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Rapport où le comité demande à être informé de l’évolution de la situation - Rapport No. 374, Mars 2015

Cas no 3058 (Djibouti) - Date de la plainte: 13-FÉVR.-14 - Cas de suivi fermés en raison de l'absence d'informations de la part du plaignant ou du gouvernement au cours des 18 mois écoulés depuis l'examen de ce cas par le Comité.

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Allégations: Les organisations plaignantes dénoncent le harcèlement et la répression à l’encontre de leurs membres, notamment des sanctions arbitraires visant au moins 83 enseignants, dont le secrétaire général du SYNESED, depuis octobre 2013 ainsi que l’expulsion du territoire d’un dirigeant de l’IE en novembre 2012

  1. 337. La plainte figure dans des communications en date des 13 février et 14 avril 2014 présentées par l’Internationale de l’éducation (IE), le Syndicat des professeurs des collèges et lycées de Djibouti (SYNESED) et le Syndicat des enseignants du premier degré (SEP).
  2. 338. Le gouvernement a fourni ses observations dans des communications en date des 18 mars et 8 mai 2014.
  3. 339. Djibouti a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (no 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégations des organisations plaignantes

A. Allégations des organisations plaignantes
  1. 340. Dans une communication en date du 13 février 2014, l’Internationale de l’éducation (IE), le Syndicat des professeurs des collèges et lycées de Djibouti (SYNESED) et le Syndicat des enseignants du premier degré (SEP) indiquent que le harcèlement et la répression d’enseignants et de syndicalistes cherchant à exercer leurs droits légitimes à la liberté d’expression et à la liberté syndicale sont courants à Djibouti. Les deux missions de contacts directs de l’OIT sur place en 1998 et 2008 n’ont pas permis d’améliorer le climat social.
  2. 341. Les organisations plaignantes indiquent que, depuis les élections législatives qui se sont déroulées le 22 février 2013, les enseignants considérés à tort ou à raison comme soutenant l’opposition politique font l’objet de persécution de la part des autorités. Ces derniers font ainsi l’objet de sanctions arbitraires (mutations, gel de salaires, licenciement) appliquées au mépris de toutes les règles et procédures administratives. Les autorités ont ainsi pris des mesures arbitraires à l’encontre d’au moins 83 enseignants et autres personnels de l’éducation (conseillers pédagogiques, inspecteurs et agents du ministère de l’Education), dont les salaires ont été suspendus depuis octobre 2013 (liste fournie en annexe de la plainte). Parmi ces derniers figurent le secrétaire général du SYNESED, M. Farah Abdillahi Miguil, et plusieurs membres fondateurs du collectif «Sauvons l’Education nationale».
  3. 342. Dans une communication en date du 15 avril 2014, les organisations plaignantes dénoncent, outre la suspension du versement des salaires frappant 83 enseignants, la proposition du ministère de l’Education de procéder à la radiation de 63 d’entre eux. Parmi les enseignants sur le point d’être radiés figurent le secrétaire général du SYNESED, M. Farah Abdillahi Miguil, ainsi que plusieurs membres fondateurs du collectif «Sauvons l’Education nationale», M. Abdillahi Adaweh Mireh, M. Youssouf Moussa Abdi, dit Youssouf Macho, et M. Omar Ismael Omar.
  4. 343. Par ailleurs, dans leur plainte, les organisations plaignantes font état du décès de M. Mahamoud Elmi Rayaleh, professeur de français au lycée public de Balbala et citoyen engagé, survenu dans la nuit du 28 au 29 août 2013 lors de sa détention à la prison centrale de Gabode. Les organisations plaignantes s’interrogent sur les raisons de son inhumation rapide par les autorités, en l’absence de tout membre de sa famille et de son entourage. Elles indiquent que ce dernier avait été arrêté le 2 août 2013, placé en mandat de dépôt dès le lendemain et condamné le 20 août à deux mois de prison ferme pour «participation à une manifestation interdite». Il était en bonne santé lors de son incarcération à la prison centrale de Gabode.
  5. 344. Enfin, les organisations plaignantes dénoncent le fait qu’en novembre 2012 les autorités aient refusé à M. Samuel Ngoua Ngou, coordinateur régional de l’IE pour la région Afrique, le droit d’entrer sur le territoire de Djibouti où il se rendait pour l’organisation d’un séminaire national sur l’éducation de la petite enfance en collaboration avec le SYNESED et le SEP. Selon les organisations plaignantes, M. Ngoua Ngou a été refoulé à l’aéroport de Djibouti à son arrivée malgré le courrier officiel l’autorisant à obtenir son visa à l’aéroport. Arrivé en provenance de Nairobi le 10 novembre 2012 vers 1 heure du matin, M. Ngoua Ngou a été maintenu par la police des frontières durant 25 heures en dehors de tout cadre légal et a été finalement refoulé le 11 novembre sans motif valable vers 2 heures du matin. Les organisations plaignantes se réfèrent également à d’autres mesures d’ingérence dans les activités syndicales ou des défenseurs des droits de l'homme. Une délégation de l’IE, invitée par le SYNESED en mai 2007, n’a par exemple jamais pu obtenir les visas nécessaires pour se rendre à Djibouti.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 345. Le gouvernement a fourni ses observations dans des communications en date des 3 mars et 8 mai 2014 dans lesquelles il rejette l’ensemble des allégations formulées dans le présent cas.
  2. 346. S’agissant des allégations relatives à des mesures arbitraires frappant les enseignants, et notamment les dirigeants syndicaux nommés par les organisations plaignantes, le gouvernement indique qu’une enquête a été effectuée sur la base de la liste des 83 employés de l’éducation, dont les salaires seraient suspendus depuis octobre 2013, fournie par les organisations plaignantes. Il ressort de l’enquête que la liste est composée de 41 agents, parmi lesquels 15 agents sont effectivement en situation de suspension de salaire au motif d’absence à leurs postes de travail, ces derniers n’ayant pas regagné leurs postes d’affectation. Selon les informations, ces agents incluent M. Farah Abdillahi Miguil et M. Abdillahi Adaweh Mireh. Le gouvernement précise que cette suspension de salaire leur est appliquée en vertu de l’article 27 du statut général des fonctionnaires. Le gouvernement indique par ailleurs que, contrairement à ce qu’indiquent les organisations plaignantes, 25 agents cités dans la liste bénéficient de leurs traitements (pièces justificatives fournies). Le gouvernement précise qu’à l’issue de six semaines de mise en demeure, si les contrevenants persistent, l’administration est en droit – en vertu de l’article 35 du statut général des fonctionnaires – de prononcer leur révocation pour abandon de poste. A cet égard, le gouvernement fournit une communication de mars 2014 du ministère de l’Education nationale et de la Formation professionnelle demandant la mise en application de la procédure de radiation pour défaillance avérée pour 14 fonctionnaires, dont M. Youssouf Mousa Abdi et M. Abdillahi Adaweh Mireh.
  3. 347. En ce qui concerne les allégations relatives au refoulement d’un représentant de l’IE en novembre 2012, le gouvernement fournit un rapport établi par la police des frontières et de l’immigration de l’aéroport de Djibouti, dans lequel il est indiqué que M. Samuel Ngoua Ngou est arrivé le 9 novembre 2012 de Nairobi et est reparti le 11 novembre 2012 à 14 h 45 après un séjour de deux jours sur le territoire de Djibouti. Ce dernier n’a pas fait l’objet de reconduite à la frontière qui aurait été effectuée sur-le-champ sur le vol de retour de l’avion concerné. Par ailleurs, une fiche de notification relatant les motifs de refoulement doit être remise à la compagnie transporteur par le chef d’escale. Une telle fiche n’a pas été produite en ce qui concerne M. Samuel Ngoua Ngou.
  4. 348. Enfin, s’agissant du décès en détention de M. Mahamoud Elmi Rayaleh, professeur de français au lycée public de Balbala, survenu le 29 août 2013 lors de sa détention à la prison centrale de Gabode, le gouvernement indique qu’une commission indépendante a mené une enquête sur les circonstances de ce décès. Elle a notamment entendu les témoignages des codétenus, des surveillants pénitentiaires, du médecin de la prison et examiné le rapport médico-légal. La commission a conclu à l’absence d’indice corroborant un quelconque caractère suspect ou délictuel à la mort du détenu et indiqué que la mort de M. Rayaleh, survenue pendant son sommeil, n’avait aucune cause traumatique ni pathologique.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 349. Le comité note que le présent cas porte sur des allégations de harcèlement et de mesures discriminatoires à l’encontre de dirigeants et de syndicalistes dans le secteur de l’éducation, ainsi que sur des mesures de refoulement du territoire dont aurait fait l’objet le responsable régional d’une organisation syndicale internationale.
  2. 350. Le comité note que, selon l’Internationale de l’éducation (IE), le Syndicat des professeurs des collèges et lycées de Djibouti (SYNESED) et le Syndicat des enseignants du premier degré (SEP), le harcèlement et la répression d’enseignants et de syndicalistes cherchant à exercer leurs droits légitimes à la liberté d’expression et à la liberté syndicale sont courants à Djibouti et la situation s’est détériorée depuis les élections législatives de février 2013, dans la mesure où les enseignants considérés à tort ou à raison comme soutenant l’opposition politique feraient l’objet de persécution de la part des autorités, notamment des sanctions arbitraires (mutations, gel de salaires, licenciement) appliquées au mépris de toutes les règles et procédures administratives. Le comité note que les organisations plaignantes fournissent une liste de 83 enseignants et autres personnels de l’éducation (conseillers pédagogiques, inspecteurs et agents du ministère de l’Education) dont les salaires ont été suspendus depuis octobre 2013. Parmi ces derniers figurent le secrétaire général du SYNESED, M. Farah Abdillahi Miguil, et plusieurs membres fondateurs du collectif «Sauvons l’éducation nationale», M. Abdillahi Adaweh Mireh, M. Youssouf Moussa Abdi dit Youssouf Macho et M. Omar Ismael Omar. Le comité note que, dans leur communication d’avril 2014, les organisations plaignantes dénoncent la menace du ministère de l’éducation de procéder à la radiation de 63 enseignants, dont le secrétaire général du SYNESED et les membres fondateurs du collectif «Sauvons l’éducation nationale» mentionnés plus haut.
  3. 351. Le comité prend note de la réponse du gouvernement qui précise qu’une enquête a été effectuée sur la base de la liste des 83 employés de l’éducation, dont les salaires auraient été suspendus depuis octobre 2013, fournie par les organisations plaignantes et qu’il en ressort que seulement 41 sont des agents. Le gouvernement précise que, parmi ces derniers, 15, dont certains responsables mentionnés par les organisations plaignantes des fonctionnaires, sont en situation de suspension de salaire en vertu de l’article 27 du statut général au motif de leur absence à leurs postes de travail, ces derniers n’ayant pas regagné leurs postes d’affectation. Le comité note l’indication du gouvernement selon laquelle, à l’issue de six semaines de mise en demeure, si les contrevenants persistent, l’administration est en droit – en vertu de l’article 35 du statut général des fonctionnaires – de prononcer leur révocation pour abandon de poste. A cet égard, le gouvernement fournit une communication datée de mars 2014 du ministère de l’Education nationale et de la Formation professionnelle demandant la mise en application de la procédure de radiation pour défaillance avérée pour 14 fonctionnaires, dont M. Youssouf Mousa Abdi et M. Abdillahi Adaweh Mireh. Le comité note par ailleurs l’indication du gouvernement selon laquelle 25 agents qui figurent dans la liste des organisations plaignantes bénéficieraient au contraire de leurs traitements.
  4. 352. Le comité note que, parmi la liste des 83 employés de l’éducation qui auraient fait l’objet de mesures arbitraires fournie par les organisations plaignantes, le gouvernement a fourni des éclaircissements concernant 38 personnes: 19 personnes bénéficieraient en fait de leur traitement; quatre personnes auraient vu leurs salaires suspendus au motif d’abandon de poste; 14 personnes auraient fait l’objet d’une demande de radiation au motif qu’elles n’ont toujours pas obtempéré après six mois de mise en demeure; une personne serait inconnue dans la fonction publique. En conséquence, le comité prie le gouvernement de fournir des informations sur la situation professionnelle actuelle des autres employés de l’éducation dont les organisations plaignantes allèguent qu’ils ont fait l’objet de mesures arbitraires, parmi lesquelles une suspension de salaires depuis octobre 2013, qui figurent dans la liste qui lui a été transmise avec la plainte.
  5. 353. Le comité prend note avec préoccupation des allégations des organisations plaignantes relatives au décès de M. Mahamoud Elmi Rayaleh, professeur de français au lycée public de Balbala et citoyen engagé, survenu le 29 août 2013 durant sa détention à la prison centrale de Gabode. Le comité note que ce dernier aurait été arrêté le 2 août 2013, placé en mandat de dépôt dès le lendemain et condamné le 20 août 2013 à deux mois de prison ferme pour «participation à une manifestation interdite». Le comité note que, selon les organisations plaignantes, ce dernier était en bonne santé lors de son incarcération à la prison centrale de Gabode et que, suite à son décès, les autorités auraient procédé à une inhumation rapide en l’absence de tout membre de sa famille et de son entourage.
  6. 354. Le comité note l’indication du gouvernement selon laquelle une commission indépendante a mené une enquête sur les circonstances de ce décès. Dans le cadre de cette enquête, elle aurait notamment entendu les témoignages des codétenus, des surveillants pénitentiaires, du médecin de la prison et examiné le rapport médico-légal, et elle aurait conclu à l’absence d’indice corroborant un quelconque caractère suspect ou délictuel à la mort du détenu et indiqué que la mort de M. Rayaleh, survenue pendant son sommeil, n’avait aucune cause traumatique ni pathologique. Le comité prie le gouvernement de transmettre copie du jugement du 20 août 2013 condamnant M. Mahamoud Elmi Rayaleh à deux mois de prison ferme pour «participation à une manifestation interdite» ainsi que copie du rapport de la commission indépendante sur les circonstances de son décès.
  7. 355. Le comité note que les organisations plaignantes allèguent le fait qu’en novembre 2012 les autorités ont refusé à M. Samuel Ngoua Ngou, coordinateur régional de l’IE pour la région Afrique, le droit d’entrer sur le territoire de Djibouti où il se rendait pour l’organisation d’un séminaire national sur l’éducation de la petite enfance en collaboration avec le SYNESED et le SEP. Selon les organisations plaignantes, M. Ngoua Ngou a été refoulé à l’aéroport de Djibouti à son arrivée, malgré le courrier officiel l’autorisant à obtenir son visa à l’aéroport. Arrivé en provenance de Nairobi le 10 novembre 2012 vers 1 heure du matin, M. Ngoua Ngou a été maintenu par la police des frontières durant 25 heures en dehors de tout cadre légal et a été finalement refoulé le 11 novembre, sans motif, valable vers 2 heures du matin.
  8. 356. Le comité note que, en réponse, le gouvernement fournit un rapport établi le 14 mars 2014 par la police des frontières et de l’immigration de l’aéroport de Djibouti dans lequel il est indiqué que M. Samuel Ngoua Ngou est arrivé le 9 novembre 2012 de Nairobi et est reparti le 11 novembre 2012 à 14 h 45 après un séjour de deux jours sur le territoire de Djibouti. Selon le rapport, M. Ngoua Ngou n’a pas fait l’objet de reconduite à la frontière qui aurait été effectuée sur-le-champ sur le vol de retour de l’avion concerné. Enfin, selon le rapport, en cas de refoulement, une fiche de notification en relatant les motifs doit être remise à la compagnie transporteur par le chef d’escale. Une telle fiche n’aurait pas été produite en ce qui concerne M. Samuel Ngoua Ngou.
  9. 357. Le comité note avec préoccupation les versions contradictoires des organisations plaignantes et du gouvernement concernant ces allégations graves et observe que le gouvernement ne fournit pas de réponse concernant celles relatives à la détention de M. Ngoua Ngou par la police des frontières durant vingt-cinq heures avant sa reconduite. Dans ces conditions, le comité ne peut examiner plus avant cette question. Cependant, il tient à rappeler que, de manière générale, la visite à des organisations syndicales nationales affiliées et la participation à leurs congrès sont des activités normales des organisations internationales de travailleurs, sous réserve de la législation nationale concernant l’admission des ressortissants étrangers mais que, tout en reconnaissant que le refus d’accorder des visas à des étrangers est une question qui relève de la souveraineté de l’Etat, le comité a déjà eu à demander à un gouvernement de veiller à ce que les formalités exigées des syndicalistes internationaux pour entrer dans le pays soient fondées sur des critères objectifs et exempts d’antisyndicalisme. [Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, cinquième édition, 2006, paragr. 750 et 753.] Rappelant qu’il ne s’agit pas de la première fois que les autorités font l’objet d’allégations de refoulement d’une mission de solidarité syndicale internationale [voir 342e rapport, paragr. 433], le comité s’attend fermement à ce que le gouvernement respecte pleinement ces principes.

Recommandations du comité

Recommandations du comité
  1. 358. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) Le comité prie le gouvernement de fournir des informations sur la situation professionnelle actuelle des employés de l’éducation dont les organisations plaignantes allèguent qu’ils ont fait l’objet de mesures arbitraires, parmi lesquelles une suspension de salaires depuis octobre 2013.
    • b) Le comité prie le gouvernement de transmettre copie du jugement du 20 août 2013 condamnant M. Mahamoud Elmi Rayaleh à deux mois de prison ferme pour «participation à une manifestation interdite» ainsi que copie du rapport de la commission indépendante sur les circonstances de son décès.
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