligner cependant que le cas présent est posé au niveau régional (Etat de Trujillo), tandis que le cas antérieur avait un cadre fédéral.
  2. 808. D’autre part, le comité considère que la demande d’examen des allégations dans le cadre du cas no 2067 n’empêchait en aucun cas le gouvernement d’envoyer ses observations dans les délais impartis. Le comité rappelle en outre que, lorsque cette plainte a été présentée, en juin 2001, le comité avait déjà examiné le cas no 2067 à deux reprises, et qu’il est parvenu à des conclusions définitives en novembre de cette année-là.
  3. 809. Le comité déplore donc que, malgré le temps écoulé depuis la présentation de la plainte et compte tenu de la gravité des faits allégués, le gouvernement n’ait pas répondu sur le fond et de façon détaillée aux allégations formulées par les organisations plaignantes, bien qu’il ait été invité en plusieurs occasions à présenter ses commentaires et observations en ce qui concerne cette affaire, en particulier par un appel pressant. Dans ces conditions, et conformément aux normes de procédure applicables dans ce cas [voir 127e rapport du comité, paragr. 17, approuvé par le Conseil d’administration à sa 184e session], le comité se voit dans l’obligation de présenter un rapport sur le fond de l’affaire, même s’il ne dispose pas de l’information qu’il avait espéré recevoir du gouvernement.
  4. 810. En premier lieu, le comité rappelle au gouvernement que l’objectif de toute la procédure instituée par l’Organisation internationale du Travail en vue d’examiner les allégations relatives aux violations de la liberté syndicale est d’assurer le respect des libertés syndicales de jure comme de facto; ainsi, le comité est convaincu que, si cette procédure protège les gouvernements contre les accusations infondées, ceux-ci devront reconnaître à leur tour l’importance qu’il y a à présenter, dans le but d’un examen objectif, des réponses détaillées et précises sur le fond des faits allégués. [Voir premier rapport du comité, paragr. 31.]
  5. 811. Le comité déplore avec une profonde préoccupation que, bien que ce cas relatif au Venezuela ait fait l’objet d’un paragraphe spécial dans l’introduction du dernier rapport du comité sous le titre «Appels pressants» [voir 328e rapport, paragr. 8], le gouvernement du Venezuela semble ne pas être encore disposé à coopérer avec le comité au sujet des plaintes déposées contre lui.
  6. 812. En ce qui concerne le caractère soi-disant générique et vague des allégations, le comité observe que les plaignants présentent des allégations spécifiques. En effet, ils indiquent concrètement que le gouvernement régional de l’Etat de Trujillo a licencié, au motif d’une restructuration, mais de façon abusive, 3 500 travailleurs en violation de la Constitution de la République bolivarienne du Venezuela et de la loi organique du travail, qui prescrit l’inamovibilité découlant de la discussion du projet de convention collective prévu dans la loi organique du travail (LOT), d’une part, ainsi qu’au détriment de la convention collective du travail en vigueur, d’autre part.
  7. 813. Dans ces conditions, le comité rappelle en premier lieu que, dans les processus de rationalisation et de réduction du personnel, on devrait consulter les organisations syndicales, ou essayer d’arriver à un accord avec elles, et non préférer la voie du décret. [Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, quatrième édition, 1996, paragr. 937.] En outre, observant que l’entité étatique objet de la plainte a procédé à ce licenciement massif pendant qu’un projet de convention collective était en discussion, le comité rappelle que le licenciement de travailleurs en raison de leurs activités syndicales porte atteinte aux principes de la liberté syndicale et que, lorsqu’un gouvernement s’est engagé à garantir, par des mesures appropriées, le libre exercice des droits syndicaux, cette garantie, pour être réellement efficace, devrait, s’il est besoin, être assortie notamment de mesures comportant la protection des travailleurs contre les actes de discrimination antisyndicale en matière d’emploi. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 702 et 698.]
  8. 814. Le comité note que, en mars 2001, l’inspection du travail compétente a ordonné la réintégration d’une partie des personnes licenciées et le paiement des salaires dus. En outre, il semble que le tribunal où a eu lieu le procès intenté à ce titre par plusieurs employés licenciés a décidé de condamner l’entité étatique. Cependant, le comité constate que non seulement l’entité défenderesse n’a pas respecté cette décision, mais qu’en plus elle est passée outre aux injonctions d’exécution de la justice émises à son encontre et qui visaient à réintégrer les personnes licenciées et à leur payer les salaires échus depuis le jour de leur licenciement.
  9. 815. Dans ces conditions, constatant qu’en définitive les autorités compétentes se sont prononcées en faveur d’une partie des personnes licenciées, mais que l’on n’a pas veillé à l’exécution de ce qui avait été décidé, concrètement par l’inspection du travail et par les tribunaux, le comité ne peut que rappeler que l’administration dilatoire de la justice constitue un déni de justice. Il signale aussi la nécessité d’assurer, par des dispositions spécifiques assorties de sanctions pénales et civiles, la protection des travailleurs contre des actes de discrimination antisyndicale de la part des employeurs. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 105 et 746.] Le comité prie instamment le gouvernement de veiller à ce que les décisions relatives à une partie des personnes licenciées par le gouvernement de l’Etat régional de Trujillo soient exécutées, et de l’informer, ainsi que les organisations plaignantes, de la situation des employés en faveur desquels ont été émis des ordres de réintégration dans leurs fonctions et de paiement des salaires échus.
  10. 816. Quant aux autres employés licenciés, le comité rappelle au gouvernement que dans un cas concernant un grand nombre de licenciements il serait particulièrement nécessaire qu’une enquête soit menée de toute urgence par le gouvernement en vue d’établir les véritables raisons des mesures prises. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 735.] C’est pourquoi le comité demande au gouvernement – si l’enquête, qui doit être indépendante, faisait apparaître que les autres licenciements ont été antisyndicaux – de veiller à la réintégration de ces travailleurs et au paiement des salaires échus. Il demande aussi au gouvernement, ainsi qu’aux organisations plaignantes, de l’informer à ce sujet.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 817. Au vu des conclusions intérimaires qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) Le comité rappelle que le licenciement de travailleurs en raison de leurs activités syndicales porte atteinte aux principes de la liberté syndicale et que, lorsqu’un gouvernement s’est engagé à garantir, par des mesures appropriées, le libre exercice des droits syndicaux, cette garantie, pour être réellement efficace, devrait, s’il est besoin, être assortie notamment de mesures comportant la protection des travailleurs contre les actes de discrimination antisyndicale en matière d’emploi.
    • b) Le comité ne peut que rappeler que l’administration dilatoire de la justice constitue un déni de justice, et signale la nécessité d’assurer, par des dispositions spécifiques assorties de sanctions pénales et civiles, la protection des travailleurs contre des actes de discrimination antisyndicale de la part des employeurs.
    • c) Le comité prie instamment le gouvernement de faire exécuter les décisions relatives à une partie des personnes licenciées par le gouvernement de l’Etat régional de Trujillo et de l’informer, ainsi que les organisations plaignantes, de la situation des employés en faveur desquels ont été émis des ordres de réintégration dans leurs fonctions et de paiement des salaires échus.
    • d) Le comité rappelle au gouvernement que dans un cas concernant un grand nombre de licenciements il serait particulièrement nécessaire qu’une enquête soit menée de toute urgence par le gouvernement en vue d’établir les véritables raisons des mesures prises. Il demande aussi au gouvernement, si cette enquête – qui doit être indépendante – faisait apparaître que les autres licenciements ou une partie d’entre eux, ont été antisyndicaux, de veiller à la réintégration de ces travailleurs et au paiement des salaires échus. Il demande enfin au gouvernement, ainsi qu’aux organisations plaignantes, de l’informer à ce sujet.
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