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- 412. La plainte figure dans deux communications, l’une de l’Union djiboutienne du travail (UDT) et de l’Union générale des travailleurs djiboutiens (UGTD), conjointement, et l’autre de l’Union djiboutienne du travail, toutes deux datées du 4 août 2005; ainsi qu’une communication du 20 mai 2006 de la Confédération internationale des syndicats libres (CISL) où cette dernière s’associe à la plainte et fournit des informations complémentaires.
- 413. Le gouvernement a fait part de ses observations dans une communication datée du 15 janvier 2006.
- 414. Djibouti a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (no 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations des organisations plaignantes
A. Allégations des organisations plaignantes- 415. Dans une des communications du 4 août 2005, les organisations plaignantes allèguent que, à la suite d’une grève déclenchée par les deux organisations syndicales en septembre 1995 pour protester contre la mise en place d’un programme d’ajustement structurel lancé par le FMI, qui réduisait d’une manière draconienne les salaires des travailleurs djiboutiens, le gouvernement a adopté des mesures de répression à l’encontre des militants et responsables syndicaux.
- 416. Les organisations plaignantes ajoutent que le gouvernement agit de mauvaise foi en ne respectant pas le procès-verbal du 8 juillet 2002, dans lequel le gouvernement s’engage à réintégrer les syndicalistes licenciés. A la date de la signature du procès-verbal, 11 syndicalistes avaient été réintégrés et 10 syndicalistes restaient à réintégrer. Leurs noms figurent au procès-verbal du 8 juillet.
- 417. Les organisations plaignantes allèguent que le gouvernement continue de licencier, de façon abusive, les dirigeants syndicaux et que le remplacement de ces derniers est difficile à assurer, étant donné les actes de répression qui frappent les syndicalistes.
- 418. Elles allèguent que certains dirigeants, dont le Secrétaire général de l’UDT et son adjoint, MM. Adan Mohamed Abdou et Souleiman Ahmed Mohamed, le Trésorier général et son adjoint, MM. Badoulkalek Waberi Houffaneh et Awad Ibrahim Arnaoud, le Secrétaire aux relations internationales, M. Hassan Cher Hared, le Secrétaire aux communications et son adjoint, MM. Farah Abdillah Miguil et Kamil Hassan, sont interdits de travail et font l’objet d’actes multiformes de harcèlement, d’intimidation et de chantage. Les amis et familles des syndicalistes sont également victimes de pressions. En outre, la responsable du bureau chargé des questions de l’Afrique de l’Est au Commissariat général des émigrés et apatrides de Belgique a été prise à parti pour avoir rencontré les syndicalistes et la ligue djiboutienne des droits humains.
- 419. Les organisations plaignantes allèguent aussi qu’en novembre 2004 le gouvernement a adopté un nouveau Code du travail «antisocial», préparé unilatéralement et qui est contraire à plusieurs conventions internationales du travail ratifiées par Djibouti, aux droits de l’homme et à la Constitution nationale; selon les organisations plaignantes, ce Code servirait à éradiquer le syndicalisme libre et indépendant.
- 420. Les organisations plaignantes indiquent de plus que le gouvernement a volontairement intégré de faux syndicalistes dans la composition de la délégation tripartite de Djibouti à certaines conférences régionales et internationales de l’OIT.
- 421. L’UDT ajoute que M. Hassan Cher Hared, Secrétaire général du Syndicat des postiers de Djibouti et Secrétaire aux relations internationales de l’UDT, a été victime d’un licenciement abusif faisant suite à de nombreuses mesures de harcèlement prises à son encontre depuis 1999 et alors même qu’une sanction abusive de mise à pied avec retenue de salaire arbitraire était encore en cours.
- 422. Elle allègue enfin que M. Hassan Cher Hared a logé trois plaintes auprès du Procureur général de la République et que celles-ci sont restées sans réponse pour des raisons inexpliquées.
- 423. Dans sa communication du 20 mai 2006, la Confédération internationale des syndicats libres (CISL) s’associe à la plainte et fournit des informations supplémentaires concernant: la répression violente d’une grève menée en septembre par des conducteurs d’autobus et de camions, ce qui a provoqué de nombreuses arrestations et l’assassinat d’un membre du syndicat des conducteurs; l’interdiction d’élections syndicales à l’Imprimerie nationale en 2005, sur ordre du ministère de l’Emploi et des Communications; les entraves, du fait du gouvernement, à l’organisation et à la tenue d’élections syndicales libres à tous les niveaux; des arrestations et détentions massives de syndiqués et de dirigeants syndicaux de l’Union des travailleurs du port (UTP); l’arrestation de Mohamed Ahmed Mohamed (responsable des affaires juridiques de l’UTP), Djibril Ismael Egueh (Secrétaire général du Syndicat du personnel des services maritimes et de transit, SP-MTS), Adan Mohamed Abdou (Secrétaire général de l’UDT) et Hassan Cher Hared (Secrétaire aux affaires internationales de l’UDT), qui ont tous été finalement accusés «d’avoir communiqué des informations à une puissance étrangère», accusations apparemment reliées à leur participation à un séminaire de formation des coopératives agricoles, organisé en Israël par l’Institut international de la centrale Histadrout, crime punissable d’au plus quinze ans d’emprisonnement; le refoulement d’une mission internationale de solidarité syndicale, malgré les assurances formelles données par le ministre de l’Intérieur qu’il laisserait entrer librement la mission à Djibouti; et l’arrestation et l’interrogatoire subséquents du seul membre de la mission autorisé à pénétrer dans le pays – un fonctionnaire du BIT.
- B. Réponse du gouvernement
- 424. Dans sa communication du 15 janvier 2006, le gouvernement indique que les représentants des deux organisations plaignantes ne sont que des politiciens et non plus des dirigeants syndicaux puisque, faute d’élections, leur mandat n’a jamais été renouvelé depuis 1997. Il indique qu’il n’y a plus d’adhérents, plus de cotisations et plus de bureau démocratiquement élu. Selon le gouvernement, le dernier congrès de l’UGTD s’est tenu le 10 mars 1994 et celui de l’UDT du 20 au 23 avril 1995. Ces personnes ne sont donc aucunement habilitées à parler au nom d’une quelconque organisation syndicale djiboutienne. Le gouvernement précise par ailleurs que, de 2000 à 2005, plusieurs missions du BIT et d’autres organisations internationales œuvrant dans le domaine de la liberté syndicale se sont rendues à Djibouti et ont mené le plus librement possible leur mission d’information.
- 425. Le gouvernement affirme également qu’il a proposé à tous les travailleurs licenciés en 1995 de réintégrer leur poste d’origine. Certains ont refusé les différentes offres proposées, dont ceux qui ont entamé une carrière politique, ceux qui ont monté leur propre affaire et ceux qui sont absents du territoire depuis dix ans et qui ont fait le libre choix de vivre à l’étranger.
- 426. En réponse à l’allégation concernant M. Hassan Cher Hared, le gouvernement mentionne que celui-ci a été réintégré le 2 août 2005 mais qu’il se rend régulièrement coupable de manquements professionnels.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité- 427. Le comité note que, dans le présent cas, les organisations plaignantes formulent les allégations suivantes: refus de réintégrer les travailleurs licenciés suite à une grève en 1995; licenciements continuels et abusifs, de la part du gouvernement, des dirigeants syndicaux; harcèlement et interdiction de travail de dirigeants syndicaux; adoption d’un nouveau Code du travail «antisocial», contraire à la loi et servant à éradiquer le syndicalisme libre et indépendant; favoritisme du gouvernement quant à la représentation syndicale lors de conférences régionales et internationales.
- 428. En ce qui concerne l’allégation du refus de réintégrer les travailleurs licenciés suite à une grève, le comité rappelle que le respect des principes de la liberté syndicale exige que l’on ne puisse ni licencier des travailleurs ni refuser de les réengager, en raison de leur participation à une grève ou à toute autre action de revendication. Le licenciement pour fait de grève constitue une grave discrimination en matière d’emploi pour exercice d’activité syndicale licite, contraire à la convention no 98. [Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, paragr. 591 et 593.] Le comité note que, selon les termes de l’accord conclu le 8 juillet 2002 entre la Direction du travail et des relations avec les partenaires sociaux et les dirigeants syndicalistes licenciés, le gouvernement s’était engagé à réintégrer les syndicalistes licenciés. Il ressort du procès-verbal que, à cette date, 10 syndicalistes restaient à réintégrer. A la lumière de cet accord et de la réponse du gouvernement sur ce point, le comité prie le gouvernement de lui fournir un complément d’information sur la situation de sept d’entre eux, à savoir: Abdoulfatah Hassan Ibrahim; Hachim Adawe Ladieh; Houssein Dirieh Gouled; Moussa Wais Ibrahim; Abdillahi Aden Ali; Habib Ahmed Doualeh et Bouha Daoud Ahmed. Le comité demande au gouvernement de s’assurer que tous les travailleurs souhaitant leur réintégration puissent l’obtenir, sans perte de salaire ni de bénéfices, et que ceux qui ne souhaitaient pas une réintégration puissent recevoir une compensation adéquate.
- 429. Le comité note avec regret que le gouvernement n’a pas répondu aux allégations de harcèlement et de licenciements abusifs dont sont notamment victimes les dirigeants syndicaux. Il attire l’attention du gouvernement sur le fait qu’un des principes fondamentaux de la liberté syndicale est que les travailleurs doivent bénéficier d’une protection adéquate contre tous actes de discrimination tendant à porter atteinte à la liberté syndicale en matière d’emploi – licenciement, transfert, rétrogradation et autres actes préjudiciables – et que cette protection est particulièrement souhaitable en ce qui concerne les délégués syndicaux, étant donné que, pour pouvoir remplir leurs fonctions syndicales en pleine indépendance, ceux-ci doivent avoir la garantie qu’ils ne subiront pas de préjudice en raison du mandat syndical qu’ils détiennent. [Voir Recueil, op. cit. paragr. 724.] Le comité considère également que le harcèlement d’amis et de familles de dirigeants syndicaux met gravement en péril le libre exercice des droits syndicaux et, d’une manière générale, le gouvernement devrait prendre des mesures sévères à l’égard de telles pratiques. Le comité demande donc au gouvernement de diligenter rapidement une enquête indépendante sur les allégations de harcèlement et de licenciement de dirigeants syndicaux ainsi que sur les pressions dont serait victime leur entourage et, si elles s’avèrent fondées, de prendre immédiatement les mesures nécessaires pour mettre fin à ces actes de discrimination et de harcèlement, et de sanctionner les personnes responsables.
- 430. Concernant l’adoption d’un nouveau Code du travail qui, selon les organisations plaignantes, est «antisocial», contraire aux conventions internationales et à la Constitution nationale, le comité prie le gouvernement de bien vouloir lui fournir le texte en question.
- 431. Quant à l’allégation de favoritisme dans la désignation des délégués travailleurs aux conférences régionales et internationales, le comité rappelle que toute décision concernant la participation des organisations de travailleurs à un organisme tripartite devrait se prendre en pleine consultation avec l’ensemble des organisations syndicales ayant une représentativité déterminée selon des critères objectifs. [Voir Recueil, op. cit. paragr. 943.]
- 432. S’agissant de la représentativité, le comité note que, selon le gouvernement, les dirigeants syndicaux en question ne jouiraient pas de la légitimité requise pour assurer la représentation des travailleurs. Le comité observe néanmoins, d’après les conclusions de la Commission de vérification des pouvoirs à la Conférence, que ce n’est que depuis une date récente (2004) que le gouvernement remet en cause l’existence de l’UDT et de l’UGTD, alors qu’il a eu à répondre, à maintes reprises, de protestations émanant de ces deux organisations. [Voir 92e session de la Conférence internationale du Travail, Genève, 2004, deuxième rapport de la Commission de vérification des pouvoirs.] Le comité note aussi que, saisie d’une nouvelle protestation de l’UDT et de l’UGTD à l’occasion de la 93e session de la Conférence, la Commission de vérification des pouvoirs, tout en restant préoccupée par la question d’un «problème syndical récurrent» à Djibouti, a encouragé le gouvernement à donner suite à l’idée de recourir à l’assistance technique du Bureau. Confiante dans les efforts du nouveau ministre du Travail pour aboutir à une représentation légale et légitime des travailleurs djiboutiens, la Commission de vérification des pouvoirs a décidé de ne pas donner cette année-là de suite à la protestation fournie par l’UDT et l’UGTD. [Voir 93e session de la CIT, Genève, troisième rapport de la Commission de vérification des pouvoirs.]
- 433. Le comité considère toutefois que la question de la légitimité contestée de l’UDT et de l’UGTD pour représenter les travailleurs djiboutiens ne peut être examinée sans tenir compte du contexte plus large du respect des droits syndicaux en général à Djibouti. Le comité note donc avec une profonde préoccupation les nouvelles allégations récemment formulées par la CISL concernant l’ingérence grave du gouvernement dans les activités et les affaires internes syndicales, notamment: la répression violente d’une grève menée en septembre par des conducteurs d’autobus et de camion; l’interdiction d’élections syndicales à l’Imprimerie nationale en 2005, sur ordre du ministère de l’Emploi et des Communications; les entraves, du fait du gouvernement, à l’organisation et à la tenue d’élections syndicales libres à tous les niveaux; des arrestations et détentions massives de syndiqués et de dirigeants syndicaux de l’Union des travailleurs du port (UTP); l’arrestation de Mohamed Ahmed Mohamed (responsable des affaires juridiques de l’UTP), Djibril Ismael Egueh (Secrétaire général du Syndicat du personnel des services maritimes et de transit, SP-MTS), Adan Mohamed Abdou (Secrétaire général de l’UDT) et Hassan Cher Hared (Secrétaire aux affaires internationales de l’UDT), qui ont tous été finalement accusés «d’avoir communiqué des informations à une puissance étrangère», accusations apparemment reliées à leur participation à un séminaire de formation des coopératives agricoles, organisé en Israël par l’Institut international de la centrale Histadrout, crime punissable d’au plus quinze ans d’emprisonnement; le refoulement d’une mission internationale de solidarité syndicale, malgré les assurances formelles données par le ministre de l’Intérieur qu’il laisserait entrer librement cette mission à Djibouti; et l’arrestation et l’interrogatoire subséquents du seul membre de la mission autorisé à pénétrer dans le pays – un fonctionnaire du BIT. Déplorant l’information relative à l’arrestation d’un fonctionnaire du BIT, le comité considère qu’il s’agit d’un cas sérieux et urgent et demande au gouvernement de répondre rapidement à ces allégations et aux graves allégations formulées par la CISL, afin de pouvoir examiner ce cas en pleine connaissance de cause.
- 434. En raison des informations totalement contradictoires contenues dans les communications des organisations plaignantes et du gouvernement, le comité prie le gouvernement d’accepter une mission de contacts directs pour clarifier la situation de la représentation syndicale légitime à Djibouti.
- 435. S’agissant des allégations initiales concernant le licenciement de M. Hassan Cher Hared, tout en notant que, selon le gouvernement, ce dernier a été réintégré, le comité note avec une profonde préoccupation dans les dernières allégations qu’il fait maintenant face à des accusations pénales. Le comité veut croire que le gouvernement répondra rapidement à ces allégations.
Recommandation du comité
Recommandation du comité- 436. Au vu des conclusions intérimaires qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) En ce qui concerne l’allégation du refus de réintégrer les travailleurs licenciés, à la suite d’une grève, le comité demande au gouvernement de le tenir informé de la situation des syndicalistes devant être réintégrés aux termes de l’accord du 8 juillet 2002, à savoir: Abdoulfatah Hassan Ibrahim; Hachim Adawe Ladieh; Houssein Dirieh Gouled; Moussa Wais Ibrahim; Abdillahi Aden Ali; Habib Ahmed Doualeh et Bouha Daoud Ahmed. Le comité demande au gouvernement de s’assurer que tous les travailleurs souhaitant leur réintégration puissent l’obtenir, sans perte de salaire ni de bénéfices, et que ceux qui ne souhaitaient pas une réintégration puissent recevoir une compensation adéquate.
- b) Concernant les allégations de harcèlement et licenciements abusifs envers les dirigeants syndicaux, le comité demande au gouvernement de diligenter rapidement une enquête indépendante sur les allégations de harcèlement et de licenciement de dirigeants syndicaux, ainsi que sur les pressions dont serait victime leur entourage et, dans le cas où elles s’avèrent fondées, de prendre immédiatement les mesures nécessaires pour mettre fin à ces actes de discrimination et de harcèlement, et de punir les personnes responsables.
- c) Concernant l’allégation de l’adoption d’un nouveau Code du travail «antisocial», contraire aux conventions internationales et à la Constitution nationale, le comité demande au gouvernement de bien vouloir lui fournir le texte en question.
- d) Déplorant les informations relatives à l’arrestation d’un fonctionnaire du BIT, le comité considère qu’il s’agit d’un cas grave et sérieux et demande instamment au gouvernement de répondre rapidement aux graves allégations formulées par la CISL dans sa dernière communication concernant l’ingérence du gouvernement dans les grèves et les élections syndicales, les arrestations et la détention de membres et dirigeants syndicaux, ainsi que le refoulement d’une mission de solidarité syndicale internationale, et l’arrestation et l’interrogatoire subséquents du seul membre de la mission autorisé à pénétrer dans le pays – un fonctionnaire du BIT – afin de pouvoir examiner ce cas en pleine connaissance de cause.
- e) Le comité prie le gouvernement d’accepter une mission de contacts directs.