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Rapport où le comité demande à être informé de l’évolution de la situation - Rapport No. 367, Mars 2013

Cas no 2938 (Bénin) - Date de la plainte: 10-AVR. -12 - Clos

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Allégations: Les organisations plaignantes dénoncent les violations du droit de grève dans le secteur de l’Education de la part du gouvernement, notamment des actes d’intimidation et de violence, ainsi que l’arrestation d’enseignants grévistes

  1. 213. La plainte figure dans une communication en date du 10 avril 2012 signée par les organisations syndicales suivantes: la Confédération syndicale des travailleurs du Bénin (CSTB), la Confédération des syndicats autonomes du Bénin (CSA-Bénin), la Confédération générale des travailleurs du Bénin (CGTB), la Confédération des organisations syndicales indépendantes du Bénin (COSI-Bénin) et la Centrale des syndicats du Privé et de l’Informel du Bénin (CSPIB). Le gouvernement a envoyé ses observations dans une communication en date du 11 juillet 2012.
  2. 214. Le Bénin a ratifié la convention (nº 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, la convention (nº 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949, ainsi que la convention (nº 135) concernant les représentants des travailleurs, 1971.

A. Allégations des organisations plaignantes

A. Allégations des organisations plaignantes
  1. 215. Dans une communication en date du 10 avril 2012, la Confédération syndicale des travailleurs du Bénin (CSTB), la Confédération des syndicats autonomes du Bénin (CSA Bénin), la Confédération générale des travailleurs du Bénin (CGTB), la Confédération des organisations syndicales indépendantes du Bénin (COSI-Bénin) et la Centrale des syndicats du Privé et de l’Informel du Bénin (CSPIB) dénoncent la violation permanente des droits syndicaux au Bénin, et notamment du droit de grève.
  2. 216. Les organisations plaignantes indiquent que le secteur de l’éducation est touché – à tous les niveaux (maternelle, primaire, secondaire) – par une grève des enseignants depuis janvier 2012. Ces derniers exigent des autorités de bénéficier de l’augmentation des indices conclue entre le gouvernement et les organisations syndicales en juillet 2011 pour la fonction publique. Selon les organisations plaignantes, l’exclusion des enseignants du bénéfice de cet accord, mais aussi la manière dont les autorités ont géré le conflit, ont conduit à un durcissement de la grève.
  3. 217. Les organisations plaignantes dénoncent ainsi une campagne de dénigrement, des intimidations, ainsi que l’emploi par les autorités de la violence physique et morale à l’encontre des enseignants grévistes. Les organisations plaignantes dénoncent également un texte pris en Conseil de ministres en date du 14 mars 2012 qui prévoit la radiation systématique de la fonction publique béninoise de tous les enseignants qui poursuivraient les débrayages, la suspension de fonction puis la radiation systématique des responsables exerçant des fonctions d’autorité qui se rendent «coupables de faute lourde en allant en grève», la radiation des enseignants «coupables d’abandon de service», ou encore l’ouverture de centres d’enregistrement pour les postulants à la fonction d’enseignant dans les casernes et brigades territoriales de gendarmerie. Le Conseil des ministres aurait également décidé d’interdire toute manifestation ou toute grève en se fondant sur une décision de la Cour constitutionnelle. Enfin, les organisations plaignantes ajoutent que le gouvernement aurait opéré des défalcations sauvages et décidé de la confiscation du salaire du mois de mars 2012 des enseignants.
  4. 218. En outre, les organisations plaignantes dénoncent des cas précis d’arrestation et d’emploi de la violence à l’encontre d’enseignants grévistes. Elles font notamment référence au cas de M. Ganiou Yessoufou et de son épouse, tous deux professeurs dans un collège de Cotonou, qui ont été arrêtés le 20 mars 2012 au motif de violation de l’interdiction de rassemblement sur les lieux de travail. Ces derniers n’auraient été relaxés que grâce à la pression des syndicats et des élèves. Les organisations plaignantes dénoncent également le fait que 14 enseignants grévistes ont été molestés et arrêtés par la police à Cotonou le 21 mars 2012 sur injonction de la directrice de leur collège, et que deux responsables syndicaux, nommément MM. Jules Amoussouga et Cécil Ayadokoun, ont été arrêtés pour avoir communiqué avec des collègues sur la poursuite de la grève. Ils n’auraient été libérés que sur pression des enseignants.
  5. 219. Les organisations plaignantes considèrent que la situation qui prévaut est inacceptable et incompatible avec l’exercice des droits fondamentaux des travailleurs. Le déni du droit de grève des enseignants constitue une violation manifeste de la convention no 87 ratifiée par le Bénin et de la Constitution nationale qui garantit l’exercice du droit de grève.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 220. Dans une communication en date du 11 juillet 2012, le gouvernement décrit de manière liminaire le contexte dans lequel le conflit dans le secteur de l’éducation a débuté. Suite à un mouvement de grève de près de huit mois des agents du ministère de l’Economie et des Finances qui a fortement perturbé le fonctionnement des régies et paralysé le fonctionnement des institutions, le gouvernement a engagé des négociations avec les centrales syndicales qui ont abouti à un décret prévoyant la revalorisation des traitements indiciaires de 1,25 pour cent au profit des agents du ministère uniquement (décret nº 2011 335 du 20 avril 2011). Cependant, suite à un recours, la Cour constitutionnelle, par la décision nº 11-042 du 21 juin 2011, a déclaré le décret contraire à la Constitution du fait que les mesures prévues créent un régime préférentiel pour les agents d’un secteur de la fonction publique et violent ainsi la convention (no 100) sur l’égalité de rémunération, 1951, et la convention (nº 111) concernant la discrimination (emploi et profession), 1958. Suite à la décision de la Cour constitutionnelle, le gouvernement a pris un autre décret portant institution d’un coefficient de revalorisation des indices de traitement des agents de l’Etat (nº 2011-505 du 5 août 2011). Ce décret prévoit la revalorisation pour les agents du ministère de l’Economie et des Finances à compter de janvier 2011 et son extension progressive sur une période de quatre années aux agents permanents et contractuels des autres ministères et institutions de l’Etat sur la base des indices acquis au 31 décembre 2011. L’extension progressive s’explique par le fait que l’Etat ne dispose pas des ressources suffisantes pour couvrir toutes les charges de façon immédiate. Cependant, selon le gouvernement, les enseignants de la maternelle, du primaire et du secondaire général, technique et professionnel, bénéficient depuis 2010 d’un coefficient de revalorisation de leur traitement en vertu du décret nº 2010-101 du 26 mars 2010. Ainsi, pour le gouvernement, on ne peut donc pas parler de traitement discriminatoire à l’encontre des enseignants, et leur mouvement de grève est surprenant et injustifié compte tenu du fait que ces derniers ont été les premiers à bénéficier de mesures de revalorisation des traitements.
  2. 221. En outre, s’agissant des allégations relatives aux mesures d’intimidation, aux brutalités physiques et psychologiques à l’encontre des enseignants grévistes, le gouvernement réfute l’ensemble des allégations et indique que l’intervention des forces publiques s’est limitée au strict maintien de l’ordre public et à la sécurité des enseignants non grévistes. Aussi, le gouvernement déclare qu’aucun enseignant gréviste n’a fait l’objet d’arrestation, de brutalités physiques ou de torture. En ce qui concerne les allégations de menaces de radiation, le gouvernement indique qu’aucun enseignant n’a été, à ce jour, radié pour fait de grève.
  3. 222. S’agissant des allégations relatives aux défalcations sauvages et à la confiscation de salaires, le gouvernement rappelle que, en vertu de la loi nº 2001-09 du 21 juin 2002 portant exercice du droit de grève, toute participation à une grève entraîne une réduction proportionnelle du traitement ou du salaire et des accessoires, à l’exception des allocations familiales. Selon le gouvernement, cette disposition n’est pas contraire aux principes de l’Organisation internationale du Travail sur l’exercice du droit de grève.
  4. 223. Enfin, le gouvernement déclare que l’usage abusif de la grève ne peut favoriser le développement d’un pays et que les syndicats devraient exercer le droit de grève qui leur est reconnu sans pour autant porter atteinte à l’intérêt général.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 224. Le comité observe que, dans le présent cas, les allégations portent sur les violations du droit de grève des enseignants, et notamment des actes d’intimidation et de violence à l’encontre d’enseignants grévistes de la part des autorités.
  2. 225. Le comité note les allégations des organisations plaignantes selon lesquelles les enseignants de la maternelle, du primaire et du secondaire ont entamé un mouvement de grève en janvier 2012 pour exiger des autorités le bénéfice de l’augmentation des indices conclue entre le gouvernement et les organisations syndicales en juillet 2011 pour la fonction publique. Selon les organisations plaignantes, l’exclusion des enseignants du bénéfice de cet accord, mais aussi la manière dont les autorités ont géré le conflit, ont conduit à un durcissement de la grève. Le comité prend également note des explications fournies par le gouvernement sur le contexte dans lequel la grève des enseignants a été enclenchée. Il note en particulier que les revendications portent sur le bénéfice de la revalorisation des traitements prévue dans le décret nº 2011-505 du 5 août 2011 portant institution d’un coefficient de revalorisation des indices de traitement des agents de l’Etat. Le comité note que ce décret, pris à la suite de l’invalidation par la Cour constitutionnelle d’un précédent décret qui concernait uniquement les agents du ministère de l’Economie et des Finances, prévoit la revalorisation des traitements de ces derniers selon un indice préétabli à compter de janvier 2011 et l’extension progressive de la revalorisation sur une période de quatre ans aux agents permanents et contractuels des autres ministères et institutions de l’Etat. Le gouvernement explique que cette extension progressive s’explique par le fait que l’Etat ne dispose pas des ressources suffisantes pour couvrir toutes les charges de façon immédiate.
  3. 226. Le comité note que les organisations plaignantes dénoncent la manière dont les autorités ont géré la grève, en particulier via une campagne de dénigrement alléguée, des mesures d’intimidation ainsi que l’usage de la violence à l’encontre des grévistes. Le comité observe que les organisations plaignantes font référence à des situations spécifiques, notamment celle de M. Ganiou Yessoufou et de son épouse, tous deux professeurs dans un collège de Cotonou, qui auraient été arrêtés le 20 mars 2012 au motif de violation de l’interdiction de rassemblement sur les lieux de travail, celle des dirigeants syndicaux MM. Jules Amoussouga et Cécil Ayadokoun qui auraient été arrêtés pour avoir communiqué avec des collègues sur la poursuite de la grève, ou encore celle de 14 enseignants grévistes qui auraient été molestés et arrêtés par la police à Cotonou le 21 mars 2012 sur injonction de la direction d’un collège. Le comité note l’indication des organisations plaignantes selon laquelle les différentes personnes ont été relaxées sur pression des syndicats et de la population. Le comité note que, de son côté, le gouvernement réfute l’ensemble des allégations de violence et d’intimidation et indique que l’intervention des forces publiques s’est à chaque fois limitée au strict maintien de l’ordre public et à la sécurité des enseignants non grévistes. Selon le gouvernement, aucun enseignant gréviste n’a fait l’objet d’arrestation, de brutalités physiques ou de torture.
  4. 227. De manière liminaire, s’agissant du droit de grève, le comité rappelle qu’il a toujours reconnu ce droit aux travailleurs et à leurs organisations comme moyen légitime de défense de leurs intérêts économiques et sociaux. Et si, dans les cas de mouvements de grève, les travailleurs et leurs organisations ont l’obligation de respecter les lois du pays, de leur côté les autorités ne devraient avoir recours à la force publique que dans des situations présentant un caractère de gravité et où l’ordre public serait sérieusement menacé. Par ailleurs, le comité a toujours émis l’opinion que nul ne devrait faire l’objet de sanctions pour avoir déclenché ou tenté de déclencher une grève légitime. Aussi le respect des principes de la liberté syndicale exige que l’on ne puisse ni licencier des travailleurs, ni refuser de les réengager, en raison de leur participation à une grève ou à toute autre action de revendication. Enfin, le comité rappelle que les autorités ne devraient pas recourir aux mesures d’arrestation et d’emprisonnement en cas d’organisation ou de participation à une grève pacifique. [Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, cinquième édition, 2006, paragr. 521, 644, 645, 660 et 671.]
  5. 228. En l’espèce, le comité constate les versions divergentes présentées par les organisations plaignantes et le gouvernement sur la manière dont les autorités ont géré le mouvement de grève des enseignants. Cependant, compte tenu des faits précis rapportés par les organisations plaignantes concernant des grévistes victimes de brutalités et d’arrestation, le comité prie le gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour enquêter sur les allégations et, dans la mesure où elles seraient avérées, de prendre toutes les dispositions adéquates et de donner les instructions appropriées pour s’assurer qu’à l’avenir le droit de grève puisse être exercé selon les principes rappelés ci-dessus.
  6. 229. Le comité note en outre les allégations des organisations plaignantes relatives à un texte pris en Conseil de ministres le 14 mars 2012 afin de radier systématiquement de la fonction publique béninoise tous les enseignants qui poursuivraient les débrayages, de suspendre de leurs fonctions puis de radier systématiquement les responsables exerçant des fonctions d’autorité qui se rendent «coupables de faute lourde en allant en grève», de radier les enseignants «coupables d’abandon de service», ou encore d’ouvrir des centres d’enregistrement pour les postulants à la fonction d’enseignant dans les casernes et brigades territoriales de gendarmerie. Le Conseil des ministres aurait également décidé d’interdire toute manifestation ou toute grève en se fondant sur une décision de la Cour constitutionnelle. Rappelant que nul ne devrait faire l’objet de sanctions pour avoir déclenché ou tenté de déclencher une grève légitime, le comité exprime sa préoccupation devant la teneur d’un tel texte. Notant que le gouvernement n’a fourni aucune réponse sur ces allégations, mise à part sa déclaration selon laquelle aucun enseignant n’a été, à ce jour, radié pour fait de grève, le comité le prie de fournir ses observations en communiquant, le cas échéant, copie du texte en question.
  7. 230. Le comité note que, selon les organisations plaignantes, le gouvernement aurait opéré des défalcations sauvages et décidé de la confiscation du salaire du mois de mars 2012 des enseignants. Il note la réponse du gouvernement selon laquelle, en vertu de la loi nº 2001 09 du 21 juin 2002 portant exercice du droit de grève, toute participation à une grève entraîne une réduction proportionnelle du traitement ou du salaire et des accessoires, à l’exception des allocations familiales. Selon le gouvernement, cette disposition ne serait pas contraire aux principes de l’OIT concernant l’exercice du droit de grève. Le comité rappelle à cet égard que les déductions de salaire pour les jours de grève ne soulèvent pas d’objections du point de vue des principes de la liberté syndicale. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 654.]

Recommandations du comité

Recommandations du comité
  1. 231. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité demande au Conseil d’administration d’approuver les recommandations suivantes:
    • a) Le comité prie le gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour enquêter sur les faits précis rapportés par les organisations plaignantes concernant des grévistes victimes de brutalités et d’arrestation et, dans la mesure où ces allégations seraient avérées, de prendre toutes les dispositions adéquates et de donner les instructions appropriées pour s’assurer qu’à l’avenir le droit de grève puisse être exercé selon les principes rappelés.
    • b) Le comité prie le gouvernement de fournir ses observations concernant les allégations relatives à l’adoption d’un texte en Conseil des ministres le 14 mars 2012 prévoyant des sanctions à l’encontre des enseignants grévistes, et de communiquer, le cas échéant, copie du texte en question.
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