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Rapport où le comité demande à être informé de l’évolution de la situation - Rapport No. 333, Mars 2004

Cas no 2204 (Argentine) - Date de la plainte: 30-MAI -02 - Clos

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  1. 216. La plainte figure dans une communication de la Centrale des travailleurs argentins (CTA) datée de mai 2002. Dans une communication du 1er juillet 2002, la Confédération mondiale du travail s’est associée à la plainte. Dans une communication du 10 juillet 2002, la Centrale latino-américaine de travailleurs (CLAT) a également soutenu la plainte.
  2. 217. Le gouvernement a fait part de ses observations dans des communications datées du 6 septembre 2002 et des 13 janvier, 25 avril, 31 octobre 2003 et 20 janvier 2004.
  3. 218. L’Argentine a ratifié la convention (nº 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (nº 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégations des plaignants

A. Allégations des plaignants
  1. 219. Dans leur communication de mai 2002, les plaignants allèguent les motifs suivants: mort, poursuites au pénal et répression contre des dirigeants syndicaux et des travailleurs ayant manifesté pacifiquement. Ils signalent que, à la suite de la restructuration engagée dans le pays depuis les années quatre-vingt-dix et de l’aggravation de l’exclusion sociale qui en résulte, on a assisté depuis 1997 à un nombre important de manifestations et de mouvements sociaux. Une des méthodes employées est le barrage routier, pour réclamer, de manière générale, la création d’emplois, l’augmentation des dépenses sociales (en particulier pour l’éducation et la santé) et la conclusion d’accords avec les gouvernements provinciaux ou le gouvernement central. Selon les plaignants, la réponse des pouvoirs publics aux protestations sociales a été caractérisée par des actes de répression et des poursuites au pénal contre les intéressés, qui étaient en majorité des délégués et militants syndicaux ainsi que des chômeurs. La répression, qui a consisté en un recours disproportionné et illégitime à la force, a entraîné de nombreux blessés et plusieurs morts. Dans beaucoup de cas, le ministère fédéral de la Justice est intervenu pour ordonner la répression et a été ultérieurement chargé de l’enquête. Dans tous les cas énoncés de lésions ou de morts, les enquêtes judiciaires se trouvent bloquées et il a été impossible d’identifier les coupables.
  2. 220. De même, les actions de protestation se sont soldées par des poursuites pénales contre les manifestants et, à l’heure qu’il est, plus de 2 800 personnes sont inculpées (selon des données du Secrétariat aux droits de l’homme de la CTA). Il s’agit de travailleurs, dont la plupart sont sans emploi et en situation d’extrême pauvreté, souvent dans l’impossibilité de bien se défendre et que leur disqualification (du fait de leur inculpation) empêche de trouver du travail. La majorité des affaires sont en cours d’instruction, ce qui prolonge l’incertitude juridique dans laquelle se trouvent les personnes en cause.
  3. 221. Les plaignants décrivent la façon dont se déroulent les actions de protestation et indiquent que, en général, une fois la route coupée, un représentant du gouvernement local, provincial ou central vient sur les lieux pour passer un accord avec les manifestants. Un acte est rédigé, parfois en présence d’un magistrat, et est signé par les délégués des travailleurs manifestants. Par la suite, les signataires sont déclarés responsables au pénal des affaires instruites. Ainsi, le plus souvent, les inculpés sont des dirigeants syndicaux ou sociaux qui ont accompagné la manifestation, ainsi que des délégués nommés par les manifestants.
  4. 222. Les plaignants affirment que, pour le travailleur au chômage qui ne peut avoir accès à des moyens comme la grève ou la négociation collective, il est capital que d’autres moyens d’expression existent, comme la manifestation pacifique.
  5. 223. La CTA fait état, par province, de nombreux cas de répression et de poursuites au pénal: certains concernent des syndicalistes et d’autres des chômeurs. Par ailleurs, la CTA ne dit pas que leurs actions étaient de nature syndicale, pas plus qu’elle n’indique si de telles actions ont été planifiées par une organisation syndicale; la majorité des cas se rapportent à des barrages routiers. Les cas dans lesquels il est fait mention de syndicalistes, et qui présentent ou peuvent présenter un caractère syndical, sont les suivants:
  6. – Province de Buenos Aires: M. Sergio Ariel Basterio, secrétaire général de l’Association du personnel aéronautique (APA) et membre de la Commission exécutive nationale de la CTA, et M. Edgardo Aníbal Llano, secrétaire adjoint de l’Association du personnel aéronautique (APA), ont été inculpés pour une prétendue infraction à l’article 194 du Code pénal (obstruction d’une voie de communication) dans le cadre d’une manifestation menée à la suite des conflits survenus dans l’entreprise Aerolíneas Argentinas à la fin 2001.
  7. – Municipalité autonome de Buenos Aires: le matin du 19 avril 2001, la police fédérale a réprimé une manifestation de syndicats affiliés au Mouvement des travailleurs argentins (MTA) qui protestaient devant le Congrès national contre l’adoption d’une loi de réforme de la législation du travail. La force physique a d’abord été utilisée pour rétablir la circulation mais, une fois libérée la voie de circulation, il s’est produit une répression aveugle qui s’est soldée par une trentaine de blessés, dont quatre par balle.
  8. – Province de la Terre de feu: la tenue d’une assemblée de travailleurs de la santé en janvier 2002 à l’Hôpital régional du Rio Grande a été le prétexte d’une répression brutale de la part des forces de l’ordre. Le juge chargé de l’affaire a qualifié les faits de sédition et, actuellement, l’instruction judiciaire se poursuit.
  9. – Province de Santa Fe: pendant la crise sociale qui a précédé la démission de l’ex-président Fernando de la Rúa, M. Claudio Lepratti, délégué syndical de l’Association des travailleurs de l’Etat, a été assassiné par la police à Rosario, alors qu’il s’acquittait de ses fonctions courantes dans le réfectoire d’une école.
  10. – Province de Neuquen: M. Julio Durval Fuentes, secrétaire général de la Centrale des travailleurs argentins de la province de Neuquen (ATE), fait l’objet de 20 procès au pénal, tandis que dix poursuites pénales ont été ouvertes contre M. Sr. César Abel Sagredo, secrétaire adjoint de l’Association des travailleurs de l’Etat de Neuquen (ATE).
  11. M. Luis Alberto Rodríguez, secrétaire général de la Centrale des travailleurs argentins (CTA) de Zapala, est accusé d’atteinte à l’ordre public pour avoir participé, à Zapala, à une grande manifestation de travailleurs et de chômeurs (1999).
  12. M. Alejandro Mansilla est accusé d’atteinte à l’ordre public pour avoir participé à un barrage routier dressé par un groupe de chômeurs membres de la CTA pour réclamer du travail (2001).
  13. MM. Juan Morales, Oscar Buyones, José Antonio Ríos, Pablo M. Jiménez, Juan Manuel Sallavedra et , José Arbajou sont accusés d’atteinte à l’ordre public pour avoir participé à un barrage routier dressé à Senillosa par un groupe de chômeurs membres de la CTA pour réclamer du travail (2001).
  14. M. Carlos Quintriqueo, secrétaire général de l’ATE, pour la zone sud de la province de Neuquen, est accusé d’infraction à l’article 194 du Code pénal pour avoir participé à un barrage routier dressé par des chômeurs et des travailleurs à Junín de los Andes (2001).
  15. – Province de Salta: MM. et Mmes Martín Caliva (secrétaire général du Syndicat des employés municipaux de Güemes), Miguel Gamboa, Miriam de los A. Gonzáles, Cristina del V. Gómez, Silvia C. Maidana, Blanca E. Salvatierra (ATE Güemes), Juan José Mendoza, Eduardo Miranda (Sindicato de Empleados Municipales de Syndicat des employés municipaux de Güemes) et y David Buenaventura (secrétaire général de l’ATE Salta) sont accusés du délit d’obstruction de voies de communication pour avoir participé, en janvier 2000, à un barrage dressé sur la route 34 à la hauteur du kilomètre km 1135 par les employés municipaux de la ville de General Güemes pour réclamer le versement de cinq mois d’arriérés de salaire.
  16. – Province de Córdoba: le 8 juin 2000 s’est produit un barrage routier en la localité de Cruz del Eje pour réclamer l’application de plans d’aide sociale et dénoncer la situation d’indigence structurelle régnant dans le nord de la province. La manifestation, réprimée par la police provinciale, s’est soldée par trois blessés et trois arrestations.
  17. – Province du Chaco: le 17 mai 2000, la police provinciale a violemment réprimé une manifestation d’employés de la fonction publique, qui s’est soldée par 15 blessés et huit arrestations.
  18. B. Réponses du gouvernement
  19. 224. Dans ses communications du 6 septembre 2002, des 13 janvier, 25 avril, 31 octobre 2003 et 20 janvier 2004, le gouvernement transmet les informations recueillies par le Secrétariat à la sécurité intérieure du ministère de la Justice, de la Sécurité et des Droits de l’homme sur la situation relative aux faits dénoncés dans les différentes provinces. Il indique que, actuellement, les rapports entre le nouveau gouvernement et les mouvements de chômeurs s’inscrivent dans une volonté de dialogue qui témoigne des efforts accomplis pour lutter contre le chômage et réduire l’exclusion sociale. Le gouvernement ajoute que, si, de manière générale, la situation sociale et du travail qui a marqué la dernière décennie correspond pour partie à la description présentée par les plaignants, la priorité du nouveau gouvernement, investi le 25 mai 2003, est toutefois de créer les conditions d’une économie plus équitable orientée vers l’inclusion sociale. Le gouvernement considère néanmoins que cet aspect ne relève pas de la compétence particulière du comité. Le gouvernement signale une série de politiques concrètes qui sont appliquées pour remédier aux conséquences de la crise socio-économique, dont le Plan intégral pour la promotion de l’emploi, le Plan national de régularisation de l’emploi, les plans Hommes et Femmes au foyer sans travail et le Plan de développement local et d’économie sociale mis en œuvre par le ministère du Développement social. Il indique également l’existence d’une Commission d’analyse juridique de la contestation sociale, composée de personnalités appartenant à divers secteurs de la société, de juristes reconnus, de fonctionnaires et d’acteurs sociaux, qui a pour mission d’analyser les différentes variables pour que les actes qui ne relèvent pas exclusivement de la contestation sociale ne soient pas jugés selon les règles du droit pénal, et qui a élaboré un projet de loi en ce sens.
  20. 225. S’agissant des différents faits concrets dénoncés, le gouvernement transmet les informations suivantes au sujet des événements survenus le 19 avril 2002 dans la municipalité autonome de Buenos Aires :
  21. Concernant les faits survenus pendant la manifestation devant le Congrès de la nation, il convient de mentionner que le personnel de la Police fédérale argentine a mis en place un service de sécurité pour préserver l’intégrité physique des manifestants, ainsi que des personnes ne participant pas au rassemblement.
  22. Cette mesure a provoqué l’interruption de la circulation sur l’avenue Entre Ríos, à son intersection avec l’avenue Rivadavia. Pour cette raison, le service de l’ordre compétent a ordonné de dégager la chaussée et le trottoir de la première artère mentionnée, au motif que le comportement des manifestants contrevenait à l’article 41 du Code de conduite de la ville de Buenos Aires.
  23. Après avoir pris plusieurs contacts avec les représentants de la manifestation pour libérer la voie de circulation et essayé, en vain, de dialoguer avec des personnes en particulier ou au moyen de haut-parleurs, il a commencé à dégager l’avenue.
  24. Pendant cet affrontement ont été détenues 52 personnes, contre qui ont été engagées des poursuites pour «atteinte et résistance à l’autorité, désobéissance, dommages, vols répétés et lésions», devant le Tribunal national de première instance au pénal et le Tribunal correctionnel fédéral no 5, à la charge de M. Gabriel Cavallo, secrétariat no 9, et de Mme Javiera Gómez Castilla.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 226. Le comité prend note des allégations et de la réponse du gouvernement qui concerne essentiellement des actions de contestation menées par des chômeurs, avec le soutien de dirigeants syndicaux, en utilisant le barrage routier comme moyen de pression. Le comité observe que de telles actions ont souvent donné lieu à des affrontements avec les autorités qui se sont traduits par des morts et des blessés. Le comité observe que des poursuites ont été engagées contre les participants au barrage routier et contre les autorités policières qui avaient réprimé les actions de contestation.
  2. 227. Le comité observe que ces allégations se rapportent à des faits survenus jusqu’en 2002 et que le nouveau gouvernement indique que ses rapports avec les mouvements de chômeurs obéissent à une volonté de dialogue puisqu’il cherche à créer les conditions d’une économie équitable axée sur l’inclusion sociale et qu’il fait état, à cette fin, d’une série de politiques concrètes.
  3. 228. Le comité souligne qu’il ne peut déterminer si les actions de contestation ont été planifiées par des organisations syndicales en tant que telles. Il rappelle que les actions de contestation sont protégées par les principes de la liberté syndicale uniquement lorsque ces actions sont planifiées par des organisations syndicales ou peuvent être assimilées à des activités syndicales légitimes au sens de l’article 3 de la convention no 87. D’autre part, de l’avis du comité, les plaintes, telles qu’elles sont formulées, ne permettent pas de déterminer si les questions relatives à la répression ayant suivi le barrage routier ont un rapport avec l’exercice pacifique des droits syndicaux tel qu’il est prévu dans la convention no 87 qui dispose, à l’article 8, que «dans l’exercice des droits qui leur sont reconnus par la présente convention, les travailleurs, les employeurs et leurs organisations respectives sont tenus, à l’instar des autres personnes ou collectivités organisées, de respecter la légalité».
  4. 229. Le comité demande au gouvernement de lui communiquer ses observations sur l’allégation selon laquelle M. Claudio Lepratti, délégué syndical de l’Association des travailleurs de l’Etat, aurait été assassiné par la police à Rosario, alors qu’il s’acquittait de ses fonctions courantes dans le réfectoire d’une école, et de le tenir informé de toute enquête judiciaire entreprise à cet égard.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 230. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver la recommandation suivante:
    • Le comité demande au gouvernement de lui communiquer ses observations sur l’allégation selon laquelle M. Claudio Lepratti, délégué syndical de l’Association des travailleurs de l’Etat, aurait été assassiné par la police à Rosario, alors qu’il s’acquittait de ses fonctions courantes dans le réfectoire d’une école, ainsi que de le tenir informé de toute enquête judiciaire entreprise à cet égard.
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