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Rapport définitif - Rapport No. 374, Mars 2015

Cas no 3044 (Croatie) - Date de la plainte: 17-SEPT.-13 - Clos

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Allégations: L’organisation plaignante allègue l’adoption d’une loi portant suspension de droits, qui permet au gouvernement de déroger de manière unilatérale aux conventions collectives de la fonction publique en vigueur

  1. 306. La plainte figure dans une communication de l’Association des syndicats croates (MATICA) en date du 17 septembre 2013.
  2. 307. Le gouvernement a transmis ses observations dans une communication en date du 22 septembre 2014.
  3. 308. La Croatie a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégations de l’organisation plaignante

A. Allégations de l’organisation plaignante
  1. 309. Dans sa communication en date du 17 septembre 2013, l’organisation plaignante – organisation syndicale représentative qui regroupe une dizaine de syndicats de la fonction publique et du service public – allègue que la loi portant suspension de certains droits de base des salariés de la fonction publique (OG no 143/12, ci-après dénommée «la loi») viole le droit à la liberté d’association garanti par les conventions nos 87 et 98.
  2. 310. L’organisation plaignante indique qu’en matière d’emploi le statut des salariés de la fonction publique, si l’on excepte la Constitution croate et les sources internationales du droit du travail, qui comprennent les conventions ratifiées de l’OIT, la loi sur le travail et la loi sur les salaires dans la fonction publique, est essentiellement déterminé par la convention collective de base des fonctionnaires et salariés de la fonction publique ainsi que par un ensemble de conventions collectives sectorielles, qui constituent une source autonome de droit dans ce domaine. En Croatie, la négociation collective est une pratique largement répandue dans le secteur de la fonction publique puisque l’effectif des fonctionnaires est tel qu’il permet d’utiliser efficacement cet instrument afin d’assurer un équilibre des intérêts au niveau de l’organisation du travail. En Croatie, la convention collective de base des fonctionnaires et salariés de la fonction publique (ci-après la «BCA 2010») est entrée en vigueur le 4 octobre 2010; conclue par huit syndicats représentatifs des services publics et par le gouvernement de la Croatie, elle devait rester en vigueur jusqu’au 4 octobre 2013. D’autres conventions collectives (ci-après les «conventions collectives sectorielles») ont été établies par la suite pour certains secteurs des services publics: par exemple, la convention collective pour la science et l’enseignement supérieur du 22 octobre 2010 (OG no 142/2010) applicable jusqu’au 23 octobre 2014; la convention collective des salariés de l’enseignement secondaire du 21 décembre 2010 (OG no 7/2011) valide jusqu’au 31 décembre 2014; la convention collective des salariés de l’enseignement primaire du 29 avril 2011 (OG no 66/2011), dont la date d’expiration a été fixée au 30 avril 2015; la convention collective pour les soins de santé et l’assurance-maladie du 27 octobre 2011 (OG no 126/2011) applicable jusqu’au 28 octobre 2015; etc.
  3. 311. L’organisation plaignante indique que le Parlement, détenteur du pouvoir législatif en Croatie, a adopté le 19 décembre 2012 la loi qui prive les salariés de la fonction publique de Croatie de certains droits fondamentaux qui avaient été obtenus dans le cadre de conventions collectives ou d’autres accords conclus par le gouvernement. L’organisation plaignante estime que cette loi constitue une atteinte directe au droit de négociation collective, droit garanti par les conventions fondamentales de l’OIT nos 87 et 98. Aux termes de l’article 140 de la Constitution de la République de Croatie, ces conventions, qui ont été ratifiées par la Croatie, font partie intégrante du système juridique national et priment sur la loi. Comme en témoigne le projet de la loi de décembre 2012 (document joint à la plainte), le ministère du Travail et du Régime des pensions, qui est à l’origine de cette loi controversée, a justifié son initiative par les arguments suivants: a) le renversement des tendances macroéconomiques; et b) la nécessité d’introduire de nouvelles mesures d’austérité budgétaire pour réduire la dette publique en diminuant les coûts de la main-d’œuvre dans la fonction publique.
  4. 312. Selon l’organisation plaignante, les arguments invoqués par le gouvernement pour suspendre des droits garantis par voie de conventions collectives sont, pour l’essentiel, dénués de fondement et injustes. Le renversement des tendances macroéconomiques (argument a)) était survenu deux ans avant l’établissement, par voie contractuelle, des droits aujourd’hui supprimés par la loi concernée. Ces droits ont été consacrés en octobre 2010 et le «renversement de tendance» (la récession, en termes économiques) a commencé à partir de la fin de l’année 2008; il convient également de tenir compte du fait que, après deux ans de baisse du produit intérieur brut (PIB), la situation s’est stabilisée en 2011. L’organisation plaignante estime qu’aucun changement significatif n’est intervenu depuis la signature de ces conventions et pendant la durée de validité de ces dernières; c’est donc dans un contexte économique quasiment identique que le gouvernement a conclu ces conventions et qu’il les a ensuite dénoncées au moyen de la loi précitée. Celle-ci a été promulguée en décembre 2012, soit à un moment où le gouvernement détenait des données statistiques qui ne révélaient aucun changement majeur. Qui plus est, les documents officiels du gouvernement reposaient sur ses propres estimations pour 2012, lesquelles prévoyaient une croissance du PIB.
  5. 313. En ce qui concerne l’argument b), l’organisation plaignante estime que le lien de causalité établi par le ministère entre le «renversement des tendances macroéconomiques» et la nécessité de réduire les coûts du travail précisément dans le secteur public n’est ni fondé ni justifié. Les observateurs de la vie économique sont de plus en plus nombreux à affirmer que la causalité en question n’existe qu’à titre d’indicateur négatif, ce qui signifie que les mesures d’austérité budgétaire, loin de résoudre la crise, l’aggravent au contraire, comme l’atteste clairement l’échec des mesures d’austérité rigoureuses mises en œuvre en Europe au cours des cinq dernières années. L’organisation plaignante estime que les mesures d’austérité réduisent la demande globale et, par voie de conséquence, freinent la production, ce qui entraîne des pertes d’emplois ainsi que la dégradation de l’ensemble des «indicateurs macroéconomiques»; ce fait est confirmé par les travaux des grands théoriciens actuels de l’économie, ce qui explique que des institutions comme le FMI et la Commission européenne, qui jusque-là prônaient aveuglément ces mesures, aient commencé dans le courant de l’année à modifier leur point de vue et à adopter une position plus nuancée.
  6. 314. L’organisation plaignante indique que, suite aux élections parlementaires de 2012, le gouvernement nouvellement élu, d’orientation libérale, a commencé à mettre en œuvre une stratégie économique dont l’objectif primordial est de réaliser des économies. En février 2012, le Parlement croate a adopté le budget de l’Etat, un budget insuffisant pour permettre au gouvernement de s’acquitter des obligations découlant des conventions collectives de base et sectorielles applicables. Le budget a été adopté sans consultation préalable avec les syndicats, et le gouvernement a fait savoir qu’il n’avait pas l’intention de respecter les droits contractuels des salariés de la fonction publique. Jusqu’en juin 2012, le gouvernement a mis en œuvre sa politique économique en insistant constamment sur la nécessité de réduire les droits et les salaires des agents de la fonction publique et en négligeant totalement ses obligations en matière de dialogue social.
  7. 315. L’organisation plaignante ajoute que le gouvernement a engagé les négociations avec les syndicats de la fonction publique en juin 2012, soit à la fin de l’année scolaire, empêchant ainsi indirectement les syndicats d’utiliser l’outil le plus efficace dont ils disposent pour assurer la défense des droits de leurs membres, à savoir la grève des travailleurs. Les syndicats ont été confrontés à un ultimatum: il leur a en effet été proposé de choisir entre des réductions de salaire de leurs membres ou la suppression de certains compléments de salaire. Compte tenu de la situation économique, et soucieux d’aider le gouvernement à mettre en œuvre sa stratégie économique, tous les syndicats étaient prêts à consentir à un sacrifice, à condition que leurs droits leur soient restitués dès que possible. Quatre syndicats (le Syndicat des enseignants croates, le Syndicat indépendant des salariés de l’enseignement secondaire, le Syndicat indépendant de la recherche et des salariés de l’enseignement supérieur, le Syndicat des infirmières et des techniciens médicaux), qui rassemblent plus des deux tiers de l’effectif global de la fonction publique, n’étaient pas disposés à renoncer inconditionnellement à leurs droits sans soumettre la question au vote de leurs membres dans le cadre d’un référendum. Ils ont exigé que les services publics, lorsque la crise serait terminée et que les indicateurs économiques seraient favorables, soient indemnisés et se voient restituer leurs droits. L’organisation plaignante déclare que le gouvernement a rejeté leur proposition, insisté sur un renoncement inconditionnel et annoncé que la convention collective de base de la fonction publique serait dénoncée au début du mois d’août.
  8. 316. Selon l’organisation plaignante, pendant toute la période qui a précédé la suspension des droits, les négociations entre le gouvernement et les syndicats – négociations considérées comme un dialogue pondéré et un échange de points de vue ou comme l’ensemble des efforts déployés par les parties pour parvenir à un compromis – ont été quasiment inexistantes, le gouvernement se souciant uniquement de faire respecter son ultimatum sans chercher à engager un dialogue raisonnable. Finalement, à la fin du mois de juillet, les quatre syndicats ont refusé de signer une réduction inconditionnelle des droits de leurs membres, une procédure de médiation a été engagée avec les syndicats parties au conflit et un référendum a été organisé afin de déterminer si les membres des syndicats acceptaient une réduction irrévocable de leurs droits: 91,1 pour cent des 59 256 votants (soit 84 pour cent des travailleurs syndiqués) se sont prononcés contre les propositions du gouvernement et ont apporté leur soutien sans réserve aux syndicats. L’organisation plaignante dénonce le fait que cinq jours après le référendum en question, en octobre 2012, le gouvernement a dénoncé illégalement la convention collective de base des fonctionnaires et salariés de la fonction publique du 4 octobre 2010.
  9. 317. L’organisation plaignante indique par ailleurs que, le 12 décembre 2012, le gouvernement a signé une nouvelle convention collective de base pour les fonctionnaires et salariés de la fonction publique avec des syndicats minoritaires des services publics (OG no 141/2012). Cette nouvelle convention collective (ci-après la «BCA 2012») comporte une nouvelle annexe I, aux termes de laquelle les parties acceptent mutuellement et temporairement – soit pendant l’année 2013 – la limitation de droits de base des salariés du secteur public qui avaient été consacrés par la BCA 2010. L’organisation plaignante dénonce à ce stade l’illogisme de la législation croate, illogisme qui tient au fait que le gouvernement peut conclure une convention collective s’appliquant à tous les salariés de la fonction publique avec un syndicat minoritaire qui ne représente même pas un tiers de l’effectif syndiqué des services publics. Cependant, même si le gouvernement est parvenu à dénoncer illégalement la BCA 2010 et à en établir une nouvelle avec un syndicat minoritaire de la fonction publique, il n’en demeure pas moins que les conventions collectives de branche de certains services publics restent encore en vigueur et donnent aux droits et avantages sociaux des salariés auxquels elles s’appliquent une définition très proche, voire quasi identique, à celle de la BCA 2010 qui a été dénoncée. L’organisation plaignante estime que, en vertu du «principe de la règle la plus favorable» qui doit s’exercer au bénéfice des travailleurs, les salariés du secteur public, indépendamment du fait que la BCA 2010 a été dénoncée, continuent de pouvoir prétendre au versement des prestations qui leur sont dues au titre des droits contractuels établis précédemment dans l’annexe I de la BCA 2010 (soit les primes annuelles de fin d’année et de vacances pour les années 2012 et 2013). Selon l’organisation plaignante, le gouvernement a privé les fonctionnaires de leurs droits le 20 décembre 2012 en adoptant la loi sans aucune négociation et sans préavis, se soustrayant ainsi aux obligations définies dans ces conventions, mettant en cause la nature et la finalité de la négociation collective et enfreignant les sources internationales du droit du travail qu’il est tenu de respecter.
  10. 318. Renvoyant à l’article 8, paragraphe 2, de la convention no 87 et à l’article 4 de la convention no 98, l’organisation plaignante estime que la loi est en totale contradiction avec les conventions nos 87 et 98, avec les valeurs universelles du droit international consacrées par ces textes ainsi qu’avec les principes et les valeurs constitutifs de l’ordre juridique croate. Selon elle, la loi vide le droit d’organisation et de négociation collective de tout contenu, dans la mesure où l’on peut en déduire que le gouvernement, s’il participe effectivement aux négociations en vue de l’établissement de conventions collectives, ne considère pas pour autant ces négociations et la signature des conventions collectives comme juridiquement contraignantes à son égard, les résultats des négociations pouvant être annulés de manière arbitraire et les salariés pouvant se voir privés de leurs droits sans que les conditions et les procédures prescrites aient été respectées. Dans de telles circonstances, toute action syndicale devient inutile et le droit d’organisation et de négociation collective n’est plus qu’une formule vide. L’organisation plaignante estime que les éléments susmentionnés sont confirmés par la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations (CEACR) dans son observation de 2010 sur l’application par la Croatie de la convention no 98, qui pose comme principe que, d’une manière générale, la loi ne peut pas déroger à une convention collective et que l’ingérence unilatérale de l’Etat dans des domaines régis par la convention collective constitue une violation de la convention.
  11. 319. L’organisation plaignante estime de ce fait que, pour que la loi puisse déroger aux conventions collectives, il faudrait que les conditions suivantes soient remplies: i) le gouvernement, en tant que partie à la convention collective, a préalablement organisé des consultations à propos d’une éventuelle modification de la convention collective; et ii) la suspension des droits est aussi limitée que possible, n’est mise en œuvre que pendant une période bien déterminée, s’applique à tous et se fonde sur un motif raisonnable, à savoir un bouleversement majeur de l’économie. L’organisation plaignante estime que plusieurs de ces conditions importantes n’avaient pas été remplies lorsque le gouvernement a promulgué la loi portant suspension des droits des salariés de la fonction publique établis par voie de convention collective.
  12. 320. En ce qui concerne les négociations qui auraient dû être engagées avant la suspension des droits garantis par les conventions collectives, l’organisation plaignante note que, alors que le gouvernement a négocié et conclu en 2012 une nouvelle convention collective de base pour les fonctionnaires et salariés de la fonction publique, convention dont l’annexe I prévoit la suspension temporaire des primes de vacances et de fin d’année en 2013 dans la fonction publique, le versement de ces mêmes primes avait également été prévu dans les conventions collectives sectorielles régissant certains services publics; or le gouvernement n’a même pas tenté d’engager des négociations en vue de modifier ou d’abroger ces conventions. L’organisation plaignante rappelle que le refus de certains syndicats de signer la nouvelle convention collective de base pour les fonctionnaires et salariés de la fonction publique n’exempte nullement le gouvernement de l’obligation qui est la sienne de négocier avec chacun des syndicats concernés à propos des droits garantis par les conventions collectives de branche; en effet, le gouvernement ne peut, et ne doit pas, disqualifier les négociations antérieures des conventions collectives sectorielles au simple motif que certains syndicats ont refusé d’adhérer à la nouvelle convention collective de base. S’agissant des syndicats qui ont accepté le non-versement temporaire des primes de fin d’année et de vacances en signant la BCA 2012, l’organisation plaignante déplore en outre que: i) le gouvernement n’ait pas engagé de négociations sur la suppression des droits institués par les conventions collectives de branche conclues avec ces syndicats; et ii) les dispositions de la loi dérogent même aux conventions collectives de branche conclues avec ces syndicats, ce qui, dans leur cas, n’était nullement justifié.
  13. 321. L’organisation plaignante insiste sur le fait que le gouvernement aurait dû tenter de négocier des conventions collectives sectorielles avec les syndicats qui ont refusé de souscrire à la nouvelle convention collective de base car il ne pouvait pas, et n’aurait pas dû, partir du principe que le refus d’accepter la convention collective de base impliquait également le refus d’apporter des modifications aux conventions collectives sectorielles. Le contenu de ces dernières diffère sensiblement de celui de la convention de base, et il est toujours possible qu’une question qui n’a pu être réglée dans le cadre de la convention collective de base trouve une solution au niveau des conventions de branche, sachant que les négociations ne doivent pas nécessairement être axées sur la question des primes de fin d’année et de vacances et peuvent également porter sur d’autres droits garantis par ces conventions collectives sectorielles. L’organisation plaignante estime donc que le refus d’adhérer à la nouvelle convention collective de base ne permet nullement de déclarer que les négociations des conventions collectives sectorielles (qui auraient pu notamment porter sur la possibilité de dénoncer ces dernières) n’étaient pas nécessaires. L’organisation plaignante insiste également sur le fait que le gouvernement n’a pris aucune mesure pour dénoncer unilatéralement les conventions collectives sectorielles, alors même que cette dénonciation est une solution conforme aux règles régissant les conventions collectives et aurait pu être mise en œuvre selon la procédure prévue par ces dernières.
  14. 322. L’organisation plaignante déplore enfin que le gouvernement n’ait pas respecté cette condition. Elle estime qu’en adoptant cette loi le gouvernement a supprimé certains droits fondamentaux des salariés de la fonction publique mais que cette suppression n’a pas été appliquée de la même manière aux autres entreprises publiques (à savoir les entreprises et autres entités majoritairement détenues par l’Etat). Ces personnes juridiques, dont les dépenses et les pertes sont couvertes par le budget, relèvent donc de ce dernier au même titre que les entreprises de la fonction publique; elles peuvent aussi alimenter le budget, ce qui implique que la suppression des primes de fin d’année et des primes de vacances de leurs salariés entraînerait une augmentation des recettes budgétaires. Or, selon l’organisation plaignante, le gouvernement a opéré une réduction sélective qui vise exclusivement les droits des salariés de la fonction publique.
  15. 323. L’organisation plaignante considère, par conséquent, comme totalement injustifiable le fait que le gouvernement, en tant qu’employeur du secteur public, renforce sa position dans la négociation au moyen d’une législation qu’il a lui-même proposée, dont l’adoption a été assurée par la majorité parlementaire, imposant donc de facto sa volonté dans la négociation collective. L’organisation plaignante estime qu’une telle attitude est contraire aux conventions nos 87 et 98, qui protègent le droit d’organisation et de négociation collective contre toute ingérence abusive des autorités et interdisent que la loi déroge aux droits garantis par les conventions collectives.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 324. Dans sa communication en date du 22 septembre 2014, le gouvernement transmet ses commentaires sur l’observation formulée par la CEACR, en 2013, sur l’application de la convention no 98 ainsi que les informations qu’il a communiquées à la Commission de l’application des normes de la Conférence internationale du Travail lors de sa 103e session en mai-juin 2014 concernant notamment la dénonciation de la BCA dans la fonction publique en 2012 et la loi sur la suspension du versement de certaines prestations aux salariés de la fonction publique (à laquelle l’organisation plaignante fait référence sous les termes de loi portant suspension de certains droits de base des salariés de la fonction publique).
  2. 325. D’après le gouvernement, la crise économique et financière mondiale a tardé à avoir des répercussions sur l’économie croate et s’est traduite par une réduction considérable de l’activité économique, un déclin constant du PIB et une augmentation continue du taux de chômage, accompagnée, par voie de conséquence, d’une baisse du niveau de vie des citoyens. Fin 2011, la part de la dette publique dans le PIB atteignait 46,7 pour cent. Elle a ensuite à nouveau augmenté pour atteindre 55,5 pour cent du PIB en 2012. Compte tenu de la dégradation des tendances macroéconomiques lors du premier semestre 2012, une nouvelle réduction des dépenses gouvernementales s’est imposée afin de maintenir la consolidation fiscale et de respecter la règle budgétaire (dont la part dans le PIB a augmenté et a continué à s’accroître).
  3. 326. En conséquence, dans un contexte économique qui continuait à se dégrader, le gouvernement a proposé d’apporter des modifications à la BCA pendant les négociations relatives aux services publics avec les syndicats. Huit réunions ont eu lieu entre le 4 juin et le 16 juillet 2012. Les modifications proposées avaient pour but de réduire ou de suspendre provisoirement les droits suivants: le droit à une prime de fin d’année pour 2012; le droit à une prime de vacances pour 2013; le droit à des primes de jubilé pour 2013, sauf pour les employés ayant plus de trente-cinq ans d’ancienneté et bénéficiant d’un départ à la retraite l’année pendant laquelle ils avaient droit à cette prime; une réduction du montant des frais de voyage de 170 à 150 kunas croates (HRK); et une modification du système de remboursement des frais de transport vers et depuis le lieu de travail de façon à le rendre plus rationnel. Lors des négociations ayant porté sur ces modifications à la BCA, dont l’objectif était d’éviter une diminution des salaires, quatre des huit syndicats ayant signé la BCA ont confirmé qu’ils accepteraient les modifications proposées, tandis que les quatre autres s’y sont opposés et ont demandé au gouvernement de s’engager à verser les fonds pour les fonctionnaires à l’avenir. Le 17 juillet 2012, la BCA prévoyant la possibilité de soumettre un conflit à l’arbitrage (art. 9), le gouvernement, sur proposition des quatre syndicats ayant signé les modifications proposées pour la BCA, a suggéré aux quatre autres syndicats de recourir à une procédure d’arbitrage. Le 19 juillet 2012, il a désigné ses représentants au conseil d’arbitrage, tout en continuant à inviter les syndicats à parvenir à un accord. Les syndicats opposés aux modifications ont fait part, par écrit, de leur refus d’avoir recours à l’arbitrage pour mettre un terme à ce conflit au motif que celui-ci n’était pas obligatoire. La procédure de conciliation s’est donc conclue par un échec. Selon les dispositions prévues à son article 23, la convention collective de base peut être dénoncée par écrit par chacune des parties en cas de changement radical de la situation économique après que la partie dénonçant la convention a préalablement proposé à l’autre partie des modifications en respectant un délai de préavis de trois mois. Après avoir épuisé toutes les possibilités de parvenir à un accord, le gouvernement a décidé le 17 septembre 2012, sur la base de l’article 23 de la BCA, de dénoncer cette convention collective de base pour les salariés de la fonction publique en respectant un préavis de trois mois. Les procédures ayant conduit à la dénonciation de la BCA ont donc été menées en toute légalité.
  4. 327. Le gouvernement indique également que, au moment même où il exprimait son intention de dénoncer la BCA existante, il entamait des négociations en vue de conclure une nouvelle convention collective de base avec un texte similaire à celui de la précédente BCA. Les négociations allaient seulement porter sur la question du remboursement des frais de transport alors que les questions des primes de fin d’année, de vacances et de jubilé seraient traitées dans une annexe à la BCA. La nouvelle convention collective de base ainsi que son annexe I ont été signées le 12 décembre 2012 avant que la dénonciation de la précédente BCA ne soit entrée en vigueur. La négociation collective a eu lieu avec le comité de négociation des syndicats, établi conformément à la loi sur les critères de participation aux organes tripartites et sur la représentativité dans la négociation collective entrée en vigueur entre-temps (28 juillet 2012). Cette convention a été signée par six syndicats représentatifs sur onze.
  5. 328. S’agissant de la loi du 20 décembre 2012, le gouvernement indique que, malgré la conclusion d’une nouvelle BCA et de son annexe I (accord visant à réduire ou à suspendre provisoirement certains bénéfices matériels), conformément au principe contenu dans le Code du travail consistant à appliquer la loi la plus favorable, ces droits continuent à s’appliquer en vertu des conventions collectives de branche car ils sont garantis par des conventions collectives sectorielles ou de branche pour chacun des services publics (soins de santé, protection sociale, enseignement primaire et secondaire, science, enseignement supérieur et culture). Les fonctionnaires ont négocié leur convention collective avec le gouvernement le 2 août 2012. L’annexe I de cette convention prévoit notamment que les fonctionnaires ne bénéficieront pas de la prime de fin d’année pour 2012 et 2013, de la prime de vacances et de la prime de jubilé pour 2013, et que le montant des frais de voyage sera réduit de 170 HRK à 150 HRK (les mêmes conditions ont été proposées aux salariés de la fonction publique). Dans ce cas, les fonctionnaires sont victimes en pratique d’une discrimination, dans la mesure où les droits matériels de ces deux catégories de travailleurs sont garantis par le budget de l’Etat. Pour cette raison, le gouvernement a décidé d’harmoniser les droits figurant à l’annexe I de la BCA de sorte qu’ils soient égaux pour tous, fonctionnaires et salariés de la fonction publique. Pour ce faire, le gouvernement a adopté la loi du 20 décembre 2012, sur la base de laquelle le droit à la prime de fin d’année est suspendu pour 2012 et 2013, ainsi que la prime de vacances pour 2013. Cette décision a été prise car il était urgent de maintenir la stabilité budgétaire du système de la fonction publique dans un contexte de dégradation de la conjoncture économique et de parvenir à un équilibre dans les droits accordés à ces deux catégories de fonctionnaires. Afin d’harmoniser les conventions collectives de branche avec la BCA, le gouvernement a entamé des négociations en 2013 avec les syndicats représentatifs de chacun des services publics. En 2013, la convention collective pour le secteur des soins de santé a été conclue. Des conventions collectives dans les secteurs de la protection sociale, de la culture et de l’enseignement primaire et secondaire ont également été conclues en 2014. A ce jour, aucune convention collective n’a été conclue dans les secteurs de la science et de l’enseignement supérieur.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 329. Le comité note que, dans le présent cas, l’organisation plaignante allègue l’adoption d’une loi portant suspension de certains droits, qui permet au gouvernement de déroger unilatéralement aux conventions collectives de la fonction publique en vigueur. Le comité note en particulier les allégations suivantes de l’organisation plaignante, l’une des organisations syndicales représentatives, qui regroupe dix syndicats de la fonction publique et du service public: i) en matière d’emploi, le statut des salariés de la fonction publique est essentiellement déterminé en Croatie par la convention collective de base des fonctionnaires et salariés de la fonction publique (BCA) – entrée en vigueur le 4 octobre 2010, elle a été conclue par le gouvernement et huit organisations syndicales représentatives des services publics et dotée d’une durée de validité de trois ans – ainsi que par les conventions collectives sectorielles conclues ultérieurement dans le secteur de la fonction publique; ii) en février 2012, le budget de l’Etat a été adopté sans consultation préalable avec les syndicats; ce budget insuffisant ne permet pas au gouvernement de faire face aux obligations qui lui incombent au titre des conventions collectives de base et sectorielles applicables; par ailleurs, le gouvernement récemment élu a indiqué qu’il n’avait pas l’intention de respecter les droits contractuels des salariés de la fonction publique; iii) en juin 2012, le gouvernement a entamé des négociations avec les syndicats des services publics en vue de modifier la BCA 2010 sans manifester d’intérêt pour un dialogue constructif permettant de parvenir à un compromis; iv) suite à un référendum organisé par quatre syndicats regroupant plus des deux tiers de l’effectif total de la fonction publique et dans le cadre duquel 91,1 pour cent des votants se sont prononcés contre la réduction irrévocable de leurs droits, le gouvernement a annoncé au début du mois d’août 2012 l’annulation illégale de la BCA 2010; v) en ce qui concerne les conventions collectives sectorielles, qui prévoyaient également le versement de primes de fin d’année et de primes de vacances, le gouvernement n’a pris aucune initiative en vue d’engager des négociations visant à modifier ou à abroger ces conventions, qui sont de ce fait restées en vigueur après la dénonciation de la BCA 2010; vi) le 12 décembre 2012, le gouvernement a signé une nouvelle convention collective de base avec des syndicats des services publics minoritaires ne réunissant même pas un tiers des membres des syndicats de la fonction publique, convention qui comporte une nouvelle annexe I, aux termes de laquelle les parties sont convenues de limiter pour la période 2012-13 un certain nombre de droits fondamentaux de la fonction publique qui avaient été consacrés par la BCA 2010; vii) le 19 décembre 2012, la loi portant suspension de certains droits fondamentaux acquis par les salariés de la fonction publique dans le cadre de conventions collectives établies antérieurement a été adoptée, au motif, jugé hors de propos et injuste par l’organisation plaignante, qu’un renversement des tendances macroéconomiques imposait l’adoption de nouvelles mesures d’austérité, l’objectif visé étant de réduire la dette publique en diminuant les coûts de la main-d’œuvre dans le secteur public; viii) le gouvernement n’a infligé cette suppression de droits fondamentaux qu’aux seuls salariés de la fonction publique et a épargné les autres entreprises publiques appartenant à l’Etat, ce qui, selon l’organisation plaignante, est contraire au principe d’égalité; et ix) la loi porte directement atteinte au droit de négociation collective en Croatie et viole ainsi le droit à la liberté syndicale garanti par les conventions nos 87 et 98.
  2. 330. Le comité prend note de la réponse du gouvernement, en particulier des informations communiquées à la Commission de l’application des normes de la Conférence internationale du Travail à sa 103e session (mai-juin 2014).
  3. 331. En ce qui concerne l’allégation selon laquelle le gouvernement aurait dénoncé de manière unilatérale la BCA 2010, à la suite de l’échec des négociations avec les syndicats de la fonction publique en vue d’en modifier les dispositions, et n’aurait pas montré d’intérêt pour un dialogue constructif destiné à permettre la conclusion d’un accord, le comité note que la procédure visant à dénoncer la BCA aurait été menée, selon le gouvernement, en toute légalité. Le gouvernement se réfère notamment à l’article 23 de la BCA et explique que, après avoir épuisé toutes les possibilités de parvenir à un accord, il a décidé le 17 septembre 2012, sur la base de l’article 23 de la BCA, de dénoncer la convention collective de base pour les salariés de la fonction publique en respectant un préavis de trois mois.
  4. 332. Le comité prend note de l’article 23 de la BCA 2010, dont copie lui a été adressée par l’organisation plaignante, qui est ainsi libellé:

      Dénonciation de la convention

      Article 23

    • 1. Cette convention peut être dénoncée par écrit sous réserve de respecter un délai de préavis de trois mois.
    • 2. Cette convention peut être dénoncée par chacune des parties en cas de changement radical de la situation économique.
    • 3. Préalablement à la dénonciation de la convention, la partie qui souhaite la dénoncer devra proposer à l’autre partie des modifications portant sur le contenu de la convention.
  5. 333. Tout en rappelant le principe général selon lequel les accords doivent être obligatoires pour les parties et en soulignant que la négociation collective est un processus de concessions mutuelles, basé sur la certitude raisonnable que les engagements négociés seront tenus, au moins pendant la durée de validité de la convention, ladite convention résultant de compromis auxquels les deux parties ont abouti sur certains aspects ainsi que d’exigences qu’elles ont abandonnées pour obtenir d’autres droits auxquels les syndicats et leurs membres accordaient une priorité plus élevée; si les droits acquis en vertu de concessions accordées sur d’autres points peuvent être annulés unilatéralement, on ne peut raisonnablement pas s’attendre à ce que les relations professionnelles soient stables ni à ce que les accords négociés soient suffisamment fiables [voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, cinquième édition, 2006, paragr. 939 et 941], le comité croit comprendre que, dans le présent cas, la dénonciation unilatérale de la convention collective de base s’est déroulée conformément à la procédure prévue dans le cadre de cette convention.
  6. 334. En ce qui concerne l’allégation selon laquelle la BCA 2012, qui annule les primes, a été conclue par des syndicats de la fonction publique minoritaires ne réunissant même pas un tiers de l’effectif syndiqué de la fonction publique, le comité note que le gouvernement réfute cette allégation et indique que la négociation collective a eu lieu avec le comité de négociation des syndicats établi conformément à la loi sur les critères de participation aux organes tripartites et sur la représentativité dans la négociation collective de 2012 et que la convention collective a été signée par six syndicats représentatifs sur onze.
  7. 335. Le comité croit comprendre que la loi sur la représentativité de 2012 n’est plus en vigueur et qu’une nouvelle législation en la matière a été adoptée, qui a pris effet le 7 août 2014. Le comité prie le gouvernement de faire tenir copie de cette nouvelle législation à la CEACR et attire l’attention de cette dernière sur les aspects législatifs de ce cas.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 336. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver la recommandation suivante:
    • Le comité prie le gouvernement de transmettre copie de la nouvelle législation sur la représentativité à la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations et attire l’attention de cette dernière sur les aspects législatifs de ce cas.
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