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Rapport où le comité demande à être informé de l’évolution de la situation - Rapport No. 338, Novembre 2005

Cas no 2407 (Bénin) - Date de la plainte: 31-JANV.-05 - Clos

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  1. 471. La plainte figure dans des communications de la Confédération des syndicats autonomes du Bénin (CSA-BENIN) datées des 31 janvier et 18 mars 2005.
  2. 472. Le gouvernement a transmis sa réponse dans une communication datée du 31 mai 2005.
  3. 473. Le Bénin a ratifié la convention (nº 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, la convention (nº 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949, ainsi que la convention (nº 135) concernant les représentants des travailleurs, 1971.

A. Allégations de l’organisation plaignante

A. Allégations de l’organisation plaignante
  1. 474. Dans sa communication du 31 janvier 2005, la Confédération des syndicats autonomes du Bénin (CSA-BENIN) explique que, conformément aux recommandations de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), la Financial Bank Benin a été mise sous administration provisoire d’avril 2003 à juillet 2004 en raison de ses mauvais résultats. Au terme de cette période d’administration provisoire, il a fallu remettre en place les organes de direction de la banque (assemblée générale des actionnaires et conseil d’administration) et nommer un directeur général. Le 29 juillet 2004, le conseil d’administration a désigné à ce poste M. Labonté, ancien directeur d’exploitation de la banque, ce qui a suscité de vives inquiétudes dans le personnel, en raison des pratiques passées de M. Labonté, que l’organisation plaignante qualifie de «peu recommandables». Le 30 juillet 2004, le Syndicat des travailleurs de la Financial Bank Benin (SYN.TRA.F.I.B) a envoyé au nom du personnel de la banque une pétition au président du conseil d’administration, faisant part de ses griefs contre M. Labonté, notamment: sa responsabilité, en qualité d’ex-directeur d’exploitation, dans la situation ayant conduit la banque sous administration provisoire; rançonnement des clients; émission de chèques sans provision; non-respect des engagements pris; sabotage de l’administration provisoire.
  2. 475. M. Labonté ayant été installé dans ses nouvelles fonctions le mardi 3 août 2004 malgré les protestations du personnel, le SYN.TRA.F.I.B a pris le même jour une motion de grève de 72 heures pour exiger sa démission. Lors d’une rencontre avec le syndicat et les délégués du personnel, M. Labonté a fait des déclarations qui ont quelque peu apaisé la tension. Toutefois, juste après la rencontre, il a émis le 5 août 2004 une note de service (no 0408/DG/008) désapprouvant la motion de grève et menaçant de sanctions tous les travailleurs qui observeraient l’arrêt de travail décidé par le SYN.TRA.F.I.B. Une première tentative de conciliation s’est soldée par un échec; le personnel s’est réuni en assemblée générale le 6 août pour décider de la mise à exécution de la motion de grève, qui a été observée durant trois jours (du 9 au 11 août), puis, suite à une deuxième tentative infructueuse de conciliation, reconduite pour trois jours (du 12 au 14 août).
  3. 476. Une autre rencontre s’est tenue le 12 août entre la CSA-BENIN, son affiliée la Fédération des syndicats des travailleurs des banques (FE.S.TRA.BANK), dont est membre le SYN.TRA.F.I.B., et la direction générale de la banque. Un accord écrit est intervenu, prévoyant que le conseil d’administration se réunirait en session extraordinaire le 13 août pour examiner les doléances des travailleurs; la direction s’est également engagée à ne pas sanctionner les travailleurs qui ont repris le travail le 13 août. La CSA-BENIN joint à sa plainte une copie du procès-verbal de l’accord du 12 août.
  4. 477. En application de cet accord, le conseil d’administration a mis en place une commission d’enquête chargée de vérifier les allégations du personnel et qui a déposé son rapport le 27 août (copie jointe à la plainte). Malgré les conclusions du rapport confirmant certaines allégations des travailleurs, et notamment la délivrance de chèques sans provision par M. Labonté, ce dernier a été confirmé dans ses fonctions le 30 août par le conseil d’administration.
  5. 478. La direction a commencé à imposer des sanctions, en violation de l’accord du 12 août. Le directeur général adjoint a été relevé de ses fonctions et le poste d’inspecteur général a été supprimé parce que les titulaires de ces deux postes avaient déclaré que M. Labonté n’avait pas les qualifications requises pour sortir la banque de l’ornière. La direction générale de la banque a décidé de licencier 40 agents, dont dix dirigeants syndicaux (y compris le secrétaire général) et quatre délégués du personnel, à compter du 17 septembre 2004, au motif qu’ils avaient observé l’arrêt de travail décidé par leur syndicat.
  6. 479. De nombreuses actions ont été menées aux niveaux local et national par les différentes organisations syndicales concernées, y compris auprès du ministère de tutelle, du gouvernement et de la présidence, mais sans résultat. L’organisation plaignante allègue que la direction de la banque a violé la législation nationale et les conventions nos 87 et 98. Elle fait par ailleurs observer que, si le motif réel de licenciement était le respect du mot d’ordre de grève lancé par le SYN.TRA.F.I.B., il devrait concerner tous les travailleurs qui l’ont unanimement observé. La décision de licenciement ayant épargné plus d’une centaine de travailleurs de la banque, il s’agit donc d’un cas de licenciement sélectif et discriminatoire ayant toutes les caractéristiques d’un règlement de compte. Il s’agit aussi d’un licenciement arbitraire, qui a touché des dirigeants syndicaux et des délégués du personnel, sans qu’aucune procédure préalable n’ait été engagée en dépit de la protection que leur accorde la législation nationale.
  7. 480. Dans sa communication du 18 mars, l’organisation plaignante transmet un échange de correspondance d’août 2004 entre le président du conseil d’administration et M. Dossou-Ahoue, directeur général adjoint de la banque et supérieur hiérarchique de M. Labonté au moment des faits, concernant des irrégularités d’écritures et des chèques sans provision mettant en cause M. Labonté et son aptitude à assumer les fonctions de directeur général.
  8. B. Réponse du gouvernement
  9. 481. Dans sa communication du 31 mai 2005, le gouvernement déclare que, le 4 juillet 2004, le ministère du Travail a été saisi d’une motion de grève de 72 heures envisagée par les travailleurs de la Financial Bank Benin, pour protester contre la nomination de M. Labonté au poste de directeur général de la banque, au motif que cette nomination représentait un danger pour la clientèle, les actionnaires et les travailleurs. Lors des discussions tenues avec le syndicat pour trouver une issue à la crise, celui-ci s’est référé à la période d’administration provisoire durant laquelle M. Labonté aurait posé des actes douteux, sans toutefois apporter des précisions sur lesdits actes. M. Labonté estimait pour sa part que rien ne justifie la demande de démission présentée par le syndicat, et que celle-ci n’a aucun caractère professionnel.
  10. 482. Les représentants du syndicat ont été invités à fournir des détails sur les actes allégués et priés de suspendre le mouvement de grève envisagé, puisqu’ils étaient alors en pourparlers avec le conseil d’administration, seul habilité à nommer ou démettre le directeur général. Contre toute attente, la grève a été déclenchée alors que les consultations devaient se poursuivre, tant au niveau du ministère qu’à celui du conseil d’administration.
  11. 483. Le gouvernement rappelle que le Bénin a adhéré aux textes universels et régionaux concernant le droit d’association, de réunion, de constituer des organisations syndicales ou de s’y affilier. Il a également ratifié les conventions nos 87 et 98 de l’OIT. Les articles 25 et 31 de la Constitution du pays reconnaissent les droits d’association, de réunion, de manifestation et de grève. Il en va de même des textes spécifiques s’appliquant aux fonctionnaires et aux travailleurs du secteur privé.
  12. 484. Toutefois, le droit de grève n’est pas un droit absolu et sans limites. L’article 8 de la convention no 87 précise que, «dans l’exercice des droits qui leur sont reconnus par la présente convention, les travailleurs … et leurs organisations respectives sont tenus, à l’instar des autres ou collectivités organisées, de respecter la légalité». L’article 31 in fine de la Constitution dispose que le droit de grève s’exerce dans le cadre défini par la loi. Par ailleurs, l’article 264 du Code du travail prévoit que la grève ne peut être déclenchée qu’en cas d’échec des négociations devant l’inspecteur ou le directeur du travail. Dans le cas d’espèce, les négociations devaient se poursuivre avec le conseil d’administration et étaient en cours au niveau des services compétents du ministère quand le mouvement de grève a été déclenché, puis renouvelé.
  13. 485. S’agissant du motif de licenciement, l’employeur invoque un arrêt illégal de travail, rejetant de fait le caractère social du mouvement de grève. Conscient que le maintien de la relation de travail constitue une conséquence normale du droit de grève et que l’exercice licite de celui-ci ne devrait pas entraîner le licenciement des grévistes, le gouvernement considère cependant que tout conflit naissant de l’exercice du droit de grève doit être traité comme tout autre conflit individuel ou collectif. La procédure à cet égard est bien établie aux articles 254-256 du Code du travail et est essentiellement basée sur la conciliation des parties. Des démarches ont été menées en ce sens, mais sans succès. Il faut cependant noter que des efforts de persuasion du gouvernement ont permis d’éviter d’autres cas de licenciement déjà envisagés par l’employeur.
  14. 486. La question fondamentale sur laquelle les parties n’arrivent pas à s’entendre est celle du caractère licite du mouvement de grève observé par les travailleurs de la banque. Le différend n’ayant pu être réglé par la conciliation, la réponse à cette question sera donnée par le tribunal de première instance auquel le dossier sera soumis.
  15. 487. En réponse au principal reproche fait par le syndicat, soit de n’avoir pas exercé son pouvoir politique pour exiger la réintégration des travailleurs licenciés, le gouvernement déclare que ni la jurisprudence, ni le droit positif béninois ne reconnaissent la réintégration des travailleurs licenciés.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 488. La présente plainte concerne le licenciement de quelque 40 travailleurs syndiqués, dirigeants syndicaux et délégués du personnel suite à un mouvement de grève, déclenché par le Syndicat des travailleurs de la Financial Bank Benin (SYN.TRA.F.I.B) pour protester contre la nomination d’un nouveau directeur général, au terme d’une période d’administration provisoire imposée par l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) en raison des mauvais résultats de la banque.
  2. 489. Le comité note que, selon les travailleurs et leur syndicat, le nouveau directeur général, M. Labonté, a une responsabilité personnelle dans la situation ayant conduit la banque sous tutelle administrative, qu’il aurait commis des actes contraires aux directives de la banque (émission de chèques sans provision, découverts non autorisés) durant la période d’administration provisoire, et qu’il ne possède pas les qualifications voulues pour redresser la situation de la banque. M. Labonté estime pour sa part que rien ne justifie la demande de démission présentée par le SYN.TRA.F.I.B.
  3. 490. Le comité souligne d’emblée qu’il ne lui appartient pas de se prononcer sur le bien-fondé, ou non, des griefs du personnel contre M. Labonté.
  4. 491. En ce qui concerne la question centrale de la légalité de la grève, dont dépend la justification des licenciements, le comité rappelle que, s’il a toujours considéré le droit de grève comme un des droits fondamentaux des travailleurs et de leurs organisations, c’est seulement dans la mesure où il constitue un moyen légitime de défense de leurs intérêts économiques et sociaux. [Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, quatrième édition, 1996, paragr. 473 et 474.] Notant que le litige sur la légalité – ou l’illégalité – de la grève a été soumis au tribunal de première instance, le comité demande au gouvernement de lui faire parvenir le jugement dès qu’il aura été rendu.
  5. 492. Le comité note en outre que l’organisation plaignante allègue que les licenciements ont eu un caractère discriminatoire, en ce qu’ils ont touché sélectivement dix dirigeants syndicaux et quatre délégués du personnel, parmi les quarante personnes licenciées. La CSA-BENIN soutient par ailleurs que les dispositions de la législation nationale accordant une protection accrue aux dirigeants syndicaux n’ont pas été respectées. Le comité n’est pas en mesure de se prononcer sur ces deux points, n’ayant pas obtenu de détails à ce propos de la part de l’organisation plaignante, ni de réponse du gouvernement. Rappelant que, lorsqu’elles sont saisies de plaintes en discrimination antisyndicale, les instances compétentes doivent mener immédiatement enquête et prendre les mesures nécessaires pour remédier aux conséquences des actes de discrimination antisyndicale qui auront été constatés [voir Recueil, op. cit., paragr. 754], le comité demande au gouvernement de diligenter rapidement une enquête indépendante et impartiale en tenant dûment compte des procédures judiciaires en cours, afin de déterminer s’il y a effectivement eu discrimination antisyndicale par la direction de la banque. Par ailleurs, le Bénin, ayant ratifié la convention no 135 concernant les représentants des travailleurs, cette enquête devrait aussi permettre de s’assurer que la législation nationale mettant en œuvre cette convention a été correctement appliquée en l’espèce. Le comité demande au gouvernement de lui communiquer, dès qu’ils seront connus, les résultats de l’enquête sur ces deux points.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 493. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) Le comité demande au gouvernement de lui faire parvenir, dès qu’il sera rendu, le jugement du tribunal de première instance relatif à la légalité de la grève menée en août 2004 par le SYN.TRA.F.I.B.
    • b) Le comité demande au gouvernement de diligenter rapidement une enquête indépendante et impartiale en tenant compte des procédures judiciaires actuellement en cours, afin de déterminer s’il y a effectivement eu discrimination antisyndicale lors des licenciements effectués en août 2004 par la Financial Bank Benin, et si la législation nationale mettant en œuvre la convention concernant les représentants des travailleurs a été correctement appliquée en l’espèce, et de lui en communiquer les résultats dès qu’ils seront connus.
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