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Rapport définitif - Rapport No. 364, Juin 2012

Cas no 2881 (Argentine) - Date de la plainte: 23-JUIN -11 - Clos

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Allégations: Les organisations plaignantes allèguent que les travailleurs du système judiciaire non dépositaires de l’autorité publique ne jouissent pas du droit de négociation collective

  1. 212. La plainte figure dans une communication de la Centrale des travailleurs argentins (CTA) et de la Fédération judiciaire argentine (FJA) en date du 23 juin 2011.
  2. 213. Le gouvernement a envoyé ses observations dans des communications du 13 février et de mai 2012.
  3. 214. L’Argentine a ratifié la convention (nº 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, la convention (nº 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949, la convention (nº 151) sur les relations de travail dans la fonction publique, 1978, ainsi que la convention (nº 154) sur la négociation collective, 1981.

A. Allégations des organisations plaignantes

A. Allégations des organisations plaignantes
  1. 215. Dans leur communication du 23 juin 2011, la Centrale des travailleurs argentins (CTA) et la Fédération judiciaire argentine (FJA) indiquent qu’elles présentent une plainte contre le gouvernement de l’Argentine pour violation des conventions nos 87 et 154.
  2. 216. Les organisations plaignantes indiquent que, à l’heure actuelle, tant au niveau national que dans la majeure partie des provinces, l’exercice du droit de négociation collective n’est pas garanti pour les travailleurs du système judiciaire argentin, qui par ailleurs ne disposent pas d’une convention collective. Dans la réalité, ce droit ne s’est jamais concrétisé pour les travailleurs du système judiciaire argentin et aucune convention n’a jamais été passée dans cette branche. Il faut tenir compte du fait que ce déni du droit de négociation collective concerne les travailleurs qui ne sont pas dépositaires de l’autorité publique mais qui fournissent des services dans les différentes administrations de la justice, en accomplissant des tâches administratives, de gestion et autres services et qui de façon générale s’occupent de toutes les activités touchant au fonctionnement des tribunaux du système judiciaire au niveau de l’Etat national ou des Etats des provinces.
  3. 217. Les organisations plaignantes ajoutent que, à l’exception de quatre provinces (Córdoba, Santa Cruz, Neuquén et Mendoza) sur un total de 22, outre la ville autonome de Buenos Aires, il n’a jamais été possible de rendre effectif le droit de négociation collective dans le reste du pays, en particulier au niveau national, et qu’aucune convention collective n’existe dans cette branche. Des commissions paritaires siègent dans deux des quatre provinces susmentionnées (Santa Cruz et Neuquén), alors que dans les provinces de Córdoba et de Mendoza ce droit n’est pas reconnu. Qui plus est, au niveau national, l’Etat n’a pas non plus reconnu ni rendu effectif le droit de négociation collective et aucune convention collective n’a été conclue pour les agents du système judiciaire.
  4. 218. L’absence totale de négociation collective – sauf les rares exceptions susmentionnées – et plus particulièrement l’absence de convention collective pour les travailleurs du système judiciaire au niveau national ainsi que dans la majorité des provinces va de pair avec une intense activité menée unilatéralement par l’Etat national, les Etats des provinces et la ville autonome de Buenos Aires, moyennant quoi des décisions sont prises sur les salaires, la rémunération et toutes les autres conditions de travail qui devraient faire l’objet de la négociation collective. Cela signifie que, à la suite d’une situation imposée par le patronat, les travailleurs se trouvent contraints d’accepter une sorte de contrat d’adhésion, sans pouvoir discuter absolument d’aucune question dans le cadre de la négociation collective.
  5. 219. Les organisations plaignantes indiquent que, durant la session législative de 2009, la Chambre des députés de la nation a approuvé un projet de loi nationale qui consacrait le droit de négociation collective pour tous les travailleurs du système judiciaire, et prévoyait la création d’un processus de négociation et d’un système de participation à ce processus pour les provinces et la ville autonome de Buenos Aires, dans le but d’établir un cadre national commun, et ce indépendamment de la négociation collective dans chaque secteur autonome ou fédéral. Toutefois, au lieu d’être transmis à la Chambre des sénateurs, alors même qu’il avait été examiné en commissions, ce projet de loi n’a jamais été traité par cette instance et il est devenu caduc en décembre 2010. Par conséquent, aucun cadre normatif ne régit le système de négociation collective dans le secteur public judiciaire.
  6. 220. Les organisations plaignantes affirment que le gouvernement ne s’acquitte pas des obligations qui lui incombent en vertu de son adhésion au système normatif de l’OIT et en particulier à la convention no 154 qu’il a ratifiée par voie de la loi no 23544, en 1988. Le gouvernement s’est engagé sur le plan international à veiller à l’application de la convention. Conformément à l’article 19, paragraphe 5) d), de la Constitution de l’OIT, l’Etat Membre s’engage, à compter de la ratification, à prendre «telles mesures qui seront nécessaires pour rendre effectives des dispositions de ladite convention». Par conséquent, le gouvernement est lié par l’engagement inscrit dans les dispositions de la Convention et il doit donc garantir le droit de négociation collective des travailleurs des administrations publiques, y compris ceux du pouvoir judiciaire.
  7. 221. Les organisations plaignantes soulignent que dès lors qu’un droit est reconnu par un instrument international, l’absence de réglementation interne ne saurait faire obstacle à son exigibilité. Cela est d’autant plus vrai lorsque ce droit est reconnu par la Constitution nationale elle-même. De ce fait, les organisations plaignantes soutiennent que l’Etat argentin continue de manquer, à l’égard des travailleurs du système judiciaire, à son obligation de garantir la négociation collective en ne prenant pas les mesures nécessaires pour la rendre effective. Elles indiquent qu’à supposer que les autorités fédérales estiment ne pas être compétentes en la matière, il y a lieu de relever les points suivants: a) en premier lieu, comme cela a été indiqué, l’obligation qui incombe à l’Etat Membre ne s’éteint pas lors de l’examen et de la ratification ultérieure d’une norme internationale; b) outre cette ratification, il lui appartient d’adopter toutes les mesures nécessaires pour rendre effective la norme internationale en question; c) au nombre de ces mesures figurent: i) les mesures relatives aux travailleurs qui relèvent de sa compétence (niveau fédéral); et ii) celles applicables aux travailleurs qui relèvent d’autres niveaux administratifs et auxquels le même droit est reconnu; et d) par conséquent, l’obligation contractée au niveau international s’applique à toutes les personnes visées par la norme sans exception.
  8. 222. Les organisations plaignantes indiquent que le gouvernement n’a pris aucune mesure pour garantir le droit de négociation collective aux travailleurs du système judiciaire au niveau fédéral (par exemple, en approuvant en ce sens une loi du Parlement national ou en agissant, directement ou indirectement, en qualité d’employeur au sein d’une instance de négociation, quelle qu’elle soit). Selon les organisations plaignantes, il n’existe aucun motif ni justification valable pour expliquer que l’Etat argentin continue de manquer à ses obligations en matière de négociation collective à l’égard de l’administration de la justice dans les différentes juridictions.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 223. Dans sa communication du 13 février 2012, le gouvernement transmet la réponse de la Cour suprême de justice de la nation (CSJN). Selon le gouvernement, cette réponse indique que la loi-cadre régissant la fonction publique nationale (loi no 25164) ne s’applique pas en l’espèce, étant donné qu’elle n’inclut pas le personnel du système judiciaire dans son champ d’application et qu’elle précise que celui-ci est régi par le régime spécial propre au pouvoir judiciaire (art. 5), en conséquence de quoi il n’existe pas de vide juridique sur cette question en droit interne. Il ressort de ce qui précède que, de l’avis de la Cour, le personnel du pouvoir judiciaire de la nation n’entre pas dans le champ d’application de la convention no 154 sur la promotion de la négociation collective dans la fonction publique (ratifiée en temps voulu par l’Argentine).
  2. 224. La CSJN indique ce qui suit au sujet de la plainte:
    • – aux fins de la plainte, le pouvoir judiciaire est assimilé au secteur public ou à la fonction publique dans le but affiché de rendre obligatoire la négociation de conventions collectives, conformément à ce que prévoient les conventions de l’OIT qui, précisément, font référence à la «fonction publique»;
    • – il est manifestement infondé de prétendre que le pouvoir judiciaire de la nation fait partie intégrante de la fonction publique nationale, dès lors que cette composante de l’Etat national est justement investie du pouvoir d’exercer un contrôle judiciaire des actes établis par les agents de la fonction publique, conformément au principe de la séparation des pouvoirs dans un Etat fédéral et républicain;
    • – par conséquent, la loi-cadre régissant la fonction publique nationale (loi no 25164) exclut expressément de son champ d’application – qui englobe les négociations collectives (art. 3) – le personnel du système judiciaire de la nation et dispose que celui-ci est régi par le régime spécial propre au pouvoir judiciaire (art. 5), en conséquence de quoi il n’existe pas de vide juridique sur cette question en droit interne;
    • – la plainte n’est pas fondée sur des griefs concrets susceptibles de constituer des violations effectives des droits des travailleurs du système judiciaire, ce qui donnerait à penser que les organisations plaignantes méconnaissent le véritable statut professionnel de ces travailleurs ou tentent de le contourner;
    • – c’est ainsi que les organisations plaignantes font abstraction du fait que ces travailleurs jouissent du même régime de droits et d’exonérations que les magistrats et les fonctionnaires (résolution no 34/77) – contrairement à ces derniers ils ne sont pas assujettis à toutes leurs incompatibilités de fonction (art. 8 et 10 du Règlement applicable à la justice nationale) mais, comme eux, leur rémunération est garantie par un régime autonome propre au pouvoir judiciaire de la nation (loi no 23853); de sorte que dans l’exercice de ses pouvoirs le tribunal n’a pas cherché à faire une distinction entre les niveaux hiérarchiques occupés par ces travailleurs ni à examiner la nature de leur travail, attendu que les agents du pouvoir judiciaire ont tous vocation à seconder celui-ci dans sa mission fondamentale;
    • – les deux organisations syndicales (organisations plaignantes) ne sont pas les plus représentatives des travailleurs du système judiciaire, au moins pour ce qui est du pouvoir judiciaire de la nation, et leur activité est manifestement inexistante;
    • – à cet égard, étant donné que la plainte ne porte pas sur la réglementation du libre exercice du droit de se syndiquer, les recommandations ci-après de la commission d’experts de l’OIT adressées à l’Etat argentin ne s’appliqueraient pas au présent cas: «[le statut d’organisation la plus représentative ne devrait pas avoir] pour conséquence d’accorder aux organisations les plus représentatives […] des privilèges allant au-delà d’une priorité en matière de représentation aux fins de négociations collectives, de consultation par les gouvernements, ou encore en matière de désignation de délégués auprès d’organismes internationaux»;
    • – au contraire, il serait souhaitable, aux fins de la démonstration qui nous occupe, de clairement établir en l’espèce – en particulier s’agissant du pouvoir judiciaire de la nation – qu’il est pleinement donné effet à la notion d’«organisations professionnelles les plus représentatives» consacrée dans la Constitution de l’OIT (art. 3, paragr. 5) en déclarant que les organisations plaignantes ne le sont pas;
    • – en ce qui concerne la CTA, il est fait observer qu’en tant que confédération dotée d’une «simple inscription», comme elle le déclare, elle n’est pas habilitée à défendre des intérêts collectifs attendu qu’elle ne jouit pas à cet effet des droits exclusifs accordés aux associations syndicales ayant un statut syndical spécial conformément à l’article 31 de la loi no 23551; raison pour laquelle la plainte est présentée conjointement avec la Fédération judiciaire argentine, qui a effectivement le statut syndical spécial mais qui n’a aucune influence au sein du pouvoir judiciaire;
    • – M. Pablo Michelli, qui s’est présenté en qualité de secrétaire général de la CTA, ne pouvait pas se prévaloir d’une représentativité syndicale incontestable pour agir devant un organisme international dans le cadre d’une plainte contre l’Etat national pour violation d’instruments internationaux, puisqu’il est de notoriété publique que la CTA est partie à un conflit intersyndical qui a donné lieu à une décision prononcée le 13 juillet 2011 par la Cour d’appel nationale du travail dans l’affaire «Centrale des travailleurs argentins CTA contre le Comité électoral national de la CTA concernant le recours en amparo».
  3. 225. Dans sa communication de mai 2012, le gouvernement indique que les consultations pertinentes ont été réalisées dans les instances judiciaires du pays qui se trouvent hors du régime de la convention collective.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 226. Le comité observe que, dans le présent cas, les organisations plaignantes allèguent que les travailleurs du système judiciaire qui ne sont pas dépositaires de l’autorité publique (c’est-à-dire les travailleurs qui fournissent des services dans les administrations de la justice en accomplissant des tâches administratives, de gestion, et autres services et qui de façon générale s’occupent de toutes les activités touchant au fonctionnement des tribunaux) ne jouissent pas du droit de négociation collective.
  2. 227. Le comité note que le gouvernement transmet la réponse formulée en l’espèce par la Cour suprême de justice de la nation (CSJN) dans laquelle celle-ci indique que la loi-cadre régissant la fonction publique nationale (loi no 25164) exclut de son champ d’application le personnel du pouvoir judiciaire et précise qu’il est régi par le régime spécial propre au pouvoir judiciaire; la Cour en déduit donc que le personnel du pouvoir judiciaire de la nation n’entre pas dans le champ d’application de la convention no 154. De même, le comité prend note des indications ci-après figurant dans la réponse de la CSJN: 1) il est manifestement infondé de prétendre que le pouvoir judiciaire de la nation fait partie intégrante de la fonction publique nationale, dès lors que celui-ci est justement investi du pouvoir d’exercer un contrôle judiciaire sur les actes établis par les agents de la fonction publique, conformément au principe de la séparation des pouvoirs dans un Etat fédéral et républicain; 2) la loi-cadre régissant la fonction publique nationale (loi no 25164), qui englobe la négociation collective, exclut expressément de son champ d’application le personnel du pouvoir judiciaire de la nation et précise que celui-ci est régi par le régime spécial propre au pouvoir judiciaire; 3) les travailleurs du pouvoir judiciaire jouissent du même régime de droits et d’exonérations que les magistrats et les fonctionnaires (contrairement à ces derniers ils ne sont pas assujettis à toutes leurs incompatibilités de fonction mais, comme eux, leur rémunération est garantie par un régime autonome propre au pouvoir judiciaire de la nation); 4) les organisations plaignantes ne sont pas les organisations les plus représentatives des travailleurs du système judiciaire, au moins pour ce qui est du pouvoir judiciaire de la nation; et 5) les consultations pertinentes ont été réalisées dans les instances judiciaires du pays qui sont hors du champ de la convention collective.
  3. 228. Le comité rappelle que, durant les travaux préparatoires en vue de l’élaboration de la convention no 151, il a été établi que les magistrats du pouvoir judiciaire n’entraient pas dans le champ d’application de ladite convention; celle-ci n’exclut pas pour autant les travailleurs auxiliaires des magistrats. De même, l’article 1 de la convention no 154, ratifiée par l’Argentine, dispose que seules les forces armées et la police peuvent être exclues du champ d’application de cet instrument. Le comité rappelle également que, en vertu dudit article, la convention no 154 s’applique à toutes les branches d’activité économique et que, s’agissant de la fonction publique, des modalités particulières d’application de la convention peuvent être fixées par la législation ou la pratique nationales. Dans ces conditions, tout en prenant note du fait que les travailleurs du pouvoir judiciaire en Argentine ne relèvent pas de la loi-cadre régissant la fonction publique nationale et qu’il se peut qu’en raison des spécificités du secteur judiciaire la négociation collective doive faire l’objet de modalités d’application particulières (notamment en ce qui concerne les salaires, étant donné que le budget de l’Etat doit être approuvé par le parlement), le comité considère que les travailleurs auxiliaires du pouvoir judiciaire doivent jouir du droit de négociation collective. Le comité prie le gouvernement, conformément à l’article 5 de la convention no 154, de prendre des mesures adaptées aux circonstances nationales, y compris par la voie législative si nécessaire, pour promouvoir la négociation collective entre les autorités du pouvoir judiciaire et les organisations syndicales concernées.
  4. 229. En ce qui concerne la mention faite par la CSJN, qui indique que les organisations plaignantes ne sont pas les plus représentatives et que la CTA est une confédération dotée d’un simple enregistrement syndical et qu’elle ne peut pas, de ce fait, défendre des intérêts collectifs n’étant pas investie à cette fin des droits exclusifs accordés par la loi no 23551 aux associations syndicales dotées du statut syndical spécial, le comité rappelle qu’il a considéré que tant les systèmes de négociation collective accordant des droits exclusifs au syndicat le plus représentatif que les systèmes permettant à plusieurs syndicats d’une entreprise de conclure des conventions collectives différentes sont compatibles avec les principes de la liberté syndicale. [Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, cinquième édition, 2006, paragr. 950.] Le comité rappelle en outre que, dans le cadre du cas no 2477, il a prié «instamment le gouvernement de se prononcer sans délai sur la demande de statut syndical [statut qui est lié à la question de représentativité] de la CTA» – qui a été soumise il y a presque trois ans. [Voir 346e rapport, juin 2007, paragr. 246.]
  5. 230. Enfin, en ce qui concerne l’observation de la CSJN selon laquelle le signataire de la plainte ne pouvait pas se prévaloir d’une représentativité syndicale incontestable lui permettant d’agir devant un organisme international dans le cadre d’une plainte sur la violation d’instruments internationaux, le comité fait observer qu’en effet une plainte portant sur le processus électoral de la CTA est en cours d’examen. Le comité souligne que, dans tous les cas, la présente plainte a été présentée conjointement par la CTA et la Fédération judiciaire argentine.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 231. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver la recommandation suivante:
    • Le comité prie le gouvernement, conformément à l’article 5 de la convention no 154, de prendre les mesures adaptées aux conditions nationales, y compris par la voie législative si nécessaire, pour promouvoir la négociation collective entre les autorités du pouvoir judiciaire et les organisations syndicales concernées.
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