ILO-en-strap
NORMLEX
Information System on International Labour Standards

Rapport définitif - Rapport No. 349, Mars 2008

Cas no 2535 (Argentine) - Date de la plainte: 13-DÉC. -06 - Clos

Afficher en : Anglais - Espagnol

  1. 331. La plainte figure dans une communication de l’Union des travailleurs de l’éducation du Río Negro (UNTER) et de la Confédération des travailleurs de l’éducation de la République argentine (CTERA) datée de décembre 2006.
  2. 332. Le gouvernement a fait parvenir ses observations par communication datée du 26 octobre 2007.
  3. 333. L’Argentine a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégations des plaignants

A. Allégations des plaignants
  1. 334. Dans sa communication datée de décembre 2006, l’Union des travailleurs de l’éducation du Río Negro (UNTER) et la Confédération des travailleurs de l’éducation de la République argentine (CTERA) informent que, en 2005, les enseignants de la province du Río Negro, par l’intermédiaire de leurs représentants syndicaux, ont revendiqué que des tickets, appelés aussi «bons», soient inclus dans la rémunération de base et ont réclamé une équivalence avec les autres travailleurs (enseignants privés et autres travailleurs dépendant d’entreprises privées) en ce qui concerne les allocations familiales. Ils demandaient également une révision de leurs salaires. L’organisation plaignante ajoute que le gouvernement de la province du Río Negro a toujours reconnu la légitimité de la revendication des enseignants mais qu’il n’a pas compris la nécessité d’améliorer leur situation. En septembre 2005, il y a eu quatre jours de grève pour demander une révision des salaires et, le 6 octobre 2005, plus de 3 000 enseignants ont organisé une marche à Cipoletti, ville de la province en question. Le gouverneur de la province du Río Negro a décidé, et il l’a déclaré publiquement, de ne rien faire avant les élections générales des autorités le 23 octobre. Ces déclarations ont été faites au moment où le syndicat UNTER déclenchait une grève pour une durée illimitée.
  2. 335. Les plaignants ajoutent que, la période électorale étant passée et aucune proposition n’ayant été faite, de nombreux dirigeants ont entrepris d’insister auprès du gouverneur, faisant valoir la nécessité d’un dialogue. La médiatrice a exhorté le gouverneur de la province à prendre les mesures nécessaires pour assurer le droit à l’éducation des habitants du Río Negro. En outre, elle a lancé une invitation adressée à différents secteurs de la communauté enseignante pour qu’ils participent à des tables de conversation ou à des instances de médiation, visant à résoudre rapidement le conflit avec le syndicat enseignant UNTER. Mgr l’évêque de Viedma est lui aussi intervenu dans le même sens. Les dirigeants du syndicat ont également eu une entrevue avec les législateurs et ont fait tout leur possible pour parvenir à un dialogue.
  3. 336. Les plaignants affirment que, tandis que la grève continuait, le ministère de l’Education et de la Culture de la province a annoncé que des enseignants retraités et pensionnés seraient convoqués pour donner des cours. Par la suite, un représentant d’UNTER a demandé au secrétaire au Travail de la province de s’abstenir de mettre en œuvre cette mesure. Le 1er novembre, les enseignants du Río Negro se sont mobilisés dans la ville de Viedma. Suite à l’importante mobilisation ayant rassemblé près de 3 000 enseignants, le secrétariat au Travail de la province a ordonné le 2 novembre 2005 le recours à la procédure de conciliation obligatoire.
  4. 337. Le 3 novembre 2005, le secrétariat au Travail a publiquement soutenu l’application de la retenue sur salaires des jours de grève. Le 4 novembre, après la mise en place de la procédure de conciliation obligatoire, le gouverneur «a annoncé que des sanctions seront prises contre le syndicat et les enseignants qui n’ont pas immédiatement accepté la procédure de conciliation» pour non-respect des obligations incombant aux fonctionnaires publics. Au moment où le syndicat exprimait qu’il acceptait la procédure de conciliation obligatoire et mettait fin au mouvement de revendication, le gouvernement effectuait des retenues sur les salaires en représailles contre les travailleurs et, pour éviter que des actions similaires soient répétées, il payait les enseignants sans prendre d’abord en considération les fiches d’information qui sont distribuées chaque mois entre le 25 et la fin du mois.
  5. 338. Les plaignants font savoir que le 9 novembre 2005, les inspecteurs et les directeurs des établissements d’enseignement de la zone Choele Choel ont publiquement exprimé leur sentiment et ont dit que la retenue sur salaires était non seulement illégale mais qu’elle constituait en outre «une mesure de persécution». Cette mesure a été si inconsidérée qu’on signale par exemple le cas d’une directrice qui était en congé au moment de la grève et qui a subi une retenue de 90 pour cent sur son salaire. Ce sentiment de persécution a été dénoncé par des directeurs de différentes localités. Dans certains lieux, il a été indiqué aux directeurs que leurs salaires intégraux leur seraient rendus s’ils acceptaient d’indiquer qui avait participé à la grève dans leur établissement.
  6. 339. Les organisations plaignantes affirment que le mouvement de protestation des travailleurs de l’éducation était légitime et n’a à aucun moment été déclaré illégal. Cependant, l’attitude adoptée systématiquement par les fonctionnaires provinciaux face à l’exercice du droit de grève des travailleurs a toujours été de menacer les travailleurs en cherchant à les effrayer de façon permanente et à les faire s’affronter pour ainsi diviser le syndicat. Le non-paiement des salaires a été utilisé comme outil de sanction pour empêcher l’exercice du droit de revendication et du droit de grève, tous deux étant des droits constitutionnels.
  7. 340. Les organisations plaignantes déclarent que la loi no 3803, article 73, stipule: «L’imposition de la procédure de conciliation obligatoire impliquera pour les parties l’arrêt immédiat des mouvements de protestation qui auraient été déclenchés, revenant à la situation du jour antérieur au début du conflit ou du jour antérieur au fait en ayant déterminé le déclenchement.» Toute sanction aurait donc dû rester sans effet, la situation revenant au jour antérieur au début du conflit. Cependant, le gouvernement a décidé d’appliquer les retenues sur salaires sans respecter de limites ni les conditions des travailleurs. Les retenues sur salaires ont été imposées à l’ensemble des enseignants. Aussi bien à ceux qui avaient travaillé qu’à ceux qui n’avaient pas travaillé, à ceux qui étaient en congé comme à ceux qui avaient fait grève. L’article 46 de la loi susmentionnée établit que: «Dans toute instance de conciliation instruite devant l’organisme, les parties sont obligées de négocier de bonne foi. Ladite obligation implique, entre autres, l’assistance aux audiences aux heures établies, l’échange de toute information nécessaire à une meilleure analyse des questions débattues et la mise en œuvre de tous les efforts visant à atteindre des accords de résolution, sans gêner en aucune manière l’action de l’organisme ni le progrès des négociations.»
  8. 341. Les organisations plaignantes considèrent que l’examen des faits décrits prouve une grave négation des droits constitutionnels et met en outre en évidence la position partiale du secrétariat au Travail, qui a communiqué par les médias sa décision de procéder à la retenue sur les salaires des enseignants pour avoir fait usage de leur droit de grève et de leur droit de revendication. Il a en outre confirmé la décision d’effectuer les retenues sur salaires au moment où il a annoncé la convocation à la procédure de conciliation obligatoire. Il s’agit indubitablement de décisions et de communications prises par un organe qui fait partie du gouvernement employeur. L’impartialité ou la neutralité qui, normalement, doit caractériser celui qui est chargé des conciliations, ne peut donc être gardée. L’Etat n’a pas encouragé la formation d’un tribunal impartial visant à statuer sur tout différend collectif et est devenu juge et partie, défendant des actes clairement et manifestement anticonstitutionnels.
  9. 342. Selon les plaignants, la retenue sur salaires des jours de grève a été utilisée comme outil de sanction. Comme le salaire peut être utilisé pour récompenser une conduite, dans ce cas-ci, il a été utilisé pour sanctionner ceux qui avaient exercé leur droit de revendication et leur droit de grève et il existe une seule manière de rectifier cette attitude: rembourser les sommes d’argent retenues. Les conditions et les raisons pour lesquelles ces retenues ont été effectuées, et le cadre dans lequel elles ont été réalisées, montrent qu’elles constituent un châtiment et qu’il existait une volonté de châtier. Ce dommage est irréparable vu le caractère alimentaire des salaires. L’apparence «retenue pour non travail» tombe d’elle-même quand on analyse tant de cas d’enseignants en congé pour des raisons de santé ou de directeurs qui avaient travaillé mais à qui on a quand même retenu des sommes d’argent pour ne pas avoir informé qui avait fait grève, ou d’enseignants ayant de bas salaires et tous ceux-ci ont passé un mois sans recevoir la moindre rémunération.
  10. 343. Les plaignants soulignent que c’est à l’autorité administrative qu’incombe la responsabilité ou la faute à l’origine de la revendication car elle sait bien que les salaires ne peuvent pas contenir des sommes non rémunératrices, ce qui était l’une des demandes du syndicat et qu’il n’est pas juste non plus, selon la Constitution nationale, que des travailleurs de l’éducation soient rémunérés différemment pour un même travail. Cette différence dans les allocations familiales est clairement perçue entre les travailleurs de l’éducation privés et publics, ce que les enseignants publics reçoivent comme allocations familiales étant très inférieur à ce que reçoivent les enseignants du privé. La redistribution du revenu demandée est un impératif de justice sociale, c’est la condition nécessaire pour renforcer l’égalité. En outre, l’Etat provincial est responsable de l’extension de la grève car il a provoqué, par sa décision de ne pas dialoguer, une grève illimitée qui, selon lui, allait faiblir avec le temps. De là sa demande de ne rien faire et l’impossibilité de dialoguer qui a caractérisé son attitude.
  11. 344. Les organisations plaignantes allèguent que l’attitude de l’administration provinciale lèse le principe de légalité et nie le droit à la négociation collective, en établissant comme sanction une retenue sans limites sur les salaires des travailleurs qui ont exercé leur droit de revendication et leur droit de grève, ainsi qu’à ceux qui ont refusé de dénoncer des collègues qui avaient fait grève.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 345. Dans sa communication datée du 26 octobre 2007, le gouvernement a fait le compte rendu suivant des faits qui ont donné lieu à ce cas: 1) les enseignants de la province du Río Negro ont demandé que des tickets repas et/ou des bons d’alimentation soient inclus dans leur rémunération, et ont réclamé une équivalence en matière d’amélioration salariale avec les travailleurs du privé; 2) face aux demandes des organisations syndicales et devant le manque de réponse du gouvernement, les organisations en question ont décidé de déclencher un mouvement de protestation consistant en une grève de quatre jours; 3) la médiatrice est intervenue et a exhorté le gouverneur de la province à prendre les mesures nécessaires pour assurer le droit à l’éducation de tous les habitants du Río Negro; 4) tandis que la grève continuait, le ministère de l’Education et de la Culture de la province a annoncé que les enseignants retraités et pensionnés seraient convoqués afin de donner des cours; 5) le 1er novembre 2005, une mobilisation a eu lieu dans la ville de Viedma, au milieu de rumeurs circulant sur la non-reconnaissance par l’Etat provincial des salaires échus par rapport aux grèves; 6) le 2 novembre 2005, le secrétariat au Travail de la province a émis l’ordonnance de convocation à une procédure de conciliation obligatoire; et 7) le syndicat a exprimé qu’il acceptait l’application de la loi no 14786 de procédure de conciliation obligatoire, ce qui mettait fin au mouvement de protestation en cours.
  2. 346. En ce qui concerne les allégations, le gouvernement souligne que: 1) les organisations plaignantes ont déclenché le mouvement de protestation, sans que le gouvernement de la province n’y mette aucune restriction, à l’exception de la retenue sur les salaires pour les jours non travaillés; et 2) par la suite, une commission de négociation a été constituée qui a abouti entre les acteurs sociaux et dans le cadre d’un processus de négociation à la reconnaissance et/ou au remboursement des jours non travaillés par l’Etat provincial.
  3. 347. Le gouvernement ajoute que la législation d’un grand nombre de pays dispose que, avant de déclencher une grève, les procédures de conciliation et de médiation doivent être épuisées. L’esprit de ces dispositions est compatible avec l’article 4 de la convention no 98, qui encourage à promouvoir le développement et l’utilisation les plus larges de procédures de négociation volontaire de conventions collectives. Les organisations syndicales, avant de déclencher le mouvement de protestation, auraient dû demander l’ouverture de négociations et non après, dans le but d’éviter d’empêcher la rentrée scolaire, et considérer que les enfants seraient affectés en ne pouvant pas se rendre dans les établissements scolaires.
  4. 348. Le gouvernement fait savoir que, après de longues tractations et dans le cadre de la constitution d’une commission paritaire, un terrain d’entente a été trouvé en ce qui concerne non seulement les positions de chaque partie mais aussi un ensemble de questions à développer par les membres paritaires. Il convient de souligner que les questions abordées dans la discussion paritaire ne se sont pas limitées à la question salariale mais ont envisagé un éventail de questions concernant la politique de l’éducation pour la province du Río Negro, comme la politique salariale, le département de la santé au travail, les allocations familiales, l’émission de certificats de service, la présentation d’un projet de formation, des concours d’entrée et de promotion, le calendrier scolaire et le respect de la loi no 3831 sur le bulletin scolaire. La négociation paritaire s’est tenue en suivant les principes directeurs de la convention no 98. Suite aux négociations paritaires, le secrétariat au Travail de la province a décidé d’homologuer l’accord obtenu dans un acte paritaire daté du 7 février 2006, ainsi que les accords obtenus dans un acte paritaire daté du 21 février 2006 (sur la politique salariale, le département de la santé au travail, les allocations familiales, les certificats de service, la formation, les projets éducatifs, l’infrastructure des établissements d’enseignement), du 24 avril 2006 (sur la compensation par des bons, la nouvelle loi sur les allocations familiales, l’entretien des bâtiments et les constructions, le transport scolaire à Río Colorado, la mobilité des enseignants) et du 4 décembre 2006 (sur l’augmentation salariale par l’intégration de 70 dollars de boni, non rémunérateurs). En outre, c’est dans cet ordre d’idée qu’a été émise la décision no 1223/2007 établissant de ne pas recenser l’absence des candidats titulaires qui se présentent pour les élections de renouvellement des délégués à l’Union des travailleurs de l’éducation du Río Negro. Il convient de souligner que les acteurs sociaux ont pris en considération la convention no 98 dans le sens où la négociation collective est le moyen le plus adéquat pour canaliser les différends entre les parties en conflit et que, par quelques réunions, des solutions ont été trouvées où les bénéficiaires sont non seulement les intéressés mais aussi la société dans son ensemble.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 349. Le comité observe que, dans le présent cas, les organisations plaignantes déclarent qu’après que les enseignants de la province du Río Negro ont déclenché une grève de quatre jours et mobilisé plus de 3 000 personnes en septembre 2005, revendiquant une révision des salaires, l’autorité administrative de la province a convoqué à la procédure de conciliation obligatoire le 2 novembre 2005 et, au moment où il prenait ladite mesure administrative, le gouvernement de la province, en représailles et comme mesure d’intimidation, a procédé à une retenue sur les salaires correspondant aux jours de grève.
  2. 350. Tout d’abord, le comité prend note de ce que le gouvernement informe que: 1) les organisations syndicales ont déclenché le mouvement de protestation, sans qu’aucune restriction ne leur soit opposée, à l’exception de la retenue sur les salaires pour les jours non travaillés; et 2) par la suite, une commission de négociation a été constituée qui a abouti, entre les acteurs sociaux et dans le cadre d’une procédure de négociation, à la reconnaissance et/ou au remboursement des jours non travaillés par l’Etat de la province. Le comité prend note avec intérêt du fait que le conflit a été résolu et que les parties sont parvenues à un accord sur les différentes questions mentionnées par le gouvernement (politique salariale, santé au travail, allocations familiales, transport scolaire, etc.).
  3. 351. Bien que le conflit ait été résolu, le comité observe que, récemment, il a dû examiner plusieurs cas relatifs au secteur public concernant l’Argentine, dans lesquels la convocation à la procédure de conciliation obligatoire des parties en conflit par l’autorité administrative, alors qu’elle était partie du conflit, était mise en question. A ce sujet, une fois de plus, le comité rappelle qu’il est nécessaire que la décision d’entreprendre la procédure de conciliation obligatoire dans les conflits collectifs soit confiée à un organe indépendant des parties en conflit [voir 344e rapport, cas no 2458, paragr. 302; 336e rapport, cas no 2369, paragr. 212; 338e rapport, cas no 2377, paragr. 403; et 342e rapport, cas no 2420, paragr. 221] et demande au gouvernement de prendre des mesures allant dans ce sens.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 352. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver la recommandation suivante:
    • Le comité rappelle qu’il est nécessaire que la décision d’entreprendre la procédure de conciliation obligatoire dans les conflits collectifs soit confiée à un organe indépendant des parties en conflit et demande au gouvernement de prendre des mesures allant dans ce sens.
© Copyright and permissions 1996-2024 International Labour Organization (ILO) | Privacy policy | Disclaimer