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Rapport définitif - Rapport No. 364, Juin 2012

Cas no 2873 (Argentine) - Date de la plainte: 04-MAI -11 - Clos

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Allégations: Les organisations plaignantes contestent un décret et une ordonnance pris par les autorités de la ville de Mendoza et estiment qu’ils interdisent et sanctionnent le droit de manifester collectivement

  1. 164. La présente plainte figure dans une communication en date du 4 mai 2011 du Syndicat uni des travailleurs de l’enseignement de Mendoza (SUTE) et de la Confédération des travailleurs de l’éducation de la République argentine (CTERA).
  2. 165. Le gouvernement a adressé ses observations dans une communication en date du 13 février 2012.
  3. 166. L’Argentine a ratifié la convention (nº 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (nº 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégations des organisations plaignantes

A. Allégations des organisations plaignantes
  1. 167. Dans leur communication en date du 4 mai 2011, le Syndicat uni des travailleurs de l’enseignement de Mendoza (SUTE), entité dotée du statut syndical no 866 que lui a octroyé le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale de la République argentine, et la Confédération des travailleurs de l’éducation de la République argentine (CTERA) affirment qu’ont été pris un décret et une ordonnance au détriment des travailleurs de l’éducation de l’Etat de la province de Mendoza, qui sont affiliés à la CTERA, et des autres travailleurs de la province de Mendoza. Ces instruments portent gravement atteinte aux principes consacrés tant à l’échelle internationale que dans la législation argentine qui garantissent la liberté syndicale. Les organisations plaignantes indiquent qu’il s’agit du décret no 863, pris par le maire de la municipalité de la ville de Mendoza et publié le 30 juillet 2008 dans le Bulletin officiel de la province de Mendoza, et de l’ordonnance no 3016, prise par le Conseil délibérant de la municipalité de la ville de Mendoza, ordonnance qui n’a été appliquée au SUTE et à ses affiliés qu’à partir du 4 août 2008.
  2. 168. Les organisations plaignantes estiment que ces dispositions municipales portent atteinte à l’article 3 de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, que la République argentine a ratifiée le 18 janvier 1960, puisque cet article garantit aux organisations de travailleurs le droit d’organiser leur activité et de formuler leur programme d’action. Les organisations plaignantes indiquent que l’intervention des autorités publiques vise à empêcher et à entraver l’exercice légal de ces droits. Elles ajoutent que ces dispositions ont été contestées judiciairement, à savoir devant la Cour suprême de justice de la province de Mendoza, par le biais de la seule procédure que prévoit spécifiquement le Code de procédure civile de la province de Mendoza, dans le but d’obtenir la déclaration d’inconstitutionnalité d’une norme juridique de l’Etat. Ce recours, qui fait l’objet du dossier no 94017 intitulé «Syndicat uni des travailleurs de l’enseignement de Mendoza contre municipalité de Mendoza, action en inconstitutionnalité», a été introduit devant la chambre II de la Cour suprême de justice de Mendoza.
  3. 169. Sans rejeter les motifs invoqués par le demandeur, l’instance judiciaire a enfreint son droit d’apporter et de produire des preuves pendant le procès, ce qui porte manifestement atteinte à l’article 8.1 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme, et l’a débouté de son action. La décision n’a pas été contestée en justice étant donné que la Cour suprême de justice de la nation a pour pratique, fréquente et habituelle, d’appliquer l’article 280 du Code de procédure civile et commerciale de la nation qui lui permet de rejeter sans donner de motifs tant les recours extraordinaires fédéraux que les recours directs ou les recours devant une juridiction supérieure (qui sont les seules voies judiciaires disponibles pour obtenir une révision de la décision formulée par la Cour suprême de justice provinciale). La jurisprudence de la Cour suprême de la province de Mendoza et de la Cour suprême de justice de la nation indique aussi de manière fréquente et habituelle que la plus haute instance de la République argentine n’est pas compétente pour entendre de questions de droit public provincial, ce qui a conduit dans les faits à une situation dans laquelle donner suite aux recours extraordinaires et/ou aux recours devant une juridiction supérieure est devenue une décision purement discrétionnaire de ces instances.
  4. 170. Selon le SUTE et la CTERA, les dispositions qu’ils contestent violent la convention no 87 car elles interdisent (sous peine d’amendes et de peines privatives de liberté) le fait de manifester collectivement dans la juridiction de la capitale de la province de Mendoza. En effet, le décret no 863/2008 dispose de ce qui suit:
    • Article 1 – Aux fins de réunions, de manifestations, de mobilisations et de moyens d’expression analogues dans la ville de Mendoza, l’utilisation de l’esplanade de l’édifice municipal est autorisée et, à cet effet, elle sera équipée gratuitement des estrades et de la sonorisation appropriées. Dans ce but, les intéressés doivent présenter la demande correspondante au Département exécutif 48 heures à l’avance et indiquer le nom et le domicile de l’organisation et de son représentant légal ou statutaire, en précisant le numéro de carte d’identité de celui-ci, ainsi que l’heure du début et de la fin de la manifestation.
    • Article 2 – Les mobilisations et/ou manifestations dont le point de départ est différent de l’endroit indiqué à l’article précédent doivent emprunter les trottoirs en respectant les passages pour piétons et les feux de circulation.
    • Article 3 – Dans le cas où les dispositions municipales en vigueur ne seraient pas respectées, l’infraction est immédiatement signalée au tribunal de police de permanence. Les sanctions prévues dans l’ordonnance no 3016/13603/90 seront appliquées par la Direction de la circulation de la municipalité de la ville de Mendoza.
    • Article 4 – Pour réaliser des manifestations à caractère culturel, sportif, éducatif, gouvernemental et confessionnel qui supposent l’utilisation de la voie publique relevant de l’ordonnance no 3016/13603/90, il faut une autorisation expresse préalable du Département exécutif et, à cette fin, la demande correspondante doit être soumise au moins 72 heures avant la manifestation et conformément à la loi no 3909.
    • Article 5 – La présente disposition doit être diffusée aussi largement que possible par voie de presse.
    • Article 6 – A communiquer, publier et inscrire dans le livre des décrets.
  5. 171. Les organisations plaignantes ajoutent que l’ordonnance no 3016 de 1990, qui a été appliquée pour la première fois au SUTE en août 2008, dispose à son article 1: «Sont interdits sur la voie publique, dans le périmètre formé par les rues Patricias Mendocinas, Rioja, Córdoba, Godoy Cruz, Colón et Vicente Zapata, les réunions ou manifestations, de quelque type que ce soit, à moins que leur ampleur ou leurs modalités n’entravent pas la circulation normale des piétons et/ou véhicules, cas dans lesquels le Département exécutif peut les autoriser.» L’article 3 du décret no 863/2008 dit: «En cas d’infraction des dispositions municipales en vigueur, l’infraction est signalée immédiatement au tribunal de police de permanence.» Cet article renvoie à l’article 38 du Code des contraventions de la province de Mendoza: «Quiconque enfreint une disposition prise conformément à la loi par l’autorité compétente pour garantir la justice, la sécurité publique ou l’hygiène sera passible, si le fait ne constitue pas une infraction plus grave, d’une peine d’emprisonnement allant jusqu’à trente jours ou d’une amende d’un montant maximal de trois mille pesos.»
  6. 172. Selon les organisations plaignantes, il est manifeste que la municipalité de la capitale de la province prévoit non seulement des amendes pour les entités syndicales qui organisent des manifestations, mais aussi le dépôt d’une plainte devant les tribunaux de police, lesquels peuvent condamner éventuellement les dirigeants des entités syndicales ou tout travailleur qui participerait à une manifestation à des peines privatives de liberté (détention) allant jusqu’à trente jours. Par conséquent, tant l’ordonnance que le décret qui font l’objet de la plainte établissent des normes de conduite dont l’inobservation entraîne immédiatement une amende et/ou une détention d’une durée maximale de trente jours. Comme il ressort des dispositions susmentionnées, tant l’organisation syndicale qui organise la manifestation que les travailleurs qui y participent sont passibles d’une amende. Dans ce cas, l’amende municipale peut représenter jusqu’à deux ou trois salaires moyens d’un enseignant, et davantage lorsqu’il s’agit de travailleurs de l’éducation non enseignants. Par ailleurs, les travailleurs qui répondent à l’appel et participent à la manifestation risquent réellement de faire l’objet de peines privatives de liberté.
  7. 173. Les organisations plaignantes précisent que, en vertu de la Constitution nationale, l’Etat est une unité nationale composée de provinces qui conservent les facultés qui ne sont pas déléguées au gouvernement fédéral. Elles ont leur propre organisation politique interne (art. 121 à 123 de la Constitution nationale). Les unités politiques en place dans les provinces sont appelées municipalités ou départements (c’est le cas de Mendoza). Chaque département compte une autorité exécutive, le maire, et un organe délibérant, le Conseil délibérant. Les attributions des municipalités sont déterminées en termes généraux par la Constitution nationale (dans ses dispositions relatives à l’autonomie); dans le cas de la province de Mendoza, elles ont été réglementées dans la Constitution de cette province et, par une disposition expresse de celle-ci, elles sont complétées par la loi organique provinciale no 1709 sur les municipalités. La ville de Mendoza est la capitale de la province (art. 2 de la Constitution provinciale), et l’ensemble des autorités provinciales (pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire) siègent dans ce département.
  8. 174. Le principal employeur des travailleurs de l’éducation, la Direction générale des écoles de la province, siège dans la ville de Mendoza, ainsi que de nombreux employeurs privés (écoles administrées par le secteur privé). Les dispositions municipales dénoncées dans la présente plainte empêchent les citoyens, et par conséquent le SUTE et ses affiliés, d’exercer le droit de manifester collectivement. A plusieurs reprises, depuis août 2008, le SUTE a été sanctionné pour avoir exercé le droit de manifester collectivement, de lourdes amendes lui ayant été infligées.
  9. 175. Les organisations plaignantes affirment que les restrictions dénoncées n’ont pas de fondement juridique. De fait, la loi provinciale no 6082 en vigueur sur la circulation prévoit expressément la possibilité de manifester sur la voie publique (art. 73). Qui plus est, aucune des dispositions de la loi en vigueur au moment de la promulgation de l’ordonnance no 3016 n’interdisait d’utiliser la voie publique pour des manifestations ni n’exigeait d’autorisation à cette fin. La loi établissait seulement à son article 3 que la Direction de la circulation de la province de Mendoza pouvait prendre des dispositions temporaires sur la circulation des personnes et des véhicules lorsque l’ordre ou la sécurité publics l’exigeaient (art. 3, paragr. c), de la loi no 4305). Les restrictions en question ne sont pas non plus justifiées par les faits étant donné que, sous prétexte de réglementer des droits, elles ne limitent celui de manifester que lorsque la manifestation comporte notamment des réclamations ou des plaintes et non lorsqu’il s’agit d’autres types de manifestations, même si celles-ci entravent la circulation dans quelque mesure que ce soit. Cette interdiction s’étend à tout le territoire de la municipalité de la capitale de la province et, par conséquent, empêche l’exercice de la liberté syndicale, même si l’on en considère l’acception restreinte, à savoir la liberté d’agir et de manifester pour faire entendre des réclamations à un employeur et/ou aux autorités publiques.
  10. 176. Selon les organisations plaignantes, l’interdiction d’utiliser les espaces publics pour exercer le droit de manifester entraîne une atteinte aux principes fondamentaux énoncés aux articles 19, 20.1 et 29.2 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, aux articles 3, 4, 5.1, 8.1 a), 8.1 c), 8.2 et 8.3 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, et aux articles 2.1, 3, 19.1, 19.2, 21, 22 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. De fait, le décret municipal en question souligne que les manifestations collectives comportant des réclamations ou des plaintes conduisent à restreindre d’autres droits individuels et collectifs et entravent et gênent la circulation urbaine, d’où des inconvénients divers pour les personnes et les véhicules particuliers et/ou collectifs qui, quotidiennement, circulent en ville, cela au détriment des droits légitimes de ces personnes. Par conséquent, le décret interdit ces manifestations en dehors de l’esplanade de l’édifice municipal tandis que son article 4 y autorise expressément les autres types de «manifestations». Autrement dit, ce n’est que lorsqu’elles comportent des plaintes ou des réclamations qu’elles constituent des comportements indésirables et répréhensibles mais, lorsqu’elles ont, entre autres, des fins sportives, confessionnelles ou gouvernementales, elles n’impliquent pas de troubles pour la circulation. Pour le décret, les «manifestations» collectives qui ne comportent pas de réclamations ou de plaintes ne restreignent ni les autres droits individuels ni n’entravent la circulation. Du moins, elles n’entraînent pas d’inconvénients d’une manière telle que les auteurs doivent être sanctionnés, comme c’est le cas pour les manifestations des travailleurs qui réclament de meilleurs salaires et conditions de travail ou qui expriment des idées, des réclamations ou des revendications.
  11. 177. Selon les organisations plaignantes, les dispositions du décret en question obligent les manifestants – quand ils formulent des réclamations ou des plaintes – à circuler sur les trottoirs en respectant les règles, notamment les feux de circulation, ou à se rassembler sur l’esplanade de l’édifice municipal. A leurs yeux, il est manifeste que le décret restreint les manifestations des travailleurs quand ceux-ci se réunissent pour s’exprimer et dire publiquement devant les autres citoyens quelles sont leurs conditions de travail et leurs réclamations. Dans ces cas, ils sont passibles d’amendes, voire de peines d’emprisonnement, allant jusqu’à trente jours sans motif raisonnable: à l’évidence, le décret no 863/2008 ne vise pas à faire respecter les règles de circulation ou l’utilisation des espaces publics mais seulement à réprimer les manifestations qui comportent des réclamations ou des plaintes, manifestations qui sont un outil de lutte essentiel et universel des travailleurs dans le monde. Ainsi, en imposant à ces modalités associatives des conditions restreintes de manifestation qu’il n’exige pas des associations qui n’ont pas pour but de formuler des plaintes ou des réclamations devant les autorités ou les employeurs, il porte atteinte également au droit de former des associations syndicales et de participer à leurs activités.
  12. 178. Les organisations plaignantes soulignent que, à l’évidence, le décret enfreint le principe d’égalité. Telle est la méthode qu’applique la municipalité pour restreindre la liberté syndicale des entités plaignantes et de leurs affiliés en les privant de l’utilisation des espaces publics et en l’interdisant quand, dans les mêmes circonstances, elle ne l’interdit pas à d’autres personnes ou groupes. Les traités internationaux l’expriment de diverses façons mais tant l’article 1 de la Déclaration universelle des droits de l’homme que l’article 3 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels disposent que tous les êtres humains sont libres et égaux en dignité et en droits et assurent leur droit égal au bénéfice de tous les droits; en définitive, ils consacrent ou reconnaissent le droit à l’égalité, comme le fait le Pacte international relatif aux droits civils et politiques dans ses articles 2.1 et 3. Ce principe du droit international en matière de droits de l’homme est enfreint de manière aberrante par le décret puisqu’il ne sanctionne que les manifestations syndicales ou toute autre manifestation qui comportent des réclamations et des revendications collectives.
  13. 179. Les organisations plaignantes ajoutent que le décret viole le principe de légalité consacrée dans les traités internationaux mentionnés dans la présente plainte, lesquels établissent dans tous les cas que l’exercice des droits reconnus ne peut qu’être assujetti aux restrictions prévues par la loi; le décret no 863/2008 n’est pas conforme aux restrictions imposées par la législation, pas plus qu’il ne constitue une loi.
  14. 180. Les organisations plaignantes estiment que les normes qui restreignent ou règlementent l’exercice des droits de l’homme, des droits constitutionnels et des garanties fondamentales doivent être promulguées par un organe législatif démocratiquement élu afin de garantir les principes et les buts démocratiques qui fondent les traités internationaux relatifs aux droits de l’homme.
  15. 181. Les organisations plaignantes soulignent qu’il convient de préciser que la Constitution provinciale, en ne déléguant aux municipalités que la gestion des intérêts et des services locaux, crée un organe aux facultés limitées qui peut se gérer ou se gouverner de façon autonome mais dans le respect de statuts organiques émanant d’une autorité supérieure; autrement dit, il est assujetti aux dispositions constitutionnelles et juridiques en vigueur. Par conséquent, la liberté syndicale est manifestement entravée par les mesures du pouvoir exécutif de la municipalité de la ville de Mendoza, de son maire et du conseil municipal, puisque ceux-ci prétendent exercer des facultés législatives qui leur sont interdites expressément; en exerçant ces facultés de fait, ils portent atteinte aux principes d’égalité, de légalité et de rationalité et entravent donc le libre exercice des droits syndicaux. Les interdictions décidées par le maire compromettent les droits des travailleurs dans un domaine plus que sensible pour les organisations syndicales, à savoir la possibilité de faire connaître leurs revendications ou vues et de défendre ainsi les objectifs qui leur sont propres, aux autres travailleurs et aux citoyens, de la seule façon dont elles disposent, c’est-à-dire à haute voix dans des espaces publics fréquentés par d’autres personnes. Plus grave encore, les autorités municipales cherchent à rendre invisibles les travailleurs et leurs réclamations, ce qui va à l’encontre des principes les plus élémentaires du système international relatif aux droits de l’homme.»

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 182. Dans sa communication en date du 13 février 2012, le gouvernement transmet la réponse des autorités de la ville de Mendoza. Celles-ci indiquent qu’il ressort de l’analyse de la plainte que ses auteurs affirment que l’ordonnance no 3016/90 et le décret no 863/08 enfreignent l’article 3 de la convention no 87, que l’Argentine a ratifiée en 1960, et que ces textes ont été contestés judiciairement devant la Cour suprême de justice de la province de Mendoza, action à laquelle l’organe judiciaire n’a pas fait droit. Les organisations plaignantes ont intenté une action en inconstitutionnalité des textes municipaux susmentionnés et allèguent qu’ils sont contraires à la convention no 87.
  2. 183. Les autorités indiquent que, comme le disent les organisations dans leur plainte, ces dernières ont saisi la Cour suprême de justice de la province de Mendoza au motif de l’inconstitutionnalité des instruments susmentionnés. L’action en inconstitutionnalité intentée par le SUTE a été rejetée en vertu de la décision de la cour provinciale, chambre II, dans le cas no 94017 intitulé «Syndicat uni des travailleurs de l’enseignement de Mendoza contre municipalité de Mendoza, action en inconstitutionnalité». Cette décision n’a pas été contestée et est devenue ferme – le plaignant n’a pas interjeté de recours, ce qui a été reconnu dans la plainte. La cour a déclaré catégoriquement ce qui suit: «Le droit de protestation – comme tout autre droit – peut faire l’objet d’une réglementation raisonnable si l’objectif est de maintenir l’ordre et la sécurité de la circulation des personnes et des véhicules ou d’assurer une vie sociale pacifique. Par conséquent, il semble raisonnable d’exiger un préavis afin de garantir l’ordre public et d’éviter la violation d’autres droits de tiers qui sont également garantis par la Constitution. Rendre possibles les revendications en les encadrant ne comporte pas la restriction de droits mais en permet l’exercice légitime.» Autrement dit, la cour provinciale a estimé, dans la décision examinée ici, que les textes juridiques en question ne portent atteinte à aucun principe, leur objectif étant de permettre les revendications en les encadrant, ce qui ne suppose pas des entraves à des droits mais permet leur exercice légitime.
  3. 184. Les autorités de la ville de Mendoza signalent que les organisations plaignantes affirment aussi que les textes municipaux en question interdisent les manifestations collectives dans la juridiction du département de la capitale de la province de Mendoza, sous peine d’amendes et de peines privatives de liberté. Selon les autorités, cette interprétation des textes en question est erronée: en effet, en premier lieu, ils n’interdisent pas les manifestations collectives mais visent à garantir le droit de libre circulation en veillant à ce que les manifestants se déplacent pacifiquement – sont mises à leur disposition l’esplanade municipale ainsi que des estrades et une sonorisation appropriée une fois l’autorisation accordée – et à ce qu’ils empruntent les trottoirs en respectant les passages pour piétons et les feux de circulation (art. 1 et 2 du décret no 863/08). Par ailleurs, une autorisation préalable est nécessaire dans le cas où les mobilisations entraveraient la circulation normale des piétons et/ou véhicules (art. 1 de l’ordonnance no 3016/90). Ainsi, aucun paragraphe des articles examinés n’interdit de manifester, contrairement aux allégations des organisations plaignantes.
  4. 185. C’est ce qu’a reconnu aussi la cour provinciale dans la décision susmentionnée en indiquant ce qui suit: «il ressort de la lecture de l’article 2 du décret no 863 l’absence d’intérêt légitime du syndicat plaignant, étant donné que le décret n’interdit pas les mobilisations et/ou manifestations ailleurs que sur l’esplanade de l’édifice municipal. Il ne fait que les réglementer en exigeant que les manifestants empruntent les trottoirs en respectant les passages pour piétons et les feux de circulation. On ne saurait qualifier ces conditions de “destruction du droit” car les restrictions imposées par le décret découlent de dispositions légales raisonnables qui répondent à des principes élémentaires du droit constitutionnel et aux normes spécifiques qui obligent les piétons à emprunter les trottoirs et empêchent un exercice abusif de ce droit. L’article susmentionné du décret ne comporte donc pas de mesures anticonstitutionnelles contraires aux droits fondamentaux à caractère supra juridique. A l’évidence, le décret ne va pas au-delà d’une réglementation raisonnable ou d’une restriction légitime dans le cadre de la législation en vigueur et on ne saurait considérer qu’il empêche l’exercice du droit. On peut en conclure que le demandeur n’a pas pu démontrer de manière irréfutable les préjudices qu’il affirme avoir subis en raison de l’application du décret no 863 et de l’ordonnance no 3016: le premier est conforme aux principes de la logique et du bon sens qui doivent primer au moment de réglementer un droit; en ce qui concerne le texte adopté par le Conseil délibérant, le syndicat ne l’a pas contesté. Par conséquent, il n’est pas fait droit à la plainte qui fait état de préjudices.
  5. 186. Les autorités de la ville de Mendoza indiquent que, à l’évidence, les textes juridiques à l’examen permettent de prendre en compte l’ampleur du dommage que le demandeur subit par rapport à celle du dommage entraîné pour le reste de la collectivité. Il est de notoriété publique que, en raison de la forte augmentation du nombre de véhicules, sans compter les nombreux moyens de transports publics qui y circulent, les rues du centre ville sont encombrées tous les jours si bien que, normalement, il y a de nombreux embouteillages et inconvénients dans les artères principales. Si l’on y ajoute les situations dans lesquelles la circulation est coupée à cause de manifestations, les travailleurs qui utilisent les transports publics en pâtissent excessivement. Leurs droits, tels que celui de circuler librement, sont alors entravés et, par exemple, ils ne peuvent pas se rendre à leur travail ou dans un centre de santé en temps voulu. Vu ces circonstances, lorsque l’utilisation d’un espace public a pour effet de compromettre le droit de tiers, il faut une autorisation préalable de façon à réglementer correctement cette utilisation en en prévoyant les conséquences. On a alors recours à des agents de la circulation ou à d’autres moyens pour garantir la circulation des véhicules sur certaines artères. Il convient de souligner que les organisations plaignantes disposent de mécanismes institutionnels pour résoudre leurs différends, par exemple les instances paritaires, ou pour exercer leur droit légitime d’appeler à la grève. C’est ce que prévoient les considérants du décret no 863/08, à savoir qu’il est raisonnable et opportun de conjuguer l’exercice des droits de revendication et de réunion avec le droit de se déplacer et de circuler librement, tous ces droits étant d’ordre constitutionnel et de même niveau.
  6. 187. Par ailleurs, la municipalité, loin de prévoir des amendes ou des peines privatives de liberté pour les «entités syndicales qui organisent une manifestation», comme l’affirment les organisations plaignantes, donne au moyen du décret no 863/08 de nombreuses possibilités aux manifestants sans interdire l’exercice de leurs droits puisque ceux-ci, après avoir obtenu une autorisation, peuvent utiliser l’esplanade municipale, équipée gratuitement d’estrades et d’une sonorisation appropriée. Si un autre endroit est utilisé, ils doivent circuler sur les trottoirs en tenant compte des piétons et des feux de circulation. Lorsqu’il s’agit d’un autre type d’événement qui comporte l’utilisation de la voie publique, une autorisation doit être demandée préalablement. En cas d’infraction soit une amende est infligée conformément à l’ordonnance susmentionnée, soit l’infraction est signalée au tribunal de police de permanence.
  7. 188. Cette disposition n’a rien de capricieux puisqu’elle a entre autres antécédents la loi provinciale no 4305 sur la circulation (elle a été abrogée par la loi no 6082) qui, en vertu de son décret réglementaire no 200/79, interdisait aux piétons de marcher sur la chaussée (art. 49). Or c’est ce qui se produit lorsqu’une manifestation occupe la voie publique. Par la suite, l’actuelle loi provinciale no 6082 sur la circulation a établi à son article 73 ce qui suit: «il est interdit d’utiliser la voie publique à d’autres fins que la circulation – entre autres, processions, manifestations, réunions, expositions, courses à pied, cycliste, équestre ou automobile. Ces événements ne peuvent être autorisés par l’autorité compétente que dans les cas suivants: a) la circulation normale peut être assurée sur des itinéraires de remplacement dans les mêmes conditions de fluidité; b) les organismes garantissent que seront prises sur place les mesures nécessaires de sécurité pour les personnels et les biens; c) les organisateurs prennent la responsabilité, en leur nom propre ou par le biais d’une assurance, des éventuels dommages à des tiers ou à la voirie que pourrait occasionner une manifestation comportant des risques.» A l’évidence, le principe général établi dans cette loi, plus précisément que dans la précédente, est l’interdiction d’utiliser la voie publique à d’autres fins que la circulation. Par ailleurs, toute exception à cette utilisation doit satisfaire aux conditions qui sont énumérées après autorisation de l’autorité correspondante qui, comme on le verra, est naturellement la municipalité.
  8. 189. Le fait de signaler au tribunal de police de permanence les cas d’inobservation de la loi est relié à l’article 50 du Code provincial des contraventions (section «Exercice abusif du droit de réunion»). Cet article dispose que les personnes qui promeuvent des réunions dans des lieux publics en violation des réglementations légales sur la sécurité et des usages sociaux sont passibles d’une amende d’un montant allant jusqu’à trois mille pesos. Au vu de ce qui précède, l’allégation des organisations plaignantes selon laquelle les entités syndicales qui organisent des manifestations sont passibles d’une amende ou d’une peine privative de liberté est sans fondement.
  9. 190. L’article 3 du décret no 863/08 établit que, en cas d’infraction aux dispositions municipales en vigueur, elle est signalée immédiatement au tribunal de police de permanence. Ainsi, c’est le tribunal de police qui déterminera alors si le Code des contraventions a été enfreint et qui appliquera la sanction correspondante, cette décision ne relevant pas des compétences municipales.
  10. 191. L’article 2 du décret qui, selon le SUTE, compromet les droits du syndicat et de ses affiliés, dispose ce qui suit: «Les mobilisations et/ou manifestations qui commencent à un endroit différent de celui mentionné dans l’article précédent doivent circuler sur les trottoirs en respectant les passages pour piétons et les feux de circulation.» A ce propos, la cour de la province, dans sa décision mentionnée précédemment, a dit: «… comme il est indiqué plus haut, ce n’est pas cet article mais l’ordonnance no 3016 et l’article 73 de la loi provinciale sur la circulation qui interdisent d’utiliser la voie publique pour des mobilisations, sauf autorisation de l’autorité compétente et à condition d’assurer une circulation normale et fluide sur des itinéraires de remplacement, de prendre des mesures de sécurité et d’éviter tout risque».
  11. 192. Comme le souligne le Procureur général dans son avis, la possibilité que donne le décret à toute personne intéressée d’utiliser les trottoirs pour des mobilisations effectuées sans autorisation ne permet pas d’affirmer que cette concession sans restriction est illégitime, au-delà des inconvénients que ces personnes doivent résoudre pour satisfaire aux conditions que le décret impose et qui doivent être respectées. Cette disposition de bon sens et conforme aux usages sociaux ne semble pas manifestement déraisonnable, pas plus qu’elle ne porte atteinte à un droit constitutionnel.
  12. 193. Les organisations plaignantes estiment aussi qu’il ressort de la lecture des instruments en question que tant les entités syndicales que les travailleurs qui participent aux manifestations sont passibles d’amendes ou de peines privatives de liberté. C’est inexact: les dispositions à l’examen ne disent rien de tel et ne prévoient pas de sanctions à l’encontre de ces travailleurs, lesquels n’ont jamais été sanctionnés. Le SUTE n’a été jugé responsable que des entraves à la circulation qui portaient atteinte à l’article 73 de la loi no 6082 et à l’article 1 de l’ordonnance no 3016/90.
  13. 194. Quant à la section «Portée des normes en question», les organisations plaignantes affirment, entre autres, ce qui suit: i) les restrictions imposées n’ont pas de fondement juridique; ii) la loi en vigueur sur la circulation prévoit la possibilité de manifester; iii) les dispositions contestées ne limitent que le droit d’exprimer des revendications ou des plaintes et non d’autres types de manifestations; iv) l’interdiction, qui est absolue, s’étend à tout le territoire de la municipalité, et les autorités de la municipalité de la ville de Mendoza affirment que ces plaintes sont dénuées de fondement pour les raisons suivantes: l’ordonnance no 3016/90, prise le 18 décembre 1990 par l’honorable Conseil délibérant de la ville de Mendoza et en vigueur depuis sa publication au Journal officiel le 25 février 1991, prévoit l’imposition d’amendes à quiconque enfreint les dispositions de l’article 1 de l’ordonnance, laquelle interdit tout type de réunions ou de manifestations sur la voie publique dans le périmètre formé par les rues Patricias Mendocinas, Rioja, Córdoba, Godoy Cruz, Colón et Vicente Zapata, à moins que leur ampleur ou leurs modalités n’entravent pas la circulation normale des piétons et/ou véhicules, cas dans lesquels le Département exécutif peut les autoriser. Autrement dit est contestée une disposition en vigueur depuis plus de dix-neuf ans qui n’entraîne aucune atteinte à la Constitution.
  14. 195. De plus, comme on l’a indiqué précédemment, il y a un antécédent, la loi provinciale no 4305, qui, par son décret réglementaire no 200/79, interdisait aux piétons de circuler sur la chaussée (art. 49). A été adoptée ensuite la loi provinciale no 6082 sur la circulation qui est en vigueur. Elle interdit d’utiliser la voie publique à d’autres fins que la circulation et détermine à son article 73, qui a été déjà examiné, les cas exceptionnels dans lesquels l’autorité compétente peut l’autoriser. Il en va de même pour l’article 50 du Code provincial des contraventions qui a été mentionné. Autrement dit, cette législation de la province constitue le cadre juridique dans lequel doivent être analysés l’ordonnance no 3016/90 et le décret no 863/08.
  15. 196. La Cour suprême provinciale a estimé qu’il est incontestable que la voirie est un bien du domaine public de l’Etat. L’article 2340, paragraphe 7), du Code civil dispose que les rues, places, chemins, canaux, ponts et tout autre ouvrage public construit à des fins d’utilité collective ou pour la communauté sont destinés, sans conteste non plus, et notamment les rues, à l’utilisation et à la jouissance immédiate et directe de tous les citoyens. On estime d’un commun accord qu’elle appartient au domaine public municipal (Rivera, Julio C.: Instituciones del Derecho Civil, Parte General, Buenos Aires, Perrot, 1993, tome II, no 1017; Salomoni Jorge L.: Teoría general de los servicios públicos, Buenos Aires, ad hoc, 1999, p. 360). L’article 1 de l’ordonnance no 3016/90 est clair: il interdit en général les réunions ou manifestations sur la voie publique à moins que leur ampleur ou leurs modalités n’entravent pas la circulation normale des piétons et/ou véhicules, cas dans lesquels le Département exécutif peut les autoriser. La seconde partie de l’article montre clairement que, contrairement à ce qu’affirment les organisations plaignantes, il n’y a pas d’interdiction absolue. La question essentielle est de concilier, dans la mesure du possible, d’un côté, le droit d’exprimer des réclamations et de manifester et, de l’autre, celui des citoyens de circuler librement, de jouir d’un air sain – que les gaz d’échappement polluent en cas d’embouteillages et de coupures de la circulation – et, d’une manière générale, de mener leurs activités quotidiennes normalement. Par conséquent, on autorise les manifestations en veillant à ce qu’elles n’entravent pas la circulation normale des piétons et/ou véhicules.
  16. 197. Cette remarque vaut aussi pour le décret no 863/08. De plus, dans ce décret, l’autorité administrative va au-delà de la possibilité de mettre à disposition un endroit pour manifester puisqu’elle autorise l’utilisation de l’esplanade de l’édifice municipal à ces fins et propose même de l’équiper gratuitement d’estrades et d’une sonorisation appropriée. Elle propose donc un endroit pour manifester et l’équipement nécessaire gratuitement et, dans l’article suivant, le décret n’interdit pas d’organiser une manifestation ailleurs mais précise que les manifestants doivent emprunter les trottoirs et respecter les passages pour piétons et les feux de circulation, ce qui permet de concilier l’exercice de droits en conflit.
  17. 198. Contrairement aux allégations des organisations plaignantes, les autorités municipales affirment que le décret no 863/08, loin d’étendre l’interdiction de l’ordonnance qu’il réglemente, précise et accroît les possibilités de réaliser des manifestations. Dans le décret, on accepte même de sacrifier le droit des piétons de circuler librement. Il n’est pas vrai non plus que l’interdiction ait été étendue à toute la ville, ce qui dépasserait le cadre prévu par l’ordonnance no 3016/90. Les organisations plaignantes oublient qu’en vertu de la loi no 6082, qui est postérieure à l’ordonnance, il est interdit dans toute la province, et pas seulement dans la ville, d’utiliser la voie publique à d’autres fins que la circulation. Par conséquent, à ce sujet, on ne saurait affirmer que le décret en question va à l’encontre de la Constitution.
  18. 199. Les autorités affirment que les principes du Comité de la liberté syndicale ne sont définitivement pas enfreints car il ne ressort pas des textes à l’examen que le droit de manifester est interdit, ce que soutiennent les organisations plaignantes. Il n’y a pas de discrimination fondée sur le type des manifestations mentionnées dans les textes. On ne peut pas soutenir que les dispositions en question violent les principes fondamentaux des déclarations et pactes internationaux qu’évoquent les organisations plaignantes, qu’elles imposent un «traitement dégradant» ou qu’elles portent atteinte à la dignité des citoyens. Au contraire, ce qui précède montre clairement que, ce qui est en jeu, c’est le souci de conjuguer et de concilier les droits de tous les habitants de la ville de Mendoza, sans aucune distinction.
  19. 200. Le droit à la liberté d’opinion et d’expression n’est pas enfreint puisque son exercice n’est pas interdit, pas plus que ne le sont les manifestations comportant des revendications et des plaintes, comme les organisations plaignantes le prétendent. Les longs commentaires des organisations plaignantes sur ce point indiquent qu’elles semblent ignorer que la loi no 6082 interdit, d’une manière générale, l’utilisation de la voie publique à d’autres fins que la circulation, et que l’ordonnance no 3016/90 porte sur tous les types de réunion ou de manifestations sur la voie publique.
  20. 201. Le décret contesté introduit une différenciation raisonnable étant donné que les mobilisations ou manifestations auxquelles l’article 2 se réfère, comme l’expérience le montre, supposent des déplacements dans les rues. Le décret indique qu’elles ne doivent pas emprunter les trottoirs afin de ne pas gêner la circulation. L’article 4 mentionne un autre type de manifestations qui n’occupe pas nécessairement la voie publique. Quand c’est le cas, conformément à l’article 1 de l’ordonnance no 3016/90, elles peuvent être réalisées à condition que leurs modalités ne ralentissent pas la circulation normale des piétons et/ou véhicules, avec l’autorisation préalable du Département exécutif.
  21. 202. Il convient de souligner que l’article 2 du décret no 863/08 n’exige pas cette autorisation préalable, précisément pour ne pas entraver le droit des manifestants. Une demande préalable n’est exigée que pour utiliser l’esplanade municipale. Par conséquent, loin d’introduire une discrimination négative, le décret facilite la réalisation de ce type de mobilisations à condition qu’elles respectent les modalités établies dans cet article. Il est donc infondé d’affirmer que le principe d’égalité est affecté et que tout autre type de réunion peut occuper la voie publique si l’on considère les interdictions, déjà mentionnées, que prévoient la loi no 6082 et l’ordonnance no 3016/90. En revanche, il est vrai que la libre circulation des piétons sera entravée. Mais il s’agit là précisément du sacrifice, qui a été accepté, de certains droits individuels dans le but de rendre possible le droit de manifester.
  22. 203. Les autorités de la ville indiquent que ni le principe de légalité ni la Convention américaine relative aux droits de l’homme ne sont enfreints puisqu’elle permet de restreindre dans l’intérêt général les droits reconnus par des lois adoptées, comme l’on dit les organisations plaignantes elles-mêmes. Toutefois, ces derniers semblent ne vouloir reconnaître ni l’authenticité des lois à l’examen ni la faculté qu’ont les autorités municipales d’adopter des textes dans ce domaine puisqu’ils affirment que cette faculté se borne à une simple «administration». Ainsi, ils ignorent l’autonomie de la municipalité et, ce qui est grave, le droit institutionnel en vigueur. Il convient de souligner que la restriction générale en question, pour toute la province, a été instaurée en vertu de la loi no 6082 et que les organisations plaignantes n’en ont pas remis en cause la constitutionnalité. Au niveau municipal, c’est l’ordonnance no 3016/90 qui établit les conditions de l’exercice du droit de réunion; le décret no 863/08, par conséquent, ne fait que réglementer ces dispositions. Les autorités municipales ajoutent que les lois adoptées par la législature provinciale dans ce domaine consacrent invariablement en tant que principe général l’utilisation sous conditions de la voie publique pour des manifestations. L’ordonnance s’en tient à ce principe, quoi qu’en disent les organisations plaignantes.
  23. 204. Dans la décision rendue à ce sujet, la cour provinciale souligne que l’ordonnance no 3016/90 a été prise en temps opportun par le Conseil délibérant dans l’exercice des facultés conférées par l’article 200, paragraphe 3), de la Constitution provinciale. Celle-ci donne au conseil la responsabilité des équipements publics et de la salubrité, ainsi que des établissements de bienfaisance qui ne sont pas à la charge de sociétés particulières, et de la voirie, dans le respect des lois adoptées par la législature dans ce domaine. La cour provinciale a estimé que, ainsi, dans l’exercice de ses facultés et dans le cadre de ses compétences, notamment de police, le maire propose d’utiliser un endroit du domaine public municipal pour éviter que ne se produisent, en raison de manifestations, des troubles sur la voie publique, étant donné que les rues sont destinées à l’utilisation et à la jouissance immédiate et directe de tous les citoyens. Par conséquent, une fois obtenue l’autorisation pertinente, les personnes souhaitant organiser une réunion, une manifestation ou une mobilisation, ou s’exprimer par des moyens analogues, peuvent utiliser l’esplanade municipale qui leur est proposée.
  24. 205. Prétendre ignorer la compétence constitutionnelle de la législature, du Conseil délibérant et du Département exécutif municipal pour exercer les facultés de police dans ce domaine n’a aucun fondement juridique ni logique. Les autorités de la ville de Mendoza estiment, contrairement aux organisations plaignantes, que les textes en question ne vont pas à l’encontre des vues du Comité de la liberté syndicale. Les organisations plaignantes estiment que l’objectif des textes qu’elles contestent n’est pas essentiel car les désagréments entraînés pour les piétons et les véhicules sont mineurs. On fera observer que, alors que les organisations plaignantes minimisent arbitrairement le droit de libre circulation des piétons et des véhicules, le décret no 863/08 établit spécifiquement dans ses considérants que son objectif est de concilier l’exercice des droits de revendication et de réunion, d’une part, et le droit de se déplacer et de circuler librement, d’autre part, en reconnaissant que ces deux catégories de droits ont un rang constitutionnel et un niveau égal. Autrement dit, tandis que les organisations plaignantes évoquent de manière méprisante le droit de libre circulation des citoyens, la municipalité met les deux catégories de droits sur le même plan qu’elles ont, constitutionnellement, afin de concilier les intérêts de chacun.
  25. 206. Enfin, les autorités indiquent qu’il convient de demander le rejet de la plainte au motif que les normes qu’elles contestent n’ont aucunement les buts qu’elles leur attribuent. Au contraire, ces normes ont pour objectif raisonnable de conjuguer et de concilier des droits, dans le cadre d’une société démocratique, qui émanent d’organes légitimes et compétents, comme l’a reconnu la Cour suprême de justice de la province dans la décision qu’elle a prise dans l’affaire no 94017 «Syndicat uni des travailleurs de l’enseignement de Mendoza contre municipalité de Mendoza, action en inconstitutionnalité», décision ferme que les organisations plaignantes n’ont pas contestée en justice.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 207. Le comité note que, dans le présent cas, les organisations plaignantes contestent le décret no 863 pris le 30 juillet 2008 par le maire de la municipalité de la ville de Mendoza et l’ordonnance no 3016/90 prise par le Conseil délibérant de la même municipalité. Selon elles, ces instruments interdisent et sanctionnent le droit de manifester collectivement (le décret: 1) autorise aux fins de la réalisation de réunions, de manifestations et de mobilisations, ainsi que de moyens d’expression analogues, l’utilisation de l’esplanade de l’édifice municipal – équipé gratuitement d’estrades et d’une sonorisation appropriée – et prévoit que les mobilisations et/ou manifestations qui commencent ailleurs qu’à l’endroit susmentionné doivent emprunter les trottoirs en respectant les passages pour piétons et les feux de signalisation; et ii) dispose que, en cas d’infraction, elle est signalée au tribunal de police de permanence et que la Direction de la circulation de la municipalité de la ville de Mendoza pourra appliquer les sanctions prévues dans l’ordonnance no 3016/90 – éventuellement des peines d’emprisonnement allant jusqu’à trente jours ou des amendes d’un montant maximum de 3 000 pesos).
  2. 208. Le comité note en premier lieu que les organisations plaignantes et le gouvernement de la ville de Mendoza indiquent que la Cour suprême de justice de la province de Mendoza n’a pas fait droit à une action en inconstitutionnalité intentée par le SUTE contre le décret et l’ordonnance en question. Selon les organisations plaignantes, l’organe judiciaire n’a pas fait droit à cette action mais n’a pas mésestimé les motifs invoqués, et le droit d’apporter et de produire des preuves a été enfreint. L’organisation plaignante n’a pas intenté de recours contre cette décision étant donné que, fréquemment, dans sa jurisprudence, la Cour suprême de justice de la nation a indiqué être incompétente pour entendre des questions de droit public provincial.
  3. 209. Le comité note aussi que, selon le gouvernement de la ville de Mendoza, l’autorité judiciaire provinciale a estimé que le droit de protestation – comme tout autre droit – peut faire l’objet d’une réglementation raisonnable si l’objectif est de maintenir l’ordre et la sécurité dans la circulation des personnes et des véhicules, ou d’assurer une vie sociale pacifique. Par ailleurs, le comité prend note des informations suivantes du gouvernement de la ville de Mendoza: 1) les textes qui sont contestés n’interdisent pas les manifestations mais visent à garantir le droit de libre circulation en veillant à ce que les manifestants se déplacent pacifiquement – sont mises à leur disposition l’esplanade municipale ainsi que des estrades et une sonorisation appropriée une fois l’autorisation accordée – et à ce qu’ils empruntent les trottoirs en respectant les passages pour piétons et les feux de circulation; il faut seulement une autorisation préalable dans les cas où les mobilisations entravent la circulation normale des piétons et/ou véhicules; 2) aucune disposition n’interdit de manifester, contrairement à ce qu’affirment les organisations plaignantes, comme l’a reconnu la Cour suprême de justice de la province de Mendoza; 3) les instruments à l’examen permettent de prendre en compte l’ampleur du dommage que le demandeur subit par rapport à celle du dommage entraîné pour le reste de la collectivité, et il est de notoriété publique que, en raison de la forte augmentation du nombre de véhicules, les rues du centre ville sont encombrées quotidiennement; 4) si l’on ajoute les situations dans lesquelles la circulation est coupée à cause de manifestations, les inconvénients sont excessifs, au détriment des travailleurs qui sont les personnes qui utilisent les services, le droit de circuler est entravé et on empêche des personnes, par exemple, de se rendre à leur travail ou dans un centre de santé; 5) cette situation fait que la ville est confrontée à l’utilisation d’un espace public qui, lorsqu’elle ne respecte pas le droit des autres personnes ou le compromet, rend nécessaire une autorisation préalable pour que cette utilisation soit correcte; afin de tenir compte des conséquences de cette situation, on a alors recours à des agents de la circulation pour assurer la circulation des véhicules; 6) loin de prévoir des amendes ou des peines privatives de liberté pour les organisations syndicales qui organisent une manifestation, le décret en question donne de nombreuses possibilités aux manifestants sans interdire l’exercice de leurs droits (ils peuvent utiliser l’esplanade municipale mentionnée précédemment et, s’ils utilisent un autre endroit, ils doivent emprunter les trottoirs et respecter les passages pour piétons et les feux de circulation); 7) s’il s’agit d’un autre type de manifestations qui entraîne l’utilisation de la voie publique, il faut demander une autorisation préalable; en cas d’infraction soit l’amende prévue dans l’ordonnance en question s’applique, soit l’infraction est signalée au tribunal de police de permanence; c’est ce dernier qui détermine si le Code des contraventions a été enfreint et qui applique la sanction correspondante, cette décision ne relevant pas des compétences municipales; 8) les textes en question ne prévoient pas de sanctions à l’encontre des travailleurs qui participent aux manifestations, et ils n’ont jamais été l’objet de sanctions; seul le SUTE a été jugé responsable d’entraves à la circulation qui portaient atteinte à l’article 73 de la loi no 6082 et à l’article 1 de l’ordonnance no 3016/90 (l’organisation plaignante communique copie d’une résolution municipale en vertu de laquelle une amende a été infligée au SUTE pour avoir empêché la circulation de véhicules dans plusieurs rues de la ville de Mendoza); 9) l’ordonnance no 3016/90 interdit en général les réunions ou manifestations sur la voie publique à moins que leur ampleur ou leurs modalités n’entravent pas la circulation normale des piétons et/ou véhicules, cas dans lesquels le Département exécutif peut les autoriser; 10) il n’y a pas de discrimination fondée sur le type des manifestations mentionnées dans les textes en question, et on ne peut aucunement affirmer que les dispositions contestées par les organisations plaignantes portent atteinte aux droits à la liberté d’opinion et d’expression.
  4. 210. Tenant compte de l’ensemble de ces informations et de la décision en question, le comité ne poursuivra pas l’examen de ces allégations.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 211. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité recommande au Conseil d’administration de décider que le présent cas n’appelle pas un examen plus approfondi.
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