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- a adopté une législation (projet de loi no 18) de retour au travail comportant des pénalités sévères visant à mettre fin à une grève légale et à imposer par voie législative une convention collective de quatre ans prévoyant un blocage des rémunérations et des concessions contractuelles, notamment en ce qui concerne certains avantages négociés antérieurement au profit des fonctionnaires à la retraite.
- 361 La plainte figure dans une communication transmise le 20 mai 2004 par le Syndicat national des employées et employés généraux et du secteur public (SNEGSP) au nom de l’Association des employés publics et privés de Terre-Neuve et du Labrador (NAPE/SNEGSP). L’Internationale des services publics (ISP) et le Congrès du travail du Canada (CTC) ont exprimé leur appui à la plainte dans des communications datées respectivement du 7 et du 17 juin 2004.
- 362 Le gouvernement a transmis ses observations dans une communication du 15 février 2005.
- 363 Le Canada a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948. Il n’a ratifié ni la convention (no 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949, ni la convention (nº 151) sur les relations de travail dans la fonction publique, 1978, ni la convention (nº 154) sur la négociation collective, 1981.
A. Allégations de l’organisation plaignante
A. Allégations de l’organisation plaignante- 364. Dans sa communication du 20 mai 2004, le SNEGSP déclare que la plainte est formulée contre la loi visant à assurer la reprise et le maintien des services publics (projet de loi no 18), présentée à l’Assemblée de Terre-Neuve-et-Labrador le 26 avril 2004 et adoptée le 4 mai 2004. Le projet de loi no 18 visait à mettre fin à une grève de 27 jours d’une vingtaine de milliers d’employés de la fonction publique qui avait débuté le 1er avril 2004. Les grévistes étaient représentés par deux syndicats. Environ 16 500 d’entre eux sont membres du NAPE/SNEGSP, la branche du syndicat national qui couvre Terre-Neuve et le Labrador, et quelque 3 500 sont membres du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), division de Terre-Neuve et du Labrador.
- 365. Le projet de loi no 18 est beaucoup plus qu’une législation de retour au travail. C’est un outil de contrainte dont s’est servi le gouvernement pour fixer par voie législative les clauses d’une convention de quatre ans comprenant un blocage des rémunérations et des concessions contractuelles visant les agents du secteur public de Terre-Neuve et du Labrador. Par ailleurs, elle comporte les pénalités les plus sévères en matière de législation de retour au travail de toute l’histoire fédérale et provinciale du Canada. Le gouvernement a annoncé le 20 avril qu’il allait adopter cette législation en raison de la crise que la grève avait provoquée dans le système des soins de santé, mais il a attendu près d’une semaine avant de soumettre le projet à l’Assemblée provinciale, le 26 avril. Cette législation, en fait, s’applique à tous les grévistes, alors que la majorité d’entre eux ne travaillent pas dans le secteur des soins de santé.
- 366. Après que le projet de loi eut été soumis, le NAPE/SNEGSP et le SCFP ont recommandé à leurs membres de mettre fin à la grève le 27 avril, à la suite de quoi l’ensemble des membres ont repris le travail. Une vingtaine de milliers de grévistes l’ont fait dès le quart du soir du 27 avril, et les autres le jour suivant. La loi n’avait pas encore été adoptée et, comme tous les agents avaient repris le travail, il n’y avait plus lieu de le faire. La véritable raison de l’adoption du projet de loi no 18, c’était de permettre au gouvernement d’imposer par voie législative l’attitude empreinte de mauvaise foi dont il a toujours fait preuve dans ses négociations avec le NAPE/SNEGSP et le SCFP.
- 367. Les 20 000 agents se sont mis en grève le 1er avril 2004, soit le jour suivant la date d’expiration de leurs conventions collectives. Ces agents sont couverts par 11 conventions distinctes conclues entre, d’une part, le NAPE/SNEGSP et, d’autre part, le gouvernement provincial et divers employeurs du secteur public, ainsi que par cinq conventions conclues entre le SCFP et divers employeurs du secteur public. Leur statut professionnel est divers: agents gouvernementaux, professionnels de la santé, personnel de soutien des hôpitaux et des maisons de retraite, adjoints d’enseignement, personnel de soutien des établissements scolaires et universitaires de la province, employés des magasins des alcools de la province, travailleurs et pilotes des traversiers participant aux opérations d’urgence, de recherche et de sauvetage.
- 368. Le NAPE/SNEGSP et le SCFP ont participé à des négociations coordonnées avec le gouvernement sur des questions fondamentales comme les rémunérations et les avantages sociaux, tandis que d’autres questions propres aux différentes unités de négociation étaient abordées séparément. En juin 2003, le NAPE/SNEGSP a fait savoir au gouvernement qu’il souhaitait entamer des négociations au nom de 11 de ses unités de négociation provinciales, demande qui a été acceptée par le gouvernement. Le NAPE/SNEGSP a alors indiqué à celui-ci qu’il déclencherait la grève le 1er avril 2004 si aucun accord n’était atteint avant l’expiration des conventions collectives, soit le 31 mars 2004.
- 369. Un nouveau gouvernement a été élu le 21 octobre 2003. Le 18 novembre suivant, le NAPE/SNEGSP lui a écrit pour lui demander d’honorer l’engagement de son prédécesseur consistant à ouvrir des négociations. De bonne foi, les équipes de négociation du NAPE/SNEGSP ont présenté des propositions à leurs homologues gouvernementaux, lesquels ont refusé durant sept semaines d’y répondre. La première réponse du gouvernement a eu lieu dans les médias, et non à la table des négociations. Sans autre consultation avec le syndicat qu’un préavis d’une heure, le Premier ministre a prononcé le 5 janvier 2004 une allocution à la télévision provinciale dans laquelle il déclarait pour la première fois que, pour faire face au large déficit laissé par le gouvernement précédent, son gouvernement instituerait un blocage de deux ans des rémunérations des agents publics. Il a rappelé une partie de son programme électoral, indiquant que le gouvernement réduirait ses effectifs par le jeu des départs à la retraite et des démissions et prévoyant que la diminution pourrait atteindre 6 000 emplois au cours des cinq années suivantes. Le Premier ministre a indiqué également que le gouvernement reviendrait sur l’engagement de ne procéder à aucun licenciement qu’il avait pris au cours de la campagne électorale d’octobre 2003.
- 370. La description faite par le gouvernement de son large déficit et de sa situation budgétaire grave se fondait sur des données fallacieuses. Le premier communiqué de presse émis par le Premier ministre annonçait une demande de propositions d’examen indépendant des finances de la province. Le jour suivant, le gouvernement a confié cette tâche à la firme Price Waterhouse Coopers (PWC), dont le rapport a été rendu public le 5 janvier lors de l’allocution télévisée précitée, au cours de laquelle le Premier ministre a déclaré que son gouvernement instituerait un blocage de deux ans des rémunérations des agents publics provinciaux. Ce rapport avançait deux conclusions: tout d’abord, le budget de l’année en cours, présenté en mai 2003 par le gouvernement précédent, sous-estimait le déficit de cette année; ensuite, l’équilibre budgétaire ne pourrait être rétabli en 2007-08, contrairement à l’objectif du gouvernement précédent. Le rapport prévoyait la poursuite d’une grave détérioration de la situation budgétaire qui ne pouvait être corrigée que par des mesures draconiennes.
- 371. Selon le NAPE/SNEGSP, cette image négative des finances de la province est trompeuse. Par exemple, PWC a choisi d’évaluer le déficit selon la méthode de la comptabilité d’exercice, et non selon celle de la comptabilité de caisse, comme le faisaient les gouvernements provinciaux précédents. Le syndicat a donc commandé sa propre étude de la situation budgétaire du gouvernement, étude qui a été menée par une institution extrêmement sérieuse, le Centre canadien de politiques alternatives. L’étude du centre canadien a conclu que, s’il est vrai que Terre-Neuve et le Labrador devraient faire face à nombre d’importantes questions de gestion financière au cours des prochaines années, les finances provinciales n’étaient pas dans une situation si catastrophique qu’elles justifient des coupes claires dans les services publics ou l’imposition de restrictions financières aux dépens des agents gouvernementaux. Le centre canadien a noté que les hypothèses économiques sur lesquelles s’était fondé PWC étaient plus pessimistes que celles utilisées par les grandes banques canadiennes. Son rapport a admis des hypothèses plus raisonnables au sujet de la croissance économique et des transferts du gouvernement fédéral. Il a fait la preuve que le déficit de Terre-Neuve et du Labrador n’était pas en train de s’envoler vertigineusement vers un chiffre qui pourrait dépasser 700 millions de dollars en 2007-08, mais était relativement stable et dépassait tout juste 280 millions de dollars. Le centre canadien a noté également que l’étude confiée par le gouvernement à PWC contenait des affirmations à caractère éminemment politique qui n’avaient pas leur place dans le contexte d’une vérification comptable. Il apparaît clairement que ce rapport visait à effrayer la population afin de la gagner au blocage des rémunérations du secteur public et aux réductions d’emploi dans ce secteur, ainsi qu’aux coupures apportées aux services publics.
- 372. Après avoir annoncé publiquement un blocage des rémunérations de deux ans, le gouvernement provincial a convoqué le 21 janvier 2004 les représentants des retraités de son administration pour leur dire qu’il avait l’intention de revenir sur son engagement consistant à contribuer à hauteur de 1 pour cent au régime des retraites pour faciliter l’indexation des prestations versées aux retraités de plus de 65 ans. Cette indexation avait été acquise dans le cadre d’un règlement résultant d’une grève déclenchée en avril 2001 par 19 000 membres du NAPE/SNEGSP et du SCFP. Les syndicats s’étaient engagés à ce que leurs membres affectent un certain pourcentage de leur rémunération à l’indexation des pensions, étant entendu que le gouvernement provincial devait affecter un pourcentage identique. Cette indexation, qui était plafonnée à 1,2 pour cent par an, est entrée en vigueur en octobre 2003. Il s’agissait de la première augmentation des pensions du gouvernement provincial depuis 1989.
- 373. Constatant l’absence de tout progrès dans les négociations relatives aux questions essentielles et prenant acte du refus du gouvernement de faire des concessions importantes en dehors de la table des négociations, l’ensemble des unités de négociation du NAPE/SNEGSP et du SCFP ont fait une demande de conciliation le 15 janvier 2004. Le NAPE/SNEGSP a rompu les négociations et a entrepris d’organiser des votes de grève le 15 février 2004, de façon à permettre à ses membres de se mettre légalement en grève le 1er avril 2004. Les membres ont donné au NAPE/SNEGSP le mandat de grève le plus net de l’histoire du syndicat: globalement, 91 pour cent d’entre eux ont voté en faveur d’une grève au cas où aucun accord acceptable ne pourrait être atteint avant le 31 mars. Le 21 mars 2004, le NAPE/SNEGSP a repris les négociations avec le gouvernement, mais n’a pu réaliser de progrès substantiels.
- 374. Le 30 mars, moins de 36 heures avant l’expiration du préavis de grève, le ministre des Finances a présenté le premier budget du gouvernement, qui était de loin le plus dur de l’histoire de la province et comportait à la fois une forte réduction des dépenses et la suppression de nombreux services et programmes publics. Ce budget a eu une incidence négative sur l’ensemble des services et programmes publics financés par le gouvernement, lequel a publié un plan visant à supprimer 4 000 emplois dans la fonction publique provinciale au cours des quatre années suivantes, dont 700 en 2004. Cette décision était en contradiction directe avec un engagement pris personnellement par le Premier ministre au cours de la campagne électorale d’octobre 2003 qui a conduit son gouvernement au pouvoir, à savoir qu’il n’y aurait pas de licenciements dans la fonction publique. A l’instar d’un certain nombre de commentateurs, le SNEGSP affirme que l’intention du gouvernement était de provoquer une grève afin de détourner l’attention de la population des strictes mesures de rigueur contenues dans le budget. Alors qu’une semaine de négociations tenues à la fin de mars avait permis de réaliser quelques progrès, il est apparu parfaitement évident au NAPE/SNEGSP et au SCFP le 31 du mois que le gouvernement ne cherchait pas véritablement à négocier un accord avant le début de la grève.
- 375. L’offre finale du gouvernement présentait deux options en matière de rémunérations:
- – un accord de cinq ans comprenant les éléments suivants: blocage des salaires au cours des deux premières années, augmentation de 2 pour cent la troisième année, et augmentation respective de 3 pour cent les quatrième et cinquième années;
- – un accord de quatre ans comprenant les éléments suivants: blocage des rémunérations au cours des deux premières années, augmentation de 2 pour cent la troisième année, et augmentation de 3 pour cent la quatrième année.
- L’offre finale imposait également des concessions importantes aux travailleurs dans différents domaines: congés de maladie, pensions, examen de la classification, horaire de travail des agents des commissions scolaires. A l’exception des congés de maladie, la position du gouvernement a consisté à supprimer les avantages acquis par les syndicats après une grève de six jours au cours de la dernière série de négociations, en avril 2001. En ce qui concerne les congés de maladie, le gouvernement a exigé le rétablissement d’un système à deux niveaux en divisant par deux le montant des prestations de maladie pour les futurs agents.
- 376. Au cours de la grève de 27 jours et des six jours séparant la fin de cette grève de l’adoption du projet de loi no 18 (4 mai 2004), le NAPE/SNEGSP et le SCFP se sont efforcés de reprendre les négociations en un certain nombre d’occasions en faisant au moins six nouvelles offres. Le gouvernement n’a fait de contre-propositions officielles que sur deux de ces offres. La première, faite le 9 avril, exigeait toujours les quatre mêmes concessions et proposait des augmentations de rémunération inférieures à l’offre faite le 31 mars. La dernière, faite le 29 avril, soit trois jours après la soumission du projet de loi no 18 et un jour après la fin de la grève par les travailleurs, était identique à celle faite précédemment par le gouvernement, à l’exception du fait qu’elle offrait aux nouveaux agents la possibilité de bénéficier des mêmes congés de maladie que les agents en fonction après vingt ans de service. En revanche, le projet de loi no 18 ne comprenait pas ce point secondaire.
- 377. Le gouvernement a fait preuve de mauvaise foi dans les négociations tout au long de la grève. Le Premier ministre et le ministre des Finances ont fait de nombreuses déclarations, à la fois à l’Assemblée législative et dans les médias, pour dire qu’ils avaient fait de gros efforts pour atteindre un accord avec les syndicats, alors que, en fait, plusieurs appels téléphoniques des dirigeants syndicaux demandant la reprise des négociations sont restés sans réponse. Il n’y a jamais eu de véritables négociations, mais seulement un renouvellement de l’offre finale faite par le gouvernement le 31 mars. Le comportement du Premier ministre au cours des premiers jours de la grève constitue l’exemple le plus scandaleux de la mauvaise foi dont a fait preuve le gouvernement. Le premier jour de la grève, lors d’un éclat transmis par la télévision dans tout le pays, il s’en est pris à l’ensemble du mouvement syndical provincial en affirmant sans la moindre preuve, mais au moyen d’insinuations et d’allusions, que des syndicalistes étaient liés à une agression physique sur la personne de son fils adulte. Insinuant que des syndicalistes étaient prêts à recourir à la violence à l’encontre de la famille des membres du gouvernement, il a déclaré ce qui suit au cours d’une conférence de presse tenue le 1er avril:
- Laissez-moi simplement m’adresser directement ici à tous les syndicalistes: ne vous approchez pas de ma famille, de mon domicile ou de celui de nos ministres, ou de toute autre personne appartenant à notre groupe parlementaire, parce que, dans le cas contraire, vous pourrez attendre très longtemps qu’on s’occupe de vos problèmes.
- A lire cette déclaration, on a l’impression que le Premier ministre a laissé cet incident fausser son jugement quant à la manière de gérer la grève, puisqu’il a insinué que 20 000 syndicalistes et les citoyens de Terre-Neuve et du Labrador devraient subir une grève de longueur indéterminée en raison d’actions sans lien avec eux qui seraient entreprises à l’encontre d’un membre de la famille de l’un quelconque des représentants élus du gouvernement. Quatre jours plus tard, une personne n’ayant aucun lien avec les syndicats a été inculpée d’agression ayant causé des blessures au fils du Premier ministre. Pourtant, ce dernier a refusé de présenter des excuses au NAPE/SNEGSP et au SCFP ainsi qu’à leurs membres.
- 378. Le 2 avril, le Premier ministre a pris la décision très inhabituelle de contourner le comité de négociation des syndicats en négociant directement avec les agents membres de piquets de grève et en leur communiquant des informations trompeuses sur la dernière offre du gouvernement. Ce comportement témoigne d’une mauvaise foi évidente. Par ailleurs, le SNEGSP considère qu’il constitue une grave violation de l’article 3 (2) de la convention no 87, selon lequel les autorités publiques doivent s’abstenir de toute intervention de nature à limiter le droit des syndicats d’organiser leur gestion et leur activité et de formuler leur programme d’action. Le SNEGSP souligne que, en différentes occasions, le comité a rappelé «l’opportunité qu’il y aurait à consulter les organisations représentatives afin d’assurer qu’aucune influence ou aucune pression de la part des autorités ne vienne affecter en pratique l’exercice du droit de grève».
- 379. Le projet de loi no 18 est l’un des plus rétrogrades qu’ait jamais connue la législation du travail canadienne. Il met fin à la négociation collective dans le secteur public de Terre-Neuve et du Labrador pour une période d’au moins quatre ans. Il a été soumis à l’Assemblée législative et adopté sans la moindre consultation des syndicats représentant les 20 000 grévistes.
- n L’article 3 de la loi limite strictement la liberté d’expression des responsables syndicaux en précisant ce qu’ils ont le droit de dire aux membres de leur syndicat. Il leur impose de faire une déclaration aux grévistes qu’ils représentent pour dire que leur grève est devenue invalide et illégale.
- n L’article 4 contraint tous les grévistes à reprendre le travail immédiatement et interdit à tous les responsables syndicaux d’ordonner aux agents de ne pas reprendre le travail ou de les encourager, les aider ou les inciter à le faire.
- n L’article 5 porte sur les rémunérations et les conditions d’emploi des 20 000 agents pour une période de quatre ans qui ne se terminera pas avant le 31 mars 2008. Il déclare que ces rémunérations et conditions d’emploi constitueront la convention collective des agents. Les rémunérations et conditions d’emploi visées à l’article 5 sont identiques à l’offre finale faite par le gouvernement aux syndicats le 31 mars. On est en droit de mettre en doute l’intention affichée par le gouvernement de négocier de bonne foi durant les 27 jours de grève puisqu’il fait par voie législative une offre identique à celle qu’il avait faite le jour précédant le déclenchement de la grève. Par ailleurs, l’article 5 a pour effet de supprimer toute forme de négociation collective pour les 20 000 agents précités pour une période de quatre ans, soit une durée sans précédent.
- n L’article 6 rend passibles les contrevenants à la législation des pénalités les plus strictes de toute l’histoire de la législation de retour au travail du Canada. Les agents qui ne reprennent pas le travail dès l’entrée en vigueur de la loi risquent un licenciement immédiat.
- n Par ailleurs, la loi impose des amendes sans précédent aux syndicats et à leurs dirigeants. Les délégués ou représentants syndicaux qui incitent les travailleurs à ne pas reprendre le travail sont passibles d’amendes de 25 000 dollars par jour. Le NAPE/SNEGSP et le SCFP auraient pu avoir à acquitter une amende de 250 000 dollars par jour pour avoir poursuivi la grève après l’adoption de la loi. A cet égard, le gouvernement est autorisé à prélever les cotisations syndicales et à en affecter le montant au paiement des amendes.
- 380. Le SNEGSP affirme que le gouvernement a choisi délibérément, avant le début de la grève, de ne pas respecter la loi provinciale sur les négociations collectives dans la fonction publique, texte applicable en l’occurrence, mais d’imposer par voie législative sa position de «négociation» originale. Le SNEGSP affirme également que, si le gouvernement a prolongé la grève, c’est uniquement afin de pénaliser les membres du NAPE/SNEGSP et du SCFP pour avoir osé contester sa conception de ce qu’est une offre «équitable». En imposant le blocage des rémunérations et les concessions qu’il avait exigées dès le premier jour de la grève, le gouvernement a enlevé toute valeur aux affirmations selon lesquelles il aurait négocié, même de mauvaise foi. Plutôt que d’adopter une loi de retour au travail au cours des premiers jours de la grève, aussi inacceptable que fut une telle solution, le gouvernement a voulu se venger en laissant les travailleurs former des piquets de grève et refuser aux citoyens de la province l’accès aux services publics 27 jours durant. C’est seulement alors qu’il a décidé d’appliquer la décision qu’il avait prise au moins un mois auparavant, à savoir de présenter son offre finale par voie législative et de mettre un terme à la grève. Les faits sur lesquels reposent ces affirmations sont exposés ci-dessous.
- 381. La raison invoquée par le gouvernement pour soumettre le projet de loi no 18 est la crise de plus en plus grave du secteur des soins de santé, qui menacerait la santé des citoyens de la province. Si c’est le cas, on est en droit de se demander pourquoi il s’est passé quatre jours entre la date à laquelle le gouvernement a annoncé la soumission du projet de loi sur le retour au travail (22 avril) et la date à laquelle il a effectivement soumis le projet de loi no 18 à l’Assemblée législative (26 avril). Le SNEGSP souligne que, chaque fois que les directeurs médicaux des hôpitaux ont demandé aux syndicats d’accroître le nombre des agents par rapport à ce qu’exige l’ordonnance sur les services essentiels, les syndicats ont accepté la demande.
- 382. Par ailleurs, les syndicats ont offert au gouvernement de soumettre le différend à arbitrage, conformément à la loi sur la négociation collective dans la fonction publique. Le 22 avril, le président du NAPE/SNEGSP et celui du SCFP (division de Terre-Neuve et du Labrador) ont informé par écrit le Premier ministre que les deux syndicats étaient disposés à donner instruction à leurs membres de reprendre le travail le vendredi 23 avril et de soumettre les questions en suspens à un arbitrage obligatoire, conformément aux articles 32-37 de la loi sur la négociation collective dans la fonction publique, laquelle est le texte qui régit les relations de travail et les négociations collectives entre l’ensemble des employeurs et des agents du secteur public de la province (à l’exception de l’administration municipale) depuis 1976. L’article 30 de cette loi autorise l’Assemblée législative provinciale à déclarer l’état d’urgence lorsqu’elle estime qu’une grève des agents serait préjudiciable à la santé ou à la sécurité des personnes ou d’un groupe ou d’une catégorie de personnes, ou encore à la sécurité de la province, ainsi qu’à mettre fin à une grève. Les articles 32-37 de la loi s’appliquent au cas où l’article 30 est invoqué. Ces articles exposent une procédure visant à soumettre immédiatement à un arbitrage obligatoire tous les points faisant l’objet du différend. Le gouvernement a décidé de ne pas suivre la voie que lui offrait la loi sur la négociation collective dans la fonction publique, mais d’adopter une loi distincte visant à imposer sa position de «négociation» aux 20 000 grévistes.
- 383. Il n’y avait pas lieu d’adopter cette loi, puisque le NAPE/SNEGSP et le SCFP avaient tous deux appelé à la fin de la grève après que le projet de loi no 18 eut été soumis à l’Assemblée législative et que leurs membres eurent repris le travail le 28 avril. Ce retour au travail mettait fin à toute raison de déclarer l’état d’urgence et d’adopter une loi de retour au travail.
- 384. De fait, les négociations entre le gouvernement et les syndicats se sont poursuivies jusqu’à la veille du jour où la loi a été adoptée. La principale question en suspens restait celle des congés de maladie, le gouvernement continuant à exiger des syndicats qu’ils admettent un plan à deux niveaux. Pour des raisons de principes, les syndicats ne pouvaient accepter la proposition du gouvernement, car elle aurait eu pour résultat de faire que leurs membres n’auraient pas tous bénéficié des mêmes prestations. Cependant, le NAPE/SNEGSP et le SCFP ont accepté de soumettre cette question à un arbitrage obligatoire.
- 385. Il apparaît que la position du gouvernement est étroitement liée à la position personnelle du Premier ministre, puisqu’un système de congés de maladie à deux niveaux ne présenterait au mieux que de faibles avantages monétaires pour le gouvernement. La proposition du gouvernement prévoyait une réduction de moitié du nombre des jours de congé de maladie pour les nouveaux agents. Etant donné que le budget provincial adopté le 30 mars comprenait des mesures visant à supprimer 4 000 emplois au cours des quatre prochaines années, dont 700 en 2004, cette proposition ne permettra pas au gouvernement de faire la moindre économie durant au moins quatre ans. Bien qu’il ne fût pas nécessaire d’adopter une loi de retour au travail (sinon pour permettre au gouvernement d’appliquer unilatéralement son offre finale), le gouvernement a décidé de mettre fin à toute négociation et d’adopter le projet de loi no 18.
- 386. La plainte présentée par le SNEGSP à l’encontre du gouvernement et de son projet de loi no 18 se fonde sur plusieurs règles fixées par le comité dans nombre des décisions qu’il a prises au cours des années, à savoir:
- - les mesures gouvernementales qui mettent sérieusement à mal la confiance des salariés dans la négociation collective sont contraires à la convention (nº 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948;
- - le gouvernement doit donner la priorité à la négociation collective dans la détermination des conditions d’emploi de ces agents;
- - lorsqu’un gouvernement impose une loi ayant pour effet de restreindre les droits à la négociation collective des agents du secteur public, les intéressés doivent pouvoir se tourner vers un système d’arbitrage indépendant rendu par un tiers;
- - lorsque, dans un secteur important de l’économie, un arrêt total et prolongé du travail peut provoquer une situation telle que la vie, la santé ou la sécurité de la population peuvent être mises en danger, il semble légitime qu’un ordre de reprise du travail soit applicable à une catégorie de personnel déterminée en cas de grève dont l’étendue et la durée pourraient provoquer une telle situation. Par contre, exiger la reprise du travail en dehors de tels cas est contraire aux principes de la liberté syndicale (cas no 1430 et autres);
- - de véritables consultations doivent avoir lieu avec les syndicats représentant les agents du secteur public avant l’adoption d’une loi par le biais de laquelle le gouvernement s’efforce de modifier la procédure de négociation dans le cadre de laquelle il joue le rôle d’employeur, directement ou indirectement;
- - les travailleurs tirent le droit général de faire grève de l’article 3 de la convention no 87, et les dispositions qui vont à l’encontre de ce droit sont en contravention avec cet article (cas no 1247).
- 387. Le SNEGSP conclut que la loi contestée est contraire aux principes fondamentaux du droit syndical et du droit de négociation collective dans le secteur public, tel qu’il est énoncé dans les conventions nos 98 et 151, ainsi que du droit de liberté syndicale, tel qu’il est énoncé dans la convention no 87 et dans la Déclaration de 1998 relative aux principes et droits fondamentaux au travail. Malheureusement, les dommages causés à la négociation collective dans le secteur public de Terre-Neuve et du Labrador se sont déjà produits. La négociation collective dans la fonction publique provinciale est supprimée pour au moins quatre ans. Le SNEGSP demande donc au Comité de la liberté syndicale de condamner fermement le gouvernement de Terre-Neuve et du Labrador pour:
- - s’être ingéré par voie législative comme aucun gouvernement ne l’avait jamais fait dans les mécanismes de la négociation collective du secteur public, au lieu de donner la priorité à cette négociation pour déterminer les rémunérations et les conditions d’emploi des agents du système des soins de santé publics;
- - avoir abusé de son autorité législative pour imposer son offre finale dans le cadre de conventions collectives de quatre ans régissant les 20 000 agents;
- - avoir refusé de participer à un processus consultatif ouvert et approfondi avec ces agents avant d’imposer unilatéralement un règlement par voie législative;
- - n’avoir pas fait appel à un système d’arbitrage indépendant rendu par un tiers pour régler les différends relatifs aux relations de travail dans le secteur public.
- B. Réponse du gouvernement
- 388. Dans sa communication du 15 février 2005, le gouvernement déclare que la loi visant à assurer la reprise et le maintien des services publics ne contrevient pas aux conventions nos 87, 98 et 151 et déclare que cette loi a été adoptée en dernier ressort pour répondre aux effets négatifs que la grève générale de plus de 20 000 agents publics avait eus sur la capacité de la province à assurer l’ensemble des services publics à la population de Terre-Neuve et du Labrador d’une manière responsable sur le plan budgétaire. Le gouvernement ajoute que la teneur des 17 conventions collectives annexées à la loi traduit les progrès notables réalisés par les équipes de négociation du syndicat et du gouvernement, tant avant que durant la grève générale de la fonction publique de 2004, et l’accord conclu par les parties à ces négociations. De fait, rares étaient les questions restant en suspens à la date de l’adoption de la loi. Après 27 jours d’une large vacance des services publics qui a gravement perturbé la fourniture des soins de santé et des autres services publics de base, les questions non résolues ont été réglées par voie législative, d’une manière qui tenait effectivement compte des progrès enregistrés dans les échanges entre les parties et qui était à la fois équitable et responsable sur le plan budgétaire.
- 389. En ce qui concerne les aspects financiers et budgétaires, il y a lieu de rappeler que, en novembre 2004, dès sa prise de fonctions, le gouvernement a confié à un cabinet comptable de réputation internationale une étude sur la situation budgétaire de la province. Le rapport de ce cabinet, intitulé Directions, choices and tough choices (Orientations, choix et choix difficiles), publié le 5 janvier 2004, a conclu que la province se trouvait dans une situation économique désastreuse, compte tenu d’un déficit de 877,5 millions de dollars, dont un déficit de caisse de 507 millions de dollars. Le Premier ministre a réagi à ce rapport le jour même en prononçant une allocution sur l’état de la province, dans laquelle il affirmait qu’il est essentiel de faire preuve de rigueur budgétaire dans tous les domaines des dépenses publiques, y compris les rémunérations et avantages sociaux des agents, qui représentent environ 52 pour cent du budget provincial. Le gouvernement conteste que le Premier ministre ait contrevenu de quelque façon que ce soit aux conventions internationales du travail en s’adressant publiquement à la population de Terre-Neuve et du Labrador au sujet de la situation financière de la province et en proposant un plan général visant à résoudre le problème. Il ne s’est produit aucune violation des droits de négociation collective puisque, à la suite de l’allocution du Premier ministre sur la situation de la province, les négociations collectives se sont poursuivies avec un succès indéniable.
- 390. Les syndicats ont informé le gouvernement provincial de leur intention de négocier bien avant le préavis exigé par les diverses conventions collectives (qui expiraient toutes le 31 mars 2004). Cet avis a été donné avant les élections générales du 21 octobre 2003, qui ont entraîné un changement de gouvernement. Les négociations se sont ouvertes en janvier 2004, alors que le gouvernement nouvellement élu était au courant de la situation financière et des questions relatives à la négociation collective. Elles se sont poursuivies normalement jusqu’à la grève, puis tout au long de cette grève. De fait, durant les dix jours qui ont abouti au préavis de grève du 1er avril 2004 – préavis que les syndicats se sont imposé à eux-mêmes –, les négociateurs syndicaux et gouvernementaux se sont retrouvés dans un hôtel local, où les pourparlers se sont poursuivis vingt-quatre heures sur vingt-quatre. En janvier 2004, le syndicat a fait appel à l’aide d’une équipe de conciliation de la Commission des relations de travail (institution neutre créée par le gouvernement, avec pour mission de favoriser le maintien d’un climat positif des relations salariat-patronat dans la province par la fourniture de services de conciliation, de facilitation et de médiation). L’équipe de conciliation, composée d’un directeur et de cinq médiateurs, a collaboré avec les parties jusqu’au préavis de grève du 1er avril 2004, y compris en menant des négociations ininterrompues au cours des dix derniers jours. Lorsque la grève a été déclenchée, le directeur général et le directeur de la commission ont participé activement et régulièrement aux pourparlers avec les syndicats et le gouvernement tout au long de la grève, afin d’aider les parties à convenir d’un accord. Les efforts considérables consentis par les négociateurs des syndicats et du gouvernement ainsi que par l’équipe de conciliation ont permis d’aboutir à un accord sur nombre de questions, accord qui constitue le noyau des conventions collectives actuelles, tel qu’indiqué à l’article 5 de la loi précitée. Lorsque les syndicats se sont imposés eux-mêmes un préavis de grève, le 1er avril 2004, les négociations étaient bien avancées. Un certain nombre de questions restaient en suspens entre les syndicats et le gouvernement. Certains des principaux points de désaccord étaient les rémunérations, les congés de maladie et l’application des recommandations concernant les heures de travail du personnel de soutien du secteur éducatif (il s’agit des recommandations «Young/Warren» – voir ci-dessous).
- 391. Le 22 avril 2004, après 27 jours d’une large vacance des services publics, et alors que les perspectives de solution des trois questions en suspens paraissaient faibles, le gouvernement a adopté la loi précitée, qui est une solution de dernier ressort aux problèmes posés par la rapide détérioration du système de soins de santé, qui perturbait gravement le système éducatif et menaçait la bonne marche de l’ensemble des services publics. Etant donné les graves conséquences financières des questions en suspens, la province a estimé que le fait de soumettre ces questions à un arbitrage obligatoire qui serait rendu par un tiers non élu serait une décision irresponsable de la part d’un gouvernement mandaté par la population de la province pour gérer et maîtriser les dépenses.
- 392. Comme son titre l’indique, la loi a un double objet: tout d’abord, obtenir la reprise du travail par les fonctionnaires en grève; ensuite, garantir la poursuite de leurs services. S’il est exact que l’immense majorité des grévistes ont repris le travail avant l’adoption de la loi, cette décision prise sur injonction des syndicats n’a rien fait pour assurer la stabilité du personnel, car les services pouvaient être interrompus de nouveau en tout temps, moyennant un préavis. Il était donc prudent de la part du gouvernement d’adopter une loi prévoyant la reprise du travail et la codification des clauses des conventions collectives comprenant les points ayant déjà fait l’objet d’un accord et les trois questions en suspens, à savoir les rémunérations, les congés de maladie et les recommandations Young/Warren.
- 393. Le gouvernement conteste l’allégation des syndicats selon laquelle il est revenu sur son obligation de contribuer à l’indexation des pensions. A la fin de l’exercice, la législation comprenait un mémorandum d’accord (voir ci-dessous) incluant un amendement portant sur un prolongement de délai destiné à permettre aux syndicats et à la province d’étudier la possibilité de gérer conjointement le régime des retraites.
- 394. Le gouvernement souhaite apporter les précisions suivantes au sujet des trois questions en suspens qui ont été réglées par voie législative:
- - Rémunérations: La loi prévoit les augmentations suivantes au cours de la période d’application des conventions: 1er avril 2004 – 0 pour cent; 1er avril 2005 – 0 pour cent; 1er avril 2006 – 2 pour cent; 1er avril 2007 – 3 pour cent. Le gouvernement estime que ces chiffres sont raisonnables, compte tenu de la situation financière difficile que traverse la province et des mesures à long terme qu’il y a lieu de prendre pour régler le problème. Il convient de noter également que les conventions collectives précédentes ont abouti à une augmentation de 15 pour cent des rémunérations au cours de la période triennale précédente (2001-2004). Les principes et les conventions de l’OIT affirment clairement que les gouvernements doivent disposer d’une certaine flexibilité pour surmonter les crises économiques auxquelles ils font face. Le comité a affirmé fréquemment que, «si, au nom d’une politique de stabilisation, un gouvernement considère que le taux des salaires ne peut pas être fixé librement par voie de négociations collectives, une telle restriction devrait être appliquée comme une mesure d’exception, limitée à l’indispensable, elle ne devrait pas excéder une période raisonnable et elle devrait être accompagnée de garanties appropriées en vue de protéger le niveau de vie des travailleurs».
- - Congés de maladie: La loi dispose que tout agent engagé après la date d’entrée en vigueur de la convention accumulera des congés de maladie au taux d’un jour par mois jusqu’à un maximum de 12 jours par an, pour un total de 240 jours. De tous les postes de dépense liés aux prestations dont bénéficient les agents de la fonction publique, les congés de maladie sont l’un des plus élevés et des plus difficiles à maîtriser. Etant donné les perspectives financières peu encourageantes, la position initiale du gouvernement a consisté à réduire les droits à congés de maladie pour les agents déjà en fonctions. Cependant, à titre de compromis, le gouvernement a accepté, pour débloquer la situation, de ne pas réduire les droits à congés pour les agents en fonctions, mais seulement pour les nouveaux agents. Il s’agit là d’une décision visant à ménager l’avenir, qui n’affecte en rien les membres actuels des syndicats.
- - Recommandations Young/Warren: Le rapport de médiation Young forme la base d’un mémorandum d’accord conclu entre les parties au sujet des heures de travail des membres du personnel de soutien des commissions scolaires employés dans le secteur éducatif. Ce mémorandum d’accord a été incorporé à la convention collective de l’Association des commissions scolaires qui a expiré le 31 mars 2004, et le gouvernement s’est conformé à ses clauses. Le rapport Warren, rédigé par un consultant indépendant engagé par le gouvernement à la suite du premier rapport de médiation Young, a proposé des recommandations sur la question des heures de travail des membres du personnel de soutien des commissions scolaires employés dans le secteur éducatif. Ces recommandations n’ont pas été incorporées aux conventions collectives précédentes, mais figuraient dans les propositions formulées par les syndicats lors de la série de négociations de 2004. Ces rapports influent sur la situation de quelque 750 agents.
- 395. Le gouvernement estime que la loi n’enfreint nullement les droits relatifs à la liberté syndicale proclamés par la convention no 87. Les restrictions imposées aux activités syndicales par voie législative visent uniquement à permettre une reprise du travail pacifique par les grévistes. Aucune restriction n’a été imposée au droit des agents de s’associer ou de se syndiquer.
- 396. En ce qui concerne l’allégation selon laquelle la conversation qu’a eue le Premier ministre avec les agents occupant les piquets de grève alors qu’il se rendait à son bureau constituerait une violation de la convention no 87, il y a lieu de rappeler qu’il s’agissait seulement là d’un échange d’informations. Le Premier ministre s’est entretenu avec les agents de l’offre la plus récente du gouvernement, qui était alors sur la table des négociations et était connue des négociateurs syndicaux. Il n’y a eu ni atteinte au droit des syndicats de gérer leurs affaires, ni tentative de leur nuire de quelque façon que ce soit.
- 397. En ce qui concerne l’allégation de violation du droit de négocier collectivement en vertu des conventions nos 98 et 151, le gouvernement déclare que, si la convention no 151 n’est toujours pas ratifiée par le Canada, celui-ci n’en respecte pas moins ses dispositions et principes. Les restrictions au droit de négociation collective imposées pour faire face à de graves difficultés économiques sont acceptées par le comité lorsque les circonstances présentent un caractère exceptionnel et seulement dans la mesure où elles sont nécessaires. La loi a été adoptée pour faire face à une situation dans laquelle la reprise des services publics était essentielle au bien-être de la population de la province. Par ailleurs, l’immense majorité des clauses de l’ensemble des 17 conventions sont le résultat des gros efforts consentis par les équipes de négociation et de conciliation. C’est en dernier ressort que l’on s’est résolu à régler certaines questions par voie législative, compte tenu de la situation économique difficile. La période de quatre ans comprend deux augmentations substantielles des rémunérations et témoigne de la volonté du gouvernement de traiter ses agents avec respect et équité.
- 398. Le gouvernement conclut que la loi n’enfreint nullement les principes, déclarations et dispositions des conventions internationales du travail.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité- 399. Le comité note que le présent cas concerne une loi de retour au travail (Loi visant à assurer la reprise et le maintien des services publics, PSRCA, dont des extraits figurent à l’annexe 1), adoptée par le gouvernement de Terre-Neuve et du Labrador. Cette loi, qui prévoit des pénalités sévères, a mis fin à une grève légale de la fonction publique et imposé une convention collective de quatre ans; l’organisation plaignante allègue que le gouvernement n’a pas fait preuve de bonne foi dans les négociations collectives qu’il a menées avec les syndicats représentatifs et n’a pas eu recours à un arbitrage indépendant. Le gouvernement rétorque que l’adoption de la loi était une mesure de dernier ressort visant à mettre fin à une grève générale de plus de 20 000 agents publics qui menaçait la prestation des soins de santé et d’autres services publics fondamentaux, ainsi qu’une réponse budgétaire équitable et responsable aux revendications des syndicats, compte tenu de la situation financière de la province. Tant le gouvernement que l’organisation plaignante se fondent sur les rapports relatifs à la situation budgétaire de la province rédigés par deux firmes différentes, qui aboutissent à des conclusions également différentes.
- 400. Le comité fait remarquer qu’il n’est ni mandaté ni compétent techniquement pour décider du crédit respectif à attacher aux deux rapports divergents sur la situation financière de la province et sur la justification des mesures qui pourraient résulter de ces rapports. De même, le comité n’est pas invité à déterminer si les rémunérations et les autres conditions de travail (par exemple en ce qui concerne les congés de maladie) imposées par le gouvernement sont «raisonnables». Son mandat consiste plutôt à déterminer si, en adoptant la loi dans ces circonstances, le gouvernement a respecté les principes de la liberté syndicale.
- 401. Le comité note tout d’abord que, dans le présent cas, la grève était légale, puisque l’organisation plaignante avait respecté toutes les prescriptions légales avant de lancer son mouvement à l’appui de ses revendications. Si un nombre substantiel de questions ont été effectivement négociées, à la fois par le biais de négociations directes et avec l’aide de services de médiation et de conciliation, le fait est que, en fin de compte, le gouvernement a imposé, par la voie de la Loi visant à assurer la reprise et le maintien des services publics, les clauses d’une convention collective de quatre ans concernant les questions en suspens, notamment les rémunérations. Tenant compte de la longue durée de ce contrat imposé, le comité invite le gouvernement à tenir des consultations avec les syndicats concernés en vue d’un possible réexamen de ces conditions de travail imposées.
- 402. Le comité prend note des pénalités sévères prévues par la loi précitée (voir annexe 1), qui rendait impossible la poursuite de la grève, et du fait que tous les agents avaient repris le travail les 27 et 28 avril 2004, soit avant la date d’adoption de la loi, le 4 mai suivant.
- 403. Le comité note également que, le 22 avril 2004, l’organisation plaignante a écrit au Premier ministre dans les termes suivants: «Si la voie de la convention collective a toujours eu notre faveur, nous ne croyons guère que les parties seront maintenant en mesure de résoudre ce problème par la négociation. Dans une dernière tentative pour régler le différend qui nous oppose sans faire appel à une législation extraordinaire et dans un effort pour rétablir la prestation des services publics, nous proposons aujourd’hui que les parties fassent appel aux dispositions de la Loi sur la négociation collective dans la fonction publique pour régler la question. Le NAPE et le SCFP sont disposés à donner instruction à leurs membres de reprendre le travail le vendredi 23 avril 2004 et à soumettre les questions en suspens à un arbitrage obligatoire, conformément aux articles 32 à 37 de la Loi sur la négociation collective dans la fonction publique. Cette formule devrait permettre aux parties de tenir compte des intérêts généraux de la province et de reprendre immédiatement la prestation des services publics. Cette offre est faite de bonne foi, afin de tenter de résoudre le différend qui nous oppose, et nous espérons que vous partagez notre souhait de trouver un règlement juste et équitable.» [Voir annexe 2, extraits de la Loi sur la négociation collective dans les services publics.]
- 404. Le comité souligne que des mesures devraient être prises pour encourager et promouvoir le développement et l’utilisation les plus larges de procédures de négociation volontaire de conventions collectives entre les organisations d’employeurs et de travailleurs, en vue de régler par ce moyen les conditions d’emploi. [Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, quatrième édition, 1996, paragr. 781.] Le comité rappelle également que la négociation volontaire des conventions collectives, et donc l’autonomie des partenaires sociaux à la négociation, constitue un aspect fondamental des principes de la liberté syndicale; la négociation collective doit, pour conserver son efficacité, revêtir un caractère volontaire et ne pas impliquer un recours à des mesures de contrainte qui auraient pour effet d’altérer ce caractère. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 844-845.]
- 405. Notant cependant l’offre faite par les organisations plaignantes au gouvernement de recourir aux dispositions législatives en vigueur sur le règlement des différends dans la fonction publique par l’arbitrage, le comité n’est pas convaincu par l’argument du gouvernement selon lequel un renvoi des questions en suspens à un arbitrage obligatoire rendu «par un tiers non élu» serait une décision irresponsable, particulièrement compte tenu du fait que le gouvernement aurait pu fournir à l’arbitre toutes les données sur la situation budgétaire de la province et que ces dispositions sont précisément conçues pour s’appliquer à ce type de situation et mettre fin au blocage des négociations dans la fonction publique. Le gouvernement a préféré opter pour une loi de retour au travail et imposer unilatéralement les conditions relatives aux questions en suspens, alors que les travailleurs étaient déjà de retour au travail et que leur syndicat avait proposé de soumettre le différend à un arbitrage obligatoire, comme le prévoit la loi.
- 406. Rappelant que, dans un contexte de stabilisation économique, il convient de privilégier la négociation collective pour fixer les conditions de travail des fonctionnaires au lieu de promulguer une loi sur la limitation des salaires dans le secteur public [voir Recueil, op. cit., paragr. 900], le comité considère que le gouvernement aurait dû, dans ces circonstances, accorder la priorité à la négociation collective. Le comité souligne que, lorsqu’il apparaît clairement que les questions en suspens ne peuvent être résolues par cette voie, il est important, dans les cas concernant la fonction publique, de recourir à des procédures de médiation et d’arbitrage qui ont la confiance des parties en cause. Le fait de recourir à une loi de retour au travail qui impose unilatéralement la position de l’un des partenaires à la négociation, au lieu de recourir à des mécanismes existants qui jouissent de la confiance des syndicats en cause (comme le montre leur offre de soumettre les questions en suspens à un arbitrage obligatoire), ne peut manifestement pas être considéré comme propice à des relations professionnelles stables et harmonieuses dans lesquelles les parties peuvent avoir confiance. Le comité demande instamment au gouvernement de s’abstenir dans l’avenir d’adopter ce type de loi de retour au travail et de recourir à la procédure d’arbitrage prévue par la législation pour résoudre les blocages des négociations comme celle du présent cas.
Recommandation du comité
Recommandation du comité- 407. A la lumière des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Notant que le gouvernement a enfreint les principes de la liberté syndicale en adoptant une loi de retour au travail, le comité l’invite instamment à s’abstenir d’adopter ce type de loi dans l’avenir et à recourir à la procédure d’arbitrage prévue par la législation pour résoudre les blocages des négociations.
- b) Tenant compte de la longue durée (quatre ans) du contrat imposé par voie législative, le comité invite le gouvernement à tenir des consultations avec les syndicats concernés, en vue d’un possible réexamen des conditions de travail ainsi imposées.
Annexe 1
Annexe 1- Loi visant à assurer la reprise et le maintien
- des services publics (extraits)
- …
- 3. (1) Dès l’entrée en vigueur de la présente loi, les syndicats et délégués ou représentants syndicaux informeront les grévistes dont ils assurent la représentation qu’une déclaration ou consigne de grève, effectuée ou portée à leur connaissance avant l’entrée en vigueur de la présente loi, est devenue invalide du fait de cette entrée en vigueur, et ils donneront instruction aux intéressés de reprendre le travail immédiatement.
- (2) Lorsque les syndicats se seront conformés au paragraphe (1), ni eux ni leurs délégués ou représentants n’entreprendront, durant la période où les conditions d’emploi mentionnées à l’article 5 sont en vigueur, aucune action visant à contraindre un employeur à accepter des conditions d’emploi différentes de celles mentionnées dans cet article.
- 4. (1) Dès l’entrée en vigueur de la présente loi, tous les agents mettront fin aux actions visant à contraindre un employeur à accepter certaines conditions d’emploi et poursuivront ou reprendront, selon le cas, les tâches qui sont les leurs.
- (2) Les syndicats, de même que leurs délégués ou représentants et que les autres personnes agissant en leur nom, ne devront ni ordonner aux agents d’entreprendre des actions contraires au paragraphe (1), ni les encourager, les aider ou les inciter à le faire.
- (3) Ni les syndicats, ni leurs délégués ou représentants, ni les personnes agissant en leur nom ne devront, de quelque manière que ce soit, pénaliser une personne ou ordonner à quiconque de pénaliser une personne, ou autoriser quiconque à le faire, par la voie d’une suspension ou d’une expulsion du syndicat, par celle de l’imposition d’une amende ou par toute autre voie, pour la raison que cette personne se conforme au paragraphe (1).
- …
- 6. (1) Tout syndicat qui ne se conforme pas à l’article 3 ou au paragraphe 4 (2) ou (3) se rend coupable d’une infraction et est passible d’une amende de 250 000 dollars imposée par voie de condamnation sommaire et, en cas de poursuite de l’infraction, d’une amende de 250 000 dollars par journée ou partie de journée durant laquelle l’infraction se poursuit.
- (2) Tout délégué ou représentant syndical qui ne se conforme pas à l’article 3 ou au paragraphe 4 (2) ou (3), de même que toute personne agissant au nom d’un syndicat qui ne se conforme pas au paragraphe 4 (2) ou (3), se rend coupable d’une infraction et est passible d’une amende de 25 000 dollars imposée par voie de condamnation sommaire et, en cas de poursuite de l’infraction, d’une amende de 25 000 dollars par journée ou partie de journée durant laquelle l’infraction se poursuit.
- (3) Tout agent qui ne se conforme pas à l’article 4 sera licencié.
- (4) Toute journée ou partie de journée durant laquelle le non-respect de l’article 3 se poursuit constitue une infraction nouvelle et distincte.
- (5) Lorsqu’un syndicat a été reconnu coupable d’une infraction au paragraphe (1), une somme déduite des salaires des agents en tant que cotisation syndicale est attribuée à la Couronne et est versée par l’employeur au Compte du Trésor jusqu’à ce que l’amende dont est passible le syndicat en vertu du paragraphe (1) ait été intégralement acquittée.
- Annexe 2
- Loi sur la négociation collective dans
- la fonction publique (extraits)
- …
- Etat d’urgence
- 30. (1) Lorsque la Chambre d’Assemblée estime qu’une grève des agents est ou risquerait d’être préjudiciable à la santé ou à la sécurité des personnes ou d’un groupe ou d’une catégorie de personnes, ou encore à la sécurité de la province, elle peut proclamer l’état d’urgence à compter d’une date déterminée et interdire la grève de tous les agents de telle ou telle unité, ainsi qu’enjoindre à ces agents de reprendre le travail dès la publication de la proclamation dans la Gazette ou à une date ultérieure qui pourra être précisée dans cette proclamation.
- (2) Les agents visés par une décision prise en vertu du paragraphe (1) qui ne reprendraient pas le travail dans les délais fixés par cette décision se rendraient coupables d’une infraction en vertu de la présente loi.
- Lock-out
- 31. (1) Lorsque la présente loi interdit à un agent de se mettre en grève ou de participer à une grève, l’employeur ne devra pas interdire à cet agent l’entrée sur le lieu de travail, non plus que le licencier ou le suspendre de ses fonctions, ou encore refuser de continuer à l’employer, en vue de le contraindre ou d’aider un autre agent à contraindre ses agents à accepter certaines conditions d’emploi.
- …
- Arbitrage
- 32. (1) Lorsque
- (a) la Chambre d’Assemblée estime qu’il existe un état d’urgence au sens de l’article 30 ou que
- (b) tous les agents d’une unité sont considérés comme des agents essentiels au sens du paragraphe 10 (6) et que 14 jours se sont écoulés depuis la survenance de l’un des faits mentionnés au paragraphe 25 (a) et (b),
- le (la) président(e) du conseil ordonnera immédiatement à l’employeur et à l’agent négociateur, par voie de notification écrite, de soumettre à arbitrage les questions litigieuses.
- (2) Toute partie à qui a été ainsi adressée une notification en vertu du paragraphe (1) fera connaître par écrit au (à la) président(e) du conseil dans les sept jours suivant la réception de la notification
- (a) toutes les questions litigieuses, assorties de propositions de solution;
- (b) le nom d’une personne devant siéger au conseil d’arbitrage.
- (3) Dès réception de chaque désignation mentionnée au paragraphe (2) (b), le (la) président(e) nommera immédiatement les personnes désignées au conseil d’arbitrage.
- …
- Conseil d’arbitrage
- 33. (1) Le conseil d’arbitrage examinera aussitôt que possible les questions litigieuses ainsi que les autres questions dont il jugera qu’elles leur sont liées et rendra une sentence dans les 45 jours suivant la date à laquelle ces questions lui ont été soumises ou à une date ultérieure fixée par son (sa) président(e), sous réserve d’un délai maximum de 90 jours; dans sa sentence, le conseil d’arbitrage devra tenir compte
- (a) de la santé, de la sécurité et des intérêts du public;
- (b) des conditions d’emploi de tous les agents – assujettis ou non à la présente loi – qui exercent des fonctions similaires à celles examinées, en prenant en considération les différents facteurs (géographiques, industriels, économiques, sociaux et autres) qu’il jugera en rapport avec le cas examiné;
- (c) de la nécessité de fixer des conditions d’emploi équitables et raisonnables par rapport aux qualifications exigées, aux tâches exécutées, aux responsabilités assumées et à la nature des services fournis;
- (d) des besoins en personnel qualifié de l’employeur;
- (e) des autres questions qu’il jugera en rapport avec les questions litigieuses.
- (2) Si les parties s’entendent sur une question soumise à arbitrage et concluent une convention collective à ce sujet, on considère que cette question n’est plus soumise à arbitrage et le conseil d’arbitrage ne rendra pas de sentence à son sujet.
- (3) La sentence rendue portera exclusivement sur les questions soumises par le (la) président(e) du conseil d’arbitrage, et non sur les salaires, les rémunérations et les conditions d’emploi des agents faisant partie de l’unité dont le cas est examiné.
- …
- Caractère contraignant de la sentence
- 35. (1) La sentence s’impose à l’employeur, à l’agent négociateur et aux agents de l’unité en cause et elle entre en vigueur à la date à laquelle elle a été rendue ou à une date ultérieure indiquée dans ladite décision, sauf si elle a un caractère rétroactif, conformément au paragraphe (2).
- (2) Une sentence relative aux conditions d’emploi des agents de l’unité peut préciser que tout ou partie de ces conditions ont un effet rétroactif à une date qui ne peut être antérieure à la date à laquelle a été donné l’ordre d’entamer la négociation collective en vertu de l’article 13 ou de l’article 14.
- (3) Lorsque tout ou partie des dispositions d’une sentence entre en conflit avec les clauses d’une sentence antérieure ayant une incidence sur les parties, ces dispositions l’emporteront durant le délai fixé, en vertu de l’article 36, au cours duquel il est exécutoire.